Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 138 III 49



Urteilskopf

138 III 49

8. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit civil dans la cause X. SA et A.
contre B. SA (recours en matière civile)
5A_349/2011 du 25 janvier 2012

Regeste

Art. 6 Abs. 1, Art. 679 und 684 ZGB; Verhältnis zwischen den Bestimmungen des
schweizerischen Privatrechts über den Schutz vor Immissionen und dem kantonalen
öffentlichen Baurecht.
Eine durch rechtskräftigen Entscheid einer Verwaltungsbehörde bewilligte Baute
verursacht in der Regel keine übermässigen Immissionen im Sinn von Art. 684
ZGB; Ausnahmen (E. 4).

Sachverhalt ab Seite 50

BGE 138 III 49 S. 50

A.

A.a B. SA est propriétaire de la parcelle n° 2166 de la commune de C. A. et X.
SA sont copropriétaires, pour moitié chacune, de la parcelle voisine n° 2276.
Sur ces deux parcelles étaient édifiés des bâtiments à toits plats: le bâtiment
sis sur la parcelle n° 2166 était (et est toujours) d'un seul niveau, tandis
que celui sis sur la parcelle n° 2276, construit en escalier, en comportait
plusieurs.
Le plan localisé de quartier n° 28415 du 16 mai 1995 (ci-après: PLQ 1995)
autorise, sur environ la moitié de la parcelle n° 2166, une surélévation du
bâtiment jusqu'à quatre niveaux. Ce même plan autorise, sur environ la moitié
de la parcelle n° 2276, une surélévation du bâtiment jusqu'à trois niveaux.
Les toits plats des deux bâtiments voisins étaient adossés l'un à l'autre.
Celui de l'immeuble appartenant à B. SA est pourvu de lucarnes à jours
zénithaux. Etant donné qu'avant toute surélévation déjà, le bâtiment de A. et
X. SA était plus haut que celui sis sur la parcelle voisine, un mur aveugle de
2 m 50 se trouvait le long de la limite de propriété du premier immeuble, à une
distance de 3 m 20 des lucarnes du toit plat voisin.
A une date non précisée, l'architecte mandaté par A. et X. SA a interpellé
l'actionnaire unique de B. SA en vue de lui proposer de s'associer à un projet
de surélévation des immeubles. Celui-ci a décliné la proposition, en précisant
qu'il était toutefois vendeur de sa parcelle, ce qui avait suscité l'intérêt
des copropriétaires, sans toutefois qu'une transaction ne se concrétise par la
suite.

A.b Le 6 juillet 2007, le Département genevois des constructions, des
technologies et de l'information (ci-après: DCTI) a autorisé A. et X. SA à
surélever de deux étages leur immeuble, afin d'y créer notamment six
appartements. B. SA ne s'est pas opposée à l'octroi de cette autorisation,
contrairement à quatre autres personnes, qui ont toutefois retiré leur
opposition avant la mi-novembre 2007. L'autorisation de construire est alors
entrée en force.

A.c Les travaux de surélévation du bâtiment ont débuté le 15 mai 2008. Par
courrier du 27 mai 2008, renouvelé le 29 mai 2008, B. SA
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a formellement interdit à ses voisines d'utiliser sa parcelle pour les besoins
de leur chantier avant le versement de 100'000 fr. de sûretés. En outre, par
lettre recommandée du 6 juin 2008, B. SA a avisé le DCTI que l'autorisation de
construire en cause était viciée en ce sens qu'elle avait permis à tort la
création de fenêtres en limite de propriété. Elle a requis la révocation de
cette autorisation. Le 1^er juillet 2008, le DCTI a répondu à B. SA que
l'autorisation de construire était conforme au plan localisé de quartier, ainsi
qu'à toutes les autres dispositions légales et réglementaires, qu'en outre,
elle était en force, de sorte qu'il ne donnerait aucune suite à sa
dénonciation.

A.d Les parties sont en litige au sujet des seize fenêtres du 1^er, 2^e et 3^e
étage de la façade nord-ouest du bâtiment, qui ont été nouvellement créées lors
de la surélévation de ce dernier. Ces fenêtres ont été pratiquées en limite de
propriété, certaines dans le mur précédemment aveugle, en face des lucarnes du
toit voisin.
Comme les façades des deux bâtiments forment un angle à 90°, la fenêtre
oscillo-battante du 1^er étage, située à l'extrême gauche (côté est) du
bâtiment nouvellement surélevé, se différencie des quinze autres en ce sens
qu'elle a été créée à l'endroit précis où les façades contiguës des immeubles
sont censées s'adosser l'une à l'autre une fois surélevées, selon
l'implantation prévue par le PLQ 1995; ce dernier permet en effet la
surélévation en limite des deux bâtiments.
Les seize nouvelles fenêtres suscitent différentes contestations de la part de
B. SA. En substance, celle-ci estime qu'elle devra reculer toute future
surélévation de son bâtiment de façon à respecter la distance de 4 m que lui
imposerait la loi genevoise du 14 avril 1988 sur les constructions et les
installations diverses (LCI/GE; RSG L 5 05). C'est pourquoi, elle invoque
principalement des pertes de surface, soit 40 m^2 de surface habitable et 72 m^
2 de terrasse. Elle prétend également que les locataires voisins peuvent
maintenant se promener sur son toit plat depuis le bâtiment surélevé, qu'une
colonne de fenêtres du 1^er au 3^e étage ne respectent pas les règles sur les
vues droites croisées, ce qui restreint également les possibilités
d'habitation, et, enfin, que les fenêtres litigieuses donnant sur le toit plat
de son immeuble, sous lequel est aménagée une halle d'exposition, lui causent
une perte d'intimité, les locataires du bâtiment surélevé pouvant apercevoir
ses activités à travers les lucarnes à jours zénithaux.

B.

B.a Le 11 juin 2008, B. SA a déposé devant le Tribunal de première instance de
Genève une requête de mesures provisionnelles tendant
BGE 138 III 49 S. 52
à faire suspendre les travaux de construction. A l'appui de cette requête, elle
a fait valoir que le projet de surélévation de l'immeuble voisin contrevenait
aux règles de construction relatives aux jours et vues sur le fonds d'autrui
(...). Statuant le 30 juillet 2008, l'autorité saisie a rejeté la requête.

B.b Par arrêt du 17 octobre 2008, la Cour de justice du canton de Genève a
admis le recours formé par B. SA, annulé l'ordonnance précitée et fait
interdiction à A. et X. SA de poursuivre leurs travaux de construction sur la
parcelle n° 2166 jusqu'à droit connu sur le fond.

B.c A. et X. SA ont formé un recours en matière civile, concluant au rejet de
la requête de mesures provisionnelles. Par arrêt du 10 juin 2009 (arrêt 5A_791/
2008), le Tribunal fédéral a rejeté le recours. (...)

C.

C.a Le 19 décembre 2008, B. SA a ouvert action devant le Tribunal de première
instance de Genève, en validation des mesures provisionnelles. A. et X. SA ont
conclu au rejet de la demande. (...) Par jugement du 8 septembre 2010, le
tribunal a débouté B. SA de ses conclusions.

C.b Par arrêt du 15 avril 2011, la Cour de justice du canton de Genève a admis
le recours formé par B. SA contre le jugement précité. Elle a, notamment,
ordonné aux intimées de murer la fenêtre oscillo-battante située à l'extrême
gauche de la façade nord-ouest du bâtiment D 504, érigé sur leur parcelle n°
2776, dans un délai de 90 jours dès l'entrée en force de l'arrêt (ch. 1) et
ordonné aux intimées de pourvoir les quinze ouvertures pratiquées dans la
façade de leur bâtiment lors de la surélévation de jours fixes opaques et
translucides, dans un délai de 90 jours dès l'entrée en force de l'arrêt (ch.
2). (...)
Par arrêt du 25 janvier 2012, le Tribunal fédéral a partiellement admis le
recours en matière civile formé par A. et X. SA.
(extrait)

Erwägungen

Extrait des considérants:

4. Les recourantes se plaignent tout d'abord de la violation des art. 8, 679,
684, 686 CC ainsi que d'arbitraire dans l'application du droit cantonal et
l'appréciation des preuves. Elles reprochent à l'autorité cantonale d'avoir
retenu que la surélévation de leur bâtiment entraîne des immissions excessives
aux dépens de l'intimée, bien que cette construction ait été autorisée par
décision administrative.
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4.1 Pour juger si la construction litigieuse constituait une atteinte excessive
pour le voisin, au sens de l'art. 684 CC, la cour cantonale s'est employée à
examiner la conformité de celle-ci au droit public cantonal des constructions.
Elle a alors constaté qu'en principe, les vues droites devaient se trouver à
une distance de 4 m de la limite de propriété (cf. art. 45, 48 al. 2 LCI/GE).
Toutefois, il pouvait être dérogé à cette règle, soit par un plan localisé de
quartier, soit par une servitude inscrite au registre foncier (cf. art. 45 al.
3, 46 al. 1 LCI/ GE). En l'espèce, les recourantes avaient créé des vues
droites dans la façade nord-ouest de leur bâtiment, en limite de propriété. Or,
leur fonds n'était au bénéfice d'aucune servitude qui aurait permis cette
dérogation à la distance réglementaire; par ailleurs elles n'étaient pas
parvenues à démontrer qu'une telle dérogation résultait de l'autorisation de
construire ou du PLQ 1995. S'agissant de ce dernier instrument, la cour a
précisé que, contrairement à ce que soutenaient les recourantes, on ne pouvait
admettre qu'il dérogeait implicitement aux règles sur les distances, sous
prétexte qu'il ne contenait pas de pointillés imposant des façades sans jours.
En effet, selon elle, l'art. 45 al. 3 LCI/GE se référait expressément aux
dispositions des règlements de quartier et des plans localisés de quartier
(art. 4 al. 1 let. d de la loi générale du 29 juin 1957 sur les zones de
développement [LGZD/GE; RSG L 1 35], et 16 du règlement d'application du 20
décembre 1978 de la loi générale sur les zones de développement [RGZD2/GE; RSG
L 1 35.04]). En conséquence, la cour cantonale a retenu que les fenêtres créées
lors de la surélévation du bâtiment n'étaient pas conformes au droit public
cantonal des constructions et qu'elles constituaient dès lors également une
immission excessive au sens de l'art. 684 CC.

4.2 A cette motivation, les recourantes opposent, en substance, qu'une
construction autorisée par une décision administrative entrée en force ne peut
pas entraîner d'immission au sens de l'art. 684 CC. Par ailleurs, le juge civil
étant, sauf nullité absolue, lié par les décisions administratives entrées en
force, la cour cantonale n'est pas en droit de revoir la légalité de
l'autorisation de construire qui leur a été accordée. Les recourantes
prétendent également que l'autorité cantonale a retenu à tort qu'elles n'ont
pas démontré que le PLQ 1995 déroge à la LCI/GE sur les distances des vues
droites. A cet égard, elles se fondent notamment sur un courrier du DCTI, du 1^
er juillet 2008, qui confirme la conformité de leur construction au PLQ 1995 et
à toutes les autres règles du droit de la construction, ainsi que sur un
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autre PLQ, dont les légendes indiquent spécifiquement par le signe "X-----X"
les façades qui doivent rester borgnes.
En revanche, les recourantes ne contestent pas les désagréments que l'intimée
invoque. En particulier, elles admettent que la fenêtre oscillo-battante située
à l'extrême gauche du 1^er étage, se trouve sur une portion de mur qui serait
mitoyen si les surélévations de leurs bâtiments se faisaient conformément au
PLQ 1995.

4.3 L'intimée soutient que le juge civil peut toujours vérifier si une
construction est conforme au droit civil, même si elle a fait l'objet d'une
autorisation administrative. En l'espèce, ses droits de nature civile n'ayant
pas été pris en considération dans cette décision, cet acte ne peut lui porter
aucun préjudice. En outre, elle relève que les recourantes ne démontrent pas
que la cour aurait retenu de manière arbitraire qu'elles n'ont pas prouvé que
le PLQ 1995 prévoit une dérogation aux distances les autorisant à ouvrir des
baies en limite de propriété, une telle exception ne pouvant se déduire
implicitement du plan. Cela vaut d'autant plus qu'un PLQ ne fait que définir
les grandes lignes de l'aménagement du quartier, sans pour autant contenir de
détails; il ne peut ainsi déroger aux prescriptions ordinaires que de manière
expresse. L'intimée relève ensuite que, comme l'a admis la cour cantonale, le
bâtiment des recourantes comporte des fenêtres non conformes au droit public
cantonal des constructions, quatre d'entre elles la restreignant dans ses
possibilités de surélever son bâtiment, ce qui constitue un excès au sens de
l'art. 684 CC. L'affirmation des recourantes selon lesquelles "le premier
annoncé est le premier servi" est au demeurant totalement en contradiction avec
les buts de l'aménagement du territoire.

4.4

4.4.1 Selon l'art. 684 CC, le propriétaire est tenu, dans l'exercice de son
droit, de s'abstenir de tout excès au détriment de la propriété du voisin (al.
1); sont interdits en particulier les émissions de fumée ou de suie, les
émanations incommodantes, les bruits, les trépidations qui ont un effet
dommageable et qui excèdent les limites de la tolérance que se doivent les
voisins eu égard à l'usage local, à la situation et à la nature des immeubles
(al. 2).
Sont concernées par cette disposition non seulement les immissions dites
positives, mais également les immissions dites négatives, telles que la
privation de lumière et l'ombrage (ATF 126 III 452 consid. 2; arrêt 5A_415/2008
du 12 mars 2009 consid. 3.1, in ZBGR 91/2010
BGE 138 III 49 S. 55
p. 156). Le propriétaire victime d'immissions peut agir en cessation ou
prévention du trouble ainsi qu'en réparation du dommage (art. 679 CC).

4.4.2 L'art. 686 CC constitue une réserve proprement dite en faveur des
cantons, ceux-ci étant habilités à réglementer l'ensemble du droit privé des
constructions. Cependant, dans ce domaine, les cantons ont édicté presque
exclusivement des règles de droit public, en vertu de la compétence que leur
réserve l'art. 6 al. 1 CC. L'adoption de ce type de règles est admissible à la
triple condition que le législateur fédéral n'ait pas entendu réglementer la
matière de façon exhaustive, que ces règles soient justifiées par un intérêt
public pertinent et qu'elles n'éludent pas le droit civil fédéral, ni n'en
contredisent le sens et l'esprit. Dans ces limites, le droit public cantonal
des constructions dispose d'une force expansive et détermine de plus en plus,
au moyen de règlements des constructions et de plans des zones, les immissions
qui sont admissibles eu égard à la situation des immeubles et à l'usage local.
Assurément, les plans de zones et les règlements des constructions ne
déterminent pas obligatoirement la situation des immeubles et l'usage local au
sens de l'art. 684 CC. Cependant, le droit public des constructions constitue,
d'une part, un indice de l'usage local et, d'autre part, il doit être pris en
compte dans l'application de l'art. 684 CC dans la mesure où l'unité de l'ordre
juridique interdit que le droit privé et le droit public coexistent sans aucun
rapport entre eux. Dans ce sens, l'art. 6 al. 1 CC n'exprime pas seulement une
réserve improprement dite en faveur des cantons, mais il impose aussi une
harmonisation des règles du droit civil fédéral et du droit public cantonal.
Cette extension du droit public des constructions a certes tendance à empiéter
sur la protection contre les immissions garantie par le droit privé. Elle se
justifie néanmoins dans la mesure où l'on a affaire à des plans de zones et des
règlements des constructions détaillés, instruments qui satisfont aux objectifs
supérieurs de l'aménagement du territoire, notamment au principe de la
planification rationnelle de l'ensemble du territoire réservé à l'habitat. En
conséquence, lorsqu'un projet de construction correspond aux normes
déterminantes du droit public sur la distance entre les constructions, qui ont
été promulguées dans le cadre d'un règlement des constructions et des zones
détaillé, conforme aux buts et aux principes de la planification définis par le
droit de l'aménagement du territoire, il n'y a en règle générale pas
d'immissions excessives au sens de l'art. 684 CC (ATF 132 III 49 consid. 2.2;
ATF 129 III 161 consid. 2.6 in fine).
BGE 138 III 49 S. 56

4.4.3 Lorsque les immissions proviennent d'une construction autorisée par
décision administrative, le juge civil saisi d'une action fondée sur les art.
679/684 CC ne doit pas examiner la validité de cette décision, ni substituer sa
propre appréciation à celle de l'autorité administrative. Il ne peut statuer en
effet à titre préjudiciel sur des questions de droit public que si l'autorité
compétente ne s'est pas déjà prononcée à ce sujet (ATF 137 III 8 consid. 3.3.1
et les références citées). Le juge civil est lié par la décision administrative
rendue par l'autorité compétente, à moins que cette décision ne soit absolument
nulle (ATF 108 II 456 consid. 2; arrêts 5A_136/2009 du 19 novembre 2009 consid.
4.2, in RNRF 92/2011 p. 168 et SJ 2010 I p. 321; 5A_265/2009 du 17 novembre
2009 consid. 4.2, non publié in ATF 136 III 60).
Or, dès qu'une décision administrative n'est plus susceptible de recours,
l'application du régime qu'elle établit est censée conforme à l'ordre
juridique, même si, en réalité, cette décision est viciée. Une décision est
nulle, c'est-à-dire absolument inefficace, que si le vice qui l'affecte est
particulièrement grave, s'il est manifeste ou du moins facilement décelable et
si, de surcroît, la sécurité du droit n'est pas sérieusement mise en danger par
la constatation de cette nullité. Des vices de fond d'une décision n'entraînent
qu'exceptionnellement sa nullité. Entrent avant tout en considération comme
motifs de nullité l'incompétence fonctionnelle et matérielle de l'autorité
appelée à statuer, ainsi qu'une erreur manifeste de procédure (ATF 132 II 21
consid. 3.1 et les arrêts cités). Ainsi, en règle générale, un acte
administratif illégal est simplement annulable dès lors que la plupart des
décisions viciées le sont par leur contenu. Reconnaître la nullité autrement
que dans des cas tout à fait exceptionnels conduirait à une trop grande
insécurité; par ailleurs, le développement de la juridiction administrative
offrant aux administrés suffisamment de possibilités de contrôle sur le contenu
des décisions, on peut attendre d'eux qu'ils fassent preuve de diligence et
réagissent en temps utile (arrêt 9C_333/2007 du 24 juillet 2008 consid. 2.1 et
les arrêts cités, in SVR 2009 AHV 1 1).
Il résulte de ce qui précède qu'en matière de constructions, la force expansive
du droit public cantonal, d'une part, et les restrictions mises au pouvoir
d'examen du juge civil qui, sauf nullité, ne peut revoir les décisions
administratives entrées en force, d'autre part, rendent pratiquement sans objet
la protection de droit civil contre les immissions de l'art. 684 CC.
BGE 138 III 49 S. 57

4.4.4 Néanmoins, même lorsqu'une construction est définitivement autorisée par
le droit administratif, l'application de l'art. 684 CC n'est pas totalement
exclue (arrêt 5A_285/2011 du 14 novembre 2011 consid. 3.2). En effet, les
règles de droit formel ou matériel décrétées par le droit public cantonal
peuvent se révéler insuffisantes pour protéger les voisins de manière adéquate.
Dans de telles situations, la protection accordée par le droit civil fédéral
conserve sa valeur comme garantie minimale. Le Tribunal fédéral n'a pas renoncé
à cette protection dans ses précédents arrêts. En effet, il en ressort que les
règlements sur les zones et les constructions ne fixent pas obligatoirement la
situation des immeubles et l'usage local au sens de l'art. 684 CC, mais
constituent uniquement un indice à cet égard. Pour cette raison, c'est "en
règle générale" ("in der Regel") seulement que le droit public cantonal des
constructions ne laisse plus place à l'application de l'art. 684 CC (cf. supra
consid. 4.4.2; ATF 132 III 49 consid. 2.2; ATF 129 III 161 consid. 2.6; cf.
aussi, arrêt 5A_285/2011 du 14 novembre 2011 consid. 3.2).
En résumé, outre le cas où la décision administrative est nulle, le juge civil
peut faire interdire ou modifier une construction, même autorisée par décision
administrative, si les immissions que cette construction cause sont si graves
que la protection minimale fondée sur l'art. 684 CC ne serait sinon plus
garantie.

4.4.5 Pour délimiter les immissions qui sont admissibles de celles qui sont
inadmissibles, c'est-à-dire excessives, l'intensité de l'atteinte est
déterminante. Cette intensité doit être appréciée selon des critères objectifs.
Statuant selon les règles du droit et de l'équité, le juge doit procéder à une
pesée des intérêts en présence, en se référant à la sensibilité d'une personne
raisonnable qui se trouverait dans la même situation. Ce faisant, il doit
garder à l'esprit que l'art. 684 CC, en tant que norme du droit du voisinage,
doit servir en premier lieu à établir un équilibre entre les intérêts
divergents des voisins. Le Tribunal fédéral revoit en principe librement de
telles décisions d'appréciation; il s'impose cependant une certaine retenue et
n'intervient que si le juge cantonal a fait un usage erroné de son pouvoir
d'appréciation, c'est-à-dire s'il s'est écarté sans motifs de principes admis
par la doctrine et la jurisprudence, s'il a pris en considération des éléments
qui n'auraient dû jouer aucun rôle ou si, au contraire, il a omis de prendre en
considération des circonstances juridiquement pertinentes. Doivent en outre
être annulées et corrigées les décisions
BGE 138 III 49 S. 58
d'appréciation qui aboutissent à un résultat manifestement inéquitable ou à une
injustice choquante (ATF 132 III 49 consid. 2.1).

4.5

4.5.1 En l'espèce, les recourantes ont obtenu l'autorisation de construire deux
étages supplémentaires à leur bâtiment, comprenant l'ouverture de seize
fenêtres en limite de propriété. L'intimée n'a pas formé opposition à ce
projet, alors que, ayant été directement contactée par les recourantes, elle
devait s'attendre à ce que la construction de logements soit prochainement
réalisée. Elle s'est contentée de demander la révocation de l'autorisation de
construire, révocation qui a été refusée par l'autorité compétente le 1^er
juillet 2008, laquelle a précisé que cette décision, entrée en force, était
conforme au plan localisé de quartier, ainsi qu'à toutes les autres
dispositions légales et réglementaires. L'intimée a également renoncé à
recourir contre cette décision. L'ouverture de vues droites en limite de
propriété en vertu du PLQ 1995 est donc censée être conforme à l'ordre
juridique. Par ailleurs, même si l'on admettait que le PLQ 1995 ne contient
aucune disposition dérogatoire sur les distances, cette autorisation ne
pourrait être considérée comme viciée au point qu'il faille la qualifier de
nulle. Au demeurant, l'intimée n'a elle-même jamais invoqué la nullité de la
décision et la cour cantonale n'a pas constaté un tel vice. Partant, étant liée
par l'autorisation de construire qui autorise l'ouverture de fenêtres en limite
de propriété, c'est en violation du droit fédéral que l'autorité cantonale a
réexaminé la conformité du projet litigieux au droit public cantonal et
substitué ainsi sa propre appréciation à celle de l'autorité administrative
compétente.

4.5.2 Il reste toutefois à examiner si, bien que la construction litigieuse ait
été autorisée par décision administrative valable et entrée en force, l'art.
684 CC doit s'appliquer pour garantir une protection minimale de droit civil
fédéral.
A cet égard, il est incontesté que la fenêtre oscillo-battante située à
l'extrême gauche du bâtiment se trouve à l'endroit précis où les deux bâtiments
surélevés sont censés s'adosser l'un à l'autre conformément au PLQ 1995; elle
restreint les possibilités de l'intimée de surélever son bâtiment sur une
largeur de 2 m 50. L'immission causée par cette fenêtre est intolérable du
point de vue du droit civil. Partant, en vertu de l'art. 684 CC, le chiffre 1
de l'arrêt attaqué, qui ordonne de murer la fenêtre oscillo-battante située à
l'extrême gauche de la façade nord-ouest du bâtiment, doit être maintenu.
BGE 138 III 49 S. 59
En revanche, les quinze autres fenêtres litigieuses n'entraînent pas d'atteinte
à ce point grave que le droit civil fédéral doive intervenir pour garantir une
protection minimale. En effet, tout d'abord, au vu de l'interprétation qu'a
faite l'autorité administrative du PLQ 1995, autorisant le propriétaire à
construire et à ouvrir des vues droites en limite de propriété, interprétation
que le DCTI a du reste confirmée dans son courrier du 1^er juillet 2008, rien
ne permet d'affirmer que l'intimée ne pourra pas en faire de même ou qu'elle
verra les possibilités d'habitation de son immeuble réduites. Ensuite, la perte
d'intimité que l'intimée invoque n'apparaît pas intolérable; en particulier,
celle-ci peut elle-même poser des verres opaques sur ses lucarnes si elle ne
souhaite pas être observée et entamer toute procédure qui lui semblerait utile
pour empêcher que des voisins viennent se promener sur son toit. Partant, le
chiffre 2 de l'arrêt attaqué, qui ordonne de pourvoir les quinze autres
fenêtres litigieuses de jours fixes opaques et translucides, doit être annulé.