Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 137 V 334



Urteilskopf

137 V 334

34. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit social dans la cause G. contre
Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (recours en matière de
droit public)
9C_790/2010 du 8 juillet 2011

Regeste

Art. 28a Abs. 3 IVG; Art. 8 Abs. 1 und 2 sowie Art. 13 Abs. 1 BV; Art. 8 EMRK;
gemischte Methode der Invaliditätsbemessung.
Bestätigung der Rechtsprechung betreffend die gemischte Methode der
Invaliditätsbemessung (E. 5).
Die gemischte Methode verletzt weder den Anspruch auf Achtung des Privat- und
Familienlebens nach Art. 13 Abs. 1 BV und Art. 8 EMRK noch die Grundsätze der
Gleichbehandlung und des Diskriminierungsverbots gemäss Art. 8 BV (E. 6).

Sachverhalt ab Seite 335

BGE 137 V 334 S. 335

A. G., née en 1953, travaille depuis 1979 pour le compte de la ville de X.
Après avoir initialement exercé une activité d'aide à domicile à 75 %, elle a
travaillé à compter du 1^er décembre 1992 à 80 % en qualité de préparatrice en
entomologie au musée Y. Atteinte d'une malformation de la charnière
cervico-occipitale à l'origine de douleurs chroniques, elle a déposé le 19
décembre 2008 une demande de prestations de l'assurance-invalidité.
Dans le cadre de l'instruction de cette demande, l'Office de
l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: l'office AI) a recueilli
l'avis des docteurs M., médecin traitant (rapport du 16 janvier 2009) et R.
(rapport du 19 janvier 2009), puis fait procéder à un examen clinique
rhumatologique auprès de son Service médical régional (SMR). Dans un rapport du
9 avril 2009, le docteur D. a retenu les diagnostics de cervicalgies chroniques
avec diminution de la mobilité cervicale dans un contexte de malformation de la
charnière cervico-occipitale (avec troubles dégénératifs étagés de C3 à C6),
d'omalgies bilatérales sur probable syndrome d'empiétement, de lombalgies en
relation avec des troubles dégénératifs aggravés par une surcharge pondérale et
de gonalgies bilatérales (sur gonarthrose et status après résection méniscale).
A son avis, l'assurée disposait d'une capacité résiduelle de travail de 50 %
dans son activité habituelle, étant précisé qu'il n'existait pas d'autre
activité dans laquelle elle pouvait mettre en oeuvre une capacité de travail
supérieure. L'office AI a également fait réaliser une enquête économique sur le
ménage qui a mis en évidence une entrave de 25 % dans l'accomplissement des
travaux habituels (rapport du 12 octobre 2009). Se fondant sur les conclusions
de l'examen du SMR et de l'enquête ménagère, l'office AI a, par décision du 22
février 2010, rejeté la demande de prestations de l'assurée, au motif que le
degré d'invalidité (35 %), calculé d'après la méthode mixte d'évaluation de
l'invalidité, était insuffisant pour donner droit à une rente d'invalidité.
BGE 137 V 334 S. 336

B. Par jugement du 17 août 2010, le Tribunal cantonal des assurances sociales
de la République et canton de Genève (aujourd'hui: la Chambre des assurances
sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève) a rejeté
le recours formé par l'assurée contre cette décision.

C. G. interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement dont
elle demande l'annulation. Elle conclut à l'octroi d'une demi-rente
d'invalidité, subsidiairement d'un quart de rente.
L'office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales (OFAS) a renoncé à se déterminer.
Le recours a été rejeté.

Erwägungen

Extrait des considérants:

2.

2.1 En premier lieu, la recourante reproche à la juridiction cantonale d'avoir
appliqué au cas d'espèce la méthode mixte d'évaluation de l'invalidité en lieu
et place de la méthode ordinaire de comparaison des revenus. Elle explique
qu'elle aurait exercé une activité à plein temps si elle n'avait pas été
atteinte dans sa santé. Le fait qu'elle ne travaillait à l'époque qu'à 80 %
était la conséquence des différents problèmes de santé qui l'avaient touchée à
compter du début des années 90. Si son état de santé le lui avait permis, il
est évident qu'au départ de son fils du foyer familial, elle aurait repris une
activité professionnelle à plein temps dans le but d'augmenter ses modestes
revenus, comme elle l'avait d'ailleurs fait avant la naissance de son enfant.

2.2 En second lieu, quand bien même il y aurait lieu d'appliquer la méthode
mixte d'évaluation de l'invalidité, la solution obtenue dans le cas d'espèce,
en tant qu'elle nie un droit à des prestations de l'assurance-invalidité à une
personne assurée présentant une incapacité de travail de 50 % et des
empêchements dans l'accomplissement des travaux habituels à raison de 25 %,
serait choquante et heurterait les sentiments d'équité et de justice. Telle
qu'elle a été décrite par la jurisprudence, la méthode mixte d'évaluation
procéderait à une double pondération des effets du handicap sur la capacité de
travail de la personne assurée, une première fois dans le cadre du calcul du
degré d'invalidité de la personne exerçant une activité lucrative, une seconde
fois dans le cadre de l'évaluation globale de l'invalidité. Pour arriver à une
solution satisfaisante, il conviendrait de ne pondérer qu'une seule fois les
effets du handicap sur la capacité de travail. A l'heure actuelle, la méthode
mixte aurait pour effet de
BGE 137 V 334 S. 337
pénaliser les personnes travaillant à temps partiel, puisqu'elle les priverait
de l'accès aux prestations de l'assurance-invalidité. De cette manière, le
Tribunal fédéral prescrirait implicitement aux assurés l'adoption d'un mode de
vie prédéfini, ce qui constituerait une atteinte au droit au respect de la vie
privée au sens de l'art. 13 al. 1 Cst. Qui plus est, dans la mesure où elle ne
s'appliquerait quasi exclusivement qu'aux femmes, la méthode mixte d'évaluation
serait - indirectement - discriminatoire et violerait de ce fait l'art. 8 al. 3
Cst.

3.

3.1 Un assuré a droit à une rente s'il est invalide à quarante pour cent au
moins (art. 28 al. 2 LAI). Pour évaluer le degré d'invalidité, il existe
principalement trois méthodes - la méthode générale de comparaison des revenus,
la méthode spécifique et la méthode mixte -, dont l'application dépend du
statut du bénéficiaire potentiel de la rente: assuré exerçant une activité
lucrative à temps complet, assuré non actif, assuré exerçant une activité
lucrative à temps partiel.

3.1.1 Chez les assurés qui exerçaient une activité lucrative à plein temps
avant d'être atteints dans leur santé physique, mentale ou psychique, il y a
lieu de déterminer l'ampleur de la diminution des possibilités de gain de
l'assuré, en comparant le revenu qu'il aurait pu obtenir s'il n'était pas
invalide avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut
raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de
réadaptation, sur un marché du travail équilibré; c'est la méthode générale de
comparaison des revenus (art. 28a al. 1 LAI en corrélation avec l'art. 16 LPGA
[RS 830.1]) et ses sous-variantes, la méthode de comparaison en pour-cent (ATF
114 V 310 consid. 3a p. 313 et les références) et la méthode extraordinaire de
comparaison des revenus (ATF 128 V 29; voir également arrêt 9C_236/2009 du 7
octobre 2009 consid. 3 et 4, in SVR 2010 IV n° 11 p. 35).

3.1.2 Chez les assurés qui n'exerçaient pas d'activité lucrative avant d'être
atteints dans leur santé physique, mentale ou psychique et dont il ne peut être
exigé qu'ils en exercent une, il y a lieu d'effectuer une comparaison des
activités, en cherchant à établir dans quelle mesure l'assuré est empêché
d'accomplir ses travaux habituels; c'est la méthode spécifique d'évaluation de
l'invalidité (art. 28a al. 2 LAI en corrélation avec les art. 8 al. 3 LPGA et
27 RAI [RS 831.201]). Par travaux habituels, il faut notamment entendre
l'activité usuelle dans le ménage, l'éducation des enfants ainsi que toute
activité artistique ou d'utilité publique (cf. art. 27 RAI).
BGE 137 V 334 S. 338

3.1.3 Chez les assurés qui n'exerçaient que partiellement une activité
lucrative, l'invalidité est, pour cette part, évaluée selon la méthode générale
de comparaison des revenus. S'ils se consacraient en outre à leurs travaux
habituels au sens des art. 28a al. 2 LAI et 8 al. 3 LPGA, l'invalidité est
fixée, pour cette activité, selon la méthode spécifique d'évaluation de
l'invalidité. Dans une situation de ce genre, il faut dans un premier temps
déterminer les parts respectives de l'activité lucrative et de
l'accomplissement des travaux habituels, puis dans un second temps calculer le
degré d'invalidité d'après le handicap dont la personne est affectée dans les
deux domaines d'activité en question; c'est la méthode mixte d'évaluation de
l'invalidité (art. 28a al. 3 LAI en corrélation avec l'art. 27^bis RAI; voir
par ailleurs ATF 131 V 51 consid. 5.1.2 p. 53).

3.2 Pour déterminer la méthode applicable au cas particulier, il faut à chaque
fois se demander ce que l'assuré aurait fait si l'atteinte à la santé n'était
pas survenue. Lorsqu'il accomplit ses travaux habituels, il convient
d'examiner, à la lumière de sa situation personnelle, familiale, sociale et
professionnelle, s'il aurait consacré, étant valide, l'essentiel de son
activité à son ménage ou s'il aurait vaqué à une occupation lucrative. Pour
déterminer voire circonscrire le champ d'activité probable de l'assuré, il faut
notamment tenir compte d'éléments tels que la situation financière du ménage,
l'éducation des enfants, l'âge de l'assuré, ses qualifications
professionnelles, sa formation ainsi que ses affinités et talents personnels.
Selon la pratique, la question du statut doit être tranchée sur la base de
l'évolution de la situation jusqu'au prononcé de la décision administrative
litigieuse, encore que, pour admettre l'éventualité de l'exercice d'une
activité lucrative partielle ou complète, il faut que la force probatoire
reconnue habituellement en droit des assurances sociales atteigne le degré de
la vraisemblance prépondérante (ATF 117 V 194 consid. 3b p. 194; voir également
ATF 133 V 504 consid. 3.3 p. 507; ATF 131 V 51 consid. 5.1.2 p. 53 et ATF 125 V
146 consid. 5c/bb p. 157; arrêt 9C_49/2008 du 28 juillet 2008 consid. 3.1-3.4
et arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 156/04 du 13 décembre 2005
consid. 5.1.2).

3.3 La juridiction cantonale a considéré qu'il existait suffisamment d'indices
établissant avec une vraisemblance prépondérante que la recourante travaillait
à 80 %, non pas par obligation, mais par choix. Au début de l'incapacité de
travail alléguée, elle avait exercé durant près de 16 ans une activité à 80 %,
sans que cela ne soit justifié par des obligations familiales. Il ne ressortait
par ailleurs d'aucune pièce médicale que l'état de santé de la recourante la
contraignait
BGE 137 V 334 S. 339
exclusivement à exercer une activité à temps partiel limitée à 80 %. Dans un
curriculum vitae établi le 2 novembre 1992, elle a indiqué souhaiter retrouver
un poste lui permettant de maintenir sa capacité de gain; par la suite, jusqu'à
ce que le projet de décision lui soit communiqué, elle n'a jamais fait mention
de son intention de reprendre un emploi à plein temps.

3.4 En l'occurrence, la recourante ne parvient pas à établir le caractère
manifestement inexact, voire insoutenable, du raisonnement qui a conduit la
juridiction cantonale à conclure, dans le cas particulier, à l'application de
la méthode mixte d'évaluation de l'invalidité. A l'argumentation factuelle de
celle-ci, la recourante oppose des considérations tirées de l'expérience
générale de la vie. Cela étant, celles-ci semblent contredites par les pièces
du dossier. Il en ressort que la recourante travaille à temps partiel depuis
l'année 1979. Si un tel choix pouvait s'expliquer à l'époque par la volonté de
s'occuper de son enfant (né en 1973), cette justification n'avait plus guère de
fondement à compter de la fin des années 1980. Certes, les premiers problèmes
de santé sont apparus au cours de l'année 1989 et ont motivé un changement
d'activité à la fin de l'année 1992. Jusqu'au dépôt le 19 décembre 2008 de sa
demande de prestations de l'assurance-invalidité, la recourante n'a toutefois
entrepris aucune démarche dans le but de trouver une activité à 100 % adaptée à
ses limitations fonctionnelles et semble bien plutôt s'être contentée de la
situation.

4.

4.1 Lorsque la méthode mixte d'évaluation de l'invalidité est applicable,
l'invalidité des assurés pour la part qu'ils consacrent à leur activité
lucrative doit être évaluée selon la méthode générale de comparaison des
revenus (art. 28a al. 3 LAI en corrélation avec l'art. 16 LPGA). Concrètement,
lorsque la personne assurée ne peut plus exercer (ou plus dans une mesure
suffisante) l'activité qu'elle effectuait à temps partiel avant la survenance
de l'atteinte à la santé, le revenu qu'elle aurait pu obtenir effectivement
dans cette activité (revenu sans invalidité) est comparé au revenu qu'elle
pourrait raisonnablement obtenir en dépit de son atteinte à la santé (revenu
d'invalide). Autrement dit, le dernier salaire que la personne assurée aurait
pu obtenir compte tenu de l'évolution vraisemblable de la situation jusqu'au
prononcé de la décision litigieuse - et non celui qu'elle aurait pu réaliser si
elle avait pleinement utilisé ses possibilités de gain (ATF 125 V 146 consid.
5c/bb p. 157) - est comparé au gain hypothétique qu'elle pourrait obtenir sur
un marché équilibré du travail
BGE 137 V 334 S. 340
en mettant pleinement à profit sa capacité résiduelle dans un emploi adapté à
son handicap (ATF 125 V 146 consid. 5a p. 154). Lorsque la personne assurée
continue à bénéficier d'une capacité résiduelle de travail dans l'activité
lucrative qu'elle exerçait à temps partiel avant la survenance de l'atteinte à
la santé, elle ne subit pas d'incapacité de gain tant que sa capacité
résiduelle de travail est plus étendue ou égale au taux d'activité qu'elle
exercerait sans atteinte à la santé (arrêt 9C_713/2007 du 8 août 2008 consid.
3.2).

4.2 L'invalidité des assurés pour la part qu'ils consacrent à leurs travaux
habituels doit être évaluée selon la méthode spécifique de comparaison des
types d'activité. L'application de cette méthode nécessite l'établissement
d'une liste des activités - qui peuvent être assimilées à une activité
lucrative - que la personne assurée exerçait avant la survenance de son
invalidité, ou qu'elle exercerait sans elle, qu'il y a lieu de comparer ensuite
à l'ensemble des tâches que l'on peut encore raisonnablement exiger d'elle,
malgré son invalidité, après d'éventuelles mesures de réadaptation. Pour ce
faire, l'administration procède à une enquête sur place et fixe l'ampleur de la
limitation dans chaque domaine entrant en considération, conformément aux
chiffres 3079 ss de la Circulaire de l'OFAS sur l'invalidité et l'impotence
dans l'assurance-invalidité (CIIAI; ATF 130 V 61; ATF 128 V 93; arrêt I 246/05
du 30 octobre 2007 consid. 5.2.1 et les références, in SVR 2008 IV n° 34 p.
111; voir également ATF 133 V 504 consid. 4 p. 508).

4.3 A certaines conditions particulières, il est possible de prendre en
considération l'incapacité d'exercer une activité lucrative ou d'accomplir les
travaux habituels résultant des efforts consentis dans l'autre domaine
d'activité. La mesure de ce qu'il y a lieu de considérer comme des effets
dommageables doit toujours être examinée à la lumière des circonstances
concrètes du cas particulier, mais ne saurait dépasser, en tout état de cause,
15 % (ATF 134 V 9; voir également arrêt du Tribunal fédéral des assurances I
156/04 du 13 décembre 2005 consid. 6.2, in SVR 2006 IV n° 42 p. 151, et arrêt
9C_713/2007 du 8 août 2008 consid. 4).

5.

5.1 La doctrine s'est toujours montrée très critique à l'égard de la
jurisprudence du Tribunal fédéral concernant la méthode mixte d'évaluation de
l'invalidité (entres autres auteurs: HANS-JAKOB MOSIMANN, Teilerwerbstätige in
der Invalidenversicherung, RSAS 2010 p. 271 ss; JEAN-LOUIS DUC, Du droit à une
rente de l'AI des personnes
BGE 137 V 334 S. 341
n'exerçant une activité lucrative qu'à temps partiel. Le Tribunal fédéral des
assurances ignore-t-il la loi-, PJA 2005 p. 1423 ss; EDGAR IMHOF, Die Bedeutung
menschenrechtlicher Diskriminierungsverbote für die Soziale Sicherheit, in
Jusletter du 7 février 2005, n. 21 ss; MARGRITH BIGLER-EGGENBERGER, Et si la
justice ôtait son bandeau- La jurisprudence du Tribunal fédéral sur l'égalité
entre femmes et hommes, 2003, p. 227 ss; FRANZ SCHLAURI, Das Rechnen mit
Arbeitsunfähigkeiten in Beruf und Hauhalt in der gemischten Methode der
Invaliditätsbemessung, in Schmerz- und Arbeitsunfähigkeit, Schaffhauser/
Schlauri [éd.], 2003, p. 307 ss; UELI KIESER, Die Ermittlung des
Invaliditätsgrades von Teilerwerbstätigen, in Sozialversicherungsrechtstagung
2002, Schaffhauser/Schlauri [éd.], p. 9 ss; BAUMANN/LAUTERBURG, Knappes Geld -
ungleich verteilt: Gleichstellungsdefizite in der Invalidenversicherung, 2001,
p. 76 ss; SUSANNE LEUZINGER-NAEF, Sozialversicherungsrechtliche Probleme
flexibilisierter Arbeitsverhältnisse, et ALEXANDRA RUMO-JUNGO, Ausgewählte
Gerichtsentscheide aus dem Sozialversicherungsrecht im Zusammenhang mit
Teilzeitarbeitsverhältnissen, toutes deux in Neue Erwerbsformen - veraltetes
Arbeits- und Sozialversicherungsrecht-, Erwin Murer [éd.], 1996, p. 91 ss et
187 ss; PETER STEIN, Die Invalidität, Weg oder Irrweg von Gesetzgebung und
Praxis, in Sozialversicherungsrecht im Wandel: Festschrift 75 Jahre
Eidgenössisches Versicherungsgericht, 1992, p. 441 s.). Elle estime en
substance que le degré d'invalidité calculé selon la méthode mixte d'évaluation
aboutit à un résultat peu satisfaisant, car souvent inférieur à celui obtenu
avec l'aide d'une autre méthode. Dans la mesure où ce seraient les femmes qui
en pâtiraient principalement, la méthode mixte d'évaluation serait par
conséquent discriminatoire.

5.2 Le Message du 24 octobre 1958 relatif à un projet de loi sur
l'assurance-invalidité ainsi qu'à un projet de loi modifiant celle sur
l'assurance-vieillesse et survivants (FF 1958 II 1161 ss) expose, au chapitre
qu'il consacre à la notion d'"incapacité de gain", (FF 1958 II 1185 s.) les
principes suivants:
a. L'assurance-invalidité a pour but d'atténuer les conséquences économiques de
l'invalidité et doit, par conséquent, accorder une importance primordiale à la
diminution de la capacité de gain. L'assuré qui, par suite d'une atteinte à la
santé, n'est plus en mesure de gagner sa vie entièrement ou partiellement par
son travail doit bénéficier de la protection de l'assurance. On tiendra compte
par conséquent de tout travail qui peut être raisonnablement exigé de l'assuré
en considération de son activité antérieure et de ses conditions personnelles,
et non seulement du travail qu'il pourrait continuer à fournir dans la
profession qu'il exerçait auparavant.
BGE 137 V 334 S. 342
En revanche, un dommage qui n'entraîne pas de diminution de la capacité de
gain, comme c'est souvent le cas des atteintes d'ordre esthétique par exemple,
ne peut être considéré comme une forme d'invalidité. Sans doute a-t-il été
proposé, dans un avis, de prévoir le droit à une prestation également en cas de
simple atteinte à l'intégrité physique ou mentale de l'assuré. A notre avis
toutefois, le but d'une assurance sociale ne saurait être de verser un
dédommagement pour des déficiences physiques ou mentales qui ne diminuent en
rien la capacité de gain de l'assuré.
Il convient de relever en particulier que, dans l'assurance-invalidité, seule
l'incapacité de gain causée par une atteinte à la santé peut être prise en
considération. Cette incapacité doit être distinguée de l'impossibilité due à
des facteurs extérieurs (au chômage par exemple). C'est de cette manière
seulement que l'estimation du degré d'invalidité pourra se fonder
objectivement, indépendamment des fluctuations du marché du travail et du
comportement de l'assuré. Une distinction nette entre l'assurance-invalidité et
l'assurance-chômage, telle qu'elle est suggérée dans plusieurs avis n'est
possible que si, dans l'assurance-invalidité, on s'en tient au seul critère
suivant: l'assuré serait-il capable de gagner sa vie grâce aux forces physiques
et mentales dont il dispose, si la situation sur le marché du travail est
normale.
b. Du moment que l'assurance-invalidité sera obligatoire pour l'ensemble de la
population de la Suisse, elle englobera, comme l'assurance-vieillesse et
survivants, les personnes sans activité lucrative aussi bien que celles qui
exercent une telle activité. Nous nous rallions à l'opinion de la commission
des experts (cf. rapport des experts p. 26 et 27, et p. 122 s.), selon
laquelle, même pour les personnes sans activité lucrative, on peut d'une
manière générale, se fonder sur la notion d'incapacité de gain. Nous ne voyons
en effet pas pour quelles raisons on appliquerait un autre critère aux
retraités, aux rentiers et autres.
En revanche, on ne saurait, en règle générale, exiger des maîtresses de maison
et des membres de communautés religieuses qui, avant d'être atteints dans leur
santé, n'exerçaient pas d'activité lucrative, qu'ils se mettent à exercer une
telle activité. Cela serait contraire aux intérêts de la vie de famille et au
caractère particulier des communautés religieuses. C'est pourquoi le critère de
la capacité de gain ne peut pas être utilisé pour ces catégories d'assurés. La
commission d'experts a proposé de se fonder, dans ces cas, sur l'incapacité de
l'assuré de continuer à vaquer à ses occupations habituelles (incapacité
spécifique de travail, cf. rapport des experts p. 115).

5.3 Tel que défini à la base, le risque "invalidité" comporte deux composantes
distinctes et opposées. Les critères sur lesquels se fonde l'évaluation de
l'invalidité différent selon que l'on a affaire à une personne exerçant ou
n'exerçant pas d'activité lucrative; dans le premier cas, on tient compte de
l'incapacité de gain, laquelle s'évalue sur la base de critères économiques;
dans le second cas, on prend en considération l'empêchement d'accomplir ses
travaux habituels, qui résulte d'un examen empirique d'une situation factuelle
BGE 137 V 334 S. 343
particulière (cf. KIESER, op. cit., p. 35). Une même atteinte à la santé peut
ainsi aboutir à des degrés d'invalidité différents en fonction de la méthode
avec laquelle elle a été appréciée. Bien que problématique pour la
compréhension, cette discordance est inhérente au système légal de l'évaluation
de l'invalidité et ne saurait donner lieu à critique. La difficulté à laquelle
a été confrontée la jurisprudence au cours du temps fut de concilier ces deux
méthodes - très différentes dans leur conception - dans la situation d'une
personne exerçant une activité lucrative à temps partiel et consacrant le reste
de son temps à ses activités habituelles.

5.4 Dans un premier temps, le Tribunal fédéral des assurances a jugé qu'il
n'était pas possible de considérer un assuré comme étant partiellement actif et
non actif. Au contraire, il fallait distinguer nettement ces deux catégories;
dans chaque cas, les organes de l'assurance-invalidité devaient déterminer si
l'assuré qui prétendait à l'octroi d'une rente devait être considéré comme
exerçant ou comme n'exerçant pas d'activité lucrative (principe de la
prépondérance; ATFA 1964 p. 258). Par la suite, la jurisprudence a considéré
que l'exercice d'une activité lucrative accessoire d'une personne assurée,
occupée essentiellement aux tâches ménagères et à l'éducation de ses enfants,
devait, lors de l'évaluation de son invalidité, être prise en compte dans le
cadre de la méthode spécifique d'évaluation. Tel était le cas lorsqu'il y avait
lieu d'admettre que le revenu que la personne assurée aurait réalisé si elle
n'était pas devenue invalide, aurait représenté une part substantielle du
revenu global du ménage (ATF 98 V 259 consid. 2 p. 261). Malgré cette précision
de jurisprudence, le Conseil fédéral a estimé que la règle définie par le
Tribunal fédéral des assurances était difficile à appliquer dans la pratique et
pouvait parfois aboutir à des résultats peu satisfaisants. Fort de ce constat,
il a introduit à compter du 1^er janvier 1977 l'art. 27^bis RAI (RO 1976 2654).
Selon la volonté du Conseil fédéral, l'évaluation de l'invalidité ne devait se
faire désormais d'après le principe de la comparaison des revenus que si la
personne assurée consacrait tout son temps à une activité lucrative. Chez les
ménagères qui exerçaient une telle activité pendant une partie de leur temps,
l'empêchement subi dans les travaux du ménage et dans l'activité lucrative
devait être pris en considération d'une manière adéquate, et l'invalidité
évaluée d'après la réduction des aptitudes dans chaque domaine (méthode mixte
d'évaluation de l'invalidité; RCC 1977 p. 18 et 1978 p. 407). Le Tribunal
fédéral des assurances a reconnu que cette
BGE 137 V 334 S. 344
réglementation était conforme à la loi et, partant, fixé la méthode mixte dans
l'ordre juridique suisse (arrêt I 350/77 du 28 septembre 1978 consid. 1b, in
RCC 1979 p. 276; confirmé in ATF 125 V 146). Le législateur a définitivement
inscrit dans la loi la méthode mixte d'évaluation de l'invalidité le 1^er
janvier 2004 (art. 28 al. 2^ter LAI [RO 2003 3852]; aujourd'hui: art. 28a al. 3
LAI [RO 2007 5147]; sur l'origine de la méthode mixte d'évaluation, voir
notamment SCHLAURI, op. cit., p. 309 s. et KIESER, op. cit., p. 25 s.).

5.5 Depuis son apparition, la méthode mixte d'évaluation de l'invalidité n'a
pas été remise en question dans son principe. Font en revanche l'objet d'une
intense controverse, hier comme aujourd'hui, les modalités d'application de
cette méthode, en particulier la détermination du degré d'invalidité pour la
part que la personne assurée consacre à son activité lucrative (cf. supra
consid. 5.1).

5.5.1 La loi consacre désormais trois régimes distincts d'évaluation de
l'invalidité, qui, pour une même atteinte à la santé, peuvent aboutir à des
conséquences assécurologiques sensiblement différentes. L'ouverture d'un droit
à une rente d'invalidité en application de la méthode générale de la
comparaison des revenus ne signifie pas qu'un tel droit devrait également
s'ouvrir si la méthode spécifique ou la méthode mixte d'évaluation était
appliquée. Le système de l'assurance-invalidité ne connaît pas de règle selon
laquelle l'assuré aurait le droit de se voir appliquer la méthode qui serait la
plus favorable à son égard ("Meistbegünstigungsklausel"). Chaque régime a pour
but d'appréhender, de façon différenciée et spécifique, une situation de fait
particulière: celle de l'assuré exerçant une activité lucrative à temps
complet, celle de l'assuré exerçant une activité lucrative à temps partiel et
celle de l'assuré n'exerçant pas d'activité lucrative. La pluralité des
méthodes fait donc partie de l'ordre des choses et permet de garantir que
l'invalidité de la personne concernée est évaluée de la façon la plus adéquate
possible. Eu égard à cette hétérogénéité, il ne serait pas correct de vouloir
établir des comparaisons entre ces diverses méthodes; chaque méthode doit être
examinée pour elle-même selon les critères définis par la loi (voir arrêt I 156
/04 du 13 décembre 2005 consid. 5.1.1, in SVR 2006 IV n° 42 p. 151).

5.5.2 Lorsqu'une personne assurée décide de ne travailler qu'à temps partiel,
elle fait un choix qui relève intrinsèquement de sa responsabilité personnelle
directe; comme pour tout choix, il lui appartient de tenir compte des
conséquences positives et négatives de ce choix.
BGE 137 V 334 S. 345
Si le travail à temps partiel a pour avantage de permettre un meilleur
équilibre entre la vie professionnelle et l'accomplissement des travaux
habituels, il présente également des inconvénients non négligeables qui se
traduisent en général notamment par des conditions d'emploi précaires, une
diminution de salaire, la privation de certaines prestations sociales ou la
limitation des perspectives de carrière (cf. infra consid. 6.1.2).

5.5.3 Selon la définition légale, l'incapacité de gain consiste en la
diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré
sur le marché du travail équilibré entrant en considération pour lui, si cette
diminution résulte d'une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique et
qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles
(art. 7 al. 1 LPGA). Dans ce contexte, la rente de l'assurance-invalidité vise
à la compensation d'un préjudice patrimonial qui présente une certaine
importance (art. 28 al. 2 LAI); cela présuppose que la personne assurée subisse
un dommage matériel objectif correspondant à une perte de gain ou à une
incapacité à vaquer à ses occupations habituelles liée à l'invalidité de 40 %
au moins. Compte tenu de la dualité méthodologique imposée par le législateur à
l'art. 28a al. 3 LAI, la détermination de l'ampleur du dommage global subi dans
le cadre de l'application de la méthode mixte d'évaluation de l'invalidité ne
peut se faire qu'en évaluant de manière séparée le degré d'invalidité relatif à
chaque domaine d'activité (sous réserve de la prise en compte des effets
réciproques prévue à l' ATF 134 V 9). S'agissant de la part que la personne
assurée consacre à l'exercice d'une activité lucrative, il convient, au moment
de l'évaluation du degré d'invalidité, de ne pas perdre de vue l'objectif
principal de l'assurance-invalidité, tel qu'il ressort du message du Conseil
fédéral (cf. supra consid. 5.2), soit l'atténuation des conséquences
économiques de l'invalidité. En choisissant de ne travailler qu'à temps
partiel, la personne assurée renonce délibérément à une partie du salaire
qu'elle pourrait réaliser en travaillant à plein temps pour se contenter du
seul revenu de son activité à temps partiel; la diminution de revenu
consécutive à ce choix ne résulte pas de facteurs médicaux et ne saurait être
compensée, pour quelque raison que ce soit, par l'assurance-invalidité. Par
définition, il n'appartient pas à l'assurance-invalidité d'indemniser une perte
de revenu - hypothétique - relative à une activité que la personne assurée
n'aurait jamais exercée en l'absence d'atteinte à la santé (cf. arrêt 9C_49/
2008 du 28 juillet 2008 consid. 3.3, in
BGE 137 V 334 S. 346
FamPra.ch 2010 p. 134). C'est pour ces motifs qu'il se justifie de prendre en
compte, pour calculer le revenu sans invalidité, le salaire effectif réalisé
par la personne assurée avant la survenance de l'invalidité (voir également ATF
131 V 51 consid. 5.1.2 p. 53).

5.5.4 Pour sa part, la méthode généralement préconisée par la doctrine - et que
la recourante suggère d'appliquer à son cas - demande à ce que le revenu sans
invalidité soit calculé sur la base d'un temps plein (DUC, op. cit., p. 1425;
SCHLAURI, op. cit., p. 334 s.; BAUMANN/LAUTERBURG, op. cit., p. 87 s.;
LEUZINGER-NAEF, op. cit., p. 131; RUMO- JUNGO, op. cit., p. 210). Elle implique
cependant la prise en compte et l'indemnisation d'un dommage virtuel et fictif,
ce qui, on l'a vu, est contraire au but et à l'esprit de l'assurance-invalidité
et à la notion d'assurance. L'application de cette méthode corrigée peut même
dans certains cas conduire à placer la personne assurée dans une situation
économique plus favorable que celle qu'elle connaissait avant la survenance de
l'atteinte à la santé, comme l'illustre l'exemple suivant. Dans le cas d'une
personne assurée, qui travaillait à mi-temps avant la survenance de l'atteinte
à la santé, dispose d'une capacité de travail de 50 % dans son activité
lucrative et connaît un empêchement de 35 % dans ses activités habituelles,
l'évaluation de l'invalidité, selon la solution proposée par la doctrine,
aboutit à un degré d'invalidité de 42,5 % ([0,5 x 50] + [0,5 x 35]), soit à
l'ouverture d'un droit à un quart de rente, alors même que la personne assurée
est en mesure de réaliser un gain identique à celui qu'elle touchait avant la
survenance de l'atteinte à la santé et qu'elle n'aurait pas droit à une rente
si la méthode spécifique était appliquée isolément.

5.5.5 Sur le vu des explications qui précèdent, il convient de rejeter
l'argumentation selon laquelle l'application de cette méthode aurait pour
conséquence de procéder à une double pondération du degré d'invalidité relatif
à la part consacrée à l'activité lucrative. Il s'agit dans une première étape
de calculer le degré d'invalidité - effectif - de la personne assurée, dans le
respect du but et de l'esprit de l'assurance-invalidité, puis seulement dans
une seconde étape de pondérer les champs d'activité.

6. Il est reproché à la méthode mixte d'évaluation d'empêcher les femmes,
principales concernées par son application, de pouvoir choisir le modèle
familial qu'elles souhaiteraient, dès lors qu'elle aurait pour effet de
pénaliser les personnes exerçant une activité à temps partiel en les privant de
facto de l'accès aux prestations de l'assurance-invalidité. Elle violerait
ainsi les art. 8 et 13 al. 1 Cst.
BGE 137 V 334 S. 347

6.1

6.1.1 L'art. 13 al. 1 Cst., dont la portée est similaire à celle de l'art. 8
par. 1 CEDH, garantit le droit au respect de la vie privée et familiale,
c'est-à-dire le droit de toute personne de mener sa vie selon son propre choix,
de choisir son mode de vie, d'organiser ses loisirs et d'avoir des contacts
avec autrui, respectivement d'entretenir librement ses relations familiales et
de mener une vie de famille. Le droit au respect de la vie privée protège
notamment l'identité, le respect de la sphère intime et secrète, l'honneur et
la réputation d'une personne, ainsi que ses relations avec les autres, que ce
soient ses relations de couple - marié ou non, de sexe différent ou de même
sexe - ou ses relations avec son entourage. Le droit au respect de la vie
familiale protège cette dernière contre les atteintes que pourrait lui porter
l'Etat et qui auraient pour but ou pour effet de séparer la famille ou, au
contraire, de la contraindre à vivre ensemble, ou encore d'intervenir d'une
manière ou d'une autre dans la relation familiale, notamment dans les rapports
entre les parents et leurs enfants (PASCAL MAHON, in Petit commentaire de la
Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, 2003, n^os 5
et 7 s. ad art. 13 Cst.). En d'autres mots, le droit au respect de la vie
privée et familiale garantit à l'individu un espace de liberté dans lequel il
peut se développer et se réaliser, en disposant librement de sa personne et de
son mode de vie (ATF 133 I 58 consid. 6.1 p. 66).

6.1.2 L'ordre juridique suisse ne pose aucun obstacle à l'exercice d'une
activité à temps partiel. Un tel choix d'orientation, comme tout choix de cette
nature, entraîne des conséquences positives et négatives, que cela soit à un
niveau personnel, matériel ou social. Les prestations fournies par le régime
social d'assurance n'est qu'un facteur parmi d'autres entrant en ligne de
compte dans la pondération des intérêts conduisant au choix de la personne
assurée. Certes, un Etat social moderne se doit de couvrir les risques sociaux
principaux, afin de permettre aux individus de se libérer du souci permanent de
leur avenir. Ce devoir n'est toutefois pas sans limite. Il n'existe pas de
principe général selon lequel l'Etat devrait assumer la prise en charge
collective de tous les malheurs pouvant survenir dans la vie d'un individu. De
fait, le régime social d'assurance n'est matériellement pas à même de répondre
à tous les risques et besoins sociaux. Le contenu et les conditions de
l'intervention de l'Etat sont définis par le législateur, en fonction des
objectifs de politique sociale que celui-ci s'est fixés. Le droit au respect de
la vie privée et
BGE 137 V 334 S. 348
familiale ne saurait à cet égard fonder un droit direct à des prestations
positives de l'Etat susceptibles notamment de favoriser l'exercice de la vie
familiale (ATF 134 I 105 consid. 6 p. 109; ATF 120 V 1 consid. 2a p. 4; voir
également l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme Petrovic contre
Autriche du 27 mars 1998, Recueil Cour-EDH 1998-II p. 579 § 26 ss). Certes
convient-il de tenir compte des droits fondamentaux et principes
constitutionnels lors de l'interprétation des normes ayant pour objet de
fournir une prestation dans le domaine des assurances sociales, ainsi que lors
de l'exercice du pouvoir d'appréciation, dans une mesure compatible avec l'art.
190 Cst. qui prévoit que les lois fédérales et le droit international
s'imposent au Tribunal fédéral et aux autres autorités appliquant la loi (ATF
134 I 105 consid. 6 p. 110). Cela étant, on ne voit pas que la méthode mixte
d'évaluation de l'invalidité porterait atteinte au droit de toute personne de
mener la vie et de choisir le modèle familial de son choix, dès lors que cette
méthode d'évaluation en particulier et le régime social de
l'assurance-invalidité en général n'ont pas pour but d'intervenir dans la
relation familiale en tant que telle, même s'il peut indirectement en résulter
des désagréments pour la personne travaillant à temps partiel pour des raisons
familiales et devenant invalide (voir arrêt I 156/04 du 13 décembre 2005
consid. 5.2, in SVR 2006 IV n° 42 p. 151). La méthode mixte d'évaluation de
l'invalidité ne viole par conséquent pas les art. 13 al. 1 Cst. ou 8 par. 1
CEDH.

6.2

6.2.1 Une décision ou un arrêté viole le principe de l'égalité de traitement
consacré à l'art. 8 al. 1 Cst. lorsqu'il établit des distinctions juridiques
qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de
fait à réglementer ou qu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu
des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas traité
de manière identique et ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière
différente. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se
rapporte à une situation de fait importante (ATF 134 I 23 consid. 9.1 p. 42 et
la jurisprudence citée). Au principe d'égalité de traitement, l'art. 8 al. 2
Cst. ajoute une interdiction des discriminations. Aux termes de cette
disposition, nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son
origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation
sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou
politiques ni du fait d'une déficience corporelle, mentale ou physique. On est
en présence d'une discrimination selon
BGE 137 V 334 S. 349
l'art. 8 al. 2 Cst. lorsqu'une personne est traitée différemment en raison de
son appartenance à un groupe particulier qui, historiquement ou dans la réalité
sociale actuelle, souffre d'exclusion ou de dépréciation. Le principe de
non-discrimination n'interdit toutefois pas toute distinction basée sur l'un
des critères énumérés à l'art. 8 al. 2 Cst., mais fonde plutôt le soupçon d'une
différentiation inadmissible. Les inégalités qui résultent d'une telle
distinction doivent dès lors faire l'objet d'une justification particulière (
ATF 135 I 49 consid. 4.1 p. 53 et les références).

6.2.2 Parmi les personnes qui exercent une activité lucrative, 58,5 % des
femmes exercent une activité à temps partiel contre 13,8 % des hommes (Office
fédéral de la statistique, Enquête suisse sur la population active [ESPA],
Personnes actives occupées à plein temps et à temps partiel selon le sexe, la
nationalité, les groupes d'âges, letype de famille, T 03.02.01.16 [2010, 4^e
trimestre]). Le travail à tempspartiel est ainsi une caractéristique de la vie
professionnelle des femmes. Cette prépondérance des femmes parmi les
travailleurs à temps partiel résulte avant tout de causes sociétales liées à la
transformation des comportements individuels et des structures économiques. Au
cours de ces dernières décennies, le statut de la femme dans la société a
considérablement évolué. Les revendications quant à la place des femmes dans le
monde du travail et quant au partage des tâches au sein de la cellule familiale
sont devenues toujours plus importantes et écoutées. A cet égard, le
développement du travail à temps partiel reflète le souhait exprimé par
celles-ci de pouvoir concilier, au mieux des intérêts de la cellule familiale,
vies familiale et professionnelle. Le déséquilibre entre hommes et femmes dans
la proportion de travailleurs à temps partiel a toutefois d'autres
explications: les inégalités de qualifications et de salaires qui font que,
dans un couple, c'est le moins bien rémunéré des deux qui travaillera à temps
partiel ou encore le fait que le travail à temps partiel est particulièrement
répandu dans le secteur des services, notamment de la vente, où les femmes
sont, relativement, plus nombreuses que dans les autres activités (Office
fédéral de la statistique, Rapport social statistique suisse 2011, p. 17 ss;
Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes, Vers l'égalité entre femmes
et hommes, Situation et évolution, 2008, p. 10 ss; voir également PATRICK
BOLLÉ, Le travail à temps partiel: liberté ou piège-, Revue internationale du
Travail 1997 p. 609 ss).
BGE 137 V 334 S. 350

6.2.3 S'il est ainsi notoire que la méthode mixte d'évaluation de l'invalidité
s'applique majoritairement aux femmes, ce seul fait ne constitue pas encore une
raison suffisante pour conclure au caractère inégal et discriminatoire de cette
méthode. La méthode mixte d'évaluation de l'invalidité a pour objectif
d'appréhender de manière adéquate une situation qui diffère de celles
concernant les assurés exerçant une activité à plein temps ou sans activité
lucrative. Elle vise un état de fait précis et se fonde sur des critères
objectifs liés à la notion de risque assuré, à la base de
l'assurance-invalidité. Ainsi, le choix d'appliquer cette méthode d'évaluation
de l'invalidité ne se détermine aucunement d'après des critères liés
spécifiquement au sexe de l'assuré ou qui seraient incompatibles avec
l'interdiction constitutionnelle de la discrimination, mais d'après le statut
du bénéficiaire éventuel de la rente (arrêt I 156/04 du 13 décembre 2005
consid. 5.2, in SVR 2006 IV n° 42 p. 151). La méthode mixte d'évaluation de
l'invalidité ne viole par conséquent pas l'art. 8 Cst.

6.3 Pour le surplus, on relèvera qu'il n'y a pas lieu de se demander si
l'application de la méthode mixte d'évaluation viole le principe de
non-discrimination prévu à l'art. 14 CEDH - dont les garanties n'ont d'ailleurs
pas de portée indépendante par rapport à l'art. 8 Cst. (ATF 123 II 472 consid.
4c p. 477) - en lien avec une autre garantie conventionnelle. Au regard de sa
jurisprudence, la Cour européenne des droits de l'homme considère que le droit
à une prestation sociale - dans la mesure où elle est prévue par la législation
applicable - est un droit patrimonial au sens de l'art. 1 du Protocole n° 1
CEDH du 20 mars 1952 (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme
Gaygusuz contre Autriche du 16 septembre 1996, Recueil CourEDH 1996-IV p. 1129
§ 41). La Suisse n'ayant pas ratifié ce protocole, l'application de l'art. 14
CEDH ne peut pas entrer en ligne de compte dans le cas d'espèce.

7.

7.1 En l'occurrence, la juridiction cantonale a considéré que le degré
d'invalidité global présenté par la recourante ne donnait droit à aucune rente
de l'assurance-invalidité. En effet, si la recourante avait été en bonne santé,
elle aurait continué à consacrer 80 % de son temps à l'exercice de son activité
professionnelle et le reste à l'accomplissement de ses travaux habituels (cf.
supra consid. 3). D'après les renseignements médicaux versés au dossier, elle
présentait désormais une capacité résiduelle de travail de 50 % et une perte de
BGE 137 V 334 S. 351
gain de 37,5 %. Compte tenu également d'une entrave de 25 % dans
l'accomplissement des travaux habituels, on parvenait à un taux d'invalidité
global de 35 % ([0,8 x 37,5 %] + [0,2 x 25 %]). Au demeurant, vu le taux
d'occupation de 80 % constaté par les premiers juges, qui lie le Tribunal
fédéral, la solution du litige ne serait pas différente si l'on appliquait au
cas d'espèce la jurisprudence de l' ATF 131 V 51 et non la méthode mixte
d'évaluation de l'invalidité, puisque la perte de gain, calculée exclusivement
au moyen de la méthode de la comparaison des revenus, serait de 37,5 % ([80-50]
/80 x 100).

7.2 Sur le vu des considérations développées ci-dessus, il n'y a pas lieu de
s'écarter du jugement entrepris, dès lors qu'il applique correctement la
jurisprudence susmentionnée. Ainsi qu'on l'a vu, cette solution ne satisfait
pas une partie de la doctrine. Force est toutefois de constater qu'elle est la
conséquence de la dualité méthodologique voulue à l'origine par le législateur.
Le point de savoir si un tel choix est encore opportun à la lumière de
l'évolution sociologique de la société ne peut pas être tranché par le Tribunal
fédéral. Au risque peut-être de se répéter, il appartient au législateur
fédéral de proposer une solution qui, à ses yeux, tiendrait mieux compte de la
situation des travailleurs à temps partiel (voir ATF 125 V 146 consid. 5c/dd in
fine p. 160 s.).