Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 137 I 371



Urteilskopf

137 I 371

35. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause NML Capital
Ltd. et EM Limited contre Département fédéral des affaires étrangères (recours
en matière de droit public)
2C_764/2011 du 22 novembre 2011

Regeste

Art. 83 lit. a BGG; Art. 6 Ziff. 1 EMRK; Begriffe der auswärtigen
Angelegenheiten und des vom Völkerrecht eingeräumten Anspruchs.
Anwendbarkeit von Art. 83 BGG auf Entscheidungen von verfahrensrechtlicher
Natur (E. 1.1).
Eine Intervention der Schweiz bei der Bank für Internationalen
Zahlungsausgleich (BIZ) mit dem Ziel, einer ausdrücklichen Zustimmung zu einem
Arrest Vorschub zu leisten, fällt unter den Begriff der auswärtigen
Angelegenheiten im Sinne von Art. 83 lit. a BGG (E. 1.2).
Der vom Völkerrecht eingeräumte Anspruch, welcher von Art. 83 lit. a in fine
BGG erwähnt wird, kann sich aus Art. 6 Ziff. 1 EMRK ergeben, zumal diese
Bestimmung, unter gewissen Umständen, auch Verwaltungshandlungen erfasst,
welche von einer Behörde in Ausübung ihrer öffentlichen Gewalt vorgenommen
wurden. Diesfalls darf die betreffende Handlung der Behörde jedoch nicht in
deren Ermessensspielraum fallen, was bei der hier strittigen Intervention der
Schweiz bei der BIZ der Fall gewesen wäre (E. 1.3).

Sachverhalt ab Seite 372

BGE 137 I 371 S. 372
NML Capital Ltd. et EM Limited sont au bénéfice de deux jugements définitifs et
exécutoires rendus par des tribunaux américains à l'encontre de la République
d'Argentine et condamnant celle-ci à leur verser les sommes en capital, plus
intérêts, de USD 284 millions et de USD 724 millions. En novembre 2009, elles
ont demandé le séquestre des avoirs de la République d'Argentine et de sa
banque centrale auprès de la Banque des règlements internationaux à Bâle. Par
arrêt du 12 juillet 2010, le Tribunal fédéral a rejeté un recours en matière
civile des deux sociétés et confirmé la décision de l'autorité cantonale de
surveillance d'annuler ce séquestre (ATF 136 III 379).
NML Capital Ltd. et EM Limited se sont alors adressées au Département fédéral
des affaires étrangères (DFAE) pour lui demander d'intervenir en leur faveur
auprès de la Banque des règlements internationaux afin que celle-ci donne son
accord à l'exécution du séquestre. Le DFAE a refusé de faire droit à la requête
des deux sociétés.
Par arrêt du 16 août 2011, le Tribunal administratif fédéral a déclaré
irrecevable le recours interjeté par NML Capital Ltd. et EM Limited contre la
décision du DFAE et transmis la cause au Conseil fédéral.
Le Tribunal fédéral déclare irrecevable le recours en matière de droit public
déposé par NML Capital Ltd. et EM Limited.
(résumé)

Erwägungen

Extrait des considérants:

1. Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours qui lui sont soumis (cf. ATF 134 II 272 consid. 1.1 p. 275 et les
arrêts cités).
BGE 137 I 371 S. 373

1.1 Aux termes de l'art. 83 let. a LTF, le recours en matière de droit public
est irrecevable contre les décisions concernant la sûreté intérieure ou
extérieure du pays, la neutralité, la protection diplomatique et les autres
affaires relevant des relations extérieures, à moins que le droit international
ne confère un droit à ce que la cause soit jugée par un tribunal. Cette
condition d'irrecevabilité a son pendant à l'art. 32 al. 1 let. a de la loi
fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral (LTAF; RS
173.32), en combinaison avec l'art. 72 let. a de la loi fédérale du 20 décembre
1968 sur la procédure administrative (PA; RS 172.021), pour les recours formés
devant le Tribunal administratif fédéral, qui a d'ailleurs refusé, dans l'arrêt
attaqué, d'entrer en matière sur les conclusions des recourantes en application
de ces dispositions. La restriction de l'art. 83 LTF vaut également pour les
décisions de nature procédurale, notamment les décisions d'irrecevabilité
rendues par le Tribunal administratif fédéral (cf. arrêts 2C_197/2009 du 28 mai
2009 consid. 6; 2C_64/2007 du 29 mars 2007 consid. 2.1). Dès lors que l'art. 83
let. a LTF et l'art. 32 al. 1 let. a LTAF ont la même teneur, il importe
toutefois peu que le Tribunal fédéral statue dans le cadre de la recevabilité
du recours porté par-devant lui ou en examinant matériellement le refus
d'entrer en matière du Tribunal administratif fédéral (cf. ATF 137 II 313
consid. 3.3.3 p. 322 s.).

1.2 Le concept des "autres affaires relevant des relations extérieures"
mentionné à l'art. 83 let. a LTF doit recevoir une interprétation restrictive
(cf. arrêt 2C_127/2010 du 15 juillet 2011 consid. 1.1.3). L'exception vise les
"actes de gouvernement" classiques (ATF 132 II 342 consid. 1 p. 345). Elle
s'applique aux actes ayant un caractère politique prépondérant, le gouvernement
et l'administration ayant un large pouvoir d'appréciation pour défendre les
intérêts essentiels du pays tant à l'intérieur que vis-à-vis de l'extérieur
(cf. ALAIN WURZBURGER, in Commentaire de la LTF, 2009, n° 23 ad art. 83 LTF).
Dans ce domaine, le législateur a considéré que le gouvernement doit demeurer
seul responsable des décisions prises, puisque les mesures tendant à protéger
l'intégrité de l'État et à maintenir de bonnes relations avec l'étranger font
partie de ses tâches essentielles; en outre, les décisions à prendre dans ce
domaine relèvent d'ordinaire d'une question d'appréciation (ATF 132 II 342
consid. 1 p. 345; ATF 121 II 248 consid. 1a p. 251).
En l'espèce, la démarche des recourantes appelait une intervention du DFAE
auprès de la Banque des règlements internationaux afin
BGE 137 I 371 S. 374
d'amener celle-ci à donner son accord en vue d'exécuter le séquestre des fonds
de la République d'Argentine et de sa banque centrale déposés auprès d'elle. La
Banque des règlements internationaux est une organisation internationale (cf.
ATF 136 III 379 consid. 4.1 p. 383) dont le statut juridique est régi par
l'Accord du 10 février 1987 entre le Conseil fédéral suisse et la Banque des
règlements internationaux en vue de déterminer le statut juridique de la Banque
en Suisse (RS 0.192.122.971.3; ci-après: l'Accord). Il découle de l'art. 4 ch.
4 de l'Accord, qui concerne l'immunité d'exécution des dépôts confiés à la
Banque des règlements internationaux, qu'un séquestre de tels dépôts n'est
possible qu'avec l'accord exprès de la Banque des règlements internationaux
(cf. ATF 136 III 379 consid. 4.2.1 p. 384 s.). S'agissant d'une compétence
appartenant à une organisation internationale, une intervention de la Suisse
dans le but de favoriser un accord exprès au séquestre des avoirs déposés par
la République d'Argentine et sa banque centrale relève des relations
internationales entre la Suisse et cette organisation internationale.
L'opportunité d'une telle intervention et, le cas échéant, ses modalités, sont
des questions qui revêtent un caractère politique marqué et concernent au
premier chef les relations extérieures (cf. ATF 121 II 248 consid. 1b p. 251).
La question de savoir si la requête des recourantes relève, ainsi que le
Tribunal administratif fédéral l'a considéré, de la "protection diplomatique"
de la Confédération suisse, ce que contestent les recourantes et le DFAE, peut
dans ces conditions demeurer ouverte. En effet, elle a en tous les cas trait
aux "relations extérieures" de la Suisse au sens de l'art. 83 let. a LTF (cf.
THOMAS HÄBERLI, in Basler Kommentar zum Bundesgerichtsgesetz, 2^e éd. 2011, n°
27 ad art. 83 LTF).

1.3 Ce qui précède ne suffit pas à conclure à l'irrecevabilité du recours en
matière de droit public. En effet, l'art. 83 let. a LTF prévoit que, même si
une décision concerne les relations extérieures, le recours est recevable
lorsque le droit international confère un droit à ce que la cause soit jugée
par un tribunal (art. 83 let. a in fine LTF). Pareil droit découle notamment de
l'art. 6 par. 1 CEDH s'il s'agit d'une contestation portant sur des droits et
obligations de caractère civil (cf. WURZBURGER, op. cit., n° 29 ad art. 83
LTF).

1.3.1 Pour être en présence d'un droit ou d'une obligation de caractère civil
au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH, il faut qu'il existe une "prétention", un
"droit" découlant du système légal interne au sens large
BGE 137 I 371 S. 375
(cf. FROWEIN/PEUKERT, EMRK-Kommentar, 3^e éd. 2009, n° 6 ad art. 6 CEDH).
L'interprétation autonome de la CEDH ne peut pas conduire à admettre des droits
qui n'ont aucune base dans l'ordre juridique de l'État concerné (cf. FROWEIN/
PEUKERT, op. cit., n° 7 ad art. 6 CEDH; DANIEL RIETIKER, La jurisprudence de la
CEDH dans les affaires contre la Suisse en matière de droit à un procès
équitable, Justice-Justiz-Giustizia 2005/1 n° 8). Il découle de l'art. 6 par. 1
CEDH que cette disposition ne vise pas seulement les contestations de droit
privé au sens étroit, mais aussi les actes administratifs adoptés par une
autorité dans l'exercice de la puissance publique, pour autant qu'ils
produisent un effet déterminant sur des droits de caractère civil (cf. ATF 130
I 312 consid. 3.1.2 p. 324). De ce point de vue également, le contenu du droit
matériel et les effets que lui confère la législation nationale sont décisifs.
Il convient dès lors de s'interroger préalablement sur l'existence d'un droit
subjectif dont pourraient se prévaloir les recourantes. Or, un tel droit est
nié quand l'autorité agit de manière discrétionnaire. En effet, selon la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, lorsque l'action des
autorités relève de leur entière appréciation, l'art. 6 par. 1 CEDH n'est pas
applicable à cette procédure (cf. arrêt Mendel contre Suède du 7 avril 2009 §
44; JENS MEYER-LADEWIG, EMRK-Handkommentar, n° 11 ad art. 6 CEDH).

1.3.2 En l'espèce, les recourantes font valoir qu'elles possèdent un droit
découlant de la législation sur l'exécution forcée pour obtenir l'exécution des
jugements civils obtenus aux États-Unis.
Il est exact que la procédure de séquestre porte sur des droits de nature
civile au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH. Les garanties découlant de cette
disposition sont ainsi applicables à la procédure de séquestre (ATF 136 III 379
consid. 4.5.1 p. 389). C'est pourquoi les autorités judiciaires suisses sont
entrées en matière sur la requête de séquestre des recourantes et leurs recours
subséquents. En dernier lieu, le Tribunal fédéral a considéré comme recevable
le recours en matière civile qui a abouti à l'arrêt du 12 juillet 2010 (cf.
arrêt 5A_360/2010 du 12 juillet 2010 consid. 1.1, non publié in ATF 136 III 379
). L'affaire civile a ainsi été jugée. Que la justice ait finalement rejeté la
demande de séquestre n'est pas pertinent. Sous cet angle, les recourantes ont
eu accès à un tribunal.
On ne saurait toutefois déduire du fait que le séquestre a été refusé en raison
de l'immunité d'exécution de la Banque des règlements
BGE 137 I 371 S. 376
internationaux (cf. art. 4 ch. 4 de l'Accord) - immunité jugée compatible avec
l'art. 6 par. 1 CEDH - et que les recourantes ne disposaient que de la
possibilité de s'adresser aux autorités suisses afin que la Confédération
intervienne auprès de la Banque des règlements internationaux (ATF 136 III 379
consid. 4.5.2 p. 390), que l'intervention requise du DFAE, objet de la présente
procédure, relèverait d'un droit subjectif de nature civile également. En
effet, l'art. 22 de l'Accord prévoit seulement que la Banque des règlements
internationaux et les autorités suisses coopèrent en tout temps en vue de
faciliter une bonne administration de la justice et d'empêcher tout abus de
privilèges et immunités prévus dans l'Accord. Cette disposition permet aux
autorités suisses d'intervenir auprès de la Banque des règlements
internationaux, mais elle laisse cette intervention à leur entière discrétion.
Aux termes de l'art. 2 ch. 1 de l'Accord, le Conseil fédéral suisse garantit
par ailleurs à la Banque des règlements internationaux l'indépendance et la
liberté d'action qui lui appartiennent en sa qualité d'organisation
internationale. L'intervention du DFAE auprès de la Banque des règlements
internationaux sollicitée par les recourantes ne pourrait donc relever que d'un
geste discrétionnaire favorable à leur égard et non découler d'un droit
subjectif. L'action ou l'inaction du DFAE relève ainsi de son entière
appréciation, les recourantes ne pouvant faire valoir aucun "droit" découlant
du droit interne qui leur permettrait de requérir formellement une intervention
du DFAE.

1.4 Au vu de ce qui précède, l'un des préalables à l'application de l'art. 6
par. 1 CEDH fait défaut, de sorte que l'exception à l'irrecevabilité de l'art.
83 let. a LTF n'est pas donnée. L'affaire relevant des relations extérieures
sans que le droit international ne donne un droit à ce que la cause soit jugée
par un tribunal, le recours en matière de droit public est par conséquent
irrecevable.