Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 137 I 113



Urteilskopf

137 I 113

11. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit social dans la cause F. et
consorts contre Service de la population du canton de Vaud (recours en matière
de droit public)
8C_268/2010 du 6 janvier 2011

Regeste

Art. 12 BV; Art. 8 EMRK; Art. 27 Abs. 3, Art. 80 Abs. 1, Art. 81 und 82 Abs. 1
AsylG; Zuweisung eines Asylsuchenden an einen Kanton; Ausrichtung der Nothilfe.
Der Zuweisungskanton ist für die Gewährung der Nothilfe an einen abgewiesenen
Asylsuchenden mit Wegweisungsentscheid zuständig (E. 3-5).
Unter gewissen aussergewöhnlichen Umständen kann die Ablehnung des Gesuchs
eines abgewiesenen und auf die Wegweisung wartenden Asylbewerberpaars um
Änderung der kantonalen Zuweisung eine mit Art. 8 EMRK nicht zu vereinbarende
Einschränkung des Rechts auf Achtung des Familienlebens darstellen (E. 6.2). Es
ist jedoch nicht angängig, gestützt auf die Regeln des Sozialhilfe- oder
Nothilferechts Zuweisungsentscheide zu ändern oder gar zu unterlaufen und so
die Wechselbeziehungen zwischen der kantonalen Zuweisung und der Nothilfe in
Frage zu stellen (E. 6.3).

Sachverhalt ab Seite 114

BGE 137 I 113 S. 114

A. F., née en 1984, est entrée en Suisse et y a déposé une demande d'asile le
17 novembre 2004. L'Office fédéral des migrations (ODM) l'a attribuée au canton
de Berne. Par décision du 29 juillet 2005, l'ODM a rejeté sa demande d'asile et
prononcé son renvoi de Suisse dans un délai échéant le 23 septembre 2005. Le 8
juin 2006, l'ODM a enregistré la disparition de l'intéressée.
Par lettre du 4 juin 2007, F. a informé l'ODM qu'elle avait quitté le canton de
Berne en mars 2005 pour rejoindre dans le canton de Vaud le père de sa fille,
A., née en 2005. Elle expliquait qu'elle était depuis lors restée dans le
canton de Vaud et qu'elle avait perdu son droit au permis N. Aussi bien
demandait-elle à l'ODM de transmettre son dossier aux autorités compétentes
vaudoises. Le 12 juin 2007, l'ODM lui a répondu que le canton de Berne
demeurait son canton d'attribution et qu'il lui appartenait de s'annoncer aux
autorités bernoises dans les plus brefs délais. Une fois son séjour en Suisse
enregistré en bonne et due forme auprès desdites autorités, il incomberait au
bureau d'état civil d'adresser à l'ODM une demande de renseignements en vue de
l'établissement de l'acte de reconnaissance de l'enfant. Le 14 juin 2007, le
Service de la population du canton de Vaud (SPOP) a fait savoir à l'ODM qu'il
refusait son consentement au transfert de l'intéressée et de sa fille sur
territoire vaudois, conformément à l'art. 22 al. 2 de l'ordonnance 1 du 11 août
1999 sur l'asile relative à la procédure (ordonnance 1 sur l'asile, OA 1; RS
142.311).
Le 3 mai 2008, F. a sollicité du SPOP l'octroi d'une autorisation de séjour
pour elle et pour sa fille. Par décision du 12 janvier 2009, le
BGE 137 I 113 S. 115
SPOP a refusé d'accorder à la requérante et à sa fille une autorisation de
séjour "sous quelque forme que ce soit".

B. En 2009, F. a accouché d'un garçon prénommé L. Le 6 août 2009, elle a obtenu
pour elle et ses enfants des prestations d'aide d'urgence dans le canton de
Vaud. Elle a ensuite régulièrement demandé et obtenu le renouvellement des
décisions d'octroi d'aide d'urgence (respectivement le 23 septembre 2009, le 29
octobre 2009 et le 16 novembre 2009). Cependant, par décision du 24 novembre
2009, le SPOP a refusé le renouvellement de l'aide d'urgence en faveur de
l'intéressée et de ses enfants, au motif que la compétence en ce domaine
relevait du canton de Berne, auquel la mère avait été attribuée dans la
procédure d'asile.

C. Statuant le 2 mars 2010, la Cour de droit administratif et public du
Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours formé par F. contre
cette décision.

D. F. et ses deux enfants ont formé un recours en matière de droit public dans
lequel ils ont conclu à l'annulation de ce jugement. Le SPOP a conclu au rejet
du recours.
Le recours a été rejeté.

Erwägungen

Extrait des considérants:

3.

3.1 Selon l'art. 80 al. 1 de la loi du 26 juin 1998 sur l'asile (LAsi; RS
142.31), dans sa version en vigueur depuis le 1^er janvier 2008, l'aide sociale
ou l'aide d'urgence est fournie aux personnes qui séjournent en Suisse en vertu
de la présente loi par le canton auquel elles ont été attribuées. S'agissant
des personnes qui n'ont pas été attribuées à un canton, l'aide d'urgence est
fournie par le canton désigné pour exécuter le renvoi. Les cantons peuvent
déléguer tout ou partie de cette tâche à des tiers, notamment aux oeuvres
d'entraide autorisées conformément à l'art. 30 al. 2 LAsi.
L'art. 82 al. 1 LAsi (dans sa version également en vigueur depuis le 1^er
janvier 2008) prévoit que l'octroi de l'aide sociale et de l'aide d'urgence est
régi par le droit cantonal. Les personnes frappées d'une décision de renvoi
exécutoire auxquelles un délai de départ a été imparti peuvent être exclues du
régime d'aide sociale.
Il résulte de cette réglementation que la personne qui a fait l'objet d'une
décision de non-entrée en matière passée en force ou d'une décision de renvoi
exécutoire après le rejet de sa demande d'asile n'a
BGE 137 I 113 S. 116
plus un droit à l'assistance ordinaire prévue par l'art. 81 LAsi, mais
seulement à l'aide d'urgence garantie par l'art. 12 Cst. (voir aussi ATF 135 I
119 consid. 5.3 p. 123). La mise en oeuvre de l'art. 12 Cst. incombe aux
cantons. Sous réserve des garanties minimales découlant de la Constitution,
ceux-ci sont libres de fixer la nature et les modalités des prestations à
fournir au titre de l'aide d'urgence (ATF 135 I 119 consid. 5.3 p. 123; ATF 131
I 166 consid. 8.5 p. 184).

3.2 Selon la législation vaudoise, si l'intéressé est domicilié ou en séjour
dans le canton au sens de l'art. 4 al. 1 de la loi du 2 décembre 2003 sur
l'action sociale vaudoise (LASV; RSV 850.051), il peut prétendre au revenu
d'insertion qui comprend principalement une prestation financière. S'il est
requérant d'asile, l'assistance peut notamment prendre la forme d'un
hébergement et de prestations financières, le montant de celles-ci étant fixé
par les normes adoptées par le Conseil d'Etat (art. 5, 21 et 42 de la loi du 7
mars 2006 sur l'aide aux requérants d'asile et à certaines catégories
d'étrangers [LARA; RSV 142.21]). Si, enfin, il séjourne illégalement sur le
territoire vaudois, notamment s'il fait l'objet d'une décision de renvoi
exécutoire après le rejet de sa demande d'asile, il n'a droit qu'à l'aide
d'urgence conformément à l'art. 49 LARA. L'octroi et le contenu de l'aide
d'urgence sont définis à l'art. 4a al. 3 LASV.
Les conditions de l'octroi de l'aide d'urgence sont encore précisées à l'art.
18 du règlement du 3 décembre 2008 sur l'assistance et l'aide d'urgence
octroyées en application de la LARA (RLARA; RSV 142. 21.2). En particulier, il
appartient au département d'examiner si les conditions d'octroi de l'aide
d'urgence sont remplies. Dans ce cadre, il vérifie notamment si le requérant ne
peut prétendre à un autre régime d'assistance dans le canton de Vaud ou dans un
autre canton (al. 1).

4.

4.1 Les premiers juges constatent que F. a été attribuée au canton de Berne
lors du dépôt de sa demande d'asile, ce qui a été confirmé par l'ODM dans son
courrier du 12 juin 2007. Ils relèvent d'autre part que, conformément à l'art.
14 al. 1 LAsi, le requérant ne peut, à moins d'y avoir droit, engager de
procédure visant à l'octroi d'une autorisation de séjour relevant du droit des
étrangers entre le moment où il dépose une demande d'asile et celui où il
quitte la Suisse suite à une décision de renvoi exécutoire, après le retrait de
sa demande ou si le renvoi ne peut être exécuté et qu'une mesure de
substitution est ordonnée. Le fait que le SPOP est entré en matière sur
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la demande d'autorisation de séjour présentée par F. ne change rien à cette
situation. Les premiers juges parviennent ainsi à la conclusion que
l'intéressée entre dans le champ d'application des dispositions de la LARA
relatives aux personnes séjournant illégalement en territoire vaudois. Même si
son séjour est illégal, elle n'a pas droit à l'aide d'urgence en application de
l'art. 49 LARA. En effet, conformément à l'art. 18 al. 1 RLARA, elle peut
prétendre à un régime d'assistance dans un autre canton, en l'occurrence le
canton de Berne. Le fait, ajoutent les premiers juges, que le SPOP lui a
accordé, ainsi qu'à ses enfants, une aide d'urgence pour plusieurs mois, avant
de la lui refuser, n'est pas déterminant: les recourants ne sauraient se
prévaloir du droit à la protection de la bonne foi, car l'octroi de l'aide
d'urgence pendant quatre mois ne les a pas amenés à prendre des mesures
irréversibles ou du moins des mesures dont la modification leur serait
préjudiciable.
4.2 Les recourants ne contestent pas le caractère illégal de leur séjour dans
le canton de Vaud. F. fait cependant valoir qu'elle y vit depuis plusieurs
années, proche de son compagnon, et que ses deux enfants dont il est le père y
sont nés. C'est dans ce canton qu'elle a construit le centre de ses relations
sociales. Selon elle, elle a constitué un domicile dans le canton de Vaud et,
par conséquent, un domicile d'assistance. D'ailleurs, c'est ce même canton qui
serait à ses yeux compétent pour exécuter la décision de renvoi de l'ODM dont
elle fait l'objet. Elle soutient par ailleurs qu'elle ne peut prétendre aucune
prestation d'assistance d'un autre canton. Elle allègue, enfin, que le motif
principal de son séjour en territoire vaudois réside dans le fait qu'elle
entretient une relation de couple durable avec le père de ses enfants et qu'il
importe donc de préserver les liens familiaux qui se sont noués. Invoquant à ce
dernier propos la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
(CourEDH), elle soutient que la séparation des enfants d'avec l'un ou l'autre
de leurs parents pour des motifs en lien avec l'assistance publique est une
ingérence disproportionnée dans la vie familiale.
5.
5.1 Selon l'art. 27 al. 3, première phrase, LAsi, l'ODM attribue le requérant à
un canton (canton d'attribution). Le requérant ne peut attaquer cette décision
que pour violation du principe de l'unité de la famille (troisième phrase).
Comme on l'a vu, l'attribution en application de l'art. 27 al. 3 LAsi entraîne
de plein droit la compétence du canton d'attribution d'accorder au besoin
l'aide sociale et l'aide d'urgence
BGE 137 I 113 S. 118
(art. 80 LAsi). Il ressort donc de cette réglementation que, contrairement à ce
que soutiennent les recourants, la mère ne s'est pas constitué un domicile
d'assistance dans le canton de Vaud. De même, c'est le canton de Berne qui
était et reste en l'occurrence compétent pour exécuter le renvoi selon la
décision de l'ODM du 29 juillet 2005 (voir l'art. 46 LAsi). C'est donc à juste
titre que les juges cantonaux ont invoqué le principe de la subsidiarité -
exprimé à l'art. 18 RLARA - pour en conclure que le refus du SPOP de renouveler
l'aide d'urgence était justifié. Le principe de la subsidiarité est du reste un
principe général qui régit le droit constitutionnel d'obtenir de l'aide dans
des situations de détresse (art. 12 Cst.; voir p. ex. ATF 135 I 119 consid. 7.4
p. 127). La décision de refus du SPOP n'apparaît donc pas critiquable, tant
sous l'angle du droit fédéral que sous l'angle du droit cantonal qui le met en
oeuvre.
5.2 Quant à l'allégation des recourants selon laquelle ils ne pourraient pas
obtenir une aide d'urgence du canton de Berne, elle n'est aucunement étayée.
Ils ne prétendent pas avoir présenté une demande dans ce canton et encore moins
s'être vu opposer un refus des autorités bernoises. Au besoin, il appartiendra
au SPOP d'appuyer les démarches des recourants auprès desdites autorités en vue
d'obtenir une aide d'urgence et de prendre éventuellement les mesures utiles
afin de faciliter leur transfert.
6. S'agissant du grief tiré du principe de l'unité de la famille, il appelle
les remarques suivantes:
6.1 D'après la jurisprudence constante, les relations visées par l'art. 8 CEDH
sont avant tout celles qui concernent la famille dite nucléaire
("Kernfamilie"), soit celles qui existent entre époux ainsi qu'entre parents et
enfants mineurs vivant en ménage commun (cf. ATF 135 I 143 consid. 1.3.2 p.
146; ATF 129 II 11 consid. 2 p. 14; ATF 127 II 60 consid. 1d/aa p. 65). Dans
une jurisprudence récente, après avoir réaffirmé que la notion de "famille" ne
se limitait pas aux seules relations fondées sur le mariage, mais pouvait
englober d'autres liens familiaux de facto lorsque les parties cohabitent en
dehors du mariage, la CourEDH a rappelé que, pour déterminer si une relation
s'analyse en une "vie familiale", il y a lieu de tenir compte d'un certain
nombre d'éléments, comme le fait de savoir si le couple vit ensemble, depuis
combien de temps et s'il y a des enfants communs (arrêt de la CourEDH Serife
Yigit contre Turquie du 20 janvier 2009 § 25 s. et les arrêts cités).
BGE 137 I 113 S. 119
6.2 Dans l'arrêt 2A.361/2004 du 15 septembre 2004 consid. 1.3, le Tribunal
fédéral a jugé que la loi sur l'asile ne prévoyait aucune possibilité de
changement de canton pour les requérants d'asile dont la procédure d'asile
était définitivement close. En effet, à ce stade de la procédure, seules
pouvaient en principe encore entrer en ligne de compte les mesures concrètes
devant permettre à des personnes de quitter la Suisse. Il s'agit toutefois
d'une limitation qui doit être relativisée au regard de la jurisprudence
récente de la CourEDH. En effet, dans deux arrêts du 29 juillet 2010, Agraw
contre Suisse et Mengesha Kimfe contre Suisse, celle-ci a jugé que le refus de
modifier l'attribution cantonale d'un couple de demandeurs d'asile déboutés et
en attente de leur renvoi constituait, eu égard au caractère exceptionnel des
circonstances de l'affaire, une restriction à la vie familiale incompatible
avec l'art. 8 CEDH. Dans la première des deux affaires citées, les
circonstances exceptionnelles résidaient dans la prolongation involontaire du
séjour en Suisse de la requérante, l'impossibilité de l'exécution de son renvoi
en Ethiopie, le fait qu'elle n'avait pas pu développer une vie familiale hors
du territoire suisse et qu'elle avait été empêchée de mener une vie de couple
pendant cinq ans. L'intérêt de la requérante à pouvoir vivre avec son époux
l'emportait sur celui des autorités à ne pas modifier le statut des demandeurs
d'asile quant à leur attribution (§ 50 ss). Dans la seconde affaire, les
circonstances étaient analogues: la requérante n'avait pas davantage pu
développer une vie familiale hors du territoire suisse; même si elle vivait la
plupart du temps avec son époux dans le canton de Vaud, elle était passible
d'une sanction pénale pour séjour illégal et elle n'avait pas pu bénéficier de
l'aide sociale ni du remboursement de ses frais de santé limités au canton de
Saint-Gall.
6.3 En l'espèce, il n'y a toutefois pas lieu d'examiner ce qu'il en est sous
l'angle de l'art. 8 CEDH. Ce n'est pas par le biais des règles sur l'aide
sociale ou l'aide d'urgence qu'il convient de modifier, voire de contrecarrer,
les décisions en matière d'attribution cantonale et de remettre ainsi en cause
l'interdépendance consacrée dans la loi entre attribution cantonale et aide
d'urgence. Cela irait à l'encontre de la volonté du législateur d'opérer une
répartition équitable des requérants d'asile entre les cantons, compte tenu en
particulier des conséquences financières liées à l'octroi de l'aide publique.
Il se pourrait d'ailleurs que l'autorité compétente en matière d'attribution
soit en l'espèce amenée - si cela était nécessaire pour garantir l'unité
familiale - à modifier l'attribution du concubin de la mère recourante
BGE 137 I 113 S. 120
(lui-même requérant d'asile débouté) et non l'inverse. En définitive, si les
recourants estiment se trouver dans une situation exceptionnelle où le respect
de l'art. 8 CEDH justifierait un changement de canton d'attribution, même après
le refus définitif de l'asile (supra consid. 6.2), ils doivent s'adresser à
l'autorité compétente - en l'occurrence l'ODM - pour obtenir ce changement.
6.4 L'arrêt de la CourEDH dont se prévalent les recourants ne dit pas le
contraire (arrêt Wallová et Walla contre République tchèque du 26 octobre
2006). Cette affaire concernait en effet le placement des enfants d'un couple
dans un établissement d'assistance éducative. La Cour a rappelé sa
jurisprudence constante selon laquelle le fait pour un parent et son enfant
d'être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale; des
mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit
protégé par l'art. 8 CEDH (§ 68). On ne voit pas que cette jurisprudence
permette d'invoquer le principe de l'unité de la famille sans respecter au
préalable les règles du droit interne en matière de procédure et de compétence
des autorités pour modifier une attribution cantonale.