Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 137 III 481



Urteilskopf

137 III 481

72. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause Assurance X.
SA contre F.Y. (recours en matière civile)
4A_325/2011 du 11 octobre 2011

Regeste

Schadenersatzklage aus einem durch ein Fahrzeug verursachten Unfall; längere
strafrechtliche Verjährung (Art. 83 Abs. 1 SVG und Art. 60 Abs. 2 OR).
Hat sich der Inhalt der strafrechtlichen Bestimmungen seit dem Unfall geändert,
bestimmt sich nach den strafrechtlichen Regeln, auf welche Version abzustellen
ist, um die Dauer der im Zivilrecht anwendbaren längeren strafrechtlichen
Verjährung festzusetzen (E. 2).

Sachverhalt ab Seite 481

BGE 137 III 481 S. 481

A. Le 5 février 1998, le véhicule conduit par A. - qui était assuré contre le
risque de la responsabilité civile automobile auprès de l'assurance X. SA -,
circulant à Genève, a heurté violemment la voiture conduite par H.Z., qui était
accompagné de son épouse F.Y. (ex-Z.), causant ainsi la mort de H.Z. et
blessant grièvement F.Y.
BGE 137 III 481 S. 482
Par jugement du 13 octobre 1999, le Tribunal de police de Genève a reconnu A.
coupable d'homicide par négligence et de lésions corporelles graves par
négligence et l'a condamné à la peine de douze mois d'emprisonnement, sous
déduction de la détention préventive subie, et prononcé son expulsion
judiciaire du territoire de la Confédération pour une durée de quatre ans, avec
sursis pendant cinq ans.
Pour obtenir réparation du préjudice subi, F.Y. s'est adressée à l'assurance X.
SA (ci-après: l'assureur), en sa qualité d'assurance couvrant la responsabilité
civile en matière automobile de A.
L'assureur a versé différents montants à F.Y., respectivement les 20 mars 2001,
8 mai 2001, 15 août 2001, 8 juin 2004, 10 novembre 2004 et 27 octobre 2005.
Par ailleurs, l'assureur, puis son mandataire, ont adressé au conseil de F.Y.
des déclarations de renonciation à se prévaloir de la prescription, assorties à
chaque fois de la réserve que ces renonciations n'étaient valables qu'à la
condition que la prescription ne soit pas déjà acquise au jour où la
renonciation était émise.
Ainsi, à la suite d'une série de renonciations, l'assureur, par une lettre du 1
^er février 2008, a renoncé à se prévaloir de la prescription jusqu'au 5
février 2009. Ensuite, ce n'est que par une lettre du 6 mars 2009 qu'il a
renoncé à se prévaloir de la prescription jusqu'au 5 février 2010. Constatant
que les renonciations successives ne couvraient pas la période entre le 5
février 2009 et le 6 mars 2009, l'assureur a estimé que la lettre du 6 mars
2009, en raison de la réserve qu'elle contenait, ne pouvait pas avoir d'effet
rétroactif, de sorte qu'il était en droit de se prévaloir de la prescription,
laquelle, selon lui, était acquise.

B. Par demande du 24 août 2009 déposée devant les autorités genevoises, F.Y. a
exercé une action en paiement contre l'assurance X. SA, lui réclamant diverses
sommes avec différents intérêts, sous déduction des acomptes versés.
L'assureur a soulevé le moyen tiré de la prescription.
Par jugement du 18 mars 2010, le Tribunal de première instance de Genève a
rejeté le moyen tiré de la prescription.
Statuant sur appel par arrêt du 15 avril 2011, la Chambre civile de la Cour de
justice du canton de Genève a confirmé le jugement attaqué. La cour cantonale a
notamment considéré que la réserve d'une prescription déjà acquise contenue
dans la renonciation du 6 mars 2009
BGE 137 III 481 S. 483
n'était qu'une "clause de style" et que l'assureur, qui avait versé des
acomptes et renoncé plusieurs fois à la prescription, commettait un abus de
droit, au sens de l'art. 2 al. 2 CC, en soulevant ce moyen.

C. L'assurance X. SA exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral.
Invoquant une violation des art. 18 CO et 2 al. 2 CC, elle soutient que la
réserve contenue dans la renonciation ne peut pas être sans effet juridique et
que son comportement n'est pas contraire aux règles de la bonne foi. Elle
conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au déboutement de sa partie
adverse, subsidiairement au renvoi de la cause à la cour cantonale pour
nouvelle décision. L'intimée conclut tant à l'irrecevabilité du recours qu'à
son rejet.
(résumé)

Erwägungen

Extrait des considérants:

2.

2.1 En raison du domicile à l'étranger de l'intimée, l'affaire revêt un
caractère international (ATF 131 III 76 consid. 2). Saisi d'un recours en
matière civile, le Tribunal fédéral doit contrôler d'office la question du
droit applicable, laquelle se résout selon la loi du for, soit en l'occurrence
la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP; RS
291; ATF 135 III 259 consid. 2.1 p. 261; ATF 133 III 37 consid. 2, ATF 133 III
323 consid. 2.1).
En vertu de l'art. 134 LDIP, norme qui renvoie à l'art. 3 de la Convention de
La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la
circulation routière (RS 0.741.31), le droit interne suisse est applicable en
l'espèce, en tant que loi du lieu de l'accident.

2.2 L'action en dommages-intérêts et en réparation du tort moral introduite par
l'intimée relève entièrement du droit fédéral. En conséquence, le Tribunal
fédéral applique le droit d'office et réexamine librement la question juridique
posée (art. 106 al. 1 LTF).

2.3 Selon l'art. 83 al. 1 de la loi fédérale du 19 décembre 1958 sur la
circulation routière (LCR; RS 741.01), les actions en dommages-intérêts et en
réparation du tort moral qui découlent d'accidents causés par des véhicules
automobiles ou des cycles se prescrivent par deux ans à partir du jour où le
lésé a eu connaissance du dommage et de la personne qui en est responsable,
mais en tout cas par dix ans dès le jour de l'accident. Toutefois, si les
dommages-intérêts dérivent d'un acte punissable soumis par les lois pénales à
une prescription de plus longue durée, cette prescription s'applique à l'action
civile.
BGE 137 III 481 S. 484
En prévoyant l'application de la prescription pénale si elle est de plus longue
durée, le législateur a voulu éviter que le lésé ne puisse plus agir contre le
responsable à un moment où celui-ci pourrait encore faire l'objet d'une
procédure pénale dont les conséquences sont en principe plus lourdes pour lui (
ATF 136 III 502 consid. 6.1 p. 503; ATF 131 III 430 consid. 1.2 p. 433; ATF 127
III 538 consid. 4c p. 541; ATF 125 III 339 consid. 3a p. 340).
La prescription pénale plus longue doit aussi être appliquée à l'action que le
lésé a le droit d'intenter directement à l'assureur en responsabilité civile de
l'auteur de l'infraction, en vertu de l'art. 65 al. 1 LCR (ATF 112 II 79
consid. 3c p. 82 s.).
Lorsque la prescription est interrompue à l'égard de la personne responsable,
elle l'est aussi à l'égard de l'assureur, et vice versa (art. 83 al. 2 LCR).
Pour le reste - c'est-à-dire notamment la question de l'interruption et de la
suspension de la prescription -, le code des obligations est applicable (art.
83 al. 4 LCR).

2.4 Pour que la prescription pénale entre en considération en vertu de l'art.
83 al. 1 LCR (ou de l'art. 60 al. 2 CO qui est identique sur ce point), il faut
que les prétentions civiles résultent, avec causalité naturelle et adéquate,
d'un comportement du responsable qui constitue, d'un point de vue objectif et
subjectif, une infraction pénale prévue par une norme ayant notamment pour but
de protéger le lésé; pour dire s'il y a ou non une infraction pénale, le juge
civil est lié par une condamnation ou une décision libératoire prononcée au
pénal (ATF 136 III 502 consid. 6.1 p. 503).
En l'espèce, toutes les prétentions de l'intimée découlent de l'accident causé
par la faute de l'automobiliste dont le comportement a été qualifié, par un
jugement pénal entré en force, d'homicide par négligence (art. 117 CP) et de
lésions corporelles graves par négligence (art. 125 CP).
Il faut donc examiner s'il y a lieu d'appliquer le délai de prescription prévu
par le droit pénal.

2.5 Pour dire si le délai de prescription est plus long au pénal qu'au civil,
il faut prendre en considération la prescription relative du droit pénal, et
non pas la prescription absolue (ATF 100 II 339 consid. 1b p. 342).
Même si l'on parvient à la conclusion qu'il faut appliquer le délai de la
prescription pénale, celui-ci est peut-être interrompu selon les
BGE 137 III 481 S. 485
règles du droit civil (ATF 100 II 339 consid. 1b p. 342). Autrement dit, la
prescription de l'action civile, dans son mécanisme, est entièrement régie par
le droit privé; cela vaut notamment pour déterminer les actes interruptifs de
la prescription et les effets d'une interruption; le droit pénal n'intervient
que pour substituer au délai prévu par le droit civil le délai plus long
découlant du droit pénal.
En conséquence, pour connaître les actes qui peuvent interrompre la
prescription, il faut se référer aux art. 135 et 138 CO. Lorsque la
prescription a été interrompue, un nouveau délai commence à courir dès
l'interruption (art. 137 al. 1 CO).
Lorsque le délai de la prescription pénale est applicable, son interruption
fait courir à nouveau le délai de la prescription pénale, quand bien même la
prescription pénale absolue interviendrait dans ce nouveau délai (ATF 131 III
430 consid. 1.2 p. 434 let. d; ATF 127 III 538 consid. 4d p. 542).
En revanche, lorsque la prescription pénale absolue est atteinte, un acte
interruptif ultérieur ne peut faire courir que le délai prévu par le droit
civil (ATF 131 III 430 consid. 1.3 et 1.4 p. 435).

2.6 Au moment de l'accident, les deux infractions pénales retenues (l'homicide
par négligence au sens de l'art. 117 CP et les lésions corporelles graves par
négligence au sens de l'art. 125 CP) étaient passibles de l'emprisonnement -
d'une durée maximum de trois ans (art. 36 CP) - ou de l'amende. Il en résultait
que le délai de la prescription relative - qui est déterminant - était de cinq
ans (art. 70 CP), tandis que le délai de la prescription absolue était de sept
ans et demi (art. 72 al. 3 CP). Dès lors que le délai relatif est de cinq ans,
il faut constater, à ce stade du raisonnement, qu'il est plus long que le délai
de deux ans prévu par le droit civil (art. 83 al. 1 LCR) et qu'il est donc en
principe applicable.
Par la suite, l'art. 70 CP a été modifié par une loi du 5 octobre 2001, entrée
en vigueur le 1^er octobre 2002 (RO 2002 2993). Désormais, le droit pénal ne
fait plus de distinction entre la prescription relative et la prescription
absolue; le délai de prescription (unique) pour les deux infractions en cause
est de sept ans (art. 70 révisé CP).
Par une loi du 13 décembre 2002 entrée en vigueur le 1^er janvier 2007 (RO 2006
3459), une nouvelle partie générale du code pénal a été adoptée. Les deux
infractions en cause sont désormais passibles d'une peine privative de liberté
de trois ans au plus ou d'une peine
BGE 137 III 481 S. 486
pécuniaire (cf. art. 117 et 125 CP). Il en résulte que le délai de prescription
(unique) est de sept ans (art. 97 al. 1 let. c CP).
On voit donc que la teneur du droit pénal a été modifiée depuis l'accident.
Dans une telle situation, c'est à la lumière des règles du droit pénal qu'il
faut déterminer la version qui doit être retenue pour fixer la durée de la
prescription pénale applicable au civil (cf. ATF 132 III 661 consid. 4.3 p.
666).
En vertu du principe de la lex mitior (art. 2 CP), repris désormais
expressément pour le problème de la prescription par le nouvel art. 389 al. 1
CP, il convient d'appliquer, pour la question en cause, la loi la plus
favorable au responsable. S'agissant du délai relatif qui est déterminant, il
est évident que le délai de cinq ans prévu par l'ancien droit est plus
favorable que le nouveau délai fixé à sept ans.

2.7 A considérer ce qui vient d'être dit, le cas d'espèce doit être résolu de
la façon suivante.
L'accident (donc les infractions en cause) est survenu le 5 février 1998.
La prescription pénale absolue a été atteinte, selon l'ancien droit (sept ans
et demi), le 5 août 2005 et, selon le nouveau droit (sept ans), le 5 février
2005. Il a été constaté en fait - d'une manière qui lie le Tribunal fédéral
(art. 105 al. 1 LTF) - que l'assureur a versé divers acomptes dès le 20 mars
2001, dont un le 10 novembre 2004. Ce fait est donc antérieur au moment où la
prescription absolue a été atteinte. Le versement d'un acompte est
incontestablement interruptif de la prescription (art. 135 ch. 1 CO). Dès lors
que l'interruption est intervenue avant que la prescription absolue ne soit
atteinte, c'est un nouveau délai pénal plus long (cinq ans au lieu de deux ans)
qui a commencé à courir. A compter du 10 novembre 2004, ce délai a expiré le 10
novembre 2009. En conséquence, la demande déposée le 24 août 2009 - qui a
interrompu la prescription (art. 138 al. 1 CO) - est intervenue à un moment où
l'action n'était pas prescrite.
Partant, il faut constater, par substitution de motifs, que c'est à juste titre
que le moyen tiré de la prescription a été écarté. La décision attaquée, dans
son résultat, ne viole pas le droit fédéral et le recours doit être rejeté.

2.8 Il n'est pas nécessaire de se pencher sur l'argumentation retenue par la
cour cantonale. Sachant que la renonciation à la prescription est souvent
demandée dans l'urgence et que la question de la prescription est parfois
complexe, on ne voit pas pourquoi la formule
BGE 137 III 481 S. 487
selon laquelle la renonciation n'intervient qu'à la condition que la
prescription ne soit pas déjà acquise serait dépourvue de sens et d'effet
juridique. Qu'un assureur paie des acomptes ou renonce pendant un certain temps
à se prévaloir de la prescription n'implique nullement qu'il renonce
définitivement à faire valoir un tel moyen dans l'avenir, de sorte que l'on ne
parvient pas à discerner en quoi l'assureur aurait agi en la matière
contrairement aux règles de la bonne foi.