Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 137 III 311



Urteilskopf

137 III 311

47. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause X. contre
Fondation Y. (recours en matière civile)
4A_145/2011 du 20 juin 2011

Regeste

Örtliche Zuständigkeit; Gerichtsstand für arbeitsrechtliche Klagen (Art. 24
GestG); objektive Klagenhäufung (Art. 7 Abs. 2 GestG); auf mehrere
Anspruchsgrundlagen gestützte Klagen.
Das System der teilzwingenden Gerichtsstände (Art. 21 ff. GestG) schliesst
nicht aus, dass der Arbeitnehmer gestützt auf Art. 7 Abs. 2 GestG eine Klage
gegen seinen ehemaligen Arbeitgeber an einem anderen Gerichtsstand erhebt als
an einem der alternativ anwendbaren teilzwingenden Gerichtsstände von Art. 24
GestG (E. 3 und 4).
Anwendungsvoraussetzungen von Art. 7 Abs. 2 GestG (E. 5.1.1); Beurteilung der
Voraussetzungen im konkreten Fall (E. 5.1.2).
Gerichtsstand für eine Klage, die sich auf zwei Anspruchsgrundlagen stützt (E.
5.2.1). Nachdem der zu beurteilende Rechtsstreit einzig auf das
Arbeitsverhältnis zwischen den Parteien zurückgeht, hat das Bundesgericht die
gleichzeitig auf eine vertragliche und eine deliktische Haftung des
Arbeitgebers gestützte Klage des Arbeitnehmers dem besonderen Gerichtsstand von
Art. 24 GestG unterstellt (E. 5.2.2).

Erwägungen ab Seite 312

BGE 137 III 311 S. 312
Extrait des considérants:

3.

3.1 Le recourant n'a pas introduit son action devant le tribunal neuchâtelois
compétent ratione loci pour trancher les litiges en matière de droit du travail
en vertu de l'art. 24 LFors (RO 2000 2355), c'est-à-dire au siège de l'intimée
(...), qui était aussi le lieu où il accomplissait habituellement son travail,
mais dans le canton de Fribourg, devant le tribunal d'arrondissement de son
propre domicile. Pour ce faire, il s'est prévalu de l'art. 7 al. 2 LFors en
liaison avec les art. 12 let. a et 25 LFors: la première de ces trois
dispositions a trait au
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cumul objectif d'actions; elle prévoit que, si plusieurs prétentions présentant
un lien de connexité sont élevées contre un même défendeur, chaque tribunal
compétent pour connaître de l'une d'elles est compétent relativement à
l'ensemble des prétentions; les deux autres permettent au demandeur
d'introduire devant le tribunal de son domicile une action fondée sur une
atteinte à la personnalité, resp. sur un acte illicite.
Selon le recourant, les différentes prétentions qu'il élève à l'encontre de
l'intimée constituent un cumul entre des actions fondées sur le contrat de
travail (indemnités pour congé abusif et vacances non prises, délivrance d'un
certificat de travail) et une action à double fondement, contractuel et
délictuel (réparation du préjudice et du tort moral découlant de l'atteinte à
sa personnalité antérieure à son licenciement). Invoquant l'art. 7 al. 2 LFors,
qu'il dit être applicable tant au cumul d'actions qu'à une action à double
fondement, le recourant soutient que le tribunal de son domicile, compétent
pour connaître de l'action en responsabilité délictuelle qu'il a choisi
d'exercer au titre de l'action à double fondement, l'est aussi pour juger
toutes les autres prétentions découlant du contrat de travail qu'il lui a
soumises.

3.2 Le point de vue du recourant n'a été partagé par aucune des deux
juridictions fribourgeoises qui se sont occupées de l'affaire. Celles-ci ont
cependant rejeté l'exception d'incompétence pour des motifs différents.
Les premiers juges ont retenu, en résumé, que la compétence à raison du lieu
relevait de l'art. 24 LFors dès lors que toutes les prétentions élevées par le
recourant découlaient exclusivement des rapports de travail noués avec
l'intimée. Il en allait, en particulier, ainsi des prétentions liées au
harcèlement psychologique que le travailleur aurait subi avant de se faire
licencier par l'intimée, prétentions que l'intéressé n'aurait très
vraisemblablement pas fait valoir en justice s'il n'avait pas reçu son congé.
L'art. 328 CO permettait, d'ailleurs, de prendre en compte de telles atteintes
à la personnalité du travailleur sans qu'il fût nécessaire de mettre en oeuvre
les art. 28 ss CC. Aussi, pour le Tribunal civil, tenter de rattacher les
prétentions y relatives à la matière extracontractuelle revenait à user d'un
artifice juridique en vue de contourner l'art. 24 LFors et à seule fin
d'attraire l'intimée devant le juge du domicile du recourant par le détour de
l'art. 7 al. 2 LFors.
BGE 137 III 311 S. 314
Considérant le cas sous un autre angle, la cour cantonale s'est interrogée sur
le point de savoir si le caractère partiellement impératif, au sens de l'art.
21 al. 1 let. d LFors, des fors de l'art. 24 LFors était compatible avec
l'application de l'art. 7 al. 2 LFors. Elle a répondu à cette question par la
négative, à l'instar de ce qu'elle a estimé être l'avis majoritaire au sein de
la doctrine, en précisant que cette réponse visait aussi l'hypothèse d'une
action introduite par la partie dite faible, i.e. le travailleur. Partant, pour
les juges d'appel, en cas de cumul d'actions et/ou d'action à double fondement,
seul le tribunal du for prévu par l'art. 24 LFors serait compétent pour
connaître de l'ensemble des prétentions élevées. Le recourant aurait donc dû
intenter son action dans le canton de Neuchâtel, en application de cette
disposition, au lieu de saisir les tribunaux fribourgeois, incompétents à
raison du lieu.

4. Il convient d'examiner d'abord la question soulevée par les juges d'appel.
En effet, si la réponse que ceux-ci lui ont apportée devait être jugée conforme
au droit fédéral, la décision d'incompétence attaquée ne pourrait qu'être
confirmée, que la solution retenue par les juges de première instance fût
correcte ou non.

4.1

4.1.1 L'art. 24 LFors règle la question du for des actions fondées sur le droit
du travail; il prévoit que le tribunal du domicile ou du siège du défendeur ou
le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail est
compétent pour connaître de telles actions (al. 1). Le législateur fédéral a
rangé cette disposition dans la catégorie des fors partiellement impératifs,
instituée par l'art. 21 LFors. Ces fors découlent du concept de procès civil à
caractère social (Message du 18 novembre 1998 concernant la LFors, FF 1999 2603
ch. 163) et visent à assurer la protection de la partie dite faible au contrat,
tel le travailleur (art. 21 al. 1 let. d LFors), en lui interdisant de renoncer
à l'avance ou par acceptation tacite (Einlassung) aux fors prévus par la
section 5 du chapitre 3 de la LFors; en revanche, ils ne s'opposent pas à une
élection de for conclue après la naissance du différend (art. 21 al. 2 LFors).
Au demeurant, vis-à-vis du cocontractant de la partie dite faible, par ex.
l'employeur, ces fors sont de nature dispositive: ainsi, la partie dite forte
peut y renoncer à l'avance (arrêt 4C.29/2006 du 21 mars 2006 consid. 4.1 et les
auteurs cités; YVES DONZALLAZ, Commentaire de la loi fédérale sur les fors en
matière civile, 2001, p. 470) ou accepter tacitement un
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autre for (PATRICIA DIETSCHY, Les conflits de travail en procédure civile
suisse, 2010, n° 101).
Le système des fors partiellement impératifs a été repris dans le CPC (RS 272),
qu'il s'agisse du principe de la renonciation aux fors légaux (art. 35) ou de
la compétence à raison du lieu en matière d'actions relevant du droit du
travail (art. 34 al. 1).

4.1.2 En l'espèce, le travailleur a assigné son ex-employeur devant le juge de
son domicile, dans le canton de Fribourg, alors qu'il aurait dû introduire son
action dans le canton de Neuchâtel où se trouvent les deux fors alternatifs de
l'art. 24 al. 1 LFors. Il est constant que la Fondation recherchée n'a pas
accepté, même tacitement, de renoncer à ces fors et qu'il n'existait pas non
plus une élection de for en faveur du tribunal du domicile du travailleur qui
aurait pu lui être opposée. Au regard de la disposition citée, il se justifiait
donc d'admettre l'exception d'incompétence ratione loci soulevée par l'intimée.

4.2 Il en irait différemment si, comme il le soutient, le recourant pouvait se
prévaloir du for dérivé institué par l'art. 7 al. 2 LFors et que les conditions
d'application de cette disposition fussent réalisées in casu.
Les juges d'appel ont exclu, par principe, l'applicabilité de cette règle de
for, quand bien même l'action avait été introduite par le travailleur, soit la
partie faible au contrat. Ils n'ont pas fourni de justification particulière
pour étayer leur décision, mais se sont contentés d'invoquer l'autorité de la
doctrine, laquelle irait dans le même sens qu'eux. Or, les auteurs cités dans
le corps de l'arrêt ne professent nullement de manière univoque l'opinion que
leur prête la cour cantonale, voire, pour une majorité d'entre eux, s'en
écartent résolument. Ainsi, PETER REETZ soutient que les règles générales en
matière de for, tel l'art. 7 LFors, ont le pas, notamment, sur les fors
partiellement impératifs (in Kommentar zum schweizerischen Zivilprozessrecht,
Bundesgesetz über den Gerichtsstand in Zivilsachen [GestG], 2001, n° 16 ad art.
7 LFors). BALZ GROSS explique que les personnes protégées par l'art. 21 LFors
peuvent se prévaloir sans aucune restriction de l'art. 7 LFors lorsqu'elles
intentent une action à une personne non protégée par la règle semi-impérative
(in Gerichtsstandsgesetz, Kommentar zum Bundesgesetz über den Gerichtsstand in
Zivilsachen, 2001, n° 39 i.f. ad art. 21 LFors). De même, THOMAS MÜLLER précise
qu'il n'est pas possible de priver la partie faible au
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contrat d'un for partiellement impératif par le biais de l'art. 7 LFors,
laissant ainsi entendre, a contrario, qu'il n'en va pas de même pour l'autre
partie (in Gerichtsstandsgesetz, Kommentar zum Bundesgesetz über den
Gerichtsstand in Zivilsachen, 2001, n° 47 ad art. 7 LFors p. 171; dans le même
sens, cf. ISAAK MEIER, Anspruchs- und Normenkonkurrenz im Gerichtsstandsgesetz,
in Symposien zum schweizerischen Recht, Zum Gerichtsstand in Zivilsachen, 2002,
p. 55 ss, 71). Quant à FRANZ KELLERHALS et à ANDREAS GÜNGERICH, ils ne prennent
pas directement position sur la question controversée, sinon pour emboîter le
pas à THOMAS MÜLLER et se distancier de PETER REETZ en tant qu'il prône
l'application inconditionnelle de l'art. 7 LFors, même en défaveur de la partie
faible au contrat (in Gerichtsstandsgesetz, Kommentar zum Bundesgesetz über den
Gerichtsstand in Zivilsachen, 2^e éd. 2005, n° 24 ad art. 7 LFors). En
définitive, seul YVES DONZALLAZ semble favorable à la solution adoptée par
l'autorité intimée lorsqu'il soutient qu'en l'absence d'une acceptation tacite
ou d'une prorogation anticipée, les fors partiellement impératifs des art. 22
ss LFors sont exclusifs (op. cit., n° 22 ad art. 21 LFors p. 477; voir aussi: n
^os 5-7 ad Section 5 p. 464 ss et n° 15 ad art. 21 LFors p. 474).
S'agissant des références à la doctrine relative au nouveau droit, faites dans
l'arrêt déféré, elles ne sont pas non plus propres à corroborer l'opinion des
juges d'appel. En effet, tant MARC WEBER que NOËLLE KAISER JOB reprennent
l'avis contraire, exprimé par THOMAS MÜLLER sous l'empire de l'ancien droit (in
Commentaire bâlois, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2010, n° 28 ad art. 15
CPC, resp. n° 12 ad art. 35 CPC), tout comme le font THOMAS SUTTER-SOMM et
RAFAEL KLINGLER, non cités dans ledit arrêt (in Kommentar zur Schweizerischen
Zivilprozessordnung [ZPO], 2010, n° 22 ad art. 15CPC). Deux autres auteurs,
enfin, considèrent - l'un expressément, l'autre de manière implicite - que la
partie faible au contrat est en droit d'assigner la partie forte au for de la
connexité visé par l'art. 15 al. 2 CPC (MATTHIAS COURVOISIER, in Schweizerische
Zivilprozessordnung [ZPO], 2010, n° 9 ad art. 35 CPC; DIETSCHY, op. cit., n^o
117).
Le système des fors partiellement impératifs, on l'a vu, a pour objectif de
protéger la partie faible au contrat. C'est la raison pour laquelle il
restreint la possibilité que pourrait avoir l'autre partie, étant donné sa
position dominante, de contraindre son cocontractant à conclure une élection de
for et à renoncer par avance à un for prévu par la loi. Dans la même
perspective, il cherche à éviter que la partie
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faible, qui ne dispose souvent pas des connaissances juridiques nécessaires,
singulièrement en matière procédurale, puisse se laisser attraire tacitement
devant un for autre que ceux que prévoient les art. 22 ss LFors. Cela étant, on
ne discerne pas en quoi il serait contraire à la ratio legis de l'art. 21 LFors
de permettre à la partie faible au contrat d'invoquer l'art. 7 al. 2 LFors pour
intenter action à son cocontractant à un autre for que l'un des fors
partiellement impératifs prévus par la LFors. Lui offrir une possibilité de
choix supplémentaire pour agir en justice n'irait certes pas à l'encontre du
but protecteur du système en question. Inversement, lui interdire pareille
option au seul motif qu'elle fait partie de la catégorie des personnes
sociologiquement plus faibles mentionnées à l'art. 21 al. 1 LFors reviendrait à
la désavantager par rapport à d'autres sujets de droit n'y figurant pas. Il
serait ainsi difficilement justifiable qu'une personne physique victime d'un
acte illicite soit privée de la possibilité de saisir le tribunal de son
domicile du seul fait qu'elle est liée à l'auteur de cet acte par un contrat de
travail (sous réserve de la réalisation des conditions de l'art. 7 al. 2
LFors).
Par conséquent, il y a lieu d'admettre, contrairement à l'avis de l'autorité
précédente, que le recourant était en droit de se prévaloir de l'art. 7 al. 2
LFors.
Il reste à examiner si les conditions d'application de cette disposition
étaient réalisées en l'espèce et, plus généralement, si le recourant était en
droit de faire valoir ses prétentions à un autre for qu'à l'un des fors
alternatifs de l'art. 24 LFors, ce que les premiers juges ont nié.

5.

5.1

5.1.1 Aux termes de l'art. 7 al. 2 LFors, "lorsque plusieurs prétentions qui
présentent un lien de connexité entre elles sont élevées contre un même
défendeur, chaque tribunal compétent pour connaître de l'une d'elles est
compétent".
L'application de cette disposition, reprise à l'art. 15 al. 2 CPC avec quelques
modifications textuelles, suppose l'existence d'un "cumul d'actions"(
Klagenhäufung), comme son titre marginal l'indique, et, plus précisément, d'un
cumul objectif, puisque les actions doivent être dirigées contre le même
défendeur. Il y a cumul objectif lorsque divers objets sont simultanément
réclamés, que ce soit en vertu de la même cause juridique ou sur la base de
fondements juridiques
BGE 137 III 311 S. 318
distincts, par opposition à une réclamation unique s'appuyant sur plusieurs
causes juridiques (concours d'actions, action à double fondement, réunion de
plusieurs chefs de responsabilité dans la mêmepersonne, selon les différentes
expressions utilisées par la doctrine de langue française; en allemand:
Anspruchskonkurrenz ou Anspruchsnormenkonkurrenz).
Les diverses prétentions doivent se trouver dans un rapport de connexité. Selon
la jurisprudence (ATF 129 III 80 consid. 2.2 p. 84), cette notion est
comparable à celle qui figure à l'art. 22 al. 3 de la Convention du 16
septembre 1988 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l'exécution des réclamations en matière civile et commerciale (Convention de
Lugano; la disposition citée a été reprise à l'art. 28 al. 3 de la Convention
de Lugano révisée le 30 octobre 2007 [CL; RS 0.275.12]). Sont donc connexes les
demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les
instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui
pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. Cette
condition est réalisée dès lors que les prétentions reposent pour l'essentiel
sur les mêmes faits ou fondements juridiques (DIETSCHY, op. cit., n° 116).
Il faut en outre - autres conditions usuellement admises et désormais codifiées
à l'art. 90 CPC - que le même tribunal soit compétent à raison de la matière,
relativement à toutes les prétentions, et que celles-ci soient soumises à la
même procédure (DONZALLAZ, op. cit., n° 32 ad art. 7 LFors; KELLERHALS/
GÜNGERICH, op. cit., n^os 9 à 11 ad art. 7 LFors; MÜLLER, op. cit., n^os 36/37
ad art. 7 LFors), ce qui n'ira pas toujours de soi, notamment dans les cantons
ayant institué des juridictions spécialisées pour régler les conflits en
matière de droit du travail (cf., pour le nouveau droit: MARK LIVSCHITZ, in
Schweizerische Zivilprozessordnung (ZPO), 2010, n° 10 ad ad art. 90 CPC).

5.1.2 En l'espèce, le recourant élève trois prétentions déduites directement
des rapports de travail noués avec l'intimée (paiement relatif à un solde de
vacances, indemnité pour congé abusif et délivrance d'un certificat de
travail). Ces prétentions relevant exclusivement du droit du travail, il ne
pourrait pas les soumettre au tribunal de son domicile, puisque la loi ne
prévoit pas un tel for pour ce type de prétentions (cf. consid. 4.1.2
ci-dessus). Cependant, il les a couplées avec les deux prétentions résiduelles
(dommages-intérêts et indemnité pour réparation du tort moral afférents à un
harcèlement
BGE 137 III 311 S. 319
psychologique subi avant son licenciement) qui seraient fondées, non seulement
sur le contrat de travail, mais encore sur une atteinte illicite à sa
personnalité (art. 28 CC et 41 CO), prétentions qu'il aurait choisi de
soumettre au juge de son domicile conformément aux art. 12 let. a et 25 LFors
(sur le champ d'application de ces deux dispositions en fonction de la nature
de l'action, au sens de l'art. 28a CC, choisie par le lésé, cf. ANDREAS MEILI,
in Commentaire bâlois, Zivilgesetzbuch, vol. I, 4^e éd. 2010, n° 16 ad art. 28a
CC et les références). A supposer que ce dernier for lui soit ouvert, ce qu'il
y aura lieu d'examiner ci-après (cf. consid. 5.2), les conditions d'application
de l'art. 7 al. 2 LFors seraient sans conteste réalisées: il existe, en effet,
un lien de connexité indubitable entre les cinq prétentions élevées par le
recourant à l'encontre de la même partie défenderesse. Au demeurant, le
Tribunal civil serait compétent ratione materiae à l'égard de chacune d'elles
pour rendre un unique jugement au terme d'une même procédure; de fait, la
valeur litigieuse des prétentions ressortissant exclusivement au contrat de
travail dépasse déjà la limite de 30'000 fr.; or, au-delà de cette limite, la
compétence de jugement du Tribunal des prud'hommes était exclue, selon le droit
applicable à l'époque de l'introduction de l'action, au profit de celle du
Tribunal d'arrondissement (art. 26 al. 3 de la loi fribourgeoise du 22 novembre
1972 sur la juridiction des prud'hommes, abrogée par l'art. 170 let. f de la
loi du 31 mai 2010 sur la justice [RSF 130.1],en vigueur depuis le 1^er janvier
2011); d'autre part et pour la même raison, la procédure simple et rapide de
l'ancien art. 343 al. 2 CO, en soi applicable ratione temporis vu l'art. 404
al. 1 CPC (cf. l'art. 243 al. 1 CPC pour les procédures ouvertes après le 31
décembre 2010), n'entre pas en ligne de compte en l'occurrence.

5.2

5.2.1 Le droit suisse reconnaît, en principe, au lésé un concours (alternatif)
entre les prétentions résultant d'un acte qui est à la fois illicite et
contraire à une obligation contractuelle. Le lésé bénéficie ainsi du régime qui
lui est le plus favorable. Ce sera souvent celui de la responsabilité
contractuelle, mais il se peut aussi que la victime de l'acte illicite préfère
se mettre au bénéfice de la responsabilité délictuelle pour des raisons tenant
notamment au for de son action (LUC THÉVENOZ, in Commentaire romand, Code des
obligations, vol. I, 2003, n° 13 ad Intro. art. 97-109 CO). La question du for
applicable en cas de pluralité de fondements d'une même prétention n'en demeure
pas moins des plus controversées en doctrine.
BGE 137 III 311 S. 320
Sur deux points, la réponse à lui apporter ne devrait guère soulever de
difficultés majeures. Il s'agit, en premier lieu, d'exclure la possibilité que
le tribunal saisi ne puisse connaître que de l'élément de la demande reposant
sur le fondement (délictuel ou contractuel) pour lequel sa compétence ratione
loci est donnée, le demandeur étant renvoyé à agir devant un autre tribunal
pour faire examiner la même prétention sous son autre fondement; le tribunal
saisi doit se voir reconnaître le droit de considérer la prétention litigieuse
sous tous les fondements susceptibles de l'étayer. Il importe, en second lieu,
de faire respecter les fors partiellement impératifs de la LFors, pour les
motifs sus-indiqués (cf. consid. 4.2), de sorte que, vis-à-vis de la partie
faible au contrat, tel le travailleur, seuls ces fors-là (en l'occurrence ceux
de l'art. 24 LFors) pourront s'appliquer, sans égard au concours d'actions. En
d'autres termes, l'employeur soi-disant victime d'un acte illicite du
travailleur dans l'exécution du contrat de travail ne pourra pas attraire le
défendeur devant le for de son domicile (i.e. le domicile du lésé) en invoquant
l'art. 25 LFors. Pour le reste, les opinions émises sur la question litigieuse
se caractérisent par la plus grande diversité.
Les uns estiment que le demandeur peut choisir à sa guise le for rattaché à
l'un ou l'autre fondement. Les tenants de cette solution la justifient du reste
par des motifs variés. Certains la déduisent directement du principe iura novit
curia, lequel commande au juge saisi d'examiner la prétention litigieuse sous
tous ses fondements possibles (KURTH/BERNET, in Gerichtsstandsgesetz, Kommentar
zum Bundesgesetz über den Gerichtsstand in Zivilsachen, 2^e éd. 2005, n° 26 ad
art. 25 LFors). D'autres considèrent qu'elle va dans le sens de l'art. 7 al. 2
LFors, relatif au cumul objectif d'actions, dont ils proposent une application
extensive; selon eux, du moment qu'une pluralité de fors est offerte dans le
cas où diverses prétentions sont émises, le même principe devrait s'appliquer,
à plus forte raison, lorsqu'une seule prétention repose sur divers fondements
(MEIER, op. cit., ibid.; FLAVIO ROMERIO, Anmerkungen zu Art. 25 und 27 GestG,
in Symposien zum schweizerischen Recht, Zum Gerichtsstand in Zivilsachen, 2002,
p. 75 ss, 78). On évoque aussi, à l'appui de ladite solution, le souci d'éviter
que la victime d'un acte illicite soit moins bien traitée du seul fait que cet
acte est intervenu dans le cadre de rapports contractuels, et l'on met en doute
que l'auteur de l'acte illicite puisse exiger de bénéficier du for de son
domicile de ce seul fait (DONZALLAZ, op. cit., n° 11 ad art. 25 LFors).
D'aucuns,
BGE 137 III 311 S. 321
enfin, se contentent de se rallier à ce qu'ils estiment être l'avis
majoritaire, tout en concédant que l'opinion inverse repose, elle aussi, sur de
bons arguments (SUTTER-SOMM/HEDINGER, in Kommentar zur Schweizerischen
Zivilprozessordnung [ZPO], 2010, n° 15 ad art. 36 CPC). Au demeurant, certains
des partisans de cette solution, que l'on pourrait qualifier de libérale,
réservent l'hypothèse dans laquelle le choix du for constituerait un abus de
droit (ROMERIO, op. cit., ibid.; KURTH/BERNET, op. cit., n° 27 ad art. 25
LFors); ils préconisent, en outre, pour parer aux manoeuvres contraires à la
bonne foi, une application moins automatique de la théorie des faits dits de
double pertinence, qui veut que les allégations de la partie demanderesse
soient déterminantes pour trancher la question de la compétence (cf. ATF 137
III 32 consid. 2.3 et 2.4).
D'autres auteurs, moins nombreux, considèrent que le for contractuel l'emporte
toujours et est seul applicable (HEINRICH HEMPEL, in Kommentar zum
schweizerischen Zivilprozessrecht, Bundesgesetz über den Gerichtsstand in
Zivilsachen[GestG], 2001, n° 16 ad art. 25LFors; le même, in Commentaire
bâlois, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2010, n° 16 ad art. 36 CPC) ou, ce
qui reviendra souvent au même, qu'il y a lieu de déterminer le for en fonction
de l'aspect prépondérant de la prétention (DIETSCHY, op. cit., n° 107). Pour
HEMPEL, la doctrine majoritaire ne tient pas suffisamment compte de la
différence fondamentale existant entre un contrat et un acte illicite et,
singulièrement, de ce que les rapports noués sur la base du premier résultent
d'un acte conscient et volontaire des parties, contrairement à ce qui est le
cas pour le second. L'auteur ne voit donc pas pourquoi l'on priverait une
partie du for que le législateur a institué spécialement pour le jugement des
différends issus du contrat en cause, au seul motif que la violation
contractuelle remplirait aussi les conditions de l'acte illicite. A son avis,
ce qui est déterminant et facile à établir, en définitive, c'est de savoir si
l'acte illicite est à l'origine de la relation juridique qui s'est nouée entre
les parties contre leur gré ou si cet acte est venu se greffer sur une relation
juridique préexistante, fondée sur un contrat. Pour sa part, DIETSCHY propose
d'appliquer la même solution qu'en matière de contrat mixte. Elle met l'accent
sur le fondement principal de la prétention en cause, parce que c'est lui qui
détermine le véritable objet du litige; à son avis, retenir l'accessoire comme
déterminant pourrait amener le demandeur à fonder sa prétention sur une autre
cause également, dans le seul but d'utiliser le for qui s'y rattache.
BGE 137 III 311 S. 322
Il paraît difficile de trancher définitivement, en faisant abstraction du type
de concours d'actions considéré, entre les deux solutions antagonistes en
présence, qui comportent chacune des avantages et des inconvénients, et sont
sujettes à de nombreux tempéraments ou exceptions. Il serait d'autant plus
délicat de le faire que cela pourrait commander un réexamen plus général de la
théorie du concours d'actions, qui n'est d'ailleurs pas restée incontestée
(cf., parmi d'autres: FRANZ WERRO, La responsabilité civile, 2005, n° 1494 ss).
La sécurité du droit dût-elle en pâtir, mieux vaut donc privilégier une
approche circonstancielle, qui tienne compte de la nature des responsabilités
invoquées et des éléments factuels allégués par le demandeur.

5.2.2 La cause en litige a trait à un contrat de travail, au sens des art. 319
ss CO. Pour des motifs de politique sociale, entre autres considérations, le
législateur fédéral a jugé bon de régler spécifiquement la compétence à raison
du lieu en matière d'actions fondées sur un tel contrat (art. 24 al. 1 LFors).
De surcroît, il a attribué à cette réglementation un caractère semi-impératif,
afin d'éviter que le travailleur ne se voie privé du for prévu par la loi (art.
21 let. d LFors). Un grand nombre de cantons ont, en outre, introduit des
juridictions spéciales en matière de droit du travail, à savoir des tribunaux
de prud'hommes. De plus, certains des différends en ce domaine sont soumis à
une procédure simplifiée et à la maxime inquisitoire sociale (ancien art. 343
al. 2 et 4 CO; art. 243 al. 1 et 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC). De ces
constatations, on peut inférer, sur un plan plus général, une volonté affirmée
du pouvoir législatif de soumettre ce type de contrat à un traitement
procédural particulier et, si possible, unifié. Pareille impression est du
reste corroborée par la jurisprudence et la doctrine relatives à l'ancien art.
343 al. 1 CO. Il en appert le souci de voir la contestation en matière de
contrat de travail tranchée dans son intégralité au for et selon les règles
établis à cette fin, même lorsque la prétention litigieuse repose sur un double
fondement, contractuel et délictuel, pour peu que le différend prenne sa source
dans les rapports de travail (arrêt 4C.440/1995 du 6 mai 1997 consid. 7, in
Jahrbuch des schweizerischen Arbeitsrechts [JAR]1998 p. 306; ADRIAN STAEHELIN,
Commentaire zurichois, 1996, n° 7 ad art. 343 CO; JÜRG BRÜHWILER, Kommentar zum
Einzelarbeitsvertrag, 2^e éd. 1996, n° 1 ad art. 343 CO p. 460; ULLIN STREIFF/
ADRIAN VON KAENEL, Arbeitsvertrag, 6^e éd. 2006, n° 5 ad art. 343 CO p. 917
i.f.). Il y a là de solides arguments en faveur de la solution qui fait
BGE 137 III 311 S. 323
prédominer, en règle générale, le for contractuel. Il s'agit aussi d'éviter que
le fondement délictuel de l'action, qui sera souvent accessoire par rapport au
fondement contractuel, ne serve qu'à attirer la partie défenderesse devant le
tribunal du domicile du demandeur (forum shopping). Il ne paraît pas
inconciliable, enfin, de renvoyer le travailleur à agir devant le for
contractuel en cas de concours d'actions, à l'instar de l'employeur, tout en
lui permettant d'assigner ce dernier devant le for de l'art. 25 LFors, en vertu
de l'art. 7 al. 2 LFors, lorsqu'il élève contre lui diverses prétentions dont
l'une repose sur un acte illicite commis en dehors du cadre des rapports de
travail.
Appliquées au cas particulier, ces réflexions commandent de confirmer, sinon
les motifs, du moins la décision d'irrecevabilité pour défaut de compétence
ratione loci prise pas la II^e Cour d'appel. Le différend qui divise les
parties prend racine dans les seuls rapports de travail noués par elles. Dès
lors, il paraît raisonnable de le soumettre au tribunal chargé de connaître des
actions relatives au contrat de travail, conformément à l'art. 24 LFors, soit à
la juridiction neuchâteloise compétente. Force est, d'ailleurs, de relever le
caractère artificiel de la construction juridique échafaudée par le recourant à
l'effet d'établir la compétence des tribunaux fribourgeois, dans la mesure où
cette construction repose sur la combinaison de la règle touchant le cumul
objectif d'actions et de celle que l'intéressé voudrait poser pour l'action à
double fondement (ou concours d'actions). Ce caractère artificiel est illustré
également par le fait que le recourant entend soumettre le même comportement de
l'employeur - le prétendu harcèlement psychologique - à un régime juridique
distinct (responsabilité délictuelle/responsabilité contractuelle) en fonction
du critère purement contingent que constitue le moment où ce comportement a
sorti ses effets (avant ou après le licenciement). Il n'est, au demeurant, pas
certain que l'on ait véritablement affaire, ici, à une action à double
fondement, s'il faut admettre, avec TERCIER/FAVRE/EIGENMANN (Les contrats
spéciaux, 4^e éd. 2009, n° 3521) qu'il y a de bons motifs pour appliquer la
règle spéciale de l'art. 328 CO lorsqu'elle est invoquée concurremment avec la
règle générale de l'art. 28 CC.
Cela étant, il y a lieu de rejeter le recours.