Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 136 IV 4



Urteilskopf

136 IV 4

2. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Fondation
Brouilly contre Office fédéral de la justice (recours en matière de droit
public)
1C_374/2009 du 12 janvier 2010

Regeste

Internationale Rechtshilfe in Strafsachen an Haiti; Rückgabe von
Vermögenswerten des Duvalier-Clans; Art. 5 Abs. 1 lit. c und Art. 74a IRSG,
Art. 33a IRSV; Verjährung nach Schweizer Recht.
Zulässigkeit der Verjährungseinrede (E. 6.1). Anwendung schweizerischen Rechts
bei fehlendem Staatsvertrag (E. 6.2 und 6.3). Die Verjährung für das Delikt der
Beteiligung an einer kriminellen Organisation ist im Jahr 2001 eingetreten,
weshalb auf das Rechtshilfegesuch nicht eingetreten werden kann (E. 6.4 und
6.5). Die anderen genannten Straftaten (Mord, Verbrechen gegen die
Menschlichkeit) haben keinen direkten Zusammenhang mit der Herkunft der
Vermögenswerte (E. 6.6 und 6.7). Notwendigkeit, die gesetzliche Grundlage in
diesem Bereich anzupassen (E. 7).

Sachverhalt ab Seite 5

BGE 136 IV 4 S. 5

A. Le 4 avril 1986, (...) la République d'Haïti a présenté à la Suisse une
demande d'entraide judiciaire, dans le cadre d'une procédure pénale dirigée
contre Jean-Claude Duvalier (ex-président de la République) et les membres de
sa famille. Durant sa présidence, de 1971 jusqu'au 7 février 1986, Jean-Claude
Duvalier et ses proches auraient détourné environ 900 millions de dollars au
préjudice de l'Etat haïtien. La Confédération suisse était priée de prendre les
mesures nécessaires pour geler les fonds de la famille Duvalier dans l'attente
de l'issue de la procédure. En exécution de cette requête, divers comptes ont
été saisis dans des établissements de Zurich, Vaud et Genève, notamment un
compte (...) détenu par la Fondation Brouilly (fondation de droit
liechtensteinois, ci-après: la fondation), dont l'ayant droit était (jusqu'à
son décès en 1997) Simone Ovide Duvalier, mère de Jean-Claude Duvalier. Les
avoirs de la fondation s'élevaient alors à 2,4 millions d'USD. (...)
Par ordonnance du 2 septembre 1986, le Juge d'instruction du canton de Genève
(...) est entré en matière. Le 2 août 1988, il ordonna la transmission de
documents bancaires. Cette décision a été confirmée en substance par la Chambre
d'accusation genevoise, puis par le Tribunal fédéral (arrêt 1A.58/1989 du 19
septembre 1989). L'autorité requérante devrait toutefois donner des assurances
spécifiques et formelles quant à la régularité de la procédure pénale et à
l'interdiction des tribunaux d'exception. (...)
Le Juge d'instruction a rendu une nouvelle ordonnance le 25 juillet 1991.
Celle-ci a toutefois été annulée par la Chambre d'accusation. Au mois de
septembre 1991, le Président Aristide, successeur de Duvalier, avait été
destitué. Les garanties données le 27 août 1990 n'étaient donc plus
d'actualité; de nouvelles garanties devaient être demandées de la part des
autorités en place.
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De nouvelles garanties ayant été données le 27 novembre 1996, l'Office fédéral
de la justice (OFJ) s'est prononcé le 15 mai 2002 sur leur validité,
conformément à l'art. 80p EIMP. L'engagement ne pouvait être considéré comme
suffisant, compte tenu de l'instabilité des institutions en Haïti, (...) des
dénonciations faites par les organismes de protection des droits de l'homme et
de l'absence de progrès dans le domaine des droits de l'homme depuis le début
de la procédure d'entraide, seize ans auparavant. Les contacts établis avec
l'Etat requérant n'avaient pas permis de constater une réelle volonté de mener
à chef la procédure dirigée contre Jean-Claude Duvalier. On pouvait même douter
de l'existence d'une telle procédure. Incidemment, l'OFJ a également constaté
que les faits reprochés à Jean-Claude Duvalier remontaient à plus de quinze
ans, de sorte que la prescription absolue était atteinte en droit suisse.

B. Le 14 juin 2002, le Conseil fédéral a ordonné le blocage, pour trois ans,
des avoirs en Suisse de Jean-Claude Duvalier et de son entourage, et a chargé
le Département fédéral des affaires étrangères d'assister les parties en vue de
rechercher, dans un cadre approprié, une issue aussi satisfaisante que
possible. Cette ordonnance se fondait sur l'art. 184 al. 3 Cst. Elle a été
prolongée pour deux ans le 3 juin 2005, puis pour un an le 22 août 2007.
Le 28 janvier 2008, le Juge d'instruction genevois a définitivement déclaré
irrecevable la demande d'entraide judiciaire formée en 1986, en raison de la
prescription. (...) Les avoirs restaient toujours bloqués, jusqu'au 31 août
2008, en vertu de l'ordonnance du Conseil fédéral.

C. Le 23 mai 2008, la République d'Haïti, représentée par un avocat genevois, a
présenté une demande de réexamen des précédentes décisions. Elle exposait que
Jean-Claude Duvalier et ses complices faisaient l'objet d'une procédure pénale
en Haïti pour des crimes contre l'humanité, des crimes financiers et des
infractions de corruption et de détournements de fonds au préjudice de l'Etat.
Etaient produits divers documents relatifs à la poursuite pénale. (...) Les
détournements au préjudice de l'Etat avaient été accompagnés de crimes contre
l'humanité (exécutions judiciaires et disparitions forcées des opposants du
régime) destinés à maintenir l'organisation du clan Duvalier. (...)
Le 27 juin 2008, l'OFJ a considéré que les nouveaux éléments produits
justifiaient un réexamen. La situation en Haïti s'était
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considérablement améliorée grâce aux mesures prises par le Président Préval
depuis 2006. L'Etat requérant avait démontré l'existence d'une procédure pénale
et la volonté de la mener à son terme. Les faits poursuivis pouvaient relever,
en droit suisse, de l'organisation criminelle. (...) Les comptes et valeurs en
mains de la famille Duvalier (notamment le compte de la fondation) ont été à
nouveau bloqués, et leurs détenteurs étaient invités à en prouver la provenance
licite. (...)
Par décision du 11 février 2009, l'OFJ a admis la demande d'entraide (...) et
ordonné notamment la remise à la République d'Haïti des avoirs détenus par la
Fondation Brouilly, soit une somme d'environ 4,6 millions d'USD. La banque
était invitée à transférer les fonds sur un compte que l'OFJ désignerait
ultérieurement. Ceux-ci devraient être utilisés de façon transparente au
bénéfice de la population haïtienne, par le biais de projets humanitaires ou
sociaux. Le Département fédéral de justice et police veillerait au suivi de ces
projets. Reprenant les motifs de sa décision d'entrée en matière, l'OFJ a en
outre considéré que la prescription devait s'examiner au regard du seul droit
de l'Etat requérant. (...) Sur le vu des faits décrits, l'on pouvait admettre
que Simone Ovide Duvalier avait au moins apporté son soutien à l'organisation
dirigée par son mari, puis par son fils. La fondation n'avait pas réussi à
renverser la présomption de provenance criminelle des fonds.
Par arrêt du 12 août 2009, la II^e Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral
(TPF) (...) a rejeté le recours formé par la fondation. (...) Jean-Claude
Duvalier aurait retiré de ses agissements une fortune estimée entre 400 et 900
millions de dollars. La structure hiérarchique, le but criminel et le climat de
terreur mis en place correspondaient en droit suisse à la notion d'organisation
criminelle. (...) La qualification d'organisation criminelle permettait un
renversement du fardeau de la preuve, s'agissant de l'origine délictueuse des
fonds. Simone Duvalier ayant fait partie de l'organisation criminelle dirigée
successivement par son mari et son fils, cette présomption d'appartenance
n'avait pas été renversée. S'agissant de la prescription, la Cour des plaintes
a considéré que la mesure de blocage s'était poursuivie sans interruption
depuis avril 1986 et que, selon l'art. 33a OEIMP, la durée de la saisie de
valeurs n'était limitée que par la prescription selon le droit étranger; la
prescription selon le droit suisse ne faisait donc pas obstacle à l'octroi de
l'entraide. En tant que personne morale, la recourante n'avait pas qualité pour
se plaindre des défauts de la procédure à l'étranger. (...)
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D. Par acte du 24 août 2009, la Fondation Brouilly forme un recours en matière
de droit public. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt de la Cour des plaintes
et de la décision de l'OFJ du 11 février 2009, et demande la levée de la saisie
de son compte. (...)
Le Tribunal fédéral a admis le recours et invité l'OFJ à lever la saisie des
fonds.
(extrait)

Auszug aus den Erwägungen:

Extrait des considérants:

4. Sur le fond, la recourante conteste l'existence d'une organisation
criminelle constituée par le clan Duvalier. Elle estime que les documents
mentionnés par le TPF pour retenir une telle qualification juridique ne
sauraient constituer des preuves judiciaires suffisantes au regard de la
présomption d'innocence (art. 6 par. 1 CEDH et art. 32 al. 1 Cst.).

4.1 La recourante perd de vue que l'autorité suisse saisie d'une demande
d'entraide judiciaire (que celle-ci tende à l'extradition d'une personne, à la
transmission de renseignements ou à la remise d'objets ou de valeurs) n'a pas à
se prononcer sur la réalité des faits évoqués dans la demande; elle ne peut que
déterminer si, tels qu'ils sont présentés, ces faits constituent une infraction
(ATF 133 IV 76 consid. 2.2; ATF 130 II 217 consid. 4.1). Les indications
fournies à ce titre doivent simplement suffire pour vérifier que la demande
n'est pas d'emblée inadmissible (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 101; ATF 115 Ib 68
consid. 3b/aa p. 77). Pour sa part, l'autorité requérante n'a pas à fournir de
preuves à l'appui de ses accusations. Il suffit qu'elle présente un exposé
suffisamment compréhensible et qui ne soit pas entaché d'invraisemblances,
d'erreurs ou de lacunes manifestes (ATF 118 Ib 111 consid. 5b p. 121/122; ATF
117 Ib 64 consid. 5c p. 88 et les arrêts cités).

4.2 En l'occurrence, les demandes d'entraide judiciaire présentées en 1986,
puis le 23 mai 2008 par l'avocat de l'Etat requérant, satisfont à ces exigences
d'allégation. La seconde demande expose en particulier dans quel contexte
François Duvalier, puis son fils Jean-Claude Duvalier, ont organisé le pillage
systématique de l'Etat haïtien par diverses méthodes de prélèvement (sur des
comptes et organismes d'Etat "non fiscaux", oeuvres sociales fictives,
prélèvement sur certains salaires), puis de conversion et d'exportation des
fonds. Ces exactions avaient lieu dans un climat de terreur, de disparitions
forcées et d'exécutions extrajudiciaires. Entre 1957 et 1986, le régime
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Duva lier aurait ainsi entraîné la mort de plusieurs dizaines de milliers de
personnes. L'autorité requérante expose que Simone Duvalier faisait partie des
bénéficiaires des détournements. Ces indications sont suffisantes pour
permettre d'admettre que Simone Duvalier était intégrée dans l'organisation
mise en place par son mari, puis par son fils.

4.3 La recourante invoque en vain le principe de la présomption d'innocence. La
procédure de remise de valeurs à l'étranger - en particulier lorsque, comme en
l'espèce, la remise n'est pas subordonnée à un jugement de confiscation dans
l'Etat requérant - porte certes sur des prétentions de caractère civil (ATF 132
II 229 consid. 6.2 ss p. 238), ce qui justifie l'exigence d'un procès équitable
au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH (arrêt 1A.53/2007 du 11 février 2008). En
revanche, le principe de la présomption d'innocence ne s'applique pas dans le
cadre d'une procédure d'entraide judiciaire, dont la nature est administrative
et dont le but n'est pas d'examiner la culpabilité des personnes mises en cause
(ATF 120 Ib 112 consid. 2 p. 119 et les arrêts cités). L'autorité suisse
d'entraide doit simplement contrôler que la procédure à l'étranger présente des
garanties de procédure suffisantes, et exiger le cas échéant sur ce point des
engagements spécifiques de l'autorité requérante. Elle n'a pas à s'interroger
sur la crédibilité des accusations au regard de la présomption d'innocence.

5. Les griefs soulevés en rapport avec le renversement du fardeau de la preuve
apparaissent eux aussi sans fondement.
Dans le cadre des présomptions instituées à l'art. 72 CP, la recourante prétend
qu'elle devrait être admise à apporter la preuve non seulement que les fonds
sont d'origine licite, mais aussi que l'organisation criminelle n'avait pas de
pouvoir de disposition sur ses avoirs. La recourante relève que seule Simone
Ovide Duvalier avait la disposition des fonds, ce qui constituerait une preuve
libératoire suffisante.
La présomption d'appartenance posée à l'art. 72 CP - et applicable par analogie
à la procédure de restitution prévue à l'art. 74a EIMP (RS 351.1) - peut être
renversée. L'intéressé peut se libérer en démontrant l'origine licite des
avoirs, mais aussi l'absence de pouvoir de disposition de l'organisation
criminelle (cf. dans ce sens URSULA CASSANI, La confiscation de l'argent des
potentats; à qui incombe la preuve?, SJ 2009 II p. 229 ss, 249). S'agissant
d'un fait négatif, cette dernière ne peut que difficilement être rapportée, par
exemple lorsqu'il est démontré que l'organisation ne pourrait avoir accès aux
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valeurs qu'en commettant de nouvelles infractions (idem, note 124).
L'affirmation de la recourante qu'elle serait la seule à disposer des fonds ne
saurait en tout cas suffire, puisque selon la demande d'entraide, Simone Ovide
Duvalier serait elle-même impliquée, en tant qu'épouse de François Duvalier et
mère de Jean-Claude Duvalier, dans l'organisation criminelle. De ce point de
vue également, l'arrêt attaqué ne prête pas le flanc à la critique.

6. La recourante invoque ensuite l'art. 5 al. 1 let. c EIMP relatif à la
prescription selon le droit suisse. La Cour des plaintes a considéré que cette
question devait être examinée au moment de l'entrée en matière, soit au moment
où les avoirs de la recourante avaient été bloqués pour la première fois le 15
avril 1986. Le blocage s'était ensuite poursuivi sans interruption, compte tenu
des mesures prises par le Conseil fédéral. Se fondant sur l'art. 33a OEIMP (RS
351.11), la Cour des plaintes a estimé que la prescription selon le droit
suisse ne pouvait pas faire échec à une saisie en vue de restitution.
La recourante soutient pour sa part que la mesure de contrainte au sens de
l'art. 5 EIMP serait en l'occurrence la saisie ordonnée lors de la nouvelle
décision d'entrée en matière du 27 juin 2008. La demande d'entraide du 23 mai
2008 ne constituerait en effet pas une demande de réexamen, mais une nouvelle
demande. L'infraction d'organisation criminelle aurait pris fin à la
destitution de Jean-Claude Duvalier, en février 1986, de sorte que la
prescription absolue, de quinze ans, aurait été atteinte au mois de février
2001. Le droit de confisquer au sens de l'art. 72 CP serait prescrit dans la
même mesure.

6.1 Selon la jurisprudence, seule a en principe qualité pour invoquer la
prescription la personne poursuivie dans l'Etat requérant (ATF 130 II 217
consid. 11.1 p. 234). Cela est vrai pour la prescription selon le droit de
l'Etat requérant, car les règles y relatives sont destinées à la protection de
la personne poursuivie et sont du ressort exclusif des autorités de poursuite
de l'Etat requérant. L'art. 5 al. 1 let. c EIMP protège en revanche contre des
mesures de contrainte ordonnées en Suisse après la survenance de la
prescription absolue selon le droit Suisse (ATF 126 II 462 consid. 4c p. 465).
Il est donc logique que les personnes touchées par les mesures en question
puissent se prévaloir de cette disposition (cf. ATF 126 II 462 consid. 4,
entrant en matière sur un tel grief soulevé notamment par une fondation du
Liechtenstein touchée par les mesures d'entraide).
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6.2 Selon l'art. 5 al. 1 let. c EIMP, la demande d'entraide est irrecevable si
son exécution implique des mesures de contrainte et que la prescription absolue
empêche, en droit suisse, d'ouvrir une action pénale ou d'exécuter une
sanction. Cette disposition s'applique à tous les types d'entraide judiciaire,
et donc également à une remise au sens de l'art. 74a EIMP, cette dernière - et
les mesures de blocage qui la précèdent - constituant indubitablement une
mesure de contrainte (ATF 126 II 462 consid. 5b p. 467/468). S'agissant d'une
cause d'irrecevabilité, celle-ci doit être examinée au moment de la réception
de la demande d'entraide et de la décision d'entrée en matière (cf. art. 78 al.
2, art. 80 et 80a EIMP), et non au moment de la décision de clôture. Cela
permet de favoriser l'entraide et d'éviter qu'une demande déclarée recevable
dans un premier temps, ne devienne inadmissible par la suite en raison de la
durée de la procédure d'entraide (ATF 126 II 462 consid. 4d p. 466; consid. 3
non publié in l' ATF 129 II 56).

6.3 Lorsqu'il existe entre la Suisse et l'Etat requérant un traité de
collaboration judiciaire qui ne prévoit pas la prise en compte de la
prescription selon le droit suisse, cette réglementation, plus favorable à
l'entraide, l'emporte sur l'EIMP (ATF 118 Ib 266 concernant le TEJUS [RS
0.351.933.6]; ATF 117 Ib 61 concernant la CEEJ [RS 0.351.1]). De même, si le
traité laisse à l'Etat requis la possibilité de refuser l'entraide en raison de
la prescription selon son propre droit, l'autorité suisse requise peut
également y renoncer (arrêt 1A.184/ 2005 du 9 décembre 2005 consid. 2.6). En
revanche, lorsque comme en l'espèce, les Etats requérant et requis ne sont pas
liés par un traité d'entraide judiciaire, les motifs d'irrecevabilité prévus à
l'art. 5 EIMP ne peuvent être ignorés.

6.4 Le compte de la recourante a été bloqué une première fois par l'OFJ le 15
avril 1986. Toutefois, le 28 janvier 2008, le Juge d'instruction genevois,
tenant compte de la décision prise le 15 mai 2002 par l'OFJ, a définitivement
déclaré irrecevable la demande d'entraide judiciaire du 12 juin 1986, en raison
de la prescription. La première demande d'entraide a ainsi été définitivement
rejetée, ce qui a mis fin à la procédure et à la saisie des avoirs de la
fondation. Les blocages ordonnés à partir du 14 juin 2002 par le Conseil
fédéral jusqu'au mois d'août 2008 n'ont pas eu pour effet de prolonger les
mesures provisoires prises dans le cadre de la procédure d'entraide judiciaire:
il s'agit de mesures d'une autre nature, prises sur la base de l'art. 184 al. 3
Cst. et destinées à la recherche d'une solution négociée, afin précisément de
pallier l'échec de la procédure d'entraide.
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Certes, les décisions relatives à l'exécution d'une demande d'entraide sont de
nature administrative (ATF 121 II 93 consid. 3b p. 95, et les références
citées) et ne sont pas, à l'instar d'un jugement civil ou pénal, revêtues de la
force de chose jugée. Elles peuvent donc être réexaminées en tout temps (ATF
121 II 93 consid. 3b p. 96). L'Etat requérant ne peut pas revenir à la charge
pour les mêmes faits et les motifs, en demandant les mêmes mesures (ATF 109 Ib
156 consid. 1b p. 157), mais rien ne l'empêche de compléter ou de réitérer sa
demande en se fondant sur des faits nouveaux ou un changement de législation (
ATF 112 Ib 215 consid. 4 p. 218; ATF 111 Ib 242 consid. 6 p. 251/252; ATF 109
Ib 156 consid. 3b p. 157/158), de requérir des mesures nouvelles ou encore de
demander à l'Etat requis de statuer sur des points laissés indécis dans le
cadre d'une décision précédente (arrêt 1A.110/1999 du 1^er juillet 1999; ATF
121 II 93 consid. 4d). Il n'en demeure pas moins que, d'un point de vue
procédural, la demande initiale a été formellement rejetée par une décision
définitive et que la requête présentée le 23 mai 2008 constitue ainsi une
demande d'entraide distincte de la précédente. Les nouvelles mesures ordonnées
le 27 juin 2008 par l'OFJ doivent par conséquent être examinées pour
elles-mêmes.

6.5 La décision de l'OFJ et l'arrêt attaqué retiennent, sous l'angle de la
double incrimination, que les faits mentionnés dans la demande d'entraide
seraient constitutifs de participation ou de soutien à une organisation
criminelle au sens de l'art. 260^ter CP. Cette appréciation est conforme à la
jurisprudence qui considère comme tels les détournements systématiques des
ressources de l'Etat, par un haut responsable et son entourage (ATF 131 II 169
consid. 9.1 p. 182). L'infraction étant passible de cinq ans de privation de
liberté, la prescription est de quinze ans conformément à l'art. 97 al. 1 let.
b CP. Quant au point de départ du délai de prescription, il doit être fixé au
moment de la chute du régime Duvalier, au mois de février 1986, car
l'organisation criminelle, telle qu'elle est décrite dans la demande, n'a pu se
poursuivre au-delà de cette date (art. 98 let. c CP). La prescription est par
conséquent intervenue en février 2001 pour l'infraction de participation à une
organisation criminelle. C'est ce qu'avaient d'ailleurs déjà constaté l'OFJ
dans sa décision du 15 mai 2002, et le Juge d'instruction genevois dans sa
décision de clôture du 28 janvier 2008. Le droit de confisquer est, lui aussi,
prescrit (art. 70 al. 3 CP).
L'arrêt attaqué retient que selon l'art. 33a OEIMP, la durée de la saisie de
valeurs serait limitée par la prescription selon le droit de l'Etat
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requérant, et non selon le droit suisse. La Cour des plaintes en a déduit que
la survenance de la prescription de la poursuite ou du droit de confisquer en
droit suisse n'empêcherait pas le maintien des saisies.
Selon l'art. 33a OEIMP, les objets et valeurs dont la remise à l'Etat requérant
est subordonnée à une décision définitive et exécutoire de ce dernier (art. 74a
al. 3 EIMP) demeurent saisis jusqu'à réception de ladite décision ou jusqu'à ce
que l'Etat requérant ait fait savoir à l'autorité d'exécution compétente qu'une
telle décision ne pouvait plus être rendue selon son propre droit, notamment en
raison de la prescription. Cette disposition ne concerne que les mesures
conservatoires prises dans l'attente d'un jugement étranger de confiscation, ce
qui n'est pas le cas en l'occurrence puisque la remise des fonds a été ordonnée
à titre anticipé, indépendamment d'un tel jugement. Par ailleurs, l'art. 33a
OEIMP ne saurait s'appliquer qu'aux saisies ordonnées avant la survenance de la
prescription en droit suisse (ATF 126 II 462 consid. 5d) et ne saurait
permettre le maintien d'un séquestre lorsqu'il apparaît qu'une remise des fonds
ne peut plus être ordonnée (arrêt 1A.222/1999 du 4 novembre 1999 concernant
déjà l'entraide à la République d'Haïti). Toute autre interprétation irait à
l'encontre du texte clair de l'art. 5 al. 1 let. c EIMP.

6.6 La demande d'entraide relève que le clan Duvalier se serait aussi rendu
coupable de nombreux assassinats. Ces infractions, qui ne sont pas mentionnées
dans l'ordonnance de renvoi en jugement du 13 décembre 1999, feraient l'objet
d'un réquisitoire d'informer du 29 avril 2008. L'autorité requérante estime que
ces crimes seraient "indissociables" des délits financiers puisqu'ils
permettaient la collaboration aveugle des fonctionnaires concernés, ainsi
qu'une impunité totale. Il en résulterait que la prescription de trente ans,
pour des délits passibles d'une peine de réclusion à vie, ne serait pas acquise
(art. 97 al. 1 let. a CP).
Selon l'art. 70 CP, l'infraction doit être la cause essentielle de l'obtention
des valeurs patrimoniales que l'on entend confisquer et celles- ci doivent
typiquement provenir de l'infraction en cause. C'est dans le même sens qu'il y
a lieu d'interpréter la notion de produit de l'infraction selon l'art. 74a al.
2 let. b EIMP. Autrement dit, il doit y avoir entre l'infraction et l'obtention
de valeurs patrimoniales un lien de causalité tel que la seconde apparaît comme
la conséquence directe et immédiate de la première(MADELEINE HIRSIG-VOUILLOZ,
in
BGE 136 IV 4 S. 14
Commentaire romand, Code pénal, vol. I, 2009, n^os 9 ss ad art. 70 CP). En
outre, selon le principe de la spécialité, seules les valeurs patrimoniales qui
sont le résultat direct de l'infraction, ou leurs valeurs de remplacement,
peuvent être confisquées en application de l'art. 70 CP (idem, n° 16 ad art. 70
CP).
Il apparaît que les avoirs de la recourante ne sont pas le fruit d'infractions
contre la vie ou l'intégrité corporelle, mais uniquement des détournements
opérés au préjudice de l'Etat Haïtien. L'Etat requérant soutient que le climat
de terreur et les crimes de sang commis par le clan Duvalier auraient permis le
maintien de l'organisation criminelle. Toutefois, les valeurs patrimoniales ne
peuvent être considérées comme le fruit d'une infraction lorsque celle-ci n'a
que facilité leur obtention ultérieure par un autre acte délictueux sans lien
de connexité (arrêt 6S.667/2000 du 19 février 2001, in SJ 2001 p. 330 et les
références citées). C'est dès lors à juste titre que l'OFJ, puis la Cour des
plaintes, n'ont pas retenu la qualification juridique d'assassinats dans
l'examen de la double incrimination, et n'ont pas tenu compte du délai de
prescription afférent à ces infractions.

6.7 L'autorité requérante expose aussi que le clan Duvalier se serait livré à
des crimes contre l'humanité, pour avoir pratiqué de manière constante des
assassinats politiques, des exécutions judiciaires, des arrestations ou
détentions arbitraires, ainsi que la torture. Ces actes, imputables en
particulier à la milice des "volontaires de la sécurité nationale" (plus connus
sous le nom de "Tontons Macoutes") visaient particulièrement les personnes
susceptibles d'exercer une influence sur l'opinion publique (syndicalistes,
personnes liées à l'opposition). Ces infractions, non visées par le renvoi en
jugement ordonné en 1999, ont fait elles aussi l'objet du réquisitoire
d'informer du 29 avril 2008.
Point n'est besoin de rechercher de quelle manière les crimes contre
l'humanité, tels que décrits dans la demande, seraient appréhendés en droit
interne, ce qui les rendrait imprescriptibles (cf. art. 101 let. c CP et art.
59 let. c du Code pénal militaire du 13 juin 1927 [CPM; SR 321.0]). En effet,
comme cela est rappelé ci-dessus, les mesures d'entraide requises ne se
rapportent pas non plus à des fonds qui proviendraient directement de telles
infractions. Au demeurant, la décision d'accorder l'entraide judiciaire
appartiendrait, dans un tel cas, non pas à l'OFJ mais au Conseil fédéral, en
application de l'art. 110 al. 3 EIMP.
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6.8 La prescription étant intervenue avant le dépôt de la nouvelle demande
d'entraide, celle-ci est manifestement irrecevable en application de l'art. 5
al. 1 let. c EIMP. L'arrêt attaqué doit être annulé pour cette raison, de même
que la décision de l'OFJ du 11 février 2009.

6.9 La Cour des plaintes rappelle que la nécessité, pour la Suisse, de ne pas
servir de refuge aux montants considérables détournés illégalement par les
régimes dictatoriaux, constitue un intérêt essentiel du pays au sens de l'art.
1a EIMP (ATF 131 II 169 consid. 6). Cette disposition, conçue essentiellement
comme une limite à la coopération - comme le montre son intitulé - peut certes
trouver à s'appliquer lorsqu'il s'agit de décider d'une remise anticipée de
fonds indépendamment d'un jugement de confiscation étranger (art. 74a al. 3
EIMP; ATF 123 II 588 consid. 5a p. 607). En aucun cas elle ne saurait permettre
d'ignorer un motif clair d'irrecevabilité d'une demande d'entraide judiciaire.

7. La récupération des avoirs des dictateurs déchus se heurte à divers
obstacles. Les Etats victimes de ce genre d'agissements sont confrontés à des
problèmes particuliers: ils peuvent notamment connaître des relations ambiguës
avec le régime déchu et ne disposent souvent pas d'un appareil judiciaire
propre à assurer, de manière efficace et respectueuse des droits de l'homme, la
poursuite des anciens responsables et la confiscation de leurs avoirs (URSULA
CASSANI, op. cit., p. 229). Dans ce contexte, les conditions posées par l'EIMP
apparaissent trop strictes pour ce genre d'affaires. La longueur des
procédures, les difficultés de preuve peuvent constituer - comme en l'espèce -
des obstacles insurmontables. C'est dès lors au législateur qu'il appartient
d'apporter les corrections et allègements nécessaires pour tenir compte des
particularités de ces procédures (ATF 123 II 595 consid. 5a p. 607; voir aussi
les propositions de réformes mentionnées par URSULA CASSANI, op. cit., p. 240).

8. Il en résulte que la requête d'entraide judiciaire est irrecevable et que la
remise des fonds à la République d'Haïti n'est pas possible sur la base des
règles du droit suisse sur l'entraide judiciaire internationale. Le recours
doit par conséquent être admis; l'arrêt du TPF du 12 août 2009 est annulé, de
même que la décision de l'OFJ du 11 février 2009 en tant qu'elle concerne les
avoirs de la recourante. Dès lors qu'elle est fondée sur l'EIMP, la saisie
ordonnée le 27 juin 2008 par l'OFJ sur le compte de la recourante ne peut être
maintenue. Il appartiendra donc à l'Office fédéral de la justice de lever cette
BGE 136 IV 4 S. 16
mesure. Une indemnité de dépens est allouée à la recourante, conformément à
l'art. 68 al. 2 LTF. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4
LTF).