Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 136 III 190



Urteilskopf

136 III 190

29. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause Genevoise
Compagnie Immobilière SA contre Le Relais de l'Entrecôte SA (recours en matière
civile)
4A_557/2009 du 23 mars 2010

Regeste

Art. 271 Abs. 1 OR; Miete von Räumlichkeiten, die für den Betrieb eines
Restaurants bestimmt sind; Gültigkeit der Kündigung, die der Vermieter in der
Absicht ausspricht, dieser Art der Nutzung ein Ende zu setzen.
Art. 271a Abs. 1 CO steht dem Recht des Vermieters nicht entgegen, den Vertrag
zu kündigen, um die Nutzungsart der Sache seinen Interessen anzupassen. Die
Geschäftstätigkeiten im Zentrum von Genf haben sich seit der Eröffnung des
Restaurants tiefgreifend gewandelt; der Wille, die Nutzungsart der
Räumlichkeiten nach beinahe 15 Jahren seit Abschluss des letzten Mietvertrags
zu ändern, ist mit Treu und Glauben vereinbar (E. 2-5).
Wegen der harten Folgen der Kündigung wird die Miete um sechs Jahre verlängert
(E. 6).

Sachverhalt ab Seite 191

BGE 136 III 190 S. 191

A. Un restaurant est exploité depuis 1912 au rez-de-chaussée d'un bâtiment sis
entre la rue du Rhône et le quai Général-Guisan à Genève. L'édifice se trouve
dans le plan de site de la rade de cette cité avec le statut de "bâtiment
maintenu". Depuis 1982, les locaux d'exploitation sont pris à bail par une
société ayant actuellement pour raison sociale Le Relais de l'Entrecôte SA. Le
contrat le plus récent a été conclu le 28 novembre 1991 pour dix ans, soit du 1
^er mai 1992 au 30 avril 2002, et, sauf résiliation valable, il se renouvelle
tacitement de cinq ans en cinq ans. Le loyer annuel le plus récemment fixé
s'élève à 118'764 fr., charges en sus.
Le 4 mai 2006, usant d'une formule officielle, la bailleresse actuellement
nommée Genevoise Compagnie Immobilière SA a résilié ce contrat avec effet au 30
avril 2007. La locataire a immédiatement de mandé la motivation de ce congé. La
bailleresse a répondu le 3 juillet 2006 seulement, en indiquant qu'elle
souhaitait ne plus affecter les locaux à un restaurant.

B. En temps utile, la locataire a ouvert action contre la bailleresse devant la
commission de conciliation compétente puis devant le Tribunal des baux et
loyers du canton de Genève. Elle requérait l'annulation du congé qu'elle tenait
pour abusif, ou, subsidiairement, la prolongation du bail. Le tribunal s'est
prononcé le 28 janvier 2009; il a constaté la validité du congé et il a
prolongé le bail pour une durée de six ans qui expirerait le 30 avril 2013.
La locataire et demanderesse ayant appelé de ce jugement, la défenderesse a usé
de l'appel incident et la Chambre d'appel en matière de baux et loyers a statué
le 5 octobre 2009. Donnant gain de cause à la demanderesse, elle a réformé la
décision en ce sens que le congé signifié en mai 2006 est annulé.
BGE 136 III 190 S. 192

C. Agissant par la voie du recours en matière civile, la défenderesse a requis
le Tribunal fédéral de réformer l'arrêt de la Chambre d'appel en ce sens que le
congé fût valable et que la demanderesse n'eût droit à aucune prolongation du
bail. Subsidiairement, le tribunal était requis de n'accorder à la demanderesse
qu'une prolongation unique de deux ans.
La demanderesse a conclu principalement à l'irrecevabilité du recours et
subsidiairement à son rejet.
Délibérant en public, le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours. Il
a constaté la validité du congé et il a prolongé le bail d'une durée de six ans
qui expirera le 30 avril 2013.

Auszug aus den Erwägungen:

Extrait des considérants:

2. Aux termes de l'art. 271 al. 1 CO, la résiliation d'un bail d'habitation ou
de locaux commerciaux est annulable lorsqu'elle contrevient aux règles de la
bonne foi.
Cette disposition protège le locataire, notamment, contre le congé purement
chicanier qui ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de
protection, et dont le motif n'est qu'un prétexte. Le locataire est aussi
protégé en cas de disproportion grossière des intérêts en présence; il l'est
également lorsque le bailleur use de son droit de manière inutilement
rigoureuse ou adopte une attitude contradictoire. La protection ainsi conférée
procède à la fois du principe de la bonne foi et de l'interdiction de l'abus de
droit, respectivement consacrés par les alinéas 1 et 2 de l'art. 2 CC; il n'est
toutefois pas nécessaire que l'attitude de la partie donnant congé à l'autre
constitue un abus de droit "manifeste" aux termes de cette dernière disposition
(ATF 120 II 105 consid. 3 p. 108, ATF 120 II 31 consid. 4a p. 32; voir aussi
ATF 135 III 112 consid. 4.1 p. 119). En règle générale, le congé donné pour un
motif d'ordre économique est conciliable avec les règles de la bonne foi, et le
locataire n'est pas autorisé à réclamer l'annulation du congé que le bailleur
lui signifie parce qu'il espère obtenir, d'un nouveau locataire, un loyer plus
élevé mais néanmoins compatible avec l'art. 269 CO qui réprime les loyers
abusifs (ATF 120 II 105 consid. 3b/bb p. 110). Elucider le motif d'un congé
relève de la constatation des faits (ATF 115 II 484 consid. 2b p. 486; arrêt
4C.61/2005 du 27 mai 2005 consid. 4.1, in SJ 2006 I 34 p. 35), de sorte que, en
principe, ce point échappe au contrôle du Tribunal fédéral.
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Sur la base d'un arrêt de la Cour de céans et de la doctrine qui y est citée,
la Chambre d'appel retient que le bailleur adopte une attitude contradictoire,
incompatible avec les règles de la bonne foi, lorsqu'il résilie le bail en
raison de faits qui lui étaient connus lors de la conclusion de ce contrat ou
qu'il a tolérés durant une longue période (arrêt 4A_583/2008 du 23 mars 2009
consid. 5.1). La Chambre constate qu'en l'espèce, l'affectation des locaux à un
restaurant, avec les nuisances et inconvénients qui peuvent éventuellement en
résulter pour le voisinage, était bien connue de la défenderesse lorsque
celle-ci a conclu les baux de 1982 et de 1991. En conséquence, selon sa
décision, la demanderesse est fondée à réclamer l'annulation du congé que
l'autre partie lui a donné en vue de faire cesser cette affectation.

3. Il est en principe loisible au bailleur d'insérer, dans le bail de locaux
commerciaux et avec l'acceptation du locataire, des clauses destinées à
déterminer les activités qui seront admises dans ces locaux; les clauses de ce
genre peuvent avoir pour but, notamment, de définir l'ambiance ou le caractère
de l'immeuble, ou de prévenir des conflits de voisinage (ATF 132 III 109
consid. 5 p. 114). En l'espèce, les locaux ont été conventionnellement destinés
à l'exploitation d'un restaurant.
A supposer que le bailleur promette d'abord de maintenir l'affectation convenue
sans limite de durée, il pourrait se délier en faisant valoir que le droit
civil fédéral ne reconnaît pas les contrats conclus "pour l'éternité" (ATF 93
II 290 consid. 7 p. 300; ATF 127 II 69 consid. 5b p. 77 in medio; ATF 131 I 321
consid. 5.5 p. 329). L'art. 271 al. 1 CO ne saurait donc, non plus, avoir pour
effet d'interdire indéfiniment au bailleur, après l'expiration de la durée
convenue pour le contrat et aussi longtemps que le locataire ne consent pas à
accepter un congé, de modifier l'affectation qu'il avait auparavant choisie ou
agréée pour les locaux, cela au seul motif que l'affectation initiale a été
acceptée par lui lors de la conclusion du contrat. Il est vrai que le bailleur
montre une attitude objectivement contradictoire s'il déclare ne plus vouloir
ce que, pourtant, il voulait ou acceptait au moment de la conclusion du
contrat, mais ce changement d'intention ne contrevient pas ipso facto aux
règles de la bonne foi.
En l'occurrence, il faut prendre en considération que les activités exercées
dans le centre de Genève ont profondément évolué depuis 1912, et que le secteur
où se trouve l'immeuble concerné,
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particulièrement apprécié, a acquis un indiscutable prestige. Il se peut que
les nuisances d'un restaurant, quoique normales et prévisibles, y soient moins
aisément tolérées aujourd'hui qu'autrefois. La défenderesse a allégué des
inconvénients dont d'autres locataires se sont parfois plaints, tels que des
odeurs de cuisine. Il se peut aussi qu'une modification de l'affectation du
rez-de-chaussée, selon la tendance observée dans le secteur, accroisse encore
le potentiel des autres locaux existant dans le bâtiment. Dans ces conditions,
il n'apparaît pas que l'intention de réaliser cette modification, manifestée
par la défenderesse près de quinze ans après la conclusion du bail à loyer le
plus récent, soit incompatible avec les règles de la bonne foi. La présente
affaire se distingue nettement de celle à laquelle la Chambre d'appel fait
référence, où le bailleur, après avoir remis en location un rez-de-chaussée
pour l'exploitation d'un restaurant, avait installé son fils au premier étage
et prétendait résilier le contrat en raison des nuisances dont ce dernier
faisait état.
En réalité, il faut admettre que l'art. 271 al. 1 CO laisse subsister, en
principe, le droit du bailleur de résilier le contrat dans le but d'adapter la
manière d'exploiter son bien, selon ce qu'il juge le plus conforme à ses
intérêts (RICHARD BARBEY, Protection contre les congés concernant les baux
d'habitation et de locaux commerciaux, 1991, p. 120 n° 36). On a d'ailleurs vu
que le bailleur peut légitimement vouloir se procurer un rendement plus élevé.
Cette disposition légale ne permet pas non plus d'opposer au bailleur les
aspects éventuellement regrettables que peut présenter, du point de vue de
l'intérêt général, l'évolution des activités et des commerces pratiqués dans le
centre de la ville.

4. La Chambre d'appel n'a pas examiné si les règles de droit public du plan de
site de la rade s'opposent de toute manière, selon la thèse de la demanderesse,
au changement d'affection voulu par la défenderesse. A supposer que le
changement soit de toute évidence exclu par ces règles, le congé devrait
probablement être jugé pour ce motif inconciliable avec les règles de la bonne
foi (cf. arrêt 4P.274/2004 du 24 mars 2005 consid. 3.3). Toutefois, selon le
témoignage d'une collaboratrice de l'office cantonal du patrimoine et des
sites, recueilli par le Tribunal des baux et loyers, le plan de site de la rade
n'exclut pas ce changement d'affectation.

5. Il n'apparaît pas qu'une violation des règles de la bonne foi soit par
ailleurs imputable à la défenderesse. En particulier, bien que la
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résiliation du contrat soit de nature à entraîner des conséquences pénibles
pour la demanderesse, parce que celle-ci ne trouvera peut-être pas de locaux de
remplacement adéquats dans le centre de Genève, on ne constate pas de
disproportion grossière dans les intérêts en présence. Il faut observer à ce
sujet que le bailleur est très fréquemment aussi le propriétaire de la chose
louée, et qu'il a à ce titre un lien a priori perpétuel avec ce bien, tandis
que le locataire, lui, ne peut se trouver que dans un rapport temporaire. C'est
pourquoi l'intérêt du bailleur à exploiter la chose de la manière la plus
favorable pour lui est en principe prépondérant. Au regard de l'art. 271 al. 1
CO, seules des circonstances particulières, qui n'apparaissent pas dans la
présente affaire, peuvent justifier que cet intérêt doive céder le pas à celui
du locataire. La défenderesse a indiqué n'avoir aucun projet précis pour
l'affectation future des locaux, mais son intérêt à la modifier ne s'en révèle
pas pour autant futile; elle ignore d'ailleurs à quelle date les locaux lui
seront effectivement restitués et elle n'est donc guère en mesure, dans cette
situation, d'élaborer un projet plus concret. Il s'ensuit que l'autre partie
n'est pas fondée à réclamer l'annulation de la résiliation communiquée le 4 mai
2006; celle-ci est au contraire valable.

6. Aux termes des art. 272 al. 1 et 272b al. 1 CO, le locataire peut demander
la prolongation d'un bail de locaux commerciaux pour une durée de six ans au
maximum, lorsque la fin du contrat aurait pour lui des conséquences pénibles et
que les intérêts du bailleur ne les justifient pas. Dans cette limite de temps,
le juge peut accorder une ou deux prolongations.
Le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l'équité (art. 4
CC), s'il y a lieu de prolonger le bail et, dans l'affirmative, pour quelle
durée. Il doit procéder à la pesée des intérêts en présence et tenir compte du
but d'une prolongation, consistant à donner du temps au locataire pour trouver
des locaux de remplacement. Il lui incombe de prendre en considération tous les
éléments du cas particulier, tels que la durée du bail, la situation
personnelle et financière de chaque partie, leur comportement, de même que la
situation sur le marché locatif local (art. 272 al. 2 CO; ATF 135 III 121
consid. 2 p. 123; ATF 125 III 226 consid. 4b p. 230).
Selon les constatations du Tribunal des baux et loyers, la demanderesse a
vainement entrepris de nombreuses démarches afin de trouver des locaux de
remplacement. Cette partie a aussi affirmé, par sa
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représentante à l'audience de ce tribunal, qu'elle n'envisage pas d'exploiter
son restaurant ailleurs. La défenderesse se prévaut de cette déclaration pour
s'opposer à toute prolongation du contrat. Néanmoins, compte tenu que la
demanderesse est menacée de devoir suspendre son activité et que la
réaffectation des locaux actuels ne présente aucune urgence pour la
défenderesse, il se justifie que le contrat soit prolongé de la durée maximum
de six ans prévue par la loi, afin que la locataire puisse poursuivre la
recherche de locaux de remplacement appropriés.