Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 135 I 191



Urteilskopf

135 I 191

23. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause A. contre
Office fédéral de la justice (recours en matière de droit public)
1C_588/2008 du 12 mars 2009

Regeste

Übereinkommen über die Überstellung verurteilter Personen; Art. 25 Abs. 3 BV
und Art. 3 EMRK; Art. 2 IRSG; Überstellung einer in der Schweiz verurteilten
Person ins Ausland.
Bevor sie um Überstellung einer in der Schweiz verurteilten Person ins Ausland
ersucht, hat sich die schweizerische Behörde zu vergewissern, dass keine
ernsthafte Gefahr einer unmenschlichen Behandlung oder Bestrafung besteht (E.
2.2 und 2.3). Ausgehend von den generellen Haftbedingungen im betreffenden
Staat (E. 2.4-2.6) und der konkreten Situation des Beschwerdeführers,
insbesondere dessen Gesundheitszustand (E. 2.7), hat sie sich nach den
vorhersehbaren Haftbedingungen zu erkundigen und nach der Möglichkeit, eine
angemessene Pflege zu erhalten (E. 2.8).

Sachverhalt ab Seite 192

BGE 135 I 191 S. 192
Par jugement du 26 mai 2003, le Tribunal criminel de l'arrondissement de
Lausanne a condamné A., ressortissant letton né en 1976, à 15 ans de réclusion,
à la poursuite d'un traitement psychothérapeutique, et à 12 ans d'expulsion du
territoire suisse pour assassinat, vol et infraction à la LStup (RS 812.121).
Par arrêt du 15 septembre 2003, la Cour de cassation pénale du Tribunal
cantonal vaudois a confirmé cette condamnation. Une décision d'expulsion a été
rendue le 5 avril 2004 par le Service vaudois de la population.
Le 18 décembre 2007, l'Office d'exécution des peines du canton de Vaud (OEP) a
demandé à l'Office fédéral de la justice (OFJ) le transfèrement de A. à la
Lettonie, en application du Protocole additionnel du 18 décembre 1997 à la
Convention du 21 mars 1983 sur le transfèrement des personnes condamnées (RS
0.343 et 0.343.1; ci-après, respectivement la convention et le protocole).
L'OEP relevait notamment que l'intéressé n'avait de contacts qu'avec sa grand-
mère en Lettonie. A. s'est opposé à son transfèrement en relevant notamment
qu'il faisait partie de la minorité russe et parlait mal le letton, que les
conditions de détention étaient mauvaises et qu'un transfèrement serait
destructeur pour lui, le privant notamment de soutien psychologique.
Par décision du 18 août 2008, l'OFJ a décidé de demander à la Lettonie
d'accepter le transfèrement de A. afin d'exécuter le solde de sa peine. Les
conditions posées par la convention et le protocole étaient réunies. Une
réinsertion sociale serait plus facile dans le pays d'origine.
BGE 135 I 191 S. 193
Par arrêt du 5 décembre 2008, la II^e Cour des plaintes du Tribunal pénal
fédéral a rejeté le recours formé par A. Une réinsertion en Suisse était
impossible, compte tenu de la mesure d'expulsion. En tant que membre du Conseil
de l'Europe, la Lettonie devait garantir un standard minimum de protection des
droits de l'homme. Le recourant prétendait avoir subi des agressions sexuelles
lors d'une précédente détention, mais il n'apportait aucun élément permettant
d'étayer ses affirmations. Il ne démontrait pas non plus l'existence d'un
risque de violation des droits de l'homme en Lettonie, et rien ne permettait de
penser que l'hépatite dont il souffrait ne pourrait être soignée en prison. Les
deux condamnations de la Lettonie par la CourEDH se rapportaient l'une aux
conditions de détention en isolement, l'autre à un établissement pénitentiaire
dont la direction avait toutefois fait preuve de diligence.
A. forme un recours en matière de droit public. Il conclut à la réforme de
l'arrêt de la Cour des plaintes en ce sens que la décision de l'OFJ est
annulée.
Le Tribunal fédéral a admis le recours et renvoyé la cause à l'OFJ pour
instruction complémentaire.

Auszug aus den Erwägungen:

Extrait des considérants:

2. Reprenant ses motifs d'opposition, le recourant relève que lors de ses
précédentes incarcérations en Lettonie, il aurait subi de graves sévices,
notamment des agressions sexuelles. Il dit souffrir actuellement d'hépatite C.
Il se prévaut d'un rapport établi en mai 2008 par le Comité européen pour la
prévention de la torture (CPT), qui fait état de mauvais traitements dans des
lieux de détention en Lettonie.

2.1 Selon l'art. 25 al. 3 Cst., nul ne peut être refoulé sur le territoire d'un
Etat dans lequel il risque la torture ou tout autre traitement ou peine cruels
ou inhumains (ATF 134 IV 156 consid. 6.3 p. 164). En matière d'entraide
judiciaire, ce principe est rappelé à l'art. 2 EIMP (RS 351.1), disposition qui
a pour but d'éviter que la Suisse ne prête son concours à des procédures qui ne
garantiraient pas à la personne poursuivie un standard de protection minimal
correspondant à celui des Etats démocratiques, défini en particulier par la
CEDH et le Pacte ONU II (RS 0.103.2; ATF 126 II 324 consid. 4a p. 326; ATF 125
II 356 consid. 8a p. 364; ATF 123 II 161 consid. 6a p. 166/167, ATF 126 II 511
consid. 5a p. 517, 595 consid. 5c p. 608; ATF 122 II 140 consid. 5a p. 142;
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cf., en dernier lieu, arrêt de la CourEDH Saadi contre Italie du 28 février
2008, § 124 s.). La Suisse elle-même contreviendrait à ses obligations
internationales en extradant ou en remettant une personne à un Etat où il
existe des motifs sérieux de penser qu'un risque de traitement contraire à la
CEDH ou au Pacte ONU II menace l'intéressé (ATF 126 II 258 consid. 2d/aa p.
260, ATF 126 II 324 consid. 4c p. 327; ATF 125 II 356 consid. 8a p. 364 et les
arrêts cités).
Avec raison, la Cour des plaintes a considéré que ces principes devaient
également s'appliquer à une procédure de transfèrement. La convention repose
essentiellement sur des motifs humanitaires: il s'agit d'éviter d'une part les
souffrances qui peuvent résulter, pour la personne condamnée, d'une
incarcération loin de son milieu familial et culturel, et de favoriser d'autre
part sa réinsertion sociale dans son pays d'origine (Message du 29 octobre 1986
relatif à l'approbation de la Convention sur le transfèrement des personnes
condamnées, FF 1986 III 741 ch. 122). Même s'il permet, à certaines conditions,
de faire abstraction du consentement de la personne intéressée, le protocole
poursuit les mêmes buts, tout en permettant d'éviter des comportements abusifs
tels que la fuite dans le pays d'origine afin d'échapper à une exécution de
peine. S'agissant des condamnés qui ont fait l'objet d'une mesure d'expulsion,
le protocole repose sur la considération qu'une réinsertion n'est pas possible
dans le pays de condamnation, et donc préférable dans le pays d'origine. Compte
tenu des buts humanitaires qui sont à la base de la convention et du protocole,
l'autorité suisse doit préalablement entendre l'intéressé, tenir compte de ses
objections et rechercher d'office si le transfèrement peut avoir lieu dans des
conditions acceptables. Ni la convention ni le protocole n'ont pour but
d'assurer au condamné les conditions de détention les plus favorables.
Toutefois, une incarcération dans l'Etat d'exécution doit garantir d'une part
un traitement du détenu conforme aux exigences des normes de droit
international en la matière et, d'autre part, une réinsertion au moins
équivalente à ce que permettrait la poursuite de l'exécution de la peine dans
l'Etat de condamnation.

2.2 L'autorité suisse doit donc, avant de requérir le transfèrement, s'assurer
elle-même que la personne concernée n'est pas sérieusement menacée d'un
traitement prohibé. Si les risques sont réels, la Suisse doit renoncer à la
demande de délégation de l'exécution (Message du 1^er mai 2002 relatif au
protocole additionnel [...], FF 2002 4045 et 4050-4051). Dans le cas du
transfèrement, l'Etat requérant
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ne dispose - contrairement aux cas d'extradition assortis de conditions -
d'aucun droit de regard sur la situation du détenu. La convention prévoit que
l'Etat de condamnation peut demander un rapport spécial concernant l'exécution
de la condamnation (art. 15 let. c), mais il est douteux que l'autorité
requérante puisse ainsi prétendre être renseignée en détail sur les conditions
d'incarcération.

2.3 En matière d'extradition, la jurisprudence distingue les Etats - notamment
d'Europe de l'ouest - à l'égard desquels il n'y a en principe pas de doute à
avoir quant au respect des droits de l'homme, ceux pour lesquels une
extradition peut être accordée moyennant l'obtention de garanties particulières
- notamment les autres Etats membres du Conseil de l'Europe -, et enfin les
Etats vers lesquels une extradition est exclue, compte tenu des risques
concrets de traitement prohibé (ATF 134 IV 156 consid. 6.7 p. 169). La Cour des
plaintes a considéré que cette classification devait être reprise en matière de
transfèrement, et a estimé que la Lettonie se situait dans la première, "voire
dans la deuxième catégorie de pays au sens de la jurisprudence".
On peut douter de l'utilité d'une telle distinction en l'espèce. Lorsqu'il
s'agit de transfèrement d'une personne condamnée, la Suisse agit en tant
qu'Etat requérant; elle n'est donc pas en mesure d'exiger ni d'obtenir des
garanties diplomatiques de la part de l'Etat requis, comme cela est le cas
lorsqu'il s'agit d'accorder l'extradition. Elle dispose certes d'un droit de
recommandation, notamment quant au traitement médical que le détenu doit
recevoir (art. 6 par. 2 let. d de la convention), ainsi que d'un certain droit
d'information (art. 15 de la convention), mais ceux-ci sont dépourvus de toute
force contraignante: l'exécution de la condamnation est régie par la loi de
l'Etat d'exécution, seul compétent pour prendre toutes les décisions
appropriées (art. 9 par. 3 de la convention). Avant de s'adresser formellement
à l'Etat d'exécution, l'autorité suisse doit donc se renseigner de manière
complète sur les conditions d'incarcération qui seront vraisemblablement celles
de la personne transférée, de manière à s'assurer, avec un degré suffisant de
probabilité, que celle-ci ne court pas le risque d'un traitement contraire aux
droits de l'homme.
Force est d'admettre qu'à ce stade, les investigations nécessaires n'ont pas
été menées.

2.4 La Cour des plaintes a évoqué les deux arrêts de la CourEDH dans lesquels
la Lettonie a fait l'objet d'une constatation de
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violation de l'art. 3 CEDH; le premier concerne le maintien en détention d'une
personne, âgée de 84 ans, dans l'infirmerie d'un établissement pénitentiaire.
En dépit des interventions favorables de l'administration pénitentiaire, les
autorités judiciaires avaient tardé à libérer l'intéressé (arrêt n° 4672/02
Farbtuhs contre Lettonie du 2 décembre 2004). Il apparaissait toutefois que les
autorités pénitentiaires avaient, pour leur part, fait preuve de diligence. La
seconde affaire (arrêt n° 62393/00 Kadikis contre Lettonie du 4 mai 2006)
concerne un placement durant quinze jours en quartier d'isolement de la
direction de la police d'Etat, et non pas dans un établissement pénitentiaire.
Relevant qu'il n'existait pas d'autre constat de violation de l'art. 3 CEDH
depuis 2001, et que le rapport 2008 d'Amnesty International ne faisait pas état
de cas de torture ou de mauvais traitements subis dans les prisons lettones, la
Cour des plaintes en a déduit que la Lettonie offrait des garanties suffisantes
au sens de la jurisprudence précitée.

2.5 Le recourant se réfère pour sa part au rapport établi le 13 mars 2008 par
le CPT, après une visite en Lettonie du 5 au 12 mai 2004. De nombreux
manquements constatés ont trait aux conditions de détention dans les locaux de
la police. Le CPT a également relevé, après avoir visité les établissements de
Riga, Daugavpils et Jelgava, que les problèmes de surpopulation carcérale, déjà
constatés auparavant, demeuraient actuels. Il reprenait ses recommandations
quant au respect des standards sur l'espace vital des détenus, et aux mesures
de lutte contre la surpopulation carcérale. Des allégations de mauvais
traitements physiques ou psychologiques, ou de menaces et d'agressions
verbales, ont été évoquées. Le CPT s'est déclaré particulièrement préoccupé par
les allégations graves et répétées de violences entre les détenus. Il faisait
notamment référence à un cas d'abus sexuels sur un jeune détenu, et
recommandait que des mesures soient prises afin de procéder aux constatations
médicales et de signaler immédiatement ces cas aux autorités de poursuites. Les
réserves les plus importantes au sujet des conditions de détention concernaient
les prisonniers à vie et les jeunes détenus. Toutefois, à l'égard de l'ensemble
des détenus, le CPT relevait que certaines cellules des établissements visités
étaient insuffisamment équipées au niveau de la lumière, de la ventilation et
des installations sanitaires; le nombre de détenus pouvait excéder celui des
lits disponibles; les activités et exercices à l'extérieur des cellules
paraissaient
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très limités. A propos des soins, le CPT estimait que les conditions de vie des
patients à l'hôpital carcéral de Riga étaient totalement inacceptables, ses
précédentes recommandations n'ayant pas été prises en compte. L'absence
d'activités psycho-sociales était relevée. Les services de santé des prisons
visitées présentaient également certains manquements (absence d'examen médical
d'entrée, lacunes dans les dossiers médicaux en particulier après un incident
violent).

2.6 Sur le vu du rapport précité du CPT - dont la Cour des plaintes n'a pas
tenu compte et dont le recourant ne s'est prévalu que dans son recours au
Tribunal fédéral -, on ne saurait affirmer sans autre que les prisons lettonnes
présentent des garanties suffisantes d'un traitement respectueux des droits de
l'homme, et que la Lettonie fasse partie des Etats qui ne présentent "aucun
problème" sous l'angle de l'art. 3 CEDH.

2.7 Des investigations supplémentaires apparaissent également nécessaires sur
le vu des particularités propres au recourant. Celui-ci prétend avoir subi des
agressions sexuelles lors de précédents séjours dans des prisons de Lettonie.
La Cour des plaintes a considéré qu'il s'agissait de simples affirmations, non
étayées. Ces allégations ne peuvent toutefois être d'emblée écartées puisque le
recourant en avait déjà fait état au cours de la procédure pénale, à une époque
où il n'était pas question d'un transfèrement à l'étranger. Des allégations
crédibles d'abus sexuels commis en prison ont d'ailleurs également été
rapportées au CPT.
Dans son jugement du 26 mai 2003, le Tribunal d'arrondissement de Lausanne a
ordonné la poursuite d'un traitement psychothérapeutique mis en place au cours
de la détention préventive. Ce traitement était nécessaire pour permettre au
recourant de maîtriser son agressivité, de gérer son potentiel de violence et
de prévenir le risque de récidive. Dans la perspective d'une réinsertion,
l'autorité suisse doit se demander s'il est nécessaire de poursuivre un tel
traitement, et si cela est envisageable dans les prisons lettones. Le recourant
souffre également d'une hépatite C et il y a lieu de s'assurer que les soins
que nécessite cette affection pourront être prodigués.

2.8 Par conséquent, avant de décider du transfèrement du recourant en Lettonie,
il y aura lieu de se renseigner de manière aussi complète que possible sur les
conditions prévisibles de détention. Il conviendra également de s'assurer que
l'Etat requis a été informé de l'état de santé physique et psychique du
recourant (art. 6 par. 2 let. d
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de la convention) et que ce dernier pourra bénéficier en détention de soins
appropriés. A la lumière de ces renseignements, l'autorité devra déterminer si
la réinsertion du recourant peut être assurée au moins aussi bien en Lettonie
que s'il était expulsé de Suisse après y avoir purgé le solde de sa peine.
C'est à l'OFJ qu'il appartiendra de déterminer de quelle manière de telles
informations peuvent être obtenues, soit en faisant appel aux unités
compétentes du Département fédéral des affaires étrangères (cf. FF 2002 4045
note 23), soit directement auprès de l'Etat requis.