Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 135 I 176



Urteilskopf

135 I 176

21. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause A. et B.
contre C. et consorts, Commune de St-Sulpice ainsi que Département des
infrastructures du canton de Vaud (recours en matière de droit public)
1C_564/2008 du 23 avril 2009

Regeste

Art. 17 Abs. 1 lit. c und Abs. 2 RPG; Art. 26 Abs. 1 und Art. 36 Abs. 1-3 BV;
Denkmalschutzmassnahmen bei Fischerhäuschen.
Gesetzliche Grundlagen und zulässige Rügen (E. 3 und 4). Die Ästhetik ist nicht
das einzige Kriterium für die Unterschutzstellung; auch für eine bestimmte
Epoche typische Bauten oder Zeugen eines bestimmten - auch jüngeren - Baustils
sind schutzwürdig (E. 6). Die dicht an einander errichteten kleinen
Fischerhäuschen in unmittelbarer Seenähe werden geschützt als Zeugen einer
vergangenen Epoche und Tätigkeit sowie als seltene Vertreter dieses besonderen
Siedlungstyps (E. 7). Die beiden Schutzmassnahmen - Teilnutzungsplan und
Unterschutzstellung - sind für die Erhaltung des Objekts nötig (E. 8).

Sachverhalt ab Seite 177

BGE 135 I 176 S. 177

A. A. et B. sont propriétaires des parcelles 556 et 557 de la commune de
St-Sulpice, à proximité immédiate du port des Pierrettes. Sur la première
parcelle se trouve une villa alors que la seconde supporte huit anciens
cabanons de pêcheurs. C. et consorts sont propriétaires de ces cabanons.
En vue d'assurer une protection de l'ensemble des cabanons, la Municipalité de
St-Sulpice a requis plusieurs expertises. Dans un rapport du 15 décembre 1999,
X., conservatrice au Musée du Léman à Nyon, a indiqué que l'ensemble de
pêcheries du site du port des Pierrettes présentait un caractère suffisamment
exceptionnel pour figurer à l'inventaire du patrimoine lémanique. Dans un
préavis du 30 mars 2000, le conservateur cantonal des monuments historiques
s'est rallié à l'appréciation faite dans le rapport précité. Le 28 septembre
2001, un rapport d'expertise émanant de Y., expert de l'Office fédéral de la
culture, a confirmé l'importance du site méritant sauvegarde.
Souhaitant construire une villa sur leurs parcelles, A. et B. ont résilié les
baux d'emplacement des cabanons avec effet au 31 décembre 2000. Depuis lors,
les cabanons sont inoccupés. A. et B. ont obtenu du Juge de paix une défense
publique de pénétrer sur la parcelle 557.
Le 29 novembre 2000, la Municipalité de St-Sulpice a refusé le permis de
construire déposé par A. et B. et tendant au démontage de huit cabanons et à la
construction d'une villa avec garage indépendant sur les deux parcelles 556 et
557 réunies.
BGE 135 I 176 S. 178

B. Par décision du 20 mars 2002, le Département cantonal des infrastructures du
canton de Vaud (ci-après: le Département des infrastructures) a procédé au
classement du site du port des Pierrettes, en vue d'en assurer la sauvegarde et
la conservation.
Le 12 avril 2007, le Département cantonal des institutions et des relations
extérieures (actuellement et ci-après: le Département de l'intérieur) a admis
le recours formé par A. et B. contre la décision de classement. La Municipalité
de St-Sulpice ainsi que les propriétaires des cabanons ont recouru au Tribunal
administratif du canton de Vaud (actuellement la Cour de droit administratif et
public du Tribunal cantonal; ci-après: le Tribunal cantonal) contre cette
décision.

C. Parallèlement à la procédure cantonale de classement, la commune de
St-Sulpice a élaboré un plan partiel d'affectation "Aux Pierrettes - Les Champs
du Lac", adopté par le Conseil communal le 18 septembre 2002. Celui-ci inclut
notamment la parcelle 557, colloquée dans l'aire "des cabanons". Selon l'art.
2.2 du règlement du plan partiel d'affectation, cette aire a un statut de site
protégé. Quant à la parcelle 556, elle a été colloquée en aire de
constructions, avec une possibilité de surface à bâtir allant jusqu'à 25 % de
la superficie totale de la parcelle (art. 3.1 du règlement). La possibilité de
bâtir a ainsi été augmentée de façon importante par rapport à celle autorisée
dans la réglementation en vigueur, d'après laquelle la surface à bâtir de
ladite parcelle ne pourrait excéder 10 % de la surface totale.
Par décision du 12 avril 2007, le Département de l'intérieur a rejeté le
recours de A. et B. contre le plan partiel d'affectation. A. et B. ont déféré
cette décision au Tribunal cantonal.

D. Le 23 mai 2007, le Tribunal cantonal a joint les deux causes, considérant
que la question du classement était liée à celle de l'affectation.
Par arrêt du 4 novembre 2008, il a admis les recours de C. et consorts et de la
Municipalité de St-Sulpice contre la décision relative à l'arrêté de
classement; il a annulé la décision du Département de l'intérieur du 12 avril
2007 et confirmé la décision cantonale de classement du 20 mars 2002. Par
ailleurs, il a très partiellement admis le recours de A. et B. et réformé la
décision d'approbation préalable du Département de l'intérieur du 12 avril 2007
concernant le plan communal d'affectation "Aux Pierrettes - Les Champs du Lac"
en apportant une légère modification à l'art. 2.2 du règlement.
BGE 135 I 176 S. 179

E. A. et B. ont porté leur cause devant le Tribunal fédéral, concluant
principalement à l'annulation de l'arrêt du Tribunal cantonal du 4 novembre
2008.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
(résumé)

Auszug aus den Erwägungen:

Extrait des considérants:

3.

3.1 L'art. 17 de la loi fédérale du 22 juin 1979 sur l'aménagement du
territoire (LAT; RS 700) définit les zones à protéger. Celles-ci comprennent
notamment les localités typiques, les lieux historiques, les monuments naturels
ou culturels (art. 17 al. 1 let. c LAT). Pour ces objets, il appartient aux
cantons de délimiter les zones de protection. Selon l'art. 17 al. 2 LAT, le
droit cantonal peut cependant prescrire d'autres mesures adéquates.
L'adoption d'une zone de protection est la mesure que la LAT envisage en
premier lieu. Non seulement elle permet d'établir clairement la protection, son
but et son régime mais assure, si nécessaire, la coordination avec les autres
intérêts à prendre en compte dans les procédures d'aménagement du territoire.
Cette mesure n'exclut pas que d'autres moyens soient utilisés. La variété des
situations est en effet telle que, parfois, le but de la protection ne serait
pas suffisamment atteint par un zonage au sens de l'art. 17 LAT (PIERRE MOOR,
in Commentaire de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, 1999, n^os
74 et 80 ad art 17 LAT; WALDMANN/HÄNNI, Raumplanungsgesetz, 2006, n^os 27 ss ad
art. 17 LAT). C'est ainsi qu'à côté d'obligations de s'abstenir, lesquelles
peuvent résulter d'un plan de zone classique et du règlement qui l'accompagne,
il peut être nécessaire de poser des obligations de faire (MOOR, op. cit., n°
81 ad art. 17 LAT).
Font notamment partie des autres mesures réservées par l'art. 17 al. 2 LAT les
inventaires et classements, les clauses générales de protection et les clauses
d'esthétiques, les contrats avec les particuliers, l'expropriation formelle
ainsi que les mesures provisionnelles. Les procédures de classement débouchent
sur des régimes de protection impératifs et définissent l'objet protégé ainsi
que les obligations imposées aux propriétaires (MOOR, op. cit., n° 83 ad art.
17 LAT).

3.2 Dans le canton de Vaud, la loi du 4 décembre 1985 sur l'aménagement du
territoire et des constructions (LATC; RSV 700.11)
BGE 135 I 176 S. 180
définit les zones protégées au sens de l'art. 17 al. 1 LAT comme des zones
destinées en particulier à la protection des sites, des paysages d'une beauté
particulière, des rives de lac et de cours d'eau, des réserves naturelles ou
des espaces de verdure; seules peuvent y être autorisées les constructions et
les installations conformes au but assigné à la zone, ne portant pas préjudice
à l'aménagement rationnel du territoire et au site ou imposées par leur
destination, si aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose (art. 54 al. 1 LATC).
De façon plus générale, cette loi prévoit que les plans d'affectation cantonaux
ou communaux peuvent contenir des dispositions relatives aux paysages, aux
sites, aux rives de lacs et de cours d'eau, aux localités et aux ensembles ou
aux bâtiments méritant protection, et elle réserve les mesures prises en
application de loi cantonale sur la protection de la nature, des monuments et
des sites (art. 45 al. 2 let. c et art. 47 al. 2 ch. 2 LATC).
La loi cantonale du 10 décembre 1969 sur la protection de la nature, des
monuments et des sites (LPNMS; RSV 450.11) met sur pied les autres mesures
réservées par l'art. 17 al. 2 LAT. Aux termes de l'art. 4 al. 1 LPNMS, sont
protégés, conformément à la loi, tous les objets, soit tous les territoires,
paysages, sites, localités, immeubles, meubles, qui méritent d'être sauvegardés
en raison de l'intérêt général, notamment esthétique, historique, scientifique
ou éducatif qu'ils présentent. Pour assurer la protection d'un objet digne
d'intérêt au sens de l'art. 4 précité, il peut être procédé à son classement
(art. 20 LPNMS). La décision de classement définit l'objet classé et l'intérêt
qu'il présente, les mesures de protection déjà prises et les mesures de
protection prévues pour sa sauvegarde, sa restauration, son développement et
son entretien (art. 21 LPNMS). Aucune atteinte ne peut être portée à un objet
classé sans autorisation préalable du département compétent (art. 23 LPNMS).
Selon l'art. 29 LPNMS, l'entretien d'un objet classé incombe à son propriétaire
(al. 1); si besoin est, le département compétent lui fixe un délai convenable
pour effectuer les travaux d'entretien nécessaires (al. 2). La décision de
classement permet en outre à l'Etat de procéder par voie contractuelle ou par
voie d'expropriation pour sauvegarder des sites (art. 44 LPNMS). L'Etat dispose
également d'un droit de préemption légal sur les fonds et immeubles classés au
sens de l'art. 20 ss LPNMS (art. 45 LPNMS).

3.3 Le choix des mesures de protection dépend des objectifs de planification ou
de conservation recherchés et des caractéristiques
BGE 135 I 176 S. 181
propres à chaque objet. Il doit aussi tenir compte du principe de la
proportionnalité: lorsque plusieurs mesures permettent d'atteindre l'objectif
visé, l'autorité applique celle qui lèse le moins les intéressés (cf. art. 4
LATC). Ainsi, une décision de classement, qui peut entraîner des restrictions
particulièrement lourdes au droit de propriété par sa durée illimitée (art. 27
LPNMS), par les obligations d'entretien à charge du propriétaire (art. 29 à 31
LPNMS) et par le droit de préemption et d'expropriation qu'elle implique en
faveur de l'Etat (art. 44 et 45 LPNMS), ne s'impose-t-elle que si les mesures
prévues par un plan et un règlement d'affectation ne permettent pas d'atteindre
les objectifs de protection et de conservation recherchés. Il s'agit en
définitive d'assurer la protection dont le principe est posé part l'art. 17 LAT
le mieux possible, c'est-à-dire le plus adéquatement par rapport au but, tel
qu'il ressort de la balance des intérêts et de la situation concrète de l'objet
(MOOR, op. cit., n° 82 ad art. 17 LAT).

4. Quand le litige concerne l'adoption d'une mesure de protection au sens de
l'art. 17 LAT, les parties admises à se prévaloir de la garantie de la
propriété (art. 26 al. 1 Cst.) peuvent se plaindre du fait que les nouvelles
restrictions qui leur sont imposées ne reposent pas sur une base légale, ne
sont pas justifiées par un intérêt public ni conformes au principe de la
proportionnalité (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; cf. ATF 126 I 219 consid. 2a p.
221 et les arrêts cités).

5. Le grief des recourants concernant l'absence de base légale est
manifestement mal fondé. En effet, tant l'art. 17 al. 1 et 2 LAT que les art.
54 LATC et 20 LPNMS permettent aux autorités compétentes de créer des zones à
protéger comprenant le patrimoine bâti et de procéder au classement des
monuments dignes de protection.

6.

6.1 D'après la jurisprudence, les restrictions de la propriété ordonnées pour
protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont en principe
d'intérêt public (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 221; ATF 119 Ia 305 consid. 4b p.
309 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine librement si une mesure
de protection est justifiée par un intérêt public suffisant; il s'impose
toutefois une certaine retenue lorsqu'il doit se prononcer sur de pures
questions d'appréciation ou tenir compte de circonstances locales, dont les
autorités cantonales ont une meilleure connaissance que lui, notamment en
matière de protection des monuments ou des sites (ATF 132 II 408 consid. 4.3
BGE 135 I 176 S. 182
p. 416 et les arrêts cités). Il appartient en effet de façon prioritaire aux
autorités des cantons de définir les objets méritant protection (ATF 126 I 219
consid. 2c p. 222; ATF 120 Ia 270 consid. 3b p. 275; ATF 119 Ia 88 consid. 5c/
bb p. 96; ATF 118 Ia 394 consid. 2b p. 397; cf. aussi ATF 129 I 337 consid. 4.1
p. 344).

6.2 Tout objet ne méritant pas une protection, il faut procéder à un examen
global, objectif et basé sur des critères scientifiques, qui prenne en compte
le contexte culturel, historique, artistique et urbanistique du bâtiment
concerné. Les constructions qui sont les témoins et l'expression d'une
situation historique, sociale, économique et technique particulière, doivent
être conservés. De plus, la mesure ne doit pas être destinée à satisfaire
uniquement un cercle restreint de spécialistes; elle doit au contraire
apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population,
pour avoir en quelque sorte une valeur générale (arrêt 1P.79/2005 du 3
septembre 2005, in ZBl 2007 p. 83; ATF 120 Ia 270 consid. 4a p. 275; ATF 118 Ia
384 consid. 5a p. 389).
En ce qui concerne la protection du patrimoine bâti, l'art. 17 al. 1 let. c LAT
mentionne tout d'abord les "localités typiques", lesquelles sont constituées
par des sites qui groupent en une unité harmonieuse plusieurs constructions qui
s'intègrent parfaitement à leur environnement (PIERRE TSCHANNEN ET AL.,
Erläuterungen zum Bundesgesetz über die Raumplanung, DFJP/OFAT [éd.], 1981, n°
20 ad art. 17 LAT). Il s'agit le plus souvent de parties d'agglomérations -
places, rues - qui se distinguent par leur impression d'ensemble, leur identité
de proportion, de style, d'époque. Quant aux "monuments culturels", ils sont
les témoins de l'artisanat et de l'architecture d'autrefois (par exemple
théâtres romains, châteaux, moulins, anciennes mines, ponts; TSCHANNEN ET AL.,
op. cit., n° 23 ad art. 17 LAT). Actuellement, la tendance est à la
préservation des ensembles (MOOR, op. cit., n° 59 ad art. 17 LAT). Par
ailleurs, le critère esthétique n'est pas le seul à être appliqué; est
également protégé ce qui est typique d'une époque ou représentatif d'un style,
même relativement récent, ce qui permet de sauvegarder des bâtiments
industriels ou commerciaux de notre siècle et qui ne sont pas nécessairement
des oeuvres d'art (cf. ATF 118 Ia 384 consid. 5a p. 389; MOOR, op. cit., n° 59
ad art. 17 LAT; BERNHARD FURRER, Motive und Objekte der heutigen Denkmalpflege,
in Aktuelle Rechtsfragen der Denkmalpflege, 2004, p. 13 ss; WALDMANN/HÄNNI, op.
cit., n° 19 ad art. 17 LAT; WALTER ENGELER, Das Baudenkmal im schweizerischen
Recht, 2008, p. 18 ss).
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Une mesure de protection peut aussi s'imposer pour une construction présentant
un caractère symbolique, par exemple sur le plan typologique. Présentent une
valeur typologique les bâtiments qui sont les rares témoins encore existants
d'une manière de construire, la qualité des objets en question n'étant pas ici
déterminante. Dans certaines circonstances, ce n'est pas un style de
construction historique que le bâtiment représente, mais une certaine époque.
Un édifice ou un ensemble d'édifices peut également devenir significatif du
fait de l'évolution de la situation et d'une rareté qu'il aurait ainsi acquise
(PHILIP VOGEL, La protection des monuments historiques, 1982, p. 24; DIETER VON
REDING, Mesures de protection des sites construits et qualité du milieu bâti,
in VLP-ASPAN Territoire & Environnement 2002, p. 50 s.; ENGELER, op. cit., p.
124 ss et 139 ss).

7.

7.1 Dans le cas particulier, les recourants contestent que les cabanons situés
sur leur parcelle soient dignes de protection. Ils relèvent que ces
constructions sont "de simples capites utilisées par des citadins
essentiellement pour prendre un verre et faire une broche le week-end". Elles
ressemblent aux capites que l'on trouve aux abords des villes, dans les jardins
potagers, et n'ont plus rien à voir avec un village de pêcheurs. Par ailleurs,
l'atmosphère et l'ambiance de ce "village de pêcheurs" sont des notions
immatérielles et ne constituent pas des objets à protéger. Les recourants
émettent en outre des critiques à l'encontre de l'expertise de X., laquelle
n'aurait aucune compétence en matière d'aménagement du territoire. Son rapport
aurait été requis en violation de leur droit d'être entendus et, en tant
qu'expertise privée, n'aurait aucune valeur probante.

7.2 S'agissant de la violation du droit d'être entendu, la motivation
déficiente du grief au regard des exigences de l'art. 106 al. 2 LTF le rend
irrecevable. De toute façon, contrairement à l'avis des recourants, il n'existe
pas un droit à prendre contact avec un expert avant qu'il ne rédige son
rapport. Celui-ci n'est pas une autorité et son expertise n'a pas valeur de
décision. En effet, le rôle de l'expert consiste en l'occurrence dans la
description et la caractérisation des qualités des objets; le jugement global à
prononcer sur le mérite de la protection reste du ressort des autorités
administratives (cf. MOOR, op. cit., n° 28 ad art. 17 LAT). De même, on ne voit
pas pourquoi une expertise privée serait dépourvue de valeur probante dans ce
contexte; il s'agit d'une procédure non contentieuse et aucune forme
particulière n'est imposée aux autorités pour arriver à la conclusion
BGE 135 I 176 S. 184
qu'un site mérite effectivement protection. Finalement, les critiques des
recourants quant aux compétences de X. sont de pures allégations qui ne
permettent pas de mettre en doute la crédibilité du contenu de son rapport,
lequel est du reste confirmé par deux autres expertises. Les recourants ont
largement eu l'occasion de faire valoir leur point de vue quant au contenu de
ces expertises ce qui, du point du vue du droit d'être entendu, apparaît
suffisant.

7.3 Le Tribunal cantonal s'est basé sur les rapports d'expertise de X.,
conservatrice du Musée du Léman, du conservateur cantonal des monuments
historiques et d'un expert de l'Office fédéral de la culture, dont il a
reproduit les principaux extraits, pour décréter qu'il existait un intérêt
digne de protection à la sauvegarde des cabanons de pêcheurs du port des
Pierrettes. Il a estimé n'avoir aucune raison de s'écarter de l'appréciation de
ces expertises, lesquelles mettent en avant le caractère particulier digne de
protection du site, en ce qu'il constitue l'un des derniers témoignages d'une
activité typique de la région lacustre.
Il ressort des expertises que le site des Pierrettes, constitué du port ancien
et d'un groupement compact de treize cabanons de pêcheurs, forme une unité
fonctionnelle. Bien que peu de cabanons servent aujourd'hui encore de dépôt ou
d'atelier aux pêcheurs, ils sont largement exploités par leurs propriétaires
actuels pour de multiples activités liées à la proximité du lac. Compte tenu de
sa dimension, de sa situation par rapport au lac et de sa densité, ce quartier
constitue un site unique sur les rives des lacs suisses. Il a même été qualifié
par l'expert de l'Office fédéral de la culture de "biotope humain" de grande
qualité, quand bien même il ne relevait pas de critères esthétiques usuels.
C'est la concentration exceptionnelle de petites constructions qui est
remarquable à cet endroit, ainsi que l'agencement serré des cabanons sur deux
petites parcelles en relation directe avec le port. Selon X., diminuer le
nombre de ces cabanes, ou ne les conserver que sur l'une des parcelles,
conduirait à un appauvrissement certain du site. L'apparence modeste des
constructions ne saurait être un critère valable pour leur démolition. En
l'occurrence, les experts estiment que ce ne sont pas simplement des
considérations historiques ou architecturales qui sont à prendre en compte mais
bien le témoignage de pratiques vivantes ainsi que l'aspect culturel, et
également pittoresque, du site. De plus, l'expert de l'Office fédéral de la
culture souligne que les mesures de protection vont dans le sens d'un usage
public des rives du lac et de la préservation pour les générations futures
d'une situation unique sur le Léman.
BGE 135 I 176 S. 185
Contrairement à ce que prétendent les recourants, il ne s'agit pas de conserver
une atmosphère et une ambiance mais plutôt de protéger un site dans son
ensemble, en tant qu'il constitue un témoignage important de pratiques passées,
et qui mérite protection comme élément du patrimoine lacustre. Les recourants
se trompent quand ils indiquent que le plan d'affectation prévoit que la
destination des cabanons doit être en relation directe avec l'usage du port de
petite batellerie, l'arrêt attaqué ayant supprimé ce point du règlement. Quoi
qu'il en soit, l'utilisation actuelle des cabanons n'est pas à elle seule
déterminante pour décider si ceux-ci méritent ou non protection. Le fait que
l'activité initiale se soit modifiée n'altère en effet pas le caractère
particulier du site et on peut relever que c'est précisément parce qu'il n'y a
plus de pêcheurs professionnels au port des Pierrettes que le site est
directement menacé. De plus, lorsque des pêcheurs y exerçaient encore leur
activité, les cabanons comportaient déjà une fonction de résidence secondaire
et de détente. Enfin, lors de la mise à l'enquête publique du plan communal
d'affectation, du 25 janvier au 25 février 2002, celui-ci a fait l'objet de peu
d'oppositions et a suscité des réactions positives de la part des citoyens;
plusieurs observations indiquent en effet que la protection du site correspond
aux voeux de la population en général (cf. préavis municipal no 8/02 du 24 juin
2002 relatif au plan partiel d'affectation "Aux Pierrettes - Les Champs du
Lac", p. 6 ss).
Dans ces conditions, on peut admettre, avec les autorités cantonales, que le
site du port des Pierrettes, et en particulier la concentration des petits
cabanons de pêcheurs à proximité immédiate du lac, constitue un patrimoine
digne de protection en tant que témoin d'une activité et d'une époque révolues
et également en raison de ses particularités typologiques et de sa rareté.
L'intérêt public à la sauvegarde du site prime l'intérêt privé des recourants à
utiliser leur fonds pour construire une villa.

8. Les recourants estiment que les mesures de protection adoptées par les
autorités cantonale et communale violent le principe de la proportionnalité. Il
serait inutile et disproportionné d'imposer une mesure de classement alors que
le plan partiel d'affectation serait plus adapté pour imposer l'entretien des
cabanons. Par ailleurs, les mesures seraient inapplicables et inutiles en
raison de la dissociation entre les droits de propriété sur la parcelle et les
cabanons; les cabanistes ne peuvent pas utiliser une parcelle qui ne leur
appartient pas et l'Etat ne peut ni y pénétrer, ni effectuer un entretien dont
il n'obtiendrait de toute façon pas le remboursement.
BGE 135 I 176 S. 186

8.1 Le principe de la proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit
apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne
puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité);
en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige
un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés
compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée
des intérêts; ATF 126 I 219 consid. 2c et les arrêts cités). L'examen, par le
Tribunal fédéral, de la proportionnalité d'une mesure de protection d'un
bâtiment ou d'un site est en principe libre mais, comme pour l'intérêt public,
il s'exerce avec une certaine retenue (cf. consid. 4.1 ci-dessus et la
jurisprudence citée).

8.2 Le plan partiel d'affectation "Aux Pierrettes - Les Champs du Lac" classe
la parcelle 557 en "aire des cabanons", qui a un statut de site protégé. Le
règlement du plan partiel, modifié par l'arrêt attaqué, prévoit à quelles
conditions les cabanons peuvent être reconstruits, en cas de nécessité ou de
destruction. Cette mesure serait ainsi en principe propre à assurer le maintien
des constructions à cet endroit et leur conservation à long terme. Cependant,
dans les circonstances actuelles, le plan partiel d'affectation n'apparaît pas
suffisamment efficace pour assurer la protection du site. Les constructions se
trouvent en effet dans une situation précaire du fait que les recourants ont
obtenu une interdiction civile d'accès à la parcelle 557; les propriétaires des
cabanons ne peuvent donc plus les entretenir et ceux-ci risquent de tomber en
ruine. Le plan partiel d'affectation ne peut de toute manière pas mettre une
obligation de faire à la charge des cabanistes, ni à celle des recourants.
Seule une décision de classement permettrait en revanche d'imposer aux
propriétaires des objets classés une obligation d'entretien (art. 29 LPNMS)
ainsi que de remise en l'état lorsque des modifications ont été apportées sans
autorisation préalable (art. 30 LPNMS). La sauvegarde d'un "village de
pêcheurs" n'a au demeurant de sens que si les cabanons sont occupés, ce qui est
effectivement impossible en l'état, compte tenu des litiges qui opposent les
propriétaires de la parcelle et ceux des cabanons. Si la situation actuelle de
blocage résultant de l'interdiction civile d'accès n'est pas résolue, la mesure
de classement permettra au besoin d'engager une procédure d'expropriation (art.
44 LPNMS), ce qui n'est pas le cas du plan partiel d'affectation. Il s'ensuit
que les deux mesures de protection litigieuses sont nécessaires à la sauvegarde
du site du port des Pierrettes.
BGE 135 I 176 S. 187
Quant aux intérêts privés des recourants, ils ont été pris en compte par les
autorités cantonale et communale. Le plan partiel d'affectation augmente dans
une large mesure les possibilités de bâtir de leur parcelle 556 par rapport à
la réglementation actuelle. De plus, comme ceux-ci peuvent continuer à louer
les emplacements des cabanons, la mesure ne les prive pas de tout avantage
financier. Finalement, la décision de classement, qui prévoit que les cabanons
devront être conservés dans leur gabarit actuel, garantit aux recourants que la
situation actuelle ne sera pas péjorée par d'éventuelles modifications
ultérieures des constructions. Ces éléments constituent une compensation
appréciable en contrepartie des restrictions apportées à leurs droits de
propriété.
La confirmation des mesures litigieuses aboutit à une situation juridique
complexe. L'entretien des cabanons classés ne peut pas être mis à la charge des
recourants, qui n'en sont pas propriétaires; quant aux cabanistes, ils n'ont
pas le droit d'accéder à la parcelle où se trouvent leurs meubles. Il serait
dans l'intérêt des parties de trouver une solution à l'amiable qui permette de
réhabiliter le site; dans le cas contraire, il semblerait que l'expropriation
de la parcelle soit le seul moyen apte à assurer une mise en oeuvre efficace
des mesures de protection.