Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 135 II 328



Urteilskopf

135 II 328

33. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Association
suisse pour la protection des oiseaux (ASPO) et consorts contre Conseil d'Etat
du canton de Fri- bourg (recours en matière de droit public)
1C_408/2008 du 16 juillet 2009

Regeste

Art. 14 und 33 RPG; Rechtsnatur einer "Verordnung" des Staatsrates des Kantons
Freiburg.
Rechtsnatur des Nutzungsplanes (E. 2.1). Angesichts der darin enthaltenen
(ausreichend präzisen und detaillierten) Anordnungen, ist die angefochtene
"Verordnung" materiell gleich zu behandeln wie ein Nutzungsplan; demzufolge
unterliegt sie den Rechtsschutzanforderungen von Art. 33 RPG (E. 2.2).

Sachverhalt ab Seite 328

BGE 135 II 328 S. 328

A. Depuis les années 1920, et jusqu'en 1962, des chalets de vacances ont été
érigés par des privés sur la rive sud du lac de Neuchâtel, dans le domaine
public de l'Etat de Fribourg, sur la base de concessions ou autres
autorisations à bien plaire.
BGE 135 II 328 S. 329
La rive sud du lac de Neuchâtel ("Grande Cariçaie") figure sur différents
inventaires fédéraux, sur celui des paysages, sites et monuments naturels
depuis 1983, sur celui des réserves d'oiseaux d'eau et de migrateurs
d'importance internationale et nationale depuis 1991, sur celui des zones
alluviales d'importance nationale depuis 1992, sur celui des bas-marais
d'importance nationale depuis 1994 et sur celui des sites marécageux d'une
beauté particulière et d'importance nationale depuis 1996.

B. Face au développement des chalets de vacances, le Conseil d'Etat du canton
de Fribourg a adopté, le 1^er juin 1982, le "plan directeur de la rive sud du
lac de Neuchâtel et des rives du lac de Morat" (ci-après: le plan directeur de
1982), prévoyant la suppression progressive, au fur et à mesure de l'expiration
de la durée des autorisations d'utilisation du terrain public, de toutes les
résidences secondaires sises dans les zones protégées. Un arrêté du Conseil
d'Etat du canton de Fribourg du 26 avril 1983 "instaurant des mesures
concernant les maisons de vacances sur le domaine public et privé de l'Etat au
bord du lac de Neuchâtel" et complétant ce plan directeur, prévoyait que les
autorisations d'utiliser le domaine public à l'intérieur des périmètres des
zones naturelles étaient incessibles et non renouvelables et qu'elles
arriveraient à échéance le 31 décembre 1998. Ce délai a toutefois été repoussé
au 31 décembre 2008 par arrêté du 24 juin 1997.

C. Le 6 mars 2002, la Direction des travaux publics de l'Etat de Fribourg
(actuellement la Direction de l'aménagement, de l'environnement et des
constructions) a adopté un "plan d'affectation cantonal des réserves naturelles
sur la rive sud du lac de Neuchâtel". Ce plan d'affectation ne règle pas
expressément le sort des chalets de vacances, mais réserve à ce sujet "la
législation spéciale".
En date du 27 novembre 2007, le Conseil d'Etat a édicté une ordonnance
abrogeant l'arrêté du 26 avril 1983 et instituant un "contrat nature"
permettant la pérennisation des chalets. Moyennant la signature d'un "contrat
nature" avec l'Etat de Fribourg, chaque actuel propriétaire de chalet pourra
continuer à occuper les lieux sa vie durant, et après lui son conjoint ou
partenaire enregistré et leurs descendants en ligne directe. Le 27 novembre
2007 également, le Conseil d'Etat a modifié le plan directeur de 1982, en ce
que l'obligation de suppression progressive des chalets de vacances a été
complétée par la mention "sous réserve de la conclusion de contrats nature
selon l'ordonnance du 27 novembre 2007".
BGE 135 II 328 S. 330

D. Le 24 janvier 2008, l'Association suisse pour la protection des oiseaux
(ci-après: l'ASPO), Pro Natura, Pro Natura Fribourg, le WWF Suisse et le WWF
Fribourg ont recouru auprès de la II^e Cour administrative du Tribunal cantonal
du canton de Fribourg (ci-après: le Tribunal cantonal) contre l'ordonnance du
Conseil d'Etat du 27 novembre 2007 "relative à l'établissement d'un contrat
nature pour les chalets de vacances sur le domaine de l'Etat au bord du lac de
Neuchâtel" et contre l'arrêté du Conseil d'Etat du 27 novembre 2007 modifiant
le "plan directeur de la rive sud du lac de Neuchâtel et des rives du lac de
Morat", dans la mesure où ces deux actes portent sur les chalets de vacances
sis sur le domaine de l'Etat de Fribourg, à l'intérieur des réserves naturelles
dans les communes de Font, Forel et Delley-Portalban. Par arrêt du 12 août
2008, le Tribunal cantonal a déclaré le recours irrecevable. Il a considéré en
substance que l'ordonnance et l'arrêté litigieux n'étaient pas des décisions
susceptibles de recours mais des actes généraux et abstraits. Le droit
fribourgeois ne connaissant pas le contrôle abstrait des normes, le recours
devait être déclaré irrecevable.

E. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, l'ASPO, Pro
Natura, Pro Natura Fribourg, le WWF Suisse et le WWF Fribourg (ci-après: les
recourants ou l'ASPO et consorts) demandent au Tribunal fédéral d'annuler
l'arrêt du Tribunal cantonal et de retourner le dossier à celui-ci pour qu'il
statue sur le fond du recours du 24 janvier 2008. Les recourants estiment que
les deux actes litigieux ont un caractère décisionnel et que dès lors la
compétence du Tribunal cantonal est donnée. (...)
Le Tribunal fédéral a admis le recours dans la mesure de sa recevabilité,
annulé l'arrêt attaqué et renvoyé la cause au Tribunal cantonal.
(extrait)

Auszug aus den Erwägungen:

Extrait des considérants:

2. Les recourants considèrent que le Tribunal cantonal a rendu à tort un
prononcé d'irrecevabilité. Ils estiment que les actes attaqués ont un caractère
décisionnel évident et que, dès lors, le refus du Tribunal cantonal de leur
reconnaître la qualité pour agir consacrerait une violation de l'art. 111 LTF
et de l'art. 12 LPN.
Le Tribunal cantonal a, au contraire, qualifié l'ordonnance du 27 novembre 2007
d'acte normatif, au motif qu'elle ne portait pas sur un
BGE 135 II 328 S. 331
objet déterminé, mais sur le champ d'application, la conclusion et les effets
juridiques des "contrats nature". Par conséquent, le recours devait être
déclaré irrecevable, dès lors qu'à l'exception des règlements communaux, le
Tribunal cantonal n'est pas habilité à procéder au contrôle abstrait des normes
(Revue fribourgeoise de jurisprudence [RFJ] 1993 p. 329). Les juges cantonaux
ont également considéré que l'arrêté du Conseil d'Etat du 27 novembre 2007
faisait partie du "plan directeur intercantonal du 1^er juin 1982 de la rive
sud du lac de Neuchâtel et des rives du lac de Morat", lequel constituait un
plan directeur sectoriel qui selon la législation fribourgeoise n'était pas
susceptible de recours (art. 76 al. 2 de la loi du 9 mai 1983 sur l'aménagement
du territoire et les constructions [RSF 710.1]).
La contestation porte donc uniquement sur la qualification juridique de
l'ordonnance et de l'arrêté du Conseil d'Etat du 27 novembre 2007.

2.1 En droit public, la notion de "décision" au sens large vise habituellement
toute résolution que prend une autorité et qui est destinée à produire un
certain effet juridique ou à constater l'existence ou l'inexistence d'un droit
ou d'une obligation; au sens étroit, c'est un acte qui, tout en répondant à
cette définition, intervient dans un cas individuel et concret (ATF 106 Ia 65
consid. 3). A teneur de l'art. 4 al. 1 du code de procédure et de juridiction
administrative du canton de Fribourg du 23 mai 1991 (CPJA; RSF 150.1), sont
considérées comme des décisions "les mesures de caractère obligatoire prises
dans un cas d'espèce en application du droit public et qui ont pour objet de
créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations (let. a), de
constater l'existence, l'inexistence ou le contenu de droits ou d'obligations
(let. b) ou de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à
créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c)".
Cette disposition définit la notion de décision de la même manière que l'art. 5
al. 1 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative
(PA; RS 172.021; BENOÎT BOVAY, Procédure administrative, 2000, p. 77).
Au contraire, ce qui caractérise les actes normatifs est le fait qu'ils sont
généraux et abstraits. Un acte est général lorsqu'il s'applique à un nombre
indéterminé de personnes. Il est abstrait lorsqu'il se rapporte à un nombre
indéterminé de situations ou, en d'autres termes, lorsque le nombre de ses cas
d'application peut varier durant la période de sa validité (AUER/HOTTELIER/
MALINVERNI, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 2^e éd. 2006, n° 1733 s.).
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Il existe toutefois des actes qui se situent entre la norme et la décision, et
dont la nature juridique précise doit être déterminée de cas en cas. Il en va
ainsi du plan d'affectation (ATF 121 II 317 consid. 12c p. 346). Selon la
jurisprudence du Tribunal fédéral, un plan d'affectation peut être assimilé
matériellement à une décision lorsqu'il contient des mesures suffisamment
détaillées pouvant préjuger d'une procédure d'autorisation subséquente (arrêts
1C_153/2007 du 6 décembre 2007 consid. 1.3; 1A.44/1991 du 19 novembre 1992
consid. 1a, non publié in ATF 118 Ib 485; cf. ATF 132 II 209 consid. 2.2.2 p.
214; ATF 129 I 337 consid. 1.1 p. 339; ATF 123 II 231 consid. 2 p. 234; ATF 121
II 72 consid. 1b p. 75 et les arrêts cités). Ainsi, un plan d'affectation
spécial réglant la protection des marais et des sites marécageux d'une beauté
particulière et d'importance nationale a été qualifié matériellement de
décision, au sens de l'art. 5 PA, fondée sur le droit fédéral de la protection
de la nature et du paysage (ATF 124 II 19 consid. 1a, in DEP 1998 p. 31; cf.
ZBl 97/1996 p. 122 consid. 1a p. 124 et les références citées).

2.2 En l'occurrence, l'ordonnance du 27 novembre 2007 règle "la situation des
chalets de vacances construits sur le domaine public ou privé de l'Etat au bord
du lac de Neuchâtel" (art. 1). L'article 3 de ladite ordonnance prévoit que les
autorisations, accordées à bien plaire, en vue de l'utilisation du domaine
public et privé de l'Etat pour des chalets de vacances dans les périmètres des
réserves naturelles du plan d'affectation cantonal prennent fin le 31 décembre
2008, à moins qu'un "contrat nature" soit conclu. L'article 6 définit le
"contrat nature" comme étant un contrat de droit administratif entre l'Etat
propriétaire du fonds et un propriétaire de chalet qui règle les droits et les
obligations des propriétaires qui veulent maintenir leurs chalets de vacances
au-delà du 31 décembre 2008 (al. 1 et 2). Les articles 6 à 10 de l'ordonnance
du 27 novembre 2007 fixent l'objet du contrat, les principes, la durée et la
résiliation, le contrôle et l'exécution des mesures. Il en ressort que la
surface mise à disposition du propriétaire est louée, que l'utilisation des
constructions et des surfaces extérieures est soumise à des restrictions, que
les aménagements existants doivent être régularisés voire supprimés s'ils sont
contraires aux buts de protection, que les travaux aux chalets se limitent aux
travaux d'entretien, que les contrats conclus pour cinq ans sont renouvelables
et que les bâtiments faisant l'objet du contrat peuvent être transmis aux
descendants en ligne directe du bénéficiaire, son conjoint ou son partenaire
enregistré.
BGE 135 II 328 S. 333
L'ordonnance du 27 novembre 2007 règle donc les droits et les obligations des
propriétaires de chalets de vacances sur le territoire des communes de Font, de
Forel et de Delley-Portalban de façon concrète, impérative et contraignante,
sans laisser de marge de manoeuvre aux intéressés soumis à l'obligation de
conclure ledit contrat sous peine de devoir démolir leurs chalets. Par
conséquent, les "contrats nature" subséquents ne devront plus que préciser les
noms des propriétaires et la désignation du chalet de vacances, qui sont par
ailleurs connus. De plus, les chalets ont été localisés et cadastrés: leur
nombre est strictement limité aux constructions existantes, toute nouvelle
édification étant expressément exclue. L'ordonnance ne s'applique dès lors pas
à un nombre indéterminé de situations. Le cercle des propriétaires est
également défini et connu de l'Etat.
Sur le vu des mesures suffisamment précises et détaillées qu'elle contient,
l'ordonnance litigieuse doit être assimilée matériellement à un plan
d'affectation. En effet, comme un plan d'affectation, elle règle l'utilisation
du sol (art. 14 al. 1 LAT [RS 700]) en déterminant de façon contraignante pour
chaque parcelle, le mode, le lieu et la mesure de l'utilisation admissible du
sol (cf. ATF 123 II 91 consid. 1a/aa p. 91; WALDMANN/HÄNNI, Raumplanungsgesetz,
2006, n° 3 ad art. 14 LAT; PIERRE MOOR, in Commentaire de la loi fédérale sur
l'aménagement du territoire, 1999, n° 1 ad art. 14 LAT et les références
citées). S'ajoute à cela le fait que le règlement du 6 mars 2002 accompagnant
le plan d'affectation cantonal des réserves naturelles sur la rive sud du lac
de Neuchâtel prévoit à son article 12 que "la situation des résidences
secondaires existantes est réglée par la législation spéciale". L'ordonnance du
27 novembre 2007 peut ainsi être comprise comme étant la "législation réservée"
par ledit article. Partant, elle est soumise aux exigences prévues par l'art.
33 LAT en matière de protection juridique. Cet article ordonne en effet aux
cantons de prévoir au moins une voie de recours contre les décisions et les
plans d'affectation fondés sur la LAT et sur les dispositions cantonales et
fédérales d'exécution, auprès d'une autorité ayant un libre pouvoir d'examen.

2.3 Quant à l'arrêté du 27 novembre 2007, il se fonde sur l'ordonnance du même
jour et y opère un renvoi. Il n'a pas de portée propre. Dès lors, l'annulation
de l'ordonnance aurait pour conséquence que les modifications apportées au plan
directeur de 1982 n'auraient plus de portée. Il convient donc de rattacher son
sort à celui de ladite ordonnance.
BGE 135 II 328 S. 334

2.4 En définitive, le jugement attaqué viole le droit fédéral en tant qu'il
déclare le recours d'ASPO et consorts irrecevable, au motif que les objets du
recours cantonal sont des actes généraux et abstraits. Il doit par conséquent
être annulé. Il convient de renvoyer la cause au Tribunal cantonal pour qu'il
statue sur les autres conditions de recevabilité et sur les arguments de fond
développés contre l'ordonnance et l'arrêté du Conseil d'Etat du 27 novembre
2007.