Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 135 III 597



Urteilskopf

135 III 597

87. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause A.X. contre
Y. (recours en matière civile)
4A_15/2009 du 15 septembre 2009

Regeste

Art. 400 Abs. 1 OR, Art. 321 StGB und Art. 13 BGFA.
Verpflichtung zur Rechenschaftsablegung des Beauftragten und Berufsgeheimnis
des Anwalts (E. 3).

Sachverhalt ab Seite 597

BGE 135 III 597 S. 597

A. A.X. est la fille de H.X. et de son épouse F.X. Celui-là avait des biens
auprès de plusieurs banques en Suisse, et il a chargé Me Y. , avocat à Genève,
de pourvoir à diverses affaires en Suisse et au Liechtenstein.
Déjà avant la disparition de F.X., un différend s'est élevé entre H.X. et sa
fille: celle-ci l'accusait d'avoir fait, secrètement, d'importantes libéralités
avec des biens de la communauté matrimoniale, de nature à léser ses propres
expectatives successorales. Après le décès de sa mère et le partage de la
succession, A.X. persista à réclamer des renseignements sur les avoirs de ses
parents en Suisse, et H.X. chargea alors Me Y. de la défense de ses intérêts.
A.X. est l'unique héritière de son père, également disparu. Elle s'est adressée
à Me Y. pour l'informer du décès et pour révoquer tout mandat et toute
procuration qui lui étaient éventuellement confiés par le défunt, et exiger la
conservation de tous les documents en sa possession.
BGE 135 III 597 S. 598

B. A.X. a ouvert action contre Me Y. devant le Tribunal de première instance du
canton de Genève. Le défendeur devait être condamné à rendre compte de toutes
les opérations qui lui avaient été confiées en relation avec les biens des
époux X. ou de H.X., telles que, en particulier, des donations ou des
opérations de compensation; le défendeur devait aussi rendre compte de tous
actifs immobiliers ou mobiliers ayant appartenu, directement ou indirectement,
à la communauté des époux X. ou à H.X. seulement. La demanderesse se prétendait
en droit d'obtenir le relevé de toutes les opérations effectuées du vivant de
ses parents, dans la mesure où elle pourrait exiger, sur la base du droit
étranger applicable à leurs successions, la réduction des libéralités entre
vifs faites par eux.
Le défendeur a présenté une demande de levée du secret professionnel à la
Commission du barreau qui est, dans le canton de Genève, l'autorité de
surveillance des avocats. En dépit de l'action en reddition de compte et des
motifs allégués à l'appui de cette action, la Commission a considéré que la
révélation des faits couverts par le secret ne se justifiait pas; en
conséquence, elle a rejeté la demande.
Le Tribunal de première instance a rejeté l'action en tant que les
renseignements et documents voulus relevaient du secret professionnel de
l'avocat; il l'a accueillie pour le surplus. Le jugement spécifie les
renseignements et documents à fournir par le défendeur.
La demanderesse a appelé de ce jugement pour contester que le secret
professionnel lui fût opposable et réclamer une documentation et des
informations plus étendues. La Cour de justice a rejeté l'appel et confirmé le
jugement.
Agissant par la voie du recours en matière civile, la demanderesse a saisi le
Tribunal fédéral de conclusions correspondant - en substance sinon dans leur
libellé - à celles déjà prises devant la Cour de justice.
Le Tribunal fédéral a délibéré en public le 15 septembre 2009; il a rejeté le
recours.
(résumé)

Auszug aus den Erwägungen:

Extrait des considérants:

3. L'art. 400 al. 1 CO oblige le mandataire à rendre compte de sa gestion au
mandant, en tout temps et à la demande de celui-ci, et à lui restituer tout ce
qu'il a reçu du chef de cette gestion, à quelque titre que ce soit. La
demanderesse fait valoir qu'elle a succédé à
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son père dans tous ses droits de mandant envers le défendeur, et elle fonde sa
demande de renseignements et de documents sur cette disposition. Le droit de
tout héritier d'exiger des renseignements sur les biens de la succession,
consacré par la jurisprudence relative aux art. 607 al. 3 et 610 al. 2 CC (ATF
132 III 677 consid. 4 p. 684), est présentement hors de cause car les
successions des époux X. ne sont pas soumises au droit suisse.

3.1 En règle générale, selon l'art. 402 al. 1 CO, le mandat se termine à la
mort du mandant. La demanderesse a de plus révoqué, comme le permet l'art. 401
al. 1 CO, celui confié par son père au défendeur. Néanmoins, le droit à la
reddition de compte subsiste après la fin du mandat et il se transmet aux
héritiers du mandant (ATF 133 III 664 consid. 2.5 p. 667). Les précédents juges
ont en principe reconnu ce droit à la demanderesse, et ils ont partiellement
admis ses prétentions; ce point n'est plus litigieux. En l'état de la
contestation, il est seulement nécessaire de déterminer si le secret
professionnel de l'avocat est opposable à l'héritière du client décédé, et
justifie de retrancher, de l'ensemble des renseignements et documents relatifs
au mandat, ceux couverts par ce secret.
Le Tribunal fédéral a depuis longtemps jugé que les banquiers ne peuvent pas
opposer le secret bancaire aux héritiers de leurs clients passés de vie à
trépas, parce que ces héritiers sont devenus les maîtres du secret (ATF 82 II
555 consid. 7 p. 567; ATF 133 III 664 consid. 2.5). Le droit aux renseignements
porte au minimum sur tout ce qui concerne le patrimoine du client disparu; le
banquier est autorisé à retenir les renseignements strictement personnels qui
lui étaient éventuellement confiés (ATF 133 III 664 consid. 2.5; voir aussi ATF
74 I 485 consid. 2 p. 493; ATF 89 II 87 consid. 6 p. 93). La demanderesse se
réfère à ces principes; selon son argumentation, ils doivent être transposés
sans changement au secret professionnel de l'avocat.

3.2 Selon l'opinion la plus répandue en doctrine, le secret professionnel de
l'avocat est pleinement opposable aux héritiers du client décédé; l'autorité de
surveillance compétente peut éventuellement le lever et l'avocat est alors
libre, s'il trouve cela convenable, de fournir des renseignements aux
héritiers. Les auteurs expliquent parfois que, de son vivant, le client avait
le droit de délier l'avocat de son secret professionnel, que ce droit était
strictement personnel et qu'il ne s'est donc pas transmis aux héritiers (BOHNET
/MARTENET,
BGE 135 III 597 S. 600
Droit de la profession d'avocat, 2009, p. 782, n^os 1919 à 1921; HANS VEST, in
Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 2008, n° 28 ad art. 321 CP;
WALTER FELLMANN, in Kommentar zum Anwaltsgesetz, 2005, n° 73 ad art. 13 LLCA;
GIOVANNI TESTA, Die zivil- und standesrechtlichen Pflichten des Rechtsanwaltes
gegenüber dem Klienten, 2001, p. 147 let. c et p. 149 in initio; FAVRE/
STOUDMANN, Le secret professionnel de l'avocat et ses limites, in L'avocat
moderne, 1998, p. 305; LORENZ ERNI, Anwaltsgeheimnis und Strafverfahren, in Das
Anwaltsgeheimnis 4, 1997, p. 15 n° 29; LELIO VIELI, Der Anwalt als Partei im
Zivilrecht, in Das Anwaltsgeheimnis 2, 1994, p. 47 in medio et p. 61 let. dd;
JÜRG BOLL, Die Entbindung vom Arzt- und Anwaltsgeheimnis, 1983, p. 104; PAUL
WEGMANN, Die Berufspflichten des Rechtsanwalts unter besonderer
Berücksichtigung des zürcherischen Rechts, 1969, p. 171).
Certains auteurs consacrent une mention particulière aux circonstances
éventuellement connues de l'avocat et propres à intéresser personnellement les
héritiers, telles que les dispositions à cause de mort prises par le défunt,
les biens de la succession et les dettes qui la grèvent. Selon l'une de ces
contributions, ces éléments ne sont pas couverts par le secret professionnel à
l'encontre des héritiers, et ceux-ci ont donc le droit d'être renseignés
(BERNARD CORBOZ, Le secret professionnel de l'avocat selon l'art. 321 CP, SJ
1993 p. 92). Selon les autres études, l'intérêt des héritiers justifie
seulement que l'autorité de surveillance, si l'avocat l'en requiert, autorise
la communication de ces mêmes éléments (BOHNET/MARTENET, op. cit., n° 1919,
avec référence à la jurisprudence de divers cantons; VEST, loc. cit.; WEGMANN,
op. cit., p. 174). On envisage parfois que les héritiers puissent s'adresser
eux-mêmes à l'autorité de surveillance (BOHNET/MARTENET, ibid.; opinion
contraire: BERNARD BERTOSSA, Le secret professionnel de l'avocat, SJ 1981 p.
322 ch. 2), mais nul ne met en doute que l'avocat, même délié du secret
professionnel, demeure libre de se taire entièrement. Enfin, selon un avis
isolé, les héritiers du client ont le droit de tout apprendre, sans aucune
restriction, du mandat auparavant confié à l'avocat (GEORG GAUTSCHI, in
Commentaire bernois, 3^e éd. 1971, n° 16d ad art. 398 CO).

3.3 Tout mandataire assume, même s'il ne l'a pas expressément promis, une
obligation de garder le silence sur les faits dont la divulgation pourrait être
préjudiciable au mandant (FELLMANN, Commentaire bernois, 4^e éd. 1992, n^os 42
et 43, 63 et 64 ad art. 398 CO).
BGE 135 III 597 S. 601
Celui-ci est donc en droit d'exiger du mandataire qu'il lui rende compte de sa
gestion et, simultanément, qu'il garde le silence envers les tiers. Ces deux
prétentions coexistent et, au décès du mandant, elles passent l'une et l'autre
aux héritiers (sur la transmission du droit au silence: FELLMANN, op. cit., n°
80 ad art. 398 CO). Le mandataire ne saurait donc, après la disparition du
mandant, opposer l'obligation de garder le silence à celle de rendre compte aux
héritiers; il est au contraire le débiteur de ces deux obligations.
L'avocat est en outre soumis au secret professionnel selon les art. 321 CP et
13 de la loi fédérale du 23 juin 2000 sur la libre circulation des avocats (Loi
sur les avocats, LLCA; RS 935.61). Selon cette première disposition, une
violation du secret professionnel engage la responsabilité pénale de l'avocat.
A la différence de l'obligation contractuelle de garder le silence, le secret
professionnel ne couvre pas toutes les affaires que l'avocat s'est chargé de
gérer; il porte seulement sur ce qui relève de l'activité professionnelle
spécifique d'un avocat, et d'autres services qui pourraient aussi être fournis
par des gérants de fortune, des fiduciaires ou des banquiers, tels que
l'administration de sociétés et la gestion de fortune ou de fonds, en sont
exclus (ATF 112 Ib 606; voir aussi ATF 132 II 103 consid. 2.1 p. 105; ATF 120
Ib 112 consid. 4 p. 119). La Commission du barreau a dûment souligné cette
délimitation.
Par rapport à l'obligation contractuelle de garder le silence, le secret
professionnel se distingue sur un autre point encore, essentiel dans la
présente affaire: aux termes de l'art. 321 ch. 2 CP, la révélation de faits
couverts par le secret n'est licite que dans deux éventualités strictement
définies, réalisées lorsque l'avocat a fait la révélation avec le consentement
du client, ou lorsque, sur proposition de l'avocat, l'autorité de surveillance
l'a autorisée par écrit. L'art. 321 ch. 3 CP réserve une hypothétique
législation fédérale ou cantonale qui obligerait l'avocat à témoigner en
justice ou à renseigner des autorités. Ainsi, au regard de l'art. 321 CP, les
héritiers du client ne jouissent d'aucune prérogative particulière; ils
demeurent étrangers à la relation ayant existé entre l'avocat et le client
décédé, et ce conseil est tenu, sauf à encourir une sanction pénale s'il
subsiste un lésé susceptible de déposer plainte, de leur opposer le secret
professionnel. Sous menace des sanctions disciplinaires prévues par l'art. 17
LLCA, l'art. 13 LLCA oblige aussi l'avocat à observer le secret professionnel à
l'encontre des tiers, sans limitation dans le temps,
BGE 135 III 597 S. 602
c'est- à-dire aussi à l'encontre de l'héritier du client. Cette dernière
disposition précise textuellement que même s'il est délié du secret
professionnel, l'avocat n'est pas tenu de révéler les faits concernés.

3.4 Le secret professionnel de l'avocat est donc institué et régi par des
dispositions particulières de droit fédéral, édictées dans l'intérêt général
parce que ce secret est un élément important de la protection de l'ordre
juridique et de l'accès à la justice (BOHNET/MARTENET, op. cit., p. 744 n^os
1804 à 1807; FELLMANN, Kommentar zum Anwaltsgesetz, n° 4 ad art. 13 LLCA; voir
aussi WALTER SCHLUEP, Über Sinn und Funktionen des Anwaltsgeheimnisses im
Rechtsstaat, in Das Anwaltsgeheimnis 1, 1994, p. 37 n^os 44 et 45, p. 51 n°
63). Ces dispositions particulières priment les règles générales concernant le
contrat de mandat, en tant qu'elles ne concordent pas entièrement avec ces
dernières. Il s'ensuit que, conformément à l'opinion de la doctrine presque
unanime, le secret professionnel est opposable aux héritiers du client. En
particulier, ce secret fait échec à l'action en reddition de compte fondée sur
l'art. 400 al. 1 CO, lorsque celle-ci est intentée par les héritiers du client
et qu'elle porte sur des renseignements que l'avocat recherché avait recueillis
dans son activité professionnelle spécifique.
La demanderesse ne met pas en doute que les précédents juges aient correctement
distingué, parmi les services fournis à son père par le défendeur, entre ce qui
relevait de l'activité professionnelle spécifique d'un avocat et ce qui
relevait d'autres activités. Pour le surplus, le défendeur n'a pas obtenu
d'être délié du secret professionnel, et de toute manière, il était en droit de
refuser les informations et documents demandés. La décision présentement
attaquée, rejetant partiellement l'action en reddition de compte, est donc
conforme au droit fédéral.