Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 134 III 570



Urteilskopf

134 III 570

89. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause République
du Congo-Brazzaville contre X. (recours en matière civile)
4A_214/2008 du 9 juillet 2008

Regeste

Gerichtsbarkeits-Immunität eines fremden Staates; Arbeitsvertrag.
Zusammenfassung der anwendbaren Grundsätze, namentlich, wenn der fremde Staat
einen Arbeitsvertrag abgeschlossen hat (E. 2). Ein Einsatz als Rechtsexperte im
Rahmen einer Kommission der Vereinten Nationen stellt keine untergeordnete
Tätigkeit dar; die Gerichtsbarkeits-Immunität des arbeitgebenden Staates muss
im Falle eines Rechtsstreites anerkannt werden (E. 3).

Sachverhalt ab Seite 571

BGE 134 III 570 S. 571

A. X., originaire du Congo-Brazzaville où il est né en 1959, a acquis la
citoyenneté britannique avant 2003. Depuis cette année-là, il vit à Genève.
A l'occasion de la 60^e session de la Commission des Droits de l'Homme
organisée à Genève sous les auspices de l'ONU, la République du
Congo-Brazzaville s'est vu confier la tâche de coordonner les travaux pour
l'Afrique dans ce domaine. Dans ce cadre-là, l'Ambassadeur et Représentant
permanent de cet Etat auprès de l'ONU a engagé, le 5 avril 2004, X. en qualité
de "Secrétaire bureautique bilingue" avec le statut "d'agent du personnel local
de l'Ambassade et de la Mission permanente". Dans une note du 7 avril 2004
adressée au Ministre des Affaires étrangères, l'Ambassadeur a expliqué avoir dû
s'adjoindre les services de X., "citoyen britannique d'origine congolaise en
qualité d'expert-juriste bilingue pour renforcer la Mission dans l'énorme et
délicate tâche de la coordination des droits de l'homme pour l'Afrique". Le 13
janvier 2005, X. et l'Ambassadeur ont signé un second contrat de travail
attestant l'engagement du premier en qualité de "Secrétaire bureautique
bilingue" pendant trois ans pour un salaire mensuel de 5'000 fr. En date du 16
mars 2005, le Ministère des Affaires étrangères de la République du
Congo-Brazzaville a promulgué un arrêté confirmant l'engagement de X. au poste
de "secrétaire bilingue".
X. a assumé sa mission d'expert juriste bilingue au sein de la Commission des
Droits de l'Homme pour le compte de la République du Congo-Brazzaville, en
tenant compte des instructions que l'Ambassadeur lui faisait communiquer au
besoin. Dans le cadre de ses fonctions, il est arrivé à X. d'utiliser la
mention de "Senior Human Rights Lawyer/Expert", laquelle figurait également sur
sa carte de visite. A une reprise et après avoir appelé l'Ambassadeur, il a
représenté la République du Congo-Brazzaville au sein de la Commission lors
d'un vote, au cours duquel il s'est abstenu.
Dès juin 2005, X. a attiré l'attention de l'Ambassadeur sur le fait qu'il
n'avait reçu qu'une partie de la rémunération convenue; d'autres rappels ont
suivi.
Le 28 juillet 2005, l'Ambassadeur a signifié à X. une "note de cessation de
service" selon laquelle il était mis fin "aux fonctions de Monsieur X., membre
du Personnel local engagé en qualité de secrétaire bilingue". Le conseil de ce
dernier a dénoncé le caractère abusif de la résiliation.
BGE 134 III 570 S. 572

B. Par mémoire du 20 mars 2006 adressé au Tribunal des prud'hommes du canton de
Genève, X. a ouvert action contre la République du Congo-Brazzaville en
paiement de 212'704 fr., à titre de salaires dus et d'indemnité pour
congé-représailles.
La défenderesse a soulevé l'exception d'immunité de juridiction.
Par jugement du 9 juillet 2007, le Tribunal des prud'hommes a déclaré la
demande irrecevable.
Statuant le 4 avril 2008 sur appel de X., le Président de la Cour d'appel des
prud'hommes du canton de Genève a annulé le jugement de première instance,
débouté la République du Congo-Brazzaville de son exception d'immunité, déclaré
la demande recevable et renvoyé la cause au Tribunal des prud'hommes pour
compléter au besoin l'instruction et statuer sur le fond. Il a retenu que X.
occupait un poste subalterne, essentiellement au motif qu'il n'avait pas le
statut de diplomate, devait régulièrement rendre compte à l'Ambassadeur et
recevait des instructions de ce dernier.

C. La République du Congo-Brazzaville a interjeté un recours en matière civile.
Elle concluait à ce qu'il fût constaté que la juridiction des prud'hommes était
incompétente pour connaître du litige et à ce que X. fût débouté de toutes ses
conclusions.
Le Tribunal fédéral a admis le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

Extrait des considérants:

2.

2.1 Il n'est pas contesté que la compétence des autorités suisses doit être
appréciée en l'espèce à la lumière des règles générales du droit international
public relatives à l'immunité de juridiction, telles que dégagées par la
jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 124 III 382 consid. 4a p. 388; ATF 120
II 400 consid. 3d in fine p. 405/406).

2.2 De tout temps, la jurisprudence suisse a marqué une tendance à restreindre
le domaine de l'immunité des Etats. Le principe de l'immunité de juridiction
n'est pas une règle absolue. L'Etat étranger n'en bénéficie que lorsqu'il agit
en vertu de sa souveraineté (jure imperii). En revanche, il ne peut pas s'en
prévaloir s'il a agi comme titulaire d'un droit privé ou au même titre qu'un
particulier (jure gestionis); en ce cas, l'Etat étranger peut être assigné
devant les tribunaux suisses, à condition toutefois que le rapport de droit
privé auquel il est partie soit rattaché de manière suffisante au territoire
suisse
BGE 134 III 570 S. 573
(Binnenbeziehung). Les actes accomplis jure imperii (ou actes de souveraineté)
se distinguent des actes accomplis jure gestionis (ou actes de gestion) non par
leur but, mais par leur nature intrinsèque. Il convient ainsi de déterminer, en
recourant si nécessaire à des critères extérieurs à l'acte en cause, si
celui-ci relève de la puissance publique ou s'il s'agit d'un rapport juridique
qui pourrait, dans une forme identique ou similaire, être conclu entre deux
particuliers (ATF 124 III 382 consid. 4a p. 388/389; ATF 120 II 400 consid. 4a
et b p. 406/407).
En matière de contrat de travail, la jurisprudence admet que, si l'Etat
accréditant peut avoir un intérêt important à ce que les litiges qui l'opposent
à des membres de l'une de ses ambassades exerçant des fonctions supérieures ne
soient pas portés devant des tribunaux étrangers, les circonstances ne sont pas
les mêmes lorsqu'il s'agit d'employés subalternes. En tout cas, lorsque
l'employé n'est pas un ressortissant de l'Etat accréditant et qu'il a été
recruté puis engagé au for de l'ambassade, la juridiction du for peut être
reconnue dans la règle. L'Etat n'est alors pas touché dans l'exercice des
tâches qui lui incombent en sa qualité de titulaire de la puissance publique (
ATF 120 II 400 consid. 4a p. 406, ATF 120 II 408 consid. 5b p. 409/410; ATF 110
II 255 consid. 4 p. 261).
Pour décider si le travail accompli par une personne qui est au service d'un
Etat ressortit ou non à l'exercice de la puissance publique, il faut partir de
l'activité en cause. En effet, à défaut de législation déterminant quelles
fonctions permettent à l'Etat accréditant de se prévaloir, à l'égard de leurs
titulaires, de son immunité, la désignation de la fonction exercée ne saurait
être, à elle seule, un critère décisif. Aussi bien, selon les tâches qui lui
sont confiées, tel employé apparaîtra comme un instrument de la puissance
publique alors que tel autre, censé occuper un poste identique, devra être
classé dans la catégorie des employés subalternes (ATF 120 II 408 consid. 5b p.
410).
La qualification d'emploi subalterne a notamment été donnée aux postes de
chauffeur, de portier, de jardinier, de cuisinier (ATF 120 II 400 consid. 4b p.
406), de traducteur-interprète (ATF 120 II 408 consid. 5c p. 410/411),
d'employé de bureau (ATF 110 II 255 consid. 4a p. 261), de femme de ménage
(arrêt 4C.338/2002 du 17 janvier 2003, consid. 4.2, publié in Revue de droit du
travail et d'assurance-chômage [DTA] 2003 p. 92) et d'employée de maison (arrêt
4C.73/1996 du 16 mai 1997, publié in Jahrbuch des Schweizerischen Arbeitsrechts
[JAR] 1998 p. 298); il s'agit de fonctions relevant
BGE 134 III 570 S. 574
essentiellement de la logistique, de l'intendance et du soutien, sans influence
décisionnelle sur l'activité spécifique de la mission dans la représentation du
pays.

3.

3.1 L'intimé possède la nationalité britannique et résidait à Genève lorsqu'il
a été engagé par la recourante. Quoi qu'il en dise, ces circonstances ne font
pas obstacle en l'espèce à l'immunité de juridiction de la recourante. En
effet, l'intimé est né au Congo-Brazzaville, dont il est originaire. Comme la
recourante le relève sans être contredite par l'intimé, ce dernier est
également citoyen congolais, aucun élément de l'arrêt attaqué ne permettant de
retenir que l'intéressé aurait abandonné sa nationalité d'origine. Au
demeurant, la règle de la juridiction du for en faveur des employés engagés sur
place et possédant une nationalité autre que celle de l'Etat accréditant, n'est
pas absolue. En l'occurrence, une exception était, en tout état de cause,
justifiée en raison des liens personnels que l'intimé entretient avec le
Congo-Brazzaville et qui ont, parmi d'autres facteurs, motivé son engagement
selon la note du 7 avril 2004 de l'Ambassadeur.

3.2 L'intimé a été engagé en raison de ses compétences de juriste bilingue
spécialiste des droits de l'homme. Il devait renforcer la Mission de la
recourante afin de permettre à cette dernière d'assumer la coordination des
travaux de la Commission des Droits de l'Homme pour le continent africain,
tâche qui revenait au Congo-Brazzaville cette année-là. L'intimé a accompli sa
mission d'expert sous la direction et selon les directives de l'Ambassadeur,
qui les lui transmettait directement ou par l'entremise du Ministre conseiller
rattaché à la Mission. L'intimé a pris part à des réunions où siégeaient des
diplomates; il a préparé des propositions et assuré la coordination entre
diverses Missions africaines; à une occasion, il a, en accord avec
l'Ambassadeur, représenté la recourante à l'occasion d'un vote de la Commission
des Droits de l'Homme.
En sa qualité d'expert, l'intimé jouait un rôle significatif au sein de la
délégation officielle de la recourante auprès d'une commission importante des
Nations Unies, ce qui ressort notamment des contacts noués par l'intéressé avec
les Missions d'autres Etats africains et du fait qu'il a été appelé à
représenter formellement la recourante lors d'un vote de la Commission. Certes,
l'intimé devait régulièrement faire rapport à l'Ambassadeur et ce dernier lui
donnait des directives.
BGE 134 III 570 S. 575
Mais cette situation n'a rien d'exceptionnel pour une personne travaillant au
service d'une ambassade ou d'une mission; on ne saurait déduire de cette
circonstance que ladite personne occupe des fonctions subalternes comparables à
celle du personnel de service. Même s'il ne jouissait pas du pouvoir
décisionnel, l'intimé, en tant qu'expert chargé de tâches spécifiques, avait
manifestement une influence sur les décisions prises par le chef de mission
dans une activité diplomatique à un haut niveau. A cet égard, ni la
spécialisation de l'activité, ni l'absence de statut diplomatique n'excluent
que la personne en cause occupe une fonction supérieure.
Selon le contrat l'engageant "en qualité d'expert-consultant", l'intimé devait,
entre autres, faire preuve de ponctualité, de tenue dans le service et de
serviabilité. Il s'agit certes d'une clause que l'on s'attend plutôt à trouver
dans le contrat de travail d'un employé subalterne. Elle apparaît toutefois
manifestement comme une clause standard insérée dans les contrats du personnel
local, statut sous lequel l'intimé pouvait être engagé. Au demeurant, ce ne
sont pas ces exigences et les termes utilisés qui sont déterminants pour
qualifier la nature de la fonction examinée, mais bien l'activité réellement
exercée. Or, telles que décrites ci-dessus, les tâches confiées à l'intimé ne
permettent pas de considérer celui-ci comme un employé subalterne de la
Mission.
Sur le vu de ce qui précède, l'immunité de juridiction de la recourante doit
être reconnue en l'espèce. Par conséquent, le recours est admis, l'arrêt
attaqué est annulé et la demande de l'intimé est irrecevable, faute de
compétence des autorités judiciaires suisses pour en connaître.