Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 134 III 534



Urteilskopf

134 III 534

84. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause X. contre Y.
(recours en matière civile)
4A_190/2008 du 10 juillet 2008

Regeste

Haftung des Anwalts (Art. 398 Abs. 2 OR). Unter dem Gesichtspunkt der Haftung
des Beauftragten bestimmt grundsätzlich die Veröffentlichung in der Amtlichen
Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts den Zeitpunkt,
von dem an ein Anwalt eine neue Rechtsprechung kennen müsste (E. 3.2).

Sachverhalt ab Seite 534

BGE 134 III 534 S. 534

A.

A.a X., ressortissant portugais né le 16 octobre 1964, est arrivé à Genève en
1981. Dès le 1^er octobre 1982, il a été engagé dans un restaurant
universitaire en qualité de garçon d'office, puis, à partir du 1^er juillet
1983, comme commis de cuisine.
Le 13 août 1984, le scooter où X. avait pris place comme passager a été
renversé par un camion. La responsabilité du sinistre incombe entièrement au
chauffeur du camion et à la société qui employait ce dernier, laquelle est
assurée en responsabilité civile par l'assurance V. (ci-après: V. ou
l'assurance).
X. a subi une fracture médio-diaphysaire transverse du fémur droit, une
arthrotomie traumatique avec fracture parcellaire du bord externe de la rotule
et une entorse grave du genou droit. Ces lésions ont nécessité de nombreuses
interventions chirurgicales jusqu'en 1995. L'employeur du prénommé a mis fin à
leur relation de travail pour le 28 février 1986.

A.b Reconnu invalide à 100 % dans son métier de commis cuisinier par les
médecins, X. a perçu une rente entière de l'assurance-invalidité (AI) du 1^er
août 1985 jusqu'au mois d'avril 2003, terme où l'office cantonal AI, sur la
base de nouvelles évaluations de sa capacité
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de travail, a décidé de lui supprimer tout droit à une rente. Tous les essais
de réadaptation professionnelle qu'il a entrepris ont échoué.
La capacité résiduelle de travail de X. dans une autre activité avait été
estimée à 75 % par le Dr A. le 8 avril 1997. Selon une expertise psychiatrique
effectuée en été 1999 par le Dr B., X. ne présentait aucun symptôme dépressif,
mais "se cantonn(ait) dans son rôle et son statut de semi-invalide, utile à la
bonne marche du ménage".
X. s'est marié en 1991; il a deux enfants, nés en 1993 et 1998.

A.c A la suite de l'accident dont il a été victime, X. avait confié jusqu'à la
fin 1998 la défense de ses intérêts à Me C. Le 8 janvier 1999, en raison de la
complexité du dossier, il a mandaté l'avocat genevois Y. aux fins de l'assister
dans le litige qui l'opposait à V., laquelle avait jusque-là refusé de
l'indemniser pour les dommages qu'il affirmait avoir subis en raison du
sinistre.
L'avocat Y. a ainsi rédigé en juin 1999 pour son client un projet de demande
contre V., qui tendait au paiement d'un montant total de 687'544 fr. 45, se
décomposant en 202'244 fr. 60 à titre de perte de gain passée, 435'645 fr. en
réparation de la perte de gain future, 18'454 fr. 85 pour les frais d'avocat
encourus et 31'200 fr. à titre de tort moral. Ce document ne faisait pas état
d'un préjudice ménager.
Après avoir pris connaissance du projet, V., par courrier du 25 septembre 2000,
a proposé de verser à X. une somme de 20'000 fr. pour solde de tout compte et
de toutes prétentions à raison de l'accident du 13 août 1984.
Y. s'est entretenu avec X. de la proposition de l'assurance, que le premier
avait pu entre-temps faire augmenter à 40'000 fr., net de frais d'avocats. Le
16 novembre 2000, ce conseil a écrit à son client que la proposition en cause
lui semblait intéressante, à considérer les risques générés par l'ouverture
d'un procès contre V.
Avec l'accord et pour le compte de X., l'avocat Y. a conclu le 20 décembre 2000
trois conventions d'indemnisation avec V. en règlement du sinistre survenu le
13 août 1984. Ces conventions prévoyaient le versement d'indemnités de 40'000
fr. à X., de 7'000 fr. en faveur de l'avocate C. et de 3'000 fr. au bénéfice de
l'avocat Y. Moyennant paiement de ces montants, X. reconnaissait avoir été
complètement indemnisé de toutes les conséquences du sinistre et renonçait à
toute réclamation envers quiconque.

A.d Dans le courant de l'année 2003, X. a reproché à Y. d'avoir violé son
obligation de diligence dans le cadre du mandat qui lui avait
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été confié par le fait qu'il avait omis d'invoquer, lors des pourparlers avec
l'assurance, l'existence d'un dommage ménager. L'avocat précité a contesté
avoir violé le contrat de mandat et affirmé que son ancien mandant n'avait subi
aucun dommage ménager.
Sans reconnaissance de responsabilité et par gain de paix, V., en tant
qu'assureur de la responsabilité civile de l'avocat Y., a proposé, par courrier
du 24 mai 2004, de verser à X. un montant supplémentaire de 24'600 fr. Ce
dernier n'a pas accepté cette offre.
Par la suite, V. s'est déclarée prête, par une fiction, de reconnaître que la
convention d'indemnisation allouant 40'000 fr. à X. n'avait pas été signée et
de rediscuter avec le précité l'intégralité de l'indemnisation due pour le
sinistre du 13 août 1984. Cette suggestion n'a trouvé aucun écho.

B. Par demande du 4 septembre 2006, X. a ouvert action contre l'avocat Y.
devant le Tribunal de première instance de Genève, requérant paiement de
499'426 fr. 40 à titre de dommages-intérêts, avec intérêts à 5 % l'an dès le 20
décembre 2000. Le demandeur a fait valoir qu'en raison de l'accident il est
limité dans une mesure de 40 % dans ses activités ménagères (obligation
d'éviter les montées et descentes d'escaliers et le port de lourdes charges,
impossibilité de marcher plus d'une heure et de jouer avec les enfants,
difficultés à faire les commissions). Il soutient dès lors qu'il aurait pu
légitimement réclamer à V. la réparation de son dommage ménager, qu'il évalue à
499'426 fr. 40, si l'avocat Y. n'avait pas omis ce poste dans son projet de
demande de juin 1999.
Le défendeur s'est opposé à la demande. Il a en particulier exposé qu'à
supposer que le demandeur ne soit pas à même d'effectuer certaines tâches
ménagères, ce qu'il conteste au demeurant, ce dernier ne pouvait pas lui faire
grief de n'avoir pas réclamé réparation du préjudice ménager à l'assureur du
responsable de l'accident, dès l'instant où, à l'époque où les transactions ont
été passées avec l'assurance, soit en décembre 2000, une indemnité pour un tel
préjudice n'avait encore jamais été octroyée à un homme par la jurisprudence.
Par jugement du 27 septembre 2007, le Tribunal de première instance a
entièrement débouté le demandeur des fins de sa demande en paiement.
Statuant sur l'appel formé par X., la Chambre civile de la Cour de justice du
canton de Genève, par arrêt du 14 mars 2008, a confirmé le jugement du 27
septembre 2007.
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C. X. exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l'arrêt
cantonal. Il conclut principalement à l'annulation de cette décision et à ce
que la cause soit retournée à la cour cantonale pour instruction et nouveau
jugement au sens des considérants de la juridiction fédérale. Subsidiairement,
il requiert que le défendeur soit condamné à lui verser la somme de 499'426 fr.
40, plus intérêts à 5 % dès le 20 décembre 2000.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable.

Auszug aus den Erwägungen:

Extrait des considérants:

3.

3.2

3.2.1 Il est établi que le demandeur, afin que ses droits soient défendus
envers la compagnie qui assurait la responsabilité civile de la société
employant le chauffeur de poids lourd responsable de l'accident du 13 août
1984, a chargé l'avocat intimé le 8 janvier 1999 de l'assister dans le litige
qui l'opposait à cette assurance, et notamment de négocier avec celle-ci des
conventions d'indemnisation.
Les plaideurs ont donc conclu un contrat de mandat au sens des art. 394 ss CO (
ATF 127 III 357 consid. 1a; ATF 117 II 563 consid. 2a). Ce point ne fait
l'objet d'aucune discussion.

3.2.2 En sa qualité de mandataire, l'avocat est tenu à la bonne et fidèle
exécution du mandat (art. 398 al. 2 CO). Il répond à l'endroit de son mandant
s'il lui cause un dommage en violant ses obligations de diligence et de
fidélité (ATF 127 III 357 consid. 1b et les références). S'il n'est pas tenu à
une obligation de résultat, il doit accomplir son activité selon les règles de
l'art. Mais il ne répond pas des risques spécifiques qui sont liés à la
formation et à la reconnaissance d'une opinion juridique déterminée. Sous cet
angle, il exerce une tâche à risque, dont il sied de tenir compte en droit de
la responsabilité civile. En particulier, il ne saurait voir engager sa
responsabilité pour chaque mesure ou omission qui se révèle a posteriori comme
ayant provoqué le dommage ou qui aurait pu éviter sa survenance. C'est aux
parties de supporter les risques du procès; elles ne peuvent pas les transférer
sur les épaules de leur conseil (ATF 127 III 357 ibidem; ATF 117 II 563 consid.
2a).
Le degré de diligence qui incombe au mandataire ne doit pas se déterminer une
fois pour toutes, mais en fonction des capacités, des
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connaissances techniques et des aptitudes propres de ce dernier que le mandant
connaît ou aurait dû connaître. Ce sont les circonstances concrètes de
l'affaire qui importent à cet égard. Savoir si la manière d'agir d'un avocat
doit être qualifiée de conforme ou non à son devoir de diligence résulte d'une
pesée appréciative entre, d'une part, le risque engendré par le métier d'avocat
et, d'autre part, l'autorité renforcée dont il est revêtu à l'égard de son
client (ATF 127 III 357 consid. 1c).
A la lumière de ces principes jurisprudentiels, il convient d'examiner si
l'intimé a enfreint son obligation de diligence en n'élevant pas pour le compte
du recourant des prétentions en réparation du dommage domestique lorsqu'il a
négocié et conclu avec l'assurance les conventions d'indemnisation du 20
décembre 2000.

3.2.3

3.2.3.1 Il sied préalablement de définir la notion juridique de dommage
domestique.
La partie qui est victime d'une lésion corporelle (cf. art. 46 CO) peut être
atteinte non seulement dans sa capacité de gain, mais également dans sa
capacité de travail, particulièrement celle se rapportant à des activités non
rémunérées, telles que la tenue du ménage ainsi que les soins et l'assistance
fournis aux enfants. Il est alors question de dommage domestique ou de
préjudice ménager (ATF 131 III 360 consid. 8.1; ATF 129 III 135 consid. 4.2.1).
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, ce type de préjudice donne droit à
des dommages-intérêts en application de l'art. 46 al. 1 CO, peu importe qu'il
ait été compensé par une aide extérieure, qu'il occasionne des dépenses accrues
de la personne partiellement invalide, qu'il entraîne une mise à contribution
supplémentaire des proches ou que l'on admette une perte de qualité des
services prodigués jusque-là (ATF 132 III 321 consid. 3.1; ATF 131 III 360
consid. 8.1). Ce dommage est dit normatif (ou abstrait), car il est admis sans
que soit établie une diminution concrète du patrimoine du lésé (ATF 132 III 321
consid. 3.1).

3.2.3.2 Depuis 1931, le Tribunal fédéral, écartant tout doute exprimé
jusqu'alors par certains auteurs et quelques précédents cantonaux, considère
que l'incapacité de travail d'une femme (mariée), qui n'exerçait avant le
sinistre dont elle a été victime aucune activité lucrative mais effectuait des
travaux ménagers, constitue bien pour celle-ci un dommage subi dans sa
personne, qui doit être indemnisé en application du droit de la responsabilité
civile (ATF 57 II 94 consid. 4b p. 102/103, 555 consid. 2).
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Cette jurisprudence, qui avait trait aux femmes mariées tenant le ménage de la
famille, a été maintes fois confirmée par la suite (cf. p. ex. ATF 69 II 334
consid. 3c; ATF 85 II 350 consid. 6; ATF 99 II 221 consid. 2; ATF 113 II 345
consid. 2 p. 350 s.; beaucoup plus récemment: ATF 127 III 403 consid. 4b). L'
ATF 108 II 434 consid. 3 - qui ne se rapportait nullement au travail ménager
effectué par un homme, comme l'affirme le recourant, mais à la perte de soutien
due au veuf dont l'épouse qui tenait le ménage est décédée - est conforme aux
précédents susrappelés.
Tenant compte du fait que la répartition de l'ensemble des tâches ménagères
entre l'homme et la femme est devenue une réalité au sein de nombreuses
familles au cours de la fin du 20^e siècle, le Tribunal fédéral, dans l'arrêt
de principe du 19 décembre 2002 publié au Recueil officiel (ATF 129 III 135
consid. 4.2.1), a reconnu que le préjudice domestique devait être indemnisé,
cela quelle que soit la personne qui est atteinte dans sa capacité d'effectuer
des activités ménagères, autrement dit non seulement si c'est l'épouse, mais
également si c'est le mari qui devient incapable de s'occuper du ménage et/ou
des enfants. Il a ainsi jugé que le lésé, en l'occurrence un homme âgé de 32
ans lorsqu'il a été grièvement blessé dans un accident de la circulation
routière, avait droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice
ménager, car il participait activement aux tâches du ménage (nettoyage,
cuisine, lessive, courses et garde de l'enfant du couple).

3.2.3.3 Sous l'angle de la responsabilité du mandataire, on ne peut pas exiger
d'un avocat qu'il prenne connaissance de tous les arrêts du Tribunal fédéral
accessibles par internet ou de tous les arrêts et articles publiés dans les
nombreuses revues juridiques existant en Suisse. Le Tribunal fédéral publie ses
arrêts de principe au Recueil officiel (art. 58 al. 1 du règlement du Tribunal
fédéral du 20 novembre 2006 [RS 173.110.131], pris en application de l'art. 27
al. 3 LTF; sous l'empire de l'OJ, cf. art. 18 du règlement du Tribunal fédéral
du 14 décembre 1978 [RO 1979 p. 52]). C'est donc la publication dans ce recueil
qui, en règle générale, est déterminante pour dire à partir de quel moment un
avocat devrait avoir connaissance d'une nouvelle jurisprudence.
Il résulte de l'analyse historique présentée au consid. 3.2.3.2 ci-dessus que
le 20 décembre 2000, jour où l'intimé a conclu avec l'assurance les conventions
d'indemnisation incriminées, la nouvelle
BGE 134 III 534 S. 540
jurisprudence du Tribunal fédéral, d'après laquelle un homme peut, selon les
circonstances, réclamer l'indemnisation de son dommage ménager, n'avait pas été
publiée au Recueil officiel; comme on l'a vu, elle ne l'a été qu'en 2003, à l'
ATF 129 III 135 ss. Dans ce contexte, on ne peut pas faire grief à l'intimé de
n'avoir pas connu la jurisprudence en matière de réparation du dommage ménager.
Il est tout à fait possible qu'avant la publication de l'arrêt précité au
Recueil officiel, certains arrêts cantonaux et divers articles juridiques parus
dans différents médias aient prôné la réparation du préjudice domestique qu'a
subi à l'occasion d'un sinistre un homme prenant part à la tenue du ménage.
Mais il ne s'agissait pas alors d'un principe juridique consacré par la
jurisprudence publiée au Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral.
C'est donc à bon droit que la Cour de justice a nié que le défendeur ait mal
exécuté son obligation de mandataire dans le cas présent.

3.2.4 Ce résultat dispense le Tribunal fédéral d'examiner les critiques du
recourant dirigées contre l'absence d'élément subjectif de responsabilité.