Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 134 III 497



Urteilskopf

134 III 497

79. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause X. et Y.
contre Z. SA (recours en matière civile)
4A_61/2008 du 22 mai 2008

Regeste

Alleinvertretungsvertrag; Kundschaftsentschädigung. Unter bestimmten
Voraussetzungen kann dem Alleinvertreter in analoger Anwendung von Art. 418u OR
eine Kundschaftsentschädigung zugesprochen werden (Präzisierung der
Rechtsprechung; E. 4).

Sachverhalt ab Seite 497

BGE 134 III 497 S. 497

A.

A.a X. (ci-après: la recourante n° 1 ou la distributrice), société de droit
tchèque, a été fondée en juillet 1991 et inscrite au registre du commerce de
Prague; son but consiste, notamment, dans l'achat et la revente de
marchandises. A. en est la gérante.
Constituée en 1993, Y. (ci-après: la recourante n° 2 ou la distributrice), qui
a son siège à Bratislava, est une société de droit slovaque active, entre
autres domaines, dans le commerce de gros et de détail de produits cosmétiques.
Elle est gérée par A. et B.
Z. SA (ci-après: l'intimée ou la concédante) a été inscrite le 12 janvier 1988
au registre du commerce du canton de Genève. Cette société anonyme, qui a
changé plusieurs fois de raison sociale, fabrique et vend des produits
cosmétiques et de soins corporels, fournit des conseils aux distributeurs de
ces produits et exploite des marques de renom.

A.b Le 3 mars 1992, l'intimée et la recourante n° 1 ont signé un accord de
distribution valable jusqu'au 31 décembre 1994 et reconductible ensuite d'année
en année, sauf résiliation écrite signifiée 90 jours avant l'échéance.
Par ce contrat, soumis au droit suisse et à la juridiction des tribunaux
helvétiques, l'intimée a octroyé à la recourante n° 1 le droit
BGE 134 III 497 S. 498
exclusif de vendre des parfums de marque sur le territoire de la
Tchécoslovaquie, avec certaines exceptions. Il était prévu que toute commande
de marchandises ne serait acceptée qu'à réception d'une confirmation écrite de
la concédante et que les factures seraient établies après la livraison des
produits. Cependant, la concédante se réservait le droit, moyennant préavis, de
modifier les prix des produits ainsi que les conditions de livraison et de
crédit.
De son côté, la distributrice s'engageait, entre autres obligations, à
effectuer des achats minimaux de marchandise par année; à payer le prix de
vente de la marchandise livrée par la concédante; à déployer tous ses efforts
afin de promouvoir la vente des produits de celle-ci dans son rayon
d'exclusivité et, pour ce faire, à dépenser une somme au moins égale à 10 % des
ventes nettes des produits; à maintenir un stock moyen pour une durée de trois
mois; à présenter tous les mois un rapport sur les ventes et les stocks, ainsi
qu'une liste indiquant les contrats de vente par client; à fournir des
renseignements sur l'activité des concurrents; à permettre la consultation de
ses livres et registres, de même que des inspections et des audits, par tout
représentant de la concédante.
Une clause de l'accord de distribution excluait que les activités déployées de
part et d'autre dans ce cadre-là puissent déboucher sur la création de
relations d'agence entre les deux partenaires, chacun d'eux agissant comme
entrepreneur indépendant.
A l'extinction des rapports contractuels, la distributrice devait cesser toute
activité de vente des produits de la concédante et cette dernière reprendre les
marchandises stockées en état d'être vendues qu'elle lui avait livrées moins de
douze mois avant la fin du contrat.

A.c A la suite de la partition de la Tchécoslovaquie en deux républiques, les
parties ont signé, le 8 janvier 1993, un amendement prévoyant que le territoire
de distribution s'étendait à la Tchéquie et à la Slovaquie. Pour la même
raison, la recourante n° 2 a été créée. Ce n'est toutefois qu'à partir de
l'automne 1999 que l'intimée a traité directement avec cette société, sans
passer par l'intermédiaire de la recourante n° 1.

A.d Les relations commerciales entre les parties ont été bonnes jusqu'au
printemps 2001, époque à laquelle l'intimée a procédé à une réorganisation
interne qui a donné lieu à des difficultés dans l'organisation de la livraison
des marchandises commandées par les recourantes.
BGE 134 III 497 S. 499
Par lettre du 25 juin 2001, l'intimée a résilié l'accord de distribution la
liant à la recourante n° 1 avec effet au 31 décembre 2001. Elle en a fait de
même à l'égard de la recourante n° 2 par lettre du 10 septembre 2001.

B. Le 6 novembre 2002, les recourantes ont assigné l'intimée devant les
tribunaux genevois. La recourante n° 1 a conclu, notamment, au paiement de
170'197 fr., intérêts en sus, à titre d'indemnité pour la clientèle. La
recourante n° 2 a requis le paiement de 157'335 fr., plus intérêts, au même
titre.
L'intimée a conclu à sa libération totale des fins de la demande.
Le Tribunal de première instance a débouté les recourantes de leurs conclusions
par jugement du 8 mars 2007.
Saisie par les recourantes, la Chambre civile de la Cour de justice genevoise,
statuant par arrêt du 14 décembre 2007, a confirmé le jugement de première
instance.

C. Les recourantes ont formé un recours en matière civile contre ledit arrêt
afin de se voir allouer les conclusions qu'elles avaient soumises aux instances
précédentes.
Admettant partiellement le recours, le Tribunal fédéral a renvoyé le dossier à
la cour cantonale afin qu'elle examine la question du montant de l'indemnité
pour la clientèle réclamée par les recourantes, qu'elle rende une décision sur
ce point dans le sens des considérants de l'arrêt fédéral et qu'elle statue à
nouveau sur les dépens de la procédure cantonale.

Auszug aus den Erwägungen:

Extrait des considérants:

4. Les recourantes font encore grief à la Chambre civile de leur avoir refusé à
tort une indemnité pour la clientèle, qu'elle aurait dû leur allouer par
application analogique de l'art. 418u CO.

4.1 Aux termes de la disposition citée, lorsque l'agent, par son activité, a
augmenté sensiblement le nombre des clients du mandant et que ce dernier ou son
ayant cause tire un profit effectif de ses relations d'affaires avec ces
clients même après la fin du contrat, l'agent ou ses héritiers ont droit, à
moins que ce ne soit inéquitable, à une indemnité convenable, qui ne peut pas
leur être supprimée par convention (al. 1). Cette indemnité ne peut cependant
pas dépasser le gain annuel net résultant du contrat et calculé d'après la
moyenne des cinq dernières années ou d'après celle de la durée entière du
contrat si celui-ci a
BGE 134 III 497 S. 500
duré moins longtemps (al. 2). Aucune indemnité n'est due lorsque le contrat a
été résilié pour un motif imputable à l'agent (al. 3).
Le Tribunal fédéral a jugé que l'indemnité pour la clientèle ne constitue pas
une rémunération supplémentaire pour des prestations fournies par l'agent en
cours de contrat, mais qu'elle représente une compensation de la valeur
commerciale dont le mandant peut continuer à profiter après la fin du contrat;
il s'agit non pas d'indemniser l'agent, c'est-à-dire de réparer un dommage
qu'il subit, mais de lui fournir une contre-prestation pour le profit que le
mandant réalise, même après la fin du contrat d'agence, du fait que le nombre
de ses clients a augmenté grâce à l'activité de l'agent (ATF 122 III 66 consid.
3d p. 72; ATF 110 II 280 consid. 3b et les références).
Les trois conditions, à la réalisation desquelles la loi subordonne l'octroi
d'une indemnité pour la clientèle - augmentation sensible du nombre des
clients, profit effectif en résultant pour le mandant ou son ayant cause et
caractère non inéquitable d'une telle attribution (au sujet de ces conditions,
cf. arrêt 4C.218/2005 du 3 avril 2006, consid. 4 à 6, avec de nombreuses
références) -, sont cumulatives (arrêt 4C.236/1993 du 23 août 1994, consid. 2
et la jurisprudence citée). Il appartient à l'agent d'établir la réalisation
des deux premières, même s'il est vrai que la preuve du profit effectif tiré
par le mandant ne doit pas être soumise à des exigences trop sévères (ATF 103
II 277 consid. 2 p. 281). En revanche, c'est au mandant qu'il incombe de
prouver que l'indemnité est inéquitable ou qu'elle doit être réduite par
rapport au gain annuel de l'agent (SUZANNE WETTENSCHWILER, Commentaire bâlois,
Obligationenrecht I, 4^e éd., n. 15 ad art. 418u CO; DOMINIQUE DREYER,
Commentaire romand, n. 15 ad art. 418u CO).
Le montant de l'indemnité convenable, au sens de l'art. 418u al. 1 CO, est fixé
équitablement par le juge (art. 4 CC), compte tenu de l'ensemble des
circonstances pertinentes du cas concret (ATF 84 II 529 consid. 2 et 8; PIERRE
TERCIER, Les contrats spéciaux, 3^e éd., n. 5210; pour une énumération des
critères entrant en ligne de compte, cf. WETTENSCHWILER, op. cit., n. 13 ad
art. 418u CO). Il est toutefois plafonné ex lege au gain annuel net résultant
du contrat et calculé d'après la moyenne des cinq dernières années lorsque le
contrat a atteint ou dépassé cette durée (cf. art. 418u al. 2 CO). Par gain
annuel net, il faut entendre le gain réalisé par l'agent après déduction de
tous les frais qu'il a engagés à cet effet. Lorsque ceux-ci sont égaux ou
supérieurs aux provisions touchées par l'agent, ce gain est nul et toute
indemnité refusée à l'agent (ATF 84 II 164 consid. 5 in fine).
BGE 134 III 497 S. 501

4.2

4.2.1 Dans un arrêt déjà ancien, rendu le 15 mai 1962 (ATF 88 II 169 consid.
7), le Tribunal fédéral a jugé que l'art. 418u CO ne s'appliquait pas, par
analogie, au contrat de représentation exclusive. Il a relevé, à l'appui de
cette position, que l'indemnité prévue par la disposition citée suppose que les
clients de l'agent deviennent les clients du mandant. Or, tel n'est pas le cas
dans le contrat de représentation exclusive. Le représentant n'est, en effet,
pas tenu de mettre son mandant, au cours ou à l'expiration du contrat, au
bénéfice de cette valeur économique qui constitue le fondement de l'indemnité
de clientèle. Sur un plan plus général, le Tribunal fédéral a encore souligné
que l'art. 418u CO est une disposition singulière dans le système du droit
civil suisse, en tant qu'elle contraint une partie, qui a exécuté toutes ses
obligations, à rétribuer son cocontractant pour des avantages qu'elle retire de
l'exécution du contrat après que celui-ci a pris fin, de sorte qu'il n'y a pas
lieu d'en étendre le champ d'application. Il a toutefois réservé des situations
spéciales dans lesquelles l'analogie avec le contrat d'agence pourrait
s'étendre à d'autres points que la résiliation. Ce serait le cas, par exemple,
lorsque le fournisseur se réserve un droit de contrôle très large et oblige le
représentant à s'intégrer dans son organisation de vente, à le renseigner ou à
lui céder son fonds de clientèle à la fin du contrat. Depuis lors, le Tribunal
fédéral n'a pas procédé à un réexamen de sa jurisprudence en la matière.
L'auteur qui soutient le contraire, au motif que la jurisprudence aurait été
infléchie dans un sens favorable à l'application analogique de l'art. 418u CO
au contrat de représentation exclusive, a tort (CHRISTIANA FOUNTOULAKIS,
Agentur- und Fachhändlerverträge und aktuelle Probleme, in Vertriebsverträge,
Oliver Arter [éd.], Berne 2007, p. 49 ss, 95 s.). Le précédent invoqué par cet
auteur pour étayer semblable thèse n'émane pas de la juridiction suprême du
pays mais d'une cour cantonale (jugement rendu le 21 mai 2002 par le Tribunal
cantonal valaisan, publié in Revue valaisanne de jurisprudence [RVJ] 2003 p.
282 ss). Il n'est pas non plus exact de prétendre, comme le font deux auteurs
(MARC AMSTUTZ/WALTER SCHLUEP, Commentaire bâlois, Obligationenrecht I, 4^e éd.,
n. 145 ad Einl. vor Art. 184 ff., p. 968), que le Tribunal fédéral aurait
confirmé, dans l'arrêt 4C.130/2004 du 18 juin 2004, sa jurisprudence
restrictive touchant l'application analogique de l'art. 418u CO au contrat de
représentation exclusive. De fait, l'arrêt en question ne concerne pas cette
disposition, mais l'art. 418g al. 2 CO .
BGE 134 III 497 S. 502
Autant que l'on puisse en juger, les tribunaux cantonaux, dans une
jurisprudence assez rare du reste, ne se sont guère montrés favorables à
l'application analogique préconisée par les recourantes (cf., p. ex., l'arrêt
saint-gallois publié in RSJ 54/1958 p. 187 n. 109, l'arrêt genevois publié in
SJ 1970 p. 33 ss, l'arrêt tessinois publié in Rep 1978 p. 327 ss, l'arrêt
argovien publié in Aargauische Gerichts- und Verwaltungsentscheide [AVGE] 1995
p. 27 ss et l'arrêt neuchâtelois publié in Recueil de jurisprudence
neuchâteloise [RJN] 1995 p. 81 ss). C'est à la notable exception du Tribunal
cantonal valaisan qui, dans l'arrêt précité, a alloué une indemnité pour la
clientèle à un représentant exclusif. Se fondant notamment sur l'opinion de
MARTINE BÉNÉDICT (Le contrat de concession de vente exclusive, thèse Lausanne
1974, p. 71 s.) et sur celle d'IVAN CHERPILLOD (La fin des contrats de durée,
publication n° 10 du CEDIDAC, Lausanne 1988, n. 318), les juges valaisans
soulignent que la réalité dément souvent l'hypothèse voulant que le concédant
ne profite plus de la clientèle du concessionnaire postérieurement à la
résiliation du contrat. En effet, lorsque ce dernier a été conclu pour assurer
la distribution de produits commercialisés sous la marque du concédant, plus la
marque est notoire, plus la personnalité du vendeur s'efface derrière celle-ci.
Aussi, dans une telle situation, le représentant exclusif, qui déploie ses
efforts en vue d'acquérir des clients pour la marque du concédant, procure-t-il
indirectement une clientèle à son fournisseur. Celui-ci tire un profit effectif
du travail accompli par son cocontractant si la clientèle reste attachée à la
marque et qu'il faille s'attendre, en raison de la nature des produits, à ce
qu'elle revienne couvrir ses besoins auprès du concédant ou d'un nouveau
représentant de ce dernier. En ce cas, l'application analogique de l'art. 418u
CO au contrat de concession de vente exclusive se justifie, selon les
magistrats valaisans, pour qui le montant de l'indemnité doit être fixé en
équité par le juge suivant les critères et dans le respect du plafond prévus
pour la fixation de l'indemnité de clientèle due à l'agent (RVJ 2003 p. 282,
consid. 4d).

4.2.2 La doctrine est partagée sur la réponse à donner à la question
controversée. On y distingue toutefois une tendance, qui s'est accentuée avec
le temps, au point de devenir majoritaire, en faveur de l'octroi d'une
indemnité de clientèle au distributeur, à des conditions qui ne sont certes pas
strictement définies, mais qui requièrent, à tout le moins, que la situation du
représentant exclusif soit économiquement comparable, dans le cas examiné, à
celle de l'agent (dans ce sens, avec diverses réserves et nuances, cf., parmi
d'autres: GEORG GAUTSCHI,
BGE 134 III 497 S. 503
Commentaire bernois, n. 12b ad art. 418a-418b CO et n. 1f ad art. 418u CO;
DREYER, op. cit., n. 2 et 3 ad art. 418u CO; WALTER R. SCHLUEP,
Obligationenrecht, Besondere Vertragsverhältnisse, in Schweizerisches
Privatrecht, vol. VII/2, p. 848 in limine; HEINRICH HONSELL, Schweizerisches
Obligationenrecht, Besonderer Teil, 8^e éd., p. 358; TERCIER, op. cit., n.
6996; CHRISTIAN ALEXANDER MEYER, Der Alleinvertrieb, 2^e éd., p. 245 ss et 301;
BÉNÉDICT, op. cit., p. 72; CHERPILLOD, ibid.; le même, La fin des contrats de
distribution, in Les contrats de distribution, publication n° 38 du CEDIDAC,
Lausanne 1998, p. 429 ss, 449 s.; le même, La fin des accords de distribution,
in Les accords de distribution, publication n° 65 du CEDIDAC, Lausanne 2005, n.
39; CARL BAUDENBACHER, Anspruch auf Kundschaftsentschädigung bei gesetzlich
nicht geregelten Absatzmittlungsverträgen [ci-après abrégé: Anspruch], in
Festgabe zum 60. Geburtstag von Walter R.Schluep, Zurich 1988, p. 81 ss, 87 s.;
CHARLES WYNIGER, Vom Alleinverkaufsvertrag, insbesondere im internationalen
Privatrecht der Schweiz, thèse Berne 1960, p. 24 ss; MORITZ KUHN, Der
Alleinvertriebsvertrag [AVV] im Verhältnis zum Agenturvertrag [AV], in
Festschrift für Max Keller zum 65. Geburtstag, Zurich 1989, p. 187 ss, n.
4.2.6; HANS CASPAR VON DER CRONE, Rahmenverträge, Zurich 1993, p. 291 s.;
ANDREAS M. DUBLER, Der Kommissionsagenturvertrag, thèse Zurich 1994, p. 215 ss;
FOUNTOULAKIS, op. cit., p. 96; VERONIKA PAETZOLD, Alleinvertriebsvertrag
Deutschland-Schweiz, 2^e éd., p. 51; d'un autre avis, avec des arguments en
partie différents, cf., notamment: THEODOR BÜHLER, Commentaire zurichois, n. 68
ad art. 418u CO; PIERRE ENGEL, Contrats de droit suisse, 2^e éd., p. 772;
CLAIRE HUGUENIN, Obligationenrecht, Besonderer Teil, 3^e éd., n. 1528 ss; KARL
DÜRR, Mäklervertrag und Agenturvertrag, p. 212; GERHARD HORST LEISS, Der
Anspruch des Agenten auf Entschädigung für die Kundschaft in
rechtsvergleichender Darstellung, thèse Berne 1965, p. 289 ss; HERBERT SCHÖNLE,
De la représentation exclusive en droit suisse et comparé, in Mémoires publiés
par la Faculté de droit de Genève, n. 27, p. 141 ss, 155; JEAN-CLAUDE BURNAND,
Le contrat d'agence et le droit de l'agent d'assurances à une indemnité de
clientèle, thèse Lausanne 1975, p. 106; ne se prononcent pas: AMSTUTZ/SCHLUEP,
op. cit., n. 145 ad Einl. vor Art. 184 ff.; WETTENSCHWILER, op. cit., n. 1 ad
art. 418u CO). Résumant les arguments des tenants de cette approche favorable
au distributeur, DREYERsouligne le caractère très formaliste de l'analyse,
faite à l'époque par le Tribunal fédéral, selon laquelle, dans le contrat
d'agence, la clientèle est celle du mandant alors que, dans le
BGE 134 III 497 S. 504
contrat de représentation exclusive, elle est celle du distributeur. Il
insiste, comme d'autres avant lui, sur le pouvoir attractif de la marque dont
le distributeur s'efforce de développer la notoriété par son travail, pour en
déduire que, suivant les circonstances, la clientèle acquise par le
distributeur restera attachée à la marque, et donc au concédant, après la
résiliation du contrat de représentation exclusive. Mettant encore en évidence
le fait que le distributeur exclusif assume un risque propre plus important que
celui pris par l'agent, l'auteur estime qu'un réexamen de la jurisprudence
fédérale sur la question controversée serait justifié (op. cit., n. 2 et 3 ad
art. 418u CO). On fait également remarquer, à l'appui de la solution
majoritaire, que le modèle classique du commerce des marchandises, caractérisé
par une séparation nette des secteurs de la production et de la distribution,
dont cette jurisprudence s'inspire, correspond de moins en moins à la réalité
économique moderne, en ce sens que la juxtaposition, sur un même plan, de deux
secteurs bien distincts s'est transformée progressivement en un modèle dont le
trait marquant réside dans une intégration toujours plus poussée, sur un axe
vertical, du secteur de la distribution dans celui de la production. Ainsi,
dans plusieurs secteurs de la vente de marchandises, le commerçant
juridiquement et économiquement indépendant, agissant en son nom et pour son
propre compte, a fait place à un distributeur qui est lié durablement à son
fournisseur et qui en est souvent réduit à obéir aux conditions dictées par
celui-ci relativement à la vente des marchandises livrées, qu'il s'agisse des
prix fixés pour l'acquisition de celles-ci par les acheteurs finaux ou d'autres
restrictions imposées à sa liberté d'action (BAUDENBACHER, Anspruch, p. 86 s.).

4.2.3 L'art. 418u CO a servi de modèle pour la création d'une disposition
comparable en droit allemand, à savoir le § 89b du Handelsgesetzbuch (HGB; cf.
ATF 103 II 277 consid. 2 in fine; CARL BAUDENBACHER, Zum
Kundschaftsentschädigungsanspruch des Agenten im schweizerischen Recht, in
Juristenzeitung [JZ] 44/1989 p. 919 ss, 920 in limine). Appliquant cette
disposition par analogie, la jurisprudence allemande a reconnu de longue date
au représentant exclusif le droit à une indemnité pour la clientèle, à
certaines conditions. Elle exige, en substance, d'une part, que le représentant
exclusif soit intégré dans l'organisation de vente du concédant, tel un agent,
de sorte qu'il n'y ait pas simplement entre eux de pures relations de vendeur à
acheteur, et, d'autre part, que le premier ait l'obligation de transférer au
second, d'une manière ou d'une autre, la clientèle qu'il a acquise dans
BGE 134 III 497 S. 505
l'exécution du contrat de représentation exclusive (pour plus de détails
concernant ces conditions et pour des références jurisprudentielles, cf., parmi
d'autres: KLAUS J. HOPT, in Baumbach/Hopt, Handelsgesetzbuch, 33^e éd., Munich
2008, n. 12 ss ad § 84 HGB; MEYER, op. cit., p. 316 s.; FOUNTOULAKIS, op. cit.,
p. 96, note 226).

4.3 La diversité des avis exprimés dans la doctrine et la jurisprudence au
sujet de la question controversée démontre, si besoin est, qu'il ne semble
guère possible de traiter cette question de manière dogmatique, en lui
apportant une réponse qui vaille pour toutes les situations envisageables, la
sécurité du droit dût-elle en pâtir. Cela étant, force est de constater qu'une
tendance s'est dessinée au fil du temps, pour prévaloir aujourd'hui, en faveur
de l'application analogique de l'art. 418u CO au contrat de représentation
exclusive. Pareille évolution doit être approuvée, d'autant plus qu'elle
constitue le prolongement de principes que le Tribunal fédéral a posés il y a
plus de quarante ans déjà, même s'il l'a fait avec prudence et à titre
d'exception à la règle (cf. ATF 88 II 169 consid. 7). Au demeurant, quoi qu'en
dise un auteur isolé (cf. SCHÖNLE, op. cit., p. 149 ss), le législateur
fédéral, en s'abstenant d'édicter des dispositions topiques au sujet du contrat
de représentation exclusive, n'a pas écarté consciemment l'idée d'octroyer une
indemnité pour la clientèle au concessionnaire. On n'a donc pas affaire à un
silence qualifié de sa part, mais à une lacune proprement dite de la loi, qu'il
convient de combler par le procédé de l'analogie. Que la norme dont
l'application analogique est envisagée pour ce faire, i.e. l'art. 418u CO,
revête un caractère exceptionnel ne constitue pas un motif suffisant pour
exclure la mise en oeuvre de ce procédé (cf. BAUDENBACHER, Anspruch, p. 87).
Ce recours à l'analogie suppose nécessairement que la situation du représentant
exclusif dont il est question se rapproche de celle d'un agent. Si tel est le
cas, il se justifie alors de traiter le premier à l'égal du second et de lui
reconnaître le droit à une indemnité pour la clientèle aux conditions et dans
les limites fixées à l'art. 418u CO. En effet, dès lors que cette indemnité est
considérée comme une compensation à verser par le mandant pour la valeur
commerciale dont il continue à profiter après la fin du contrat d'agence, on ne
voit pas pourquoi la même compensation ne devrait pas être imposée au concédant
placé dans une situation comparable à l'expiration du contrat de représentation
exclusive. Pareille assimilation n'a rien que d'équitable si on la considère du
point de vue du distributeur qui s'est employé activement à développer la
notoriété de la marque du
BGE 134 III 497 S. 506
concédant, mais dont la clientèle, qu'il s'est ainsi acquise par ses efforts,
restera attachée à ladite marque, à l'extinction des rapports contractuels, et,
partant, lui échappera au profit de son ex-cocontractant.
En définitive, l'octroi d'une indemnité pour la clientèle au représentant
exclusif dépendra toujours de l'examen des circonstances du cas concret.

4.4

4.4.1 Dans son arrêt, la Chambre civile constate que les recourantes
organisaient librement leurs activités et le développement de leurs affaires.
Elle retient que les intéressées étaient certes tenues de fournir des
renseignements à l'intimée au sujet des chiffres d'affaires réalisés, ainsi que
des statistiques concernant les lignes de produits ou les produits eux-mêmes,
et de lui indiquer les points de vente de ceux-ci. Toutefois, à son avis, ces
informations visaient à permettre à l'intimée de suivre l'évolution du marché
local et de la concurrence sur ce marché, puisque des rapports sur l'activité
des concurrents étaient également exigés. La juridiction genevoise relève, en
outre, que l'intimée imposait également aux recourantes certaines exigences
relatives à la stratégie publicitaire et qu'elle se réservait d'approuver les
nouveaux points de vente proposés par ses cocontractantes, mais qu'elle le
faisait toujours dans le but de maintenir un certain standard de l'image de
marque souhaitée pour les produits distribués. Enfin, selon la Chambre civile,
il n'a pas été allégué que les recourantes aient dû céder leur clientèle à
l'intimée au terme du contrat.
Pour les juges précédents, ces circonstances ne permettent pas d'admettre que
les recourantes étaient intégrées dans le système de distribution de l'intimée
au point de se trouver dans une situation comparable à celle d'un agent. Les
parties avaient, du reste, exclu expressément, dans le contrat du 3 mars 1992,
de créer des rapports d'agence ou de partenariat par leurs relations
contractuelles ou leurs activités respectives. Aussi la Chambre civile en
arrive-t-elle à la conclusion que les conditions d'une application analogique
de l'art. 418u CO ne sont pas remplies en l'espèce, ce qui l'amène à rejeter la
prétention des recourantes tendant à l'octroi d'une indemnité pour la
clientèle.

4.4.2 La clause de l'accord de distribution excluant que les activités
déployées dans ce cadre-là puissent déboucher sur la création de relations
d'agence entre les deux partenaires n'est pas déterminante pour résoudre la
question litigieuse. D'une part, il n'était pas dans le
BGE 134 III 497 S. 507
pouvoir des cocontractants d'exclure, par une clause conventionnelle, que leurs
relations contractuelles reçoivent, en droit, la qualification correspondant à
la manière dont ils les aménageraient effectivement. D'autre part, il n'est pas
possible de supprimer l'indemnité pour la clientèle par convention, en vertu de
l'art. 418u al. 1 in fine CO, et le représentant exclusif peut également se
prévaloir du caractère impératif de cette disposition quand bien même elle ne
lui est applicable que par analogie (cf. MEYER, op. cit., p. 330; pour le droit
allemand, cf. HOPT, op. cit., n. 70 ad § 89b HGB, p. 428).
La cour cantonale attache de l'importance au fait que les recourantes
organisaient librement leurs activités et le développement de leurs affaires.
Pareille circonstance n'empêche toutefois pas que les distributrices aient pu
être intégrées au réseau de vente de la concédante, comme l'eût été un agent,
et que, à l'instar de cet intermédiaire, elles n'aient bénéficié que d'une
autonomie limitée, du point de vue économique, dans leurs relations avec la
concédante, bien qu'elles fussent juridiquement indépendantes de celle-ci. Or,
c'est à cette conclusion que la Cour de céans aboutit. De fait, on est loin, en
l'espèce, de l'archétype du représentant exclusif décrit, dans l'arrêt déjà
cité, comme "un commerçant indépendant, qui dirige son affaire selon son bon
vouloir et se borne à acheter auprès de son cocontractant les produits qu'il
vend pour son propre compte" (ATF 88 II 169 consid. 7 p. 170). Les juges
cantonaux mentionnent eux-mêmes une première entrave à la liberté qu'ils
évoquent, puisqu'ils retiennent que l'intimée se réservait le droit d'approuver
les nouveaux points de vente proposés par les recourantes. Il ressort, en
outre, des faits exposés sous lettre A.b du présent arrêt, que de nombreuses
clauses de l'accord de distribution signé le 3 mars 1992 imposaient aux
recourantes des devoirs susceptibles de les placer dans la dépendance et sous
le contrôle de l'intimée. Les distributrices avaient l'obligation, notamment,
d'effectuer un minimum annuel d'achats; d'accepter une modification unilatérale
du prix et des conditions de livraison des produits acquis par elles; de
souffrir que l'intimée arrêtât librement la production ou la commercialisation
de n'importe quel produit; de dépenser chaque année une somme minimum à des
fins publicitaires de manière à promouvoir la vente des produits de la
concédante; de maintenir un certain stock de marchandises; de fournir chaque
mois à l'intimée toute une série de rapports et de listes concernant les ventes
effectuées par elles et l'activité déployée par leurs concurrents; d'ouvrir
leurs livres et registres à tout représentant de la concédante; enfin, de
cesser toute activité de
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vente des produits de celle-ci dès que les rapports contractuels
s'éteindraient.
De plus, les recourantes étaient tenues ex contractu de communiquer
périodiquement à l'intimée les noms et les adresses de leurs clients. Dans les
faits, pareille obligation entraînait la même conséquence qu'une obligation du
concessionnaire de céder son fonds de clientèle au concédant à la fin du
contrat: elle permettait à la concédante de s'approprier, à l'extinction des
rapports contractuels, la valeur économique que représentait la clientèle
acquise par les distributrices. A l'instar des juges précédents, l'intimée
objecte que le devoir d'information imposé à celles-ci avait uniquement pour
but de lui permettre de connaître l'évolution du marché local et de la
concurrence sur ce marché, ainsi que de maintenir un certain standard de
l'image de marque attachée aux produits distribués. Cette objection ne peut
toutefois pas être retenue. En effet, comme les tribunaux allemands l'ont déjà
admis à plusieurs reprises, le but que poursuit le concédant, en imposant au
concessionnaire le devoir de le renseigner sur ses clients, n'est pas une
circonstance pertinente pour trancher la question du droit du représentant
exclusif à une indemnité de clientèle (cf. p. ex. l'arrêt du Bundesgerichtshof
du 1^er décembre 1993 reproduit in Neue Juristische Wochenschrift [NJW] 1994 p.
657 ss, consid. 3b et les arrêts cités).
La doctrine distingue principalement deux types de clientèle: d'une part, la
clientèle personnelle, liée au commerçant lui-même et fondée sur la confiance
dont il jouit; d'autre part, la clientèle réelle, qui se forme autour d'une
marque. Il est généralement admis que, dans l'hypothèse où l'intermédiaire a
constitué une clientèle réelle, les conditions posées par l'art. 418u CO seront
presque toujours remplies (BURNAND, op. cit., p. 108 s.). En l'espèce, c'est au
second type de clientèle que l'on a affaire, puisque les recourantes se sont vu
concéder par l'intimée le droit exclusif de vendre des parfums de marque sur
les marchés tchèques et slovaques. Le client qui achète ce type de biens de
consommation courante attache moins d'importance à la personne qui distribue le
produit qu'à la marque sous laquelle le parfum est vendu. Ce pouvoir attractif
de la marque, que la terminologie allemande désigne par l'expression Sogwirkung
der Marke, fait que la clientèle restera fidèle à la marque en tant que telle,
en règle générale, plutôt qu'au commerçant qui avait le droit exclusif
d'écouler le produit portant cette marque. D'où il suit qu'à l'extinction du
contrat de représentation exclusive, c'est le titulaire de la
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marque qui profitera, de manière quasi automatique, des efforts consentis par
le représentant pour promouvoir la vente des produits commercialisés sous la
marque en question (sur les différents aspects du problème de la Sogwirkung der
Marke, voir, parmi d'autres: MEYER, op. cit., p. 308 ss). Rien ne permet
d'affirmer que, dans le cas particulier, il ait été fait exception à la règle
et que, en raison de circonstances propres aux marchés considérés, la clientèle
acquise par les recourantes se serait détournée de la marque de l'intimée pour
suivre ces dernières, lorsque le contrat de concession de vente exclusive avait
pris fin. D'un autre côté, la notoriété de la marque peut aussi avoir pour
conséquence de faciliter le travail du distributeur, en ce sens que les efforts
que celui-ci devra déployer pour commercialiser un produit ayant déjà acquis
une certaine renommée seront moindres que ceux qu'il devra consentir pour
fidéliser les consommateurs se voyant proposer un produit dont la marque est
encore inconnue. Cependant, doctrine et jurisprudence considèrent qu'une telle
circonstance ne justifie pas de refuser toute indemnité pour la clientèle au
représentant exclusif, tant il est vrai qu'un produit, tout réputé qu'il soit,
ne se vend pas de lui-même, mais qu'elle doit être prise en considération dans
le cadre de l'examen du caractère équitable de l'indemnité requise (cf. MEYER,
ibid.; BAUDENBACHER, Anspruch, p. 87 s.; HOPT, op. cit., n. 15 ad § 84 HGB). En
l'espèce, il s'est d'ailleurs agi, pour les recourantes, de créer des
conditions favorables à la distribution des parfums de l'intimée dans un pays
de l'Est, et ce peu de temps après la chute du régime communiste, soit à une
époque où l'économie de marché en était encore à ses débuts dans cette partie
de l'Europe. Semblable entreprise nécessitait, à n'en pas douter, une activité
de marketing intense de leur part, même pour des produits de marque. Aussi,
dans le cas présent, la notoriété de la marque ne commande-t-elle pas de
refuser aux recourantes tout droit à une indemnité pour la clientèle qu'elles
ont constituée par leurs efforts et dont l'intimée a pu profiter sans bourse
délier à l'expiration du contrat de représentation exclusive.
Il ressort de l'arrêt attaqué que, par l'activité déployée dans le cadre de
l'exécution du contrat de représentation exclusive, les recourantes, partant
quasiment de zéro, s'étaient acquis la confiance de quelque deux cents clients
au moment de la résiliation de celui-ci. Pour les raisons sus-indiquées, en
particulier le fait que les marchandises commercialisées étaient des produits
de marque de consommation courante, il faut admettre que l'intimée a pu tirer
un profit effectif de
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cette clientèle après la fin dudit contrat. Au demeurant, il n'y a rien
d'inéquitable à ce que les recourantes obtiennent une juste compensation pour
la valeur économique qu'elles ont apportée à l'intimée et qui ne leur est
d'aucune utilité désormais. Ainsi, contrairement à l'avis des juridictions
cantonales, les recourantes réclament avec raison que l'art. 418u CO leur soit
appliqué par analogie. C'est dire que l'intimée leur dénie à tort tout droit à
une indemnité pour la clientèle.
Partant, le recours doit être admis sur ce point.

4.5 Le montant de l'indemnité équitable doit être fixé conformément aux
principes applicables à l'agent, qui ont été rappelés plus haut (cf. consid.
4.1, dernier §). La Chambre civile n'a pas procédé aux constatations de fait
nécessaires au calcul de ce montant et les indications fournies par les
recourantes sous chiffre 39 de leur mémoire sont manifestement insuffisantes
pour permettre à la Cour de céans d'effectuer elle-même ce calcul. Dès lors, le
dossier doit être renvoyé à l'autorité intimée afin qu'elle procède auxdites
constatations, dans les limites que lui assigne le droit de procédure civile
genevois, et qu'elle tranche la question sur la base de ses nouvelles
constatations, voire par la mise en oeuvre des règles touchant le fardeau de la
preuve.
La Chambre civile devra encore statuer derechef sur les dépens des deux
instances cantonales, en tenant compte du sort réservé à la prétention en
suspens.