Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 133 III 323



Urteilskopf

133 III 323

  37. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause Banque
X. contre Banque Y. SA (recours en réforme)
  4C.386/2006 du 18 avril 2007

Regeste

  Internationales Privatrecht; Gesetzeskollision; Anknüpfung der in
Geldwäscherei bestehenden unerlaubten Handlung (Art. 132 und 133 IPRG).

  Mangels Rechtswahl zugunsten der lex fori (Art. 132 IPRG) beurteilen sich
Ansprüche gegen eine Bank aus unerlaubter Handlung, bestehend in angeblicher
Geldwäscherei, wenn der Schädiger und der Geschädigte ihren gewöhnlichen
Aufenthalt nicht im gleichen Staat haben, nach dem Recht des Staates, in dem
die Vermögensinteressen berührt sind, d.h. des Staates, wo die Bank, an
welche die aus einem Verbrechen herrührenden Gelder geflossen sind, ihren
Sitz hat (E. 2).

  Begriff der unerlaubten Handlung nach der objektiven
Widerrechtlichkeitstheorie (Art. 41 OR).

  Begriff des reinen Vermögensschadens (E. 5.1). Wenn der subjektive
Tatbestand der Geldwäscherei, die in Art. 305bis StGB unter Strafe gestellt
wird, nicht erfüllt ist, besteht keine unerlaubte Handlung, die geeignet
ist, die deliktische Haftung desjenigen zu begründen, der eine nicht
vorsätzliche Geldwäschereihandlung begangen hat (E. 5.2).

Sachverhalt

  A.

  A.a La Banque X. (ci-après: X.), fondée en 1975, est une grande banque
sise dans un pays du Golfe. B., entré comme caissier au sein de ladite
banque, en était devenu sous-directeur dans les années 1990.

  C. est un citoyen malien né en 1945. Au début des années 1990, C. était
connu dans plusieurs Etats d'Afrique de l'Ouest comme un homme d'affaires
très fortuné possédant un avion privé (il y était surnommé le "milliardaire
malien") et comme un philanthrope.

  Le 21 août 1995, C. a ouvert un compte courant auprès de X. par le
truchement de B. Les documents d'ouverture du compte ne contenaient aucune
information sur les activités professionnelles du client ou la provenance de
ses fonds.

  Toujours au mois d'août 1995, C. a convaincu B. qu'il avait des pouvoirs
surnaturels, lui permettant de multiplier des billets de banque par des
procédés de magie noire.

  C. a ainsi déterminé B. à faire parvenir - soit à lui-même soit à des
personnes désignées par ses soins - des sommes d'argent qui devaient
dépasser, lors de la découverte des malversations au début de l'année 1998,
la somme colossale de 240'000'000 US$. Ces montants ont fait pour
l'essentiel l'objet de virements exécutés par X.,

sur des comptes bancaires détenus par C. et ses complices dans plusieurs
pays, dont la Suisse, les Etats-Unis, et la France.

  L'argent soustrait a permis à C. d'augmenter sa réputation de businessman
très aisé et généreux, cela tant en Afrique qu'aux Etats-Unis.

  En Suisse, les montants détournés ont transité par des comptes ouverts
singulièrement auprès de la Banque Y. SA, anciennement Banque Z. SA
(ci-après: Z.), à Genève, qui est un établissement bancaire actif notamment
dans la gestion de fonds.

  A.b Le 30 août 1996, C. a ouvert auprès de Z. un compte p dans les
circonstances suivantes.

  I., président de la Chambre du commerce de l'Etat K. et président de la
Banque J. auprès de laquelle C. était déjà client, a présenté ce dernier à
H., gérant de fortune au service de Z. H., qui effectuait régulièrement des
voyages professionnels en Afrique, avait entendu parler de C. comme d'une
personne faisant beaucoup de bien à l'Afrique et désireuse d'y monter une
compagnie aérienne.

  H. a consigné dans les documents afférents à l'ouverture du compte que C.
exerçait la profession d'homme d'affaires pour diverses branches économiques
et que sa situation financière était "très bonne". Sous la rubrique
"activité économique exercée par le client", H. a noté que C. effectuait des
investissements en Afrique, particulièrement, dans le secteur hôtelier et du
transport aérien, et qu'il finançait des projets gouvernementaux (réseaux de
téléphone, centrales électriques); sous la rubrique "origine des fonds
déposés", il a mentionné "commissions sur transactions pétrolières".

  A.c Entre le 18 septembre 1996 et le 27 janvier 1998, la somme totale de
66'672'167 US$ a été créditée sur le compte p. Il s'agissait pour
l'essentiel de virements en provenance de X., censés intervenir sur ordre de
deux individus nommés N. et O., lesquels, à l'insu de Z., ne détenaient
aucun compte courant auprès de X. Pendant la période considérée, des
montants entre 1'400'000 US$ et 9'000'000 US$ ont ainsi été virés chaque
mois sur le compte p - à l'exception des mois de mai à juillet 1997 - au
moyen de plusieurs versements mensuels oscillant entre 100'000 US$ et
1'000'000 US$.

  Z. a interprété la circonstance que les virements provenaient toujours des
mêmes donneurs d'ordre sur une banque tirée établie dans un pays du Golfe
comme un indice de la réalité des allégations de C. concernant l'origine des
fonds transférés.

  Entre les mois de septembre 1996 et mars 1998, le compte p a été débité
d'un montant total d'environ 54'000'000 US$ par des virements, variant entre
100'000 US$ et 1'000'000 US$, opérés sur des comptes ouverts par C. ou un
affidé auprès de diverses banques à l'étranger, sises principalement en
Afrique et aux Etats-Unis. D'autres virements ont été effectués à partir du
compte p singulièrement au profit de personnes et sociétés impliquées dans
les investissements menés par C. dans les domaines de l'aéronautique et de
l'hôtellerie.

  Aucune corrélation directe n'a été constatée entre les montants arrivant
sur le compte p et les sommes qui en étaient débitées. C. a toujours laissé
des fonds (en moyenne entre 2'000'000 US$ et 6'000'000 US$) auprès de Z.

  Au début mars 1997, à la suite d'un transfert de 6'000'000 US$ par débit
du compte p, la direction générale de Z. a demandé à H. des renseignements
sur C., l'origine de sa fortune et la transaction en question. Dans une note
du 3 mars 1997, H. a indiqué à ladite direction que C. avait comme
partenaire une famille princière d'Arabie Saoudite milliardaire en dollars
américains, que les versements en faveur du compte p provenaient de cette
source et qu'ils étaient destinés à des investissements en Afrique.

  Le réviseur externe de Z., qui a examiné le compte p en raison de ses
mouvements importants, n'y a rien décelé de suspect.

  A.d Le 14 mars 1998, B. a contacté un membre du comité des crédits de X.
pour lui avouer avoir effectué des détournements massifs au préjudice de X.,
avec la complicité de différents employés de celle-ci. Diverses plaintes
pénales ont été déposées auprès de la police de W.

  Le 28 avril 1998, X. a déposé à Genève une plainte pénale contre inconnu
pour violation des art. 305bis et 305ter CP. La procédure pénale genevoise
n'a abouti à aucune condamnation d'un organe ou employé de Z.

  Il résulte notamment de deux rapports de la fiduciaire R., rédigés les 19
juillet et 7 novembre 1998 à l'intention du Ministère public de W., que les
virements au profit des comptes ouverts par C. et ses complices à l'étranger
- dont le total se monte à 155'134'121 US$ - étaient censés émaner de
clients et être couverts par des versements d'espèces auprès de X., lesquels
étaient en réalité inexistants. Le

comité de banque de X. n'a pas exercé correctement sa tâche de surveillance,
en ne tentant pas compte des rapports journaliers qui indiquaient clairement
les montants débités du compte courant de X., lesquels représentaient les
fruits des délits commis au détriment de la banque.

  Les rapports d'audit du réviseur externe de X. pour les années 1995 à 1997
ont révélé que de très nombreuses et graves irrégularités avaient été
relevées dans la gestion et le contrôle des activités de la banque.

  B.- Par demande du 15 mars 1999, la Banque X. a actionné la Banque Y. SA
devant les autorités genevoises. En dernier lieu, la demanderesse a conclu à
ce que la défenderesse soit condamnée à lui verser 67'195'167 US$ avec
intérêts à 5 % l'an dès le 15 mars 1998, sous déduction de 52'618.41 US$,
139'791.41 US$ et 194'875.18 US$.

  La demanderesse a entrepris diverses démarches pour récupérer les fonds
soustraits par C. et ses proches. Il est apparu que seule la somme de
1'200'000 US$ a pu être récupérée jusqu'à la comparution personnelle des
parties, le 6 février 2001.

  Au moment des enquêtes, C., qui vit désormais au Mali, était maire de V.
et député à l'Assemblée nationale de ce pays.

  Par jugement du 22 septembre 2005, le Tribunal de première instance a
débouté la demanderesse de toutes ses conclusions.

  Statuant sur l'appel de X., la Chambre civile de la Cour de justice
genevoise, par arrêt du 15 septembre 2006, a confirmé le jugement précité.

  C.- La demanderesse forme un recours en réforme au Tribunal fédéral contre
l'arrêt cantonal.

  Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était
recevable.

Auszug aus den Erwägungen:

                        Extrait des considérants:

Erwägung 2

  2.

  2.1  La présente cause comporte des aspects internationaux, puisque la
demanderesse a son siège à W., dans un pays du Golfe, et que l'auteur des
délits pénaux ayant généré l'action civile en responsabilité délictuelle
déposée par X. contre la défenderesse est un ressortissant du Mali qui
réside apparemment dans ce pays. Il faut donc contrôler d'office la question
du droit applicable au litige, cela sur la base

du droit international privé suisse en tant que lex fori (ATF 133 III 37
consid. 2; 132 III 609 consid. 4).

  2.2  La Cour de justice a considéré, en trois lignes, que le droit suisse
était applicable. La question, plus délicate qu'il n'y paraît, mérite un
examen approfondi.

  2.3  En l'absence de relation contractuelle entre les parties, la
demanderesse fonde exclusivement son action sur la responsabilité
délictuelle. Elle soutient que la défenderesse, respectivement les organes
et employés de celle-ci, aurait commis un blanchiment d'argent à son
détriment, en acceptant de recevoir des fonds d'origine criminelle, puis de
les transférer auprès d'autres banques à l'étranger.

  Il faut tout d'abord déterminer quel est le droit d'application à cette
action fondée sur un prétendu acte illicite, cela à la lumière du droit
international privé du for (cf. consid. 2.1 ci-dessus).

  Il ne ressort pas des constatations cantonales que les plaideurs aient
fait élection de droit en faveur de la lex fori (cf. art. 132 LDIP).

  Les parties n'ont pas leur résidence habituelle dans le même Etat (cf.
art. 133 al. 1 LDIP). En conséquence, l'action est soumise en principe au
droit de l'Etat dans lequel l'acte illicite a été commis (art. 133 al. 2,
1re phrase, LDIP). Selon la demande, l'acte illicite consistait à recevoir
les fonds sur un compte en Suisse et à les transférer ensuite à l'étranger;
la banque intimée a agi exclusivement en Suisse. Il en résulte que le droit
suisse est théoriquement applicable, en tant que loi du lieu de commission
de l'acte illicite invoqué.

  Il est vrai que l'art. 133 al. 2, 2e phrase, LDIP prévoit un rattachement
différent si le résultat de l'acte illicite se produit dans un autre Etat,
d'une manière prévisible pour l'auteur. Cependant, la jurisprudence a admis
qu'en présence d'un préjudice purement patrimonial, comme c'est le cas en
l'occurrence, le lieu du résultat ne correspond pas nécessairement au
domicile du lésé (ATF 125 III 103 consid. 2b/bb p. 106); lorsque les fonds
en cause peuvent être distingués de l'ensemble du patrimoine (ainsi en
va-t-il dans le cas présent), il sied de prendre en considération le lieu où
les intérêts patrimoniaux en cause sont touchés. In casu, la demanderesse
fait valoir que le passage des fonds par la banque en Suisse rendait plus
difficile la recherche des biens détournés. Elle se plaint donc d'une
atteinte patrimoniale qui se serait produite en Suisse. Aussi le résultat ne
s'est-il pas produit dans un autre Etat et il faut s'en tenir à la règle
générale du lieu de commission.

  Le droit suisse est bien applicable à l'action et c'est au regard de ce
droit qu'il conviendra d'examiner si les éléments constitutifs d'une
responsabilité aquilienne de l'intimée sont réunis (art. 142 al. 1 LDIP),
tout en prenant en considération les règles de sécurité et de comportement
alors en vigueur en Suisse (art. 142 al. 2 LDIP).
  (...)

Erwägung 5

  5.  A la lettre V/B de son recours, la recourante reproche à la Cour de
justice d'avoir violé les art. 41 CO et 305bis CP. A l'appui de son grief,
constellé de faits non retenus par la cour cantonale et donc irrecevables
(art. 63 al. 2 OJ), elle fait valoir qu'en dépit de ce qui résulte de
l'arrêt déféré, lequel a renversé une jurisprudence antérieure, récente et
parfaitement motivée (SJ 1998 p. 646 ss), l'art. 305bis CP peut fonder une
responsabilité civile de l'auteur du blanchiment à l'égard de la victime de
l'infraction de base. Dans cette ancienne jurisprudence, poursuit la
recourante, la Cour de justice avait admis à bon droit que la violation
objective de l'art. 305bis CP constitue à elle seule un acte illicite au
sens de l'art. 41 CO justifiant une réclamation en dommages-intérêts. Cette
décision aurait été confirmée par le Tribunal fédéral à l'ATF 129 IV 322
consid. 2.2.4. La demanderesse soutient qu'en ayant accepté les ordres de
"retransferts" des fonds par le débit du compte p en faveur de comptes
détenus par C. et ses proches auprès de banques situées à l'étranger, la
défenderesse a commis un acte propre à entraver l'identification de
l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales
provenant d'un crime, ce qui constitue l'acte illicite envisagé par l'art.
41 CO. Elle allègue enfin qu'en tout cas dès le transfert de 6'000'000 US$ à
partir du compte p survenu au début de mars 1997, l'intimée n'avait plus
aucune excuse pour continuer d'exécuter les virements.

  5.1  Il n'est pas contesté que le présent différend s'inscrit tout entier
dans le cadre d'une action en responsabilité délictuelle fondée sur l'art.
41 CO, au moyen de laquelle la demanderesse cherche à obtenir la réparation
d'un dommage purement économique, à savoir d'un préjudice apparu sans qu'il
y ait eu atteinte à l'intégrité d'une personne ou endommagement, destruction
ou perte d'une chose (ATF 118 II 176 consid. 4b; ANTON K. SCHNYDER,
Commentaire bâlois, n. 13 ad art. 41 CO; FRANZ WERRO, Commentaire romand, n.
19. ad art. 41 CO).

  La responsabilité aquilienne présuppose, entre autres conditions,
l'existence d'un acte illicite.

  Dans la conception objective de l'illicéité suivie par le Tribunal fédéral
(ATF 132 III 122 consid. 4.1 et les arrêts cités), on distingue l'illicéité
de résultat (Erfolgsunsrecht), qui suppose l'atteinte à un droit absolu du
lésé, de l'illicéité du comportement (Verhaltensunrecht). Lorsqu'il est
question, comme en l'espèce, d'un préjudice purement économique, celui-ci ne
peut donner lieu à réparation, en vertu de l'illicéité déduite du
comportement, que lorsque l'acte dommageable viole une norme qui a pour
finalité de protéger le lésé dans les droits atteints par l'acte incriminé
(ATF 132 III 122 consid. 4.1). De telles normes peuvent résulter de
l'ensemble de l'ordre juridique suisse, qu'il s'agisse du droit privé,
administratif ou pénal; peu importe qu'elles soient écrites on non écrites,
de droit fédéral ou de droit cantonal (ATF 116 Ia 169 consid. 2c p. 169 et
les références).

  La recourante invoque, au titre de norme protectrice, l'art. 305bis CP.

  En ce qui concerne le blanchiment d'argent réprimé par l'art. 305bis CP,
la jurisprudence a confirmé que cette disposition protégeait également les
intérêts patrimoniaux de ceux qui, à l'instar de la recourante, sont lésés
par le crime préalable, lorsque les valeurs patrimoniales proviennent
d'actes délictueux contre des intérêts individuels (ATF 129 IV 322 consid.
2.2.4).

  5.2  Sur le plan subjectif, l'infraction pénale de blanchiment d'argent
prévue par la disposition susrappelée nécessite l'intention de l'auteur, le
dol éventuel étant suffisant (BERNARD CORBOZ, Les infractions en droit
suisse, vol. II, Berne 2002, n. 38 ad art. 305bis CP; MARK PIETH,
Commentaire bâlois, n. 46 ad art. 305bis CP).

  Il résulte de l'état de fait déterminant (art. 63 al. 2 OJ) que l'intimée
n'avait pas l'intention de blanchir de l'argent provenant d'un crime. La
détermination de ce que l'auteur présumé d'une infraction voulait ou avait
l'intention de faire relève des constatations de fait (ATF 125 IV 49 consid.
2d p. 56; 119 IV 222 consid. 2), qui ne peuvent être remises en cause dans
un recours en réforme. La recourante est donc irrecevable à s'en prendre à
cette constatation, comme elle le fait à la lettre F de son recours.

  Se pose donc la question de savoir si celui qui commet un acte de
blanchiment non intentionnel - comportement qui, on vient de le voir, ne
tombe pas sous le coup de la loi pénale - peut néanmoins engager sa
responsabilité délictuelle en vertu de l'art. 41 al. 1 CO pour le préjudice
qu'il a causé à la victime du crime préalable en accomplissant par
négligence un acte d'entrave, lequel a consisté, par

exemple, à transférer, à l'instar des données de l'espèce, des fonds
d'origine criminelle d'un pays (i.e. la Suisse) dans différents autres
Etats.

  5.2.1  Dans un arrêt du 20 février 1998, partiellement reproduit in SJ
1998 p. 646 ss, la Cour de justice du canton de Genève a admis que celui
qui, par simple négligence, commet un acte de blanchiment d'argent doit
répondre, en vertu de la responsabilité pour acte illicite de l'art. 41 al.
1 CO, du préjudice subi par la victime de l'infraction préalable. Elle s'est
appuyée sur l'art. 53 al. 2 CO, selon lequel le juge civil n'est pas lié par
les règles du droit pénal, singulièrement du point de vue de la faute. Elle
en a déduit qu'il suffit pour que la responsabilité civile du blanchisseur
entre en jeu que ce dernier ait commis un acte objectivement répréhensible,
dès l'instant où l'acte illicite et la faute sont deux éléments constitutifs
différents de l'art. 41 CO. Autrement dit, un acte illicite qui ne serait
pas pénalement poursuivable, faute d'intention, peut parfaitement constituer
un "acte illicite fautif", entraînant la responsabilité de son auteur sur le
plan civil (cf. consid. 9 de l'arrêt précité).

  Cette jurisprudence cantonale, qui n'a pas été confirmée ultérieurement
par la Cour de justice, a suscité des critiques de la doctrine.

  BENOÎT CHAPPUIS (La notion d'illicéité civile à la lumière de l'illicéité
pénale, Réflexions sur la responsabilité civile du blanchisseur d'argent par
négligence, in SJ 2000 II p. 304 ss) a affirmé que l'interprétation de la
notion d'illicéité ne saurait trouver une assise à l'art. 53 al. 2 CO, norme
qui a une portée beaucoup plus restreinte que celle que lui a attribuée la
Cour de justice. Il a déclaré que l'acceptation de la responsabilité civile
du blanchisseur par négligence, en s'appuyant sur l'illicéité pénale
extraite d'une norme réprimant exclusivement l'intention, n'est pas
satisfaisante, car elle fait fi du contenu véritable de l'art. 305bis CP.

  URSULA CASSANI (Le blanchiment d'argent, un crime sans victime?, in
Wirtschaft und Strafrecht, Festschrift für Niklaus Schmid, Zurich 2001, p.
393 ss) a qualifié de problématique le fait d'avoir fondé l'illicéité sur
une norme pénale exigeant que l'auteur ait connaissance, au moins par dol
éventuel, de la provenance criminelle des avoirs, dans un cas où le seul
reproche qui pouvait être adressé au blanchisseur involontaire était un
manquement à la diligence. Selon cet auteur, l'appréciation civiliste
autonome de l'élément de la faute est un travestissement de la norme pénale
dont n'est utilisée qu'une partie alors que, intrinsèquement, elle forme un
tout indissociable.

  JÜRG-BEAT ACKERMANN (Geldwäschereinormen - taugliche Vehikel für den
privaten Geschädigten?, in Wiedererlangung widerrechtlich entzogener
Vermögenswerte mit Instrumenten des Straf-, Zivil-, Vollstreckungs- und
internationalen Rechts, Zurich 1999, p. 35 ss) fait valoir que si l'on
devait admettre que l'art. 305bis CP, qui est un délit de mise en danger
abstraite, protégeait le patrimoine auquel le crime préalable a porté
atteinte, il en résulterait que chaque mise en danger abstraite par
imprudence du patrimoine au moyen d'une activité de blanchiment provoquerait
un préjudice suffisant pour qu'une action civile soit intentée (p. 48).

  LUC THÉVENOZ (Le droit bancaire privé suisse, in Revue suisse de droit des
affaires [RSDA] 1999 p. 192 ss) exprime, sans plus ample développement, sa
perplexité à propos de la solution adoptée par la Cour de justice.

  Quant à CHRISTOPHE MISTELI (La responsabilité pour le dommage purement
économique, thèse Lausanne 1999), il explique, en p. 255, que la
transposition automatique d'une norme pénale vers le droit de la
responsabilité civile devient discutable lorsque l'on isole l'élément
objectif de la norme pour lui attribuer en droit privé une portée beaucoup
plus large qu'il n'en a en droit pénal, lequel limite en principe le champ
d'application de ses dispositions au dol (art. 18 al. 1 aCP).

  S'exprimant de manière plus générale sur le thème soulevé par l'arrêt
cantonal précité, VIKTOR AEPLI (Zum Verschuldensmassstab bei der Haftung für
reinen Vermögensschaden nach Art. 41 OR, in RSJ 93/1997 p. 405 ss) a pour
sa part exposé que si l'on veut suivre la théorie objective de l'illicéité,
alors il faut logiquement tenir compte également des conditions subjectives
de la norme protectrice du patrimoine fondant l'obligation de réparer le
dommage créé. Le législateur, en adoptant la disposition concrète en
question, a en effet exprimé sans détour qu'il n'entendait protéger le
patrimoine qu'à ces conditions (p. 408).

  5.2.2  En dépit des affirmations contraires de la recourante, le Tribunal
fédéral n'a aucunement confirmé l'arrêt de la Cour de justice du 20 février
1998 à l'ATF 129 IV 322, dès l'instant où l'infraction de blanchiment
d'argent, qui entrait en considération dans ce précédent en tant que norme
de comportement dont la transgression pouvait entraîner la responsabilité
aquilienne de l'auteur, avait été sanctionnée sur le plan pénal, ce qui
signifiait ipso facto qu'elle avait été

causée de manière intentionnelle au sens de l'art. 18 al. 2 aCP (cf. pour un
résumé et commentaire de l'ATF 129 IV 322, HENRI CORBOZ/PATRICK GÉRARD
FLEURY, Le blanchiment d'argent, le renouveau de l'illicéité de
comportement?, in Responsabilité et Assurance [REAS] 3/2004 p. 218 ss, spéc.
p. 221).

  Dans un obiter dictum (arrêt du Tribunal fédéral 4C.77/2001 du 12
septembre 2001, consid. 2a/aa non publié à l'ATF 127 III 496), le Tribunal
fédéral a relevé que le plaideur qui adopte, au cours d'un procès, une
attitude malveillante ou contraire aux règles de la bonne foi, à l'exemple
de celui qui viole consciemment son devoir de dire la vérité, commet un acte
illicite. Il a ajouté, en se référant à un seul auteur, qu'il importe peu à
cet égard que ce comportement tombe ou non sous le coup de l'art. 306 CP,
qui réprime la fausse déclaration d'une partie en justice. Au consid. 2b, la
juridiction fédérale a toutefois constaté que la personne dont la
responsabilité délictuelle était recherchée savait qu'elle agissait
contrairement au droit en faisant des déclarations mensongères et qu'elle
avait eu la possibilité d'agir dans la légalité, de sorte qu'elle avait
commis intentionnellement les actes illicites qui lui étaient reprochés.

  Dans ces conditions, on ne peut rien tirer de cet arrêt. Il est d'ailleurs
permis de penser que la juridiction fédérale envisageait, lorsqu'elle a
affirmé la responsabilité délictuelle de la personne qui obtient des mesures
provisionnelles dommageables par des déclarations mensongères même si ce
comportement n'était pas réprimé par l'art. 306 CP, l'hypothèse où la partie
n'a pas été expressément invitée par le juge à dire la vérité. En effet,
dans un tel cas, seule une condition objective de punissabilité fait défaut,
alors que tous les éléments constitutifs de l'infraction sont réalisés
(BERNARD CORBOZ, op. cit., n. 14 ad art. 306 CP et les références citées).

  5.2.3  Le rappel des avis doctrinaux susrappelés amène le Tribunal fédéral
à poser les réflexions suivantes.

  L'obligation de réparer un préjudice en droit de la responsabilité civile
doit être contenue dans des limites raisonnables pour être acceptée
socialement. L'illicéité, en tant que condition d'une telle responsabilité,
tend à assurer que celle-ci ne soit pas étendue de manière excessive (cf. p.
ex. KARL OFTINGER/EMIL W. STARK, Schweizerisches Haftpflichtrecht,
Allgemeiner Teil, vol. I, § 4, n. 3 ss, p. 167/168).

  Les éléments constitutifs d'une norme pénale se répartissent en éléments
objectifs et subjectifs. On ne voit pas pourquoi il conviendrait

d'attribuer une portée moindre à l'un desdits paramètres par rapport à
l'autre dans le cadre de l'infraction de blanchiment d'argent de l'art.
305bis CP. Lorsqu'il a édicté cette norme, le législateur a clairement
écarté la responsabilité du blanchisseur qui a agi par négligence (cf.
Message du Conseil fédéral du 12 juin 1989, FF 1989 II 984, ch. 231.2).

  En accord avec la majorité des auteurs susmentionnés, il faut donc
admettre que l'art. 305bis CP ne souffre pas d'être disséqué et qu'il s'agit
d'une norme intangible, qui forme par elle-même un tout.

  En d'autres termes, un acte de blanchiment commis par négligence, qui
n'est donc pas sanctionné par la loi pénale, ne saurait constituer un acte
illicite tel que l'entend l'art. 41 CO.

  5.2.4  S'il n'y a, comme dans le cas présent, pas d'illicéité civile
découlant du droit pénal, faute de réalisation de l'élément subjectif de
l'infraction entrant en ligne de compte, il faut encore vérifier si
l'illicéité ne pourrait pas résulter de la violation d'une obligation de
sécurité (ATF 126 III 113 consid. 2b et les arrêts cités; MISTELI, op. cit.,
p. 236 et 257).

  La loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le
blanchiment d'argent dans le secteur financier (loi sur le blanchiment
d'argent, LBA; RS 955.0) est entrée en vigueur le 1er avril 1998, si bien
qu'elle n'est pas applicable aux faits incriminés qui se sont déroulés entre
les mois de septembre 1996 et mars 1998. Il en va a fortiori de même de
l'ordonnance de la Commission fédérale des banques du 18 décembre 2002 en
matière de lutte contre le blanchiment d'argent (OBA-CFB; RS 955.022), qui
est entrée en force le 1er juillet 2003.

  La recourante, dans son recours connexe 4P.274/2006, a fait grand cas des
Recommandations du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux
(GAFI), groupe rassemblant en particulier des représentants des Etats
membres du G-7, créé en 1989 à Paris lors d'un sommet desdits Etats. En pure
perte. Outre que ces dispositions s'adressent à des Etats et non à des
particuliers, elles ne sont pas contraignantes (cf. www.fatf-gafi.org).

  Partant, la recourante ne peut pas se prévaloir de la violation d'une
norme de sécurité.

  5.2.5  Au vu de ce qui précède, la défenderesse n'a violé aucune norme
ayant pour but de protéger le patrimoine de la demanderesse.

Autrement dit, il n'est pas possible d'imputer à l'intimée le comportement
illicite d'un organe (art. 55 al. 2 CC) ou d'un auxiliaire (art. 55 CO), qui
aurait été susceptible d'entraîner sa responsabilité délictuelle à l'égard
de sa partie adverse, laquelle s'est prévalue d'un dommage purement
économique.

  Ce résultat dispense le Tribunal fédéral d'examiner les autres griefs de
la recourante, qui se rapportent au manque de diligence prétendu de la
défenderesse, à la problématique du rapport de causalité adéquate et aux
principes de calcul du dommage.