Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 132 I 97



Urteilskopf

132 I 97

  12. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause X.
contre Commune de Fleurier ainsi que Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel
(recours de droit public)
  2P.89/2005 du 18 avril 2006

Regeste

  Art. 27 und 36 BV, Art. 3 BGBM; Verfassungsmässigkeit einer kommunalen
Marktordnung, insbesondere der Bestimmung betreffend den gesteigerten
Gemeingebrauch.

  Kriterien für die Auswahl von Interessenten für Marktstände, wenn der
verfügbare Platz nicht ausreicht, um alle Gesuche zu berücksichtigen (E. 2).

  Art. 2 Abs. 2 des Reglements, der eine Rangordnung nach der geografischen
Herkunft der Interessenten festlegt und damit in wettbewerbsverzerrender
Weise stets dieselben Personenkreise bevorzugt, ist mit der
Wirtschaftsfreiheit und dem Binnenmarktgesetz nicht vereinbar (E. 3).

Sachverhalt

  X. est un commerçant itinérant, établi dans le canton de Fribourg. Il
déclare avoir participé durant quinze ans à l'Abbaye de Fleurier pour y
vendre ses produits. Sa participation a été remise en cause en 2004; dans un
premier temps, le Conseil communal de Fleurier (ci-après: le Conseil
communal) a refusé de lui octroyer un emplacement, puis il lui a accordé une
place à certaines conditions. X. a présenté, le 16 novembre 2004, une
demande de place pour l'Abbaye de Fleurier de 2005 et s'y est encore référé
dans un courrier adressé, le 8 décembre 2004, au Conseil communal.

  Le 14 décembre 2004, le Conseil général de Fleurier a adopté le règlement
de l'Abbaye de la commune de Fleurier (ci-après: le Règlement). Le Conseil
d'Etat du canton de Neuchâtel (ci-après: le Conseil d'Etat) a approuvé le
Règlement par un arrêté du 25 janvier 2005 (ci-après: l'Arrêté).

  L'Abbaye de Fleurier est une foire organisée une fois par année, le
week-end précédant la fin de l'année scolaire; elle a lieu à la place de
Longereuse et à la rue de la Place d'Armes. L'art. 2 du Règlement, ayant
pour note marginale "Ordre de Réservation", dispose:

   "1 Les emplacements pour les marchés forains (carrousels) sont attribués
    sur la base de contrats spécifiques signés d'une part par les forains et
    d'autre part par le Conseil communal.

    2 L'attribution des places pour les stands et guinguettes se fait dans
    l'ordre suivant:

    - les sociétés et marchands du village,

    - du district du Val-de-Travers,

    - du canton de Neuchâtel,

    - de Suisse romande,

    - les marchands des autres cantons suisses, pour autant qu'il y ait
    encore de la place.

    3 L'attribution des places pour les stands et guinguettes n'est pas un
    droit acquis. La demande doit se faire chaque année."

  Le 2 février 2005, le Conseil communal a répondu à la lettre de X. du 8
décembre 2004, en disant que son inscription serait examinée au regard de la
nouvelle réglementation communale, et il lui a envoyé une copie du Règlement
ainsi que de l'Arrêté.

  Agissant par la voie du recours de droit public, X. demande au Tribunal
fédéral d'annuler l'Arrêté et le Règlement. Il fait notamment valoir que
l'art. 2 al. 2 du Règlement viole la liberté économique (cf. art. 27 Cst.),
l'égalité de traitement (cf. art. 8 Cst.) et la primauté du droit fédéral
(cf. art. 49 Cst.) dans la mesure où il enfreint la loi fédérale du 6
octobre 1995 sur le marché intérieur (LMI; RS 943.02), en particulier l'art.
3 LMI.

  Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours dans la mesure où il
était recevable; il a annulé l'art. 2 al. 2 du Règlement et l'Arrêté dans la
mesure où il se rapportait à cette disposition.

Auszug aus den Erwägungen:

                        Extrait des considérants:

Erwägung 2

  2.  Le présent recours pose essentiellement le problème du respect de la
liberté économique et de l'égalité, en particulier entre concurrents, par la
réglementation de l'usage accru du domaine public lors de l'Abbaye de
Fleurier. Il soulève aussi la question de la conformité de ladite
réglementation à la primauté du droit fédéral, en relation avec la loi
fédérale sur le marché intérieur.

  2.1  Selon l'art. 27 al. 1 Cst., la liberté économique est garantie. Elle
comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une
activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2
Cst.). Cette liberté protège toute activité économique privée, exercée à
titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (cf.
le message du Conseil fédéral du 20 novembre

1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, in FF 1997 I 1 ss, p.
176).

  Aux termes de l'art. 36 al. 1 Cst., toute restriction d'un droit
fondamental doit être fondée sur une base légale; les restrictions graves
doivent être prévues par une loi; les cas de danger sérieux, direct et
imminent sont réservés. Toute restriction d'un droit fondamental doit être
justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental
d'autrui (art. 36 al. 2 Cst.) et proportionnée au but visé (art. 36 al. 3
Cst.). L'essence des droits fondamentaux est inviolable (art. 36 al. 4
Cst.).

  La jurisprudence a encore établi que l'égalité de traitement entre
concurrents directs, c'est-à-dire entre personnes appartenant à une même
branche économique qui s'adressent au même public avec des offres identiques
pour satisfaire le même besoin (ATF 125 II 129 consid. 10b p. 149 et la
jurisprudence citée), découlant de l'art. 27 Cst. n'était pas absolue et
autorisait des différences à condition que celles-ci répondent à des
critères objectifs et résultent du système lui-même; il est seulement exigé
que les inégalités ainsi instaurées soient réduites au minimum nécessaire
pour atteindre le but d'intérêt public poursuivi (arrêts 2P.83/2005 du 26
janvier 2006, consid. 2.3, et 2A.26/2005 du 14 juin 2005, consid. 4.2; cf.
aussi ATF 125 I 431 consid. 4b/aa p. 435/436 appliquant l'art. 31 aCst.).

  Sont enfin prohibées les mesures de politique économique ou de protection
d'une profession qui entravent la libre concurrence en vue de favoriser
certaines branches professionnelles ou certaines formes d'exploitation (ATF
125 I 209 consid. 10a p. 221 et la jurisprudence citée).

  2.2  Selon l'art. 664 al. 1 CC, les biens du domaine public sont soumis à
la haute police de l'Etat sur le territoire duquel ils se trouvent. Par
conséquent, les cantons ou les communes peuvent réglementer l'usage qui en
est fait par les privés. Ainsi, ils sont en principe libres de décider par
qui et à quelles conditions le domaine public peut être utilisé. Cependant,
la jurisprudence a reconnu aux administrés un droit conditionnel à l'usage
accru du domaine public à des fins notamment commerciales (ATF 128 I 295
consid. 3c/aa p. 300 et la jurisprudence citée), comme l'installation d'un
stand dans une foire. Une autorisation ne peut être refusée que dans le
respect des droits fondamentaux, en particulier de l'égalité (art. 8 Cst.)
ainsi que de la liberté économique (art. 27 Cst.) notamment sous l'angle

de l'égalité entre concurrents (ATF 129 II 497 consid. 5.4.7 p. 527; 128 I
136 consid. 4.1 p. 145; 119 Ia 445 consid. 3c p. 451; SJ 2001 I p. 557,
2P.96/2000, consid. 5b p. 562; FRANÇOIS BELLANGER, Commerce et domaine
public, in Le domaine public - Journée de droit administratif 2002, éd. par
François Bellanger et Thierry Tanquerel, Genève 2004, p. 43 ss, 50/51).
Lorsque la place à disposition est limitée, la collectivité publique doit
opérer un choix selon des critères objectifs. Elle peut retenir les demandes
les plus aptes à satisfaire les besoins de toute nature du public, du point
de vue de la qualité et de la diversité (ATF 128 I 136 consid. 4.2 p. 148;
arrêts 2P.145/2003 du 30 juillet 2003, consid. 4.1, et 2P.327/1998 du 3 mars
1999, consid. 2b). Finalement, il y a lieu de procéder à une pesée des
intérêts en présence (BLAISE KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd.,
Bâle 1991, nos 3027 et 3039, p. 620/621; DAVID HOFMANN, La liberté
économique suisse face au droit européen, thèse Genève 2005, p. 77; cf.
aussi ATF 105 Ia 91 consid. 3 p. 94). Dans ce cadre, il est possible de
tenir compte de l'intérêt culturel. Sous l'empire de l'art. 4 aCst. (cf.
art. 8 Cst.), le Tribunal fédéral a admis qu'il était compatible, dans une
certaine mesure, avec le principe de l'égalité de traitement de favoriser
les personnes établies dans la commune concernée, sans toutefois se
prononcer au regard de l'égalité entre concurrents (ATF 121 I 279 consid. 5c
p. 286). En revanche, il n'existe pas de droit acquis au maintien d'une
autorisation (ATF 108 Ia 135 consid. 5a p. 139; SJ 1996 p. 533, 2P.58/1996,
consid. 3b p. 540; arrêt 2P.78/1997 du 16 janvier 1998, consid. 5). On peut
concevoir l'établissement d'une liste d'attente, pour autant qu'un tel
système ne comporte pas un temps d'attente excessif et qu'il assure une
certaine rotation, sans quoi les nouveaux arrivants n'auraient aucune chance
d'obtenir une fois l'autorisation sollicitée, ce qui violerait l'égalité
entre concurrents (cf. ATF 121 I 279 consid. 4 et 5 p. 284 ss; 102 Ia 438
consid. 4 p. 442/443; FRANÇOIS BELLANGER, op. cit., p. 60/61). Le mode de
sélection mis en place doit avoir les effets les plus neutres possible du
point de vue de la concurrence (ATF 129 II 497 consid. 5.4.7 p. 527; DAVID
HOFMANN, op. cit., p. 77). On ne peut, à qualité égale, favoriser
systématiquement les mêmes candidats ou groupes de candidats (ATF 128 I 136
consid. 4 p. 145 ss; arrêt 2P.145/2003 du 30 juillet 2003, consid. 4.1).

  Il convient également de prendre en considération la loi fédérale sur le
marché intérieur. En fait, cette loi ne résout pas le problème particulier
des choix à opérer lorsque la place disponible est insuffisante.

Elle règle avant tout la liberté d'accès au marché lorsque le problème de
l'impossibilité de donner à tous, simultanément, une autorisation d'usage
accru du domaine public ne se pose pas. Il n'en reste pas moins qu'il faut
tenir compte, autant que faire se peut, du principe de non-discrimination,
tel qu'il est énoncé notamment à l'art. 3 LMI.

Erwägung 3

  3.  La commune de Fleurier met à disposition la place de Longereuse et la
rue de la Place d'Armes pour sa foire annuelle, l'Abbaye de Fleurier. Ladite
commune invoque des motifs pertinents de sécurité et de tranquillité
publiques pour ne pas étendre davantage le périmètre de cette fête. Il n'en
reste pas moins qu'une telle délimitation ne permet pas forcément de
satisfaire toutes les demandes de places pour dresser un stand ou une
guinguette, ce qui oblige alors à opérer des choix entre les différents
intéressés. L'art. 2 al. 2 du Règlement établit l'ordre dans lequel ces
demandes doivent être satisfaites, en favorisant surtout les sociétés
locales. En effet, cette disposition permet d'attribuer des emplacements
pour des stands d'abord aux sociétés et marchands du village, puis elle
élargit le cercle à ceux (1) du district du Val-de-Travers, (2) du canton de
Neuchâtel, (3) de Suisse romande et enfin (4) des autres cantons suisses.
Lors de l'Abbaye de Fleurier, l'activité des sociétés locales consiste à
tenir des stands où est vendue de la marchandise; en effet, la commune de
Fleurier n'allègue pas que ces sociétés dresseraient des stands pour
présenter leur activité et ne vendraient que très accessoirement des
marchandises. En tant que les produits vendus à ces stands sont analogues à
ceux du recourant, on peut dire que ces sociétés sont des "concurrents
directs" du recourant; tel ne serait pas le cas, en revanche, dans la mesure
où ces sociétés locales vendraient des produits différents de ceux du
recourant. L'ordre établi par l'art. 2 al. 2 du Règlement permet d'attribuer
les emplacements pour des stands où l'on vend des produits semblables à ceux
du recourant, lorsqu'il n'y a pas suffisamment de places pour tous les
marchands et sociétés qui désirent en vendre. L'art. 2 al. 2 du Règlement
prévoit ainsi une intervention contraire à la liberté économique et aux
principes consacrés par la loi fédérale sur le marché intérieur, car il
instaure un mécanisme privilégiant systématiquement les mêmes groupes de
candidats; n'étant pas neutre sur le plan économique, il fausse la
concurrence. Cette appréciation est en tout cas valable pour la préférence
donnée dans l'ordre aux sociétés et marchands du district du Val-de-Travers,
du canton de Neuchâtel,

de Suisse romande et, enfin, des autres cantons suisses. On peut cependant
se demander s'il n'est pas possible d'accorder une certaine préférence aux
"sociétés et marchands du village", en dépit de la liberté économique et des
principes sous-tendant la loi fédérale sur le marché intérieur (question non
entièrement résolue par l'ATF 121 I 279 consid. 6c p. 287 ss). Une telle
préférence paraît admissible, dans une certaine mesure, pour une
manifestation locale du type de l'Abbaye de Fleurier. En effet, il peut y
avoir un intérêt public à la présence de "sociétés et marchands du village",
afin d'assurer le succès et la fréquentation de la foire. On peut également
tenir compte du fait que les sociétés locales pourront difficilement
participer à d'autres manifestations analogues. Il convient toutefois de
mettre en place un système dont les commerçants "non locaux" ne soient pas
systématiquement écartés, sans avoir aucune chance d'obtenir un jour un
emplacement à l'Abbaye de Fleurier.

  Dans ces conditions, l'art. 2 al. 2 du Règlement n'est pas
constitutionnel. Au demeurant, il n'appartient pas à l'autorité de céans,
qui a rappelé ci-dessus les principes généraux, de prescrire à la commune de
Fleurier comment régler la question qui se pose.