Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 132 I 134



Urteilskopf

132 I 134

  16. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. et D.
International SA contre Y. SA, Oil Holding Ltd. et Cour de justice du canton
de Genève (recours de droit public)
  4P.8/2006 du 4 mai 2006

Regeste

  Art. 6 Ziff. 1 EMRK, Art. 29 Abs. 1 und 30 Abs. 1 BV; Sicherstellung der
Parteientschädigung der Gegenpartei durch die Klägerin.

  Der Anspruch auf Zugang zum Gericht schliesst nicht aus, dass von der
Klägerin eine Sicherstellung verlangt wird, die dazu bestimmt ist, ohne
Unterscheidung zukünftige wie auch der Beklagten bereits erwachsene
Prozesskosten zu decken (E. 2.2). Die Sicherstellung kann sich auch auf die
Kosten beziehen, die infolge einer Verrechnungseinrede der Beklagten
entstehen (E. 2.3).

Sachverhalt

  Il existe à Pleven, en Bulgarie, une raffinerie de pétrole qui appartient
à Oil AD, une société constituée selon le droit de ce pays. L'installation
peut traiter 1'200'000 tonnes de pétrole brut par année. Le 18 septembre
1998, un lot d'actions de Oil AD, correspondant à plus de 96 % de son
capital, fut vendu à une société de droit chypriote devenue par la suite Oil
Consortium Ltd. Le 18 décembre suivant, on amenda le contrat en ce sens que
le prix initialement convenu, soit environ 50 millions de dollars
étasuniens, serait dorénavant fixé à 44'924 millions d'anciens leva
bulgares, payables trente ans après l'acquisition des titres.

  Les actions de Oil Consortium Ltd. appartiennent elles-mêmes à une autre
société chypriote, Oil Holding Ltd. Egalement le 18 septembre 1998, un
contrat fut conclu entre cette dernière et X., celui-ci agissant à titre de
représentant d'une société à créer par lui. Ce contrat assurait à la société
future le droit à une redevance de 1,50 dollar pour chaque tonne de pétrole
brut reçue par la raffinerie, mais au minimum de trois millions de dollars
par période de trente-six mois. Cette redevance serait garantie par
l'ensemble des actions de Oil Consortium Ltd.

  La constitution de cette garantie fit l'objet d'un "acte de gage" et d'un
contrat de séquestre, le 18 décembre 1998. Les parties audit contrat étaient
X., agissant au nom et pour le compte de la société en formation, Oil
Holding Ltd. et la fiduciaire suisse Y. SA. Cette dernière s'obligeait à
recevoir et conserver les actions de Oil Consortium Ltd. en vue de les
transférer à X., le cas échéant, trente jours

après que celui-ci lui aurait adressé des instructions écrites dénonçant une
violation du contrat relatif à la redevance.

  Tous les contrats prévoyaient l'application du droit anglais et la
compétence "non exclusive" des tribunaux anglais.

  Dès octobre 1999, X. s'est prévalu de la garantie constituée en sa faveur
et il s'est adressé à Y. SA afin d'obtenir la remise des actions. Durant
trois mois environ, cette remise fut d'abord retardée par des mesures
d'urgence obtenues des tribunaux genevois par Oil Holding Ltd. Il apparut
ensuite que Y. SA n'avait jamais reçu les instruments originaux de transfert
des actions, de sorte qu'elle n'était pas en mesure de les livrer à X. et
que celui-ci, par conséquent, demeurerait hors d'état de vendre les titres
conformément à ses expectatives.

  Le 13 décembre 2000, X. et D. International SA, qui est semble-t-il la
société en formation mentionnée dans les contrats, ont ouvert action contre
Y. SA devant le Tribunal de première instance. Leur demande initiale tendait
au paiement de 17 millions de dollars à titre de dommages-intérêts; cette
somme correspondait censément à la valeur de la garantie dont les demandeurs
se trouvaient frustrés. La demande fut par la suite réduite à 5'250'000
dollars. Oil Holding Ltd. fut appelée en cause par la défenderesse.

  Dès mars 2002, cette dernière partie a soulevé l'exception tendant à
obtenir une cautio judicatum solvi. Elle fut déboutée de ses conclusions au
motif que X. était domicilié dans un Etat partie à la Convention de la Haye
relative à la procédure civile.

  Le 30 avril 2005, la défenderesse a réitéré l'exception en faisant valoir
que X. avait transféré son domicile en Mongolie, soit dans un Etat qui
n'avait pas adhéré à la convention précitée. Ses conclusions tendaient au
versement de sûretés au montant de 400'000 fr. Le tribunal lui a donné gain
de cause par jugement du 31 mai 2005, les demandeurs devant fournir une
garantie de cette valeur dans un délai de soixante jours dès la
communication du prononcé.

  Les demandeurs ont appelé à la Cour de justice en réclamant que le montant
des sûretés fût réduit à 50'000 fr. Statuant le 18 novembre 2005, la Cour a
rejeté l'appel.

  Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit public des demandeurs.

Auszug aus den Erwägungen:

                        Extrait des considérants:

Erwägung 2

  2.  Il est constant qu'en raison du caractère civil de la prétention
qu'ils élèvent contre Y. SA, les recourants ont le droit de faire valoir
cette prétention devant un tribunal, selon les art. 6 par. 1 CEDH et 30 al.
1 Cst., et d'obtenir un procès équitable devant ce tribunal, conformément à
cette même disposition conventionnelle et à l'art. 29 al. 1 Cst.

  2.1  Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
relative à l'art. 6 par. 1 CEDH, le droit d'accéder aux tribunaux nécessite
de par sa nature même une réglementation par les Etats parties à la
Convention. Ceux-ci jouissent, à ce sujet, d'une certaine marge
d'appréciation et ils peuvent donc prévoir certaines limitations, pour
autant que celles-ci ne portent pas atteinte à la substance même du droit
d'accès aux tribunaux, qu'elles tendent à un but légitime et qu'il existe un
rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations instituées et
le but visé (arrêt de la CourEDH dans la cause Garcia contre Espagne du 15
février 2000, par. 36; voir aussi les arrêts Patronono contre Italie du 20
avril 2006, par. 58, et Besseau contre France du 6 mars 2006, par. 23). La
Cour a notamment reconnu comme légitime de réclamer d'une partie appelante
le versement d'une cautio judicatum solvi afin d'éviter que la partie
appelée ne se trouve confrontée, en cas de rejet de l'appel, à
l'impossibilité de recouvrer ses frais de justice (arrêt Tolstoy contre
Royaume-Uni du 13 juillet 1995, par. 61; voir aussi l'arrêt Kreuz contre
Pologne du 19 juin 2001, par. 54).

  Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, des principes semblables
s'appliquent au droit d'accès aux tribunaux qui est garanti par la
Constitution fédérale (ATF 131 II 169 consid. 2.2.3 p. 173/174; 130 I 312
consid. 4.2 p. 326; 129 V 196 consid. 4.1 p. 198). Ce droit nécessite d'être
concrétisé par la législation; dans ce contexte, l'art. 36 Cst., qui vise au
premier chef la restriction des libertés fondamentales, s'applique par
analogie aux limitations éventuellement prévues (ATF 129 I 135 consid. 8.2
p. 42). Les recourants se réfèrent à l'art. 36 al. 3 Cst., qui consacre le
principe de la proportionnalité, pour soutenir que le montant de 400'000 fr.
est excessif.

  2.2  Ledit montant est issu d'une évaluation portant sur l'ensemble des
frais déjà exposés ou restant à exposer, pour les intimées, du commencement
du procès jusqu'à l'issue d'une éventuelle instance d'appel. Les recourants
reprochent aux précédents juges d'avoir pris en

considération aussi ces frais déjà exposés avant le 30 avril 2005, date à
laquelle les intimées ont réitéré l'exception tendant aux sûretés. Ils
invoquent la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à l'art. 150 al. 2
OJ, selon laquelle seuls des frais futurs, postérieurs à la demande de
sûretés, peuvent être couverts par cette garantie (arrêt 4P.282/2001 du 3
avril 2002, consid. 1; ATF 118 II 87 consid. 2 p. 88; 79 II 295 consid. 3 p.
305).

  Selon la jurisprudence cantonale relative à l'art. 102 al. 1 LPC/GE, les
sûretés doivent être demandées d'entrée de cause devant le Tribunal de
première instance, de manière que la partie demanderesse soit avertie de
tous les risques du procès avant qu'elle ait exposé des frais autres que
ceux nécessaires à l'introduction de l'instance. Les sûretés peuvent encore
être requises au moment de l'appel à la Cour de justice, mais seulement pour
couvrir les dépens d'appel. On réserve les cas où le droit aux sûretés ne
prend naissance que pendant le procès, en raison d'une modification dans la
situation des parties; le défendeur doit alors agir immédiatement (BERNARD
BERTOSSA/LOUIS GAILLARD et al., Commentaire de la loi de procédure civile
du canton de Genève du 10 avril 1987, ch. 4 ad art. 102 LPC/GE). En
l'espèce, c'est précisément le changement de domicile de X. qui a permis aux
intimées d'obtenir les sûretés en cours de procès.

  Certaines législations cantonales diffèrent de celle en vigueur à Genève
et prévoient que les sûretés peuvent être requises aussi en cours de procès
(Valais: art. 264 al. 1 CPC; Vaud: art. 96 al. 2 CPC), alors même qu'elles
auraient pu l'être déjà au début, ou encore qu'elles peuvent être augmentées
si elles se révèlent insuffisantes (Zurich: § 79 al. 1 ZPO; Berne: art. 71
CPC; Valais: art. 265 al. 1 CPC; Vaud: art. 100 CPC). Dans les cantons de
Zurich et de Berne, de même qu'en Allemagne, il est admis que les sûretés
doivent couvrir non seulement les frais futurs mais aussi, le cas échéant,
ceux que la partie défenderesse a déjà subis dans le procès (RICHARD FRANK,
Kommentar zur zürcherischen Zivilprozessordnung, 3e éd., ch. 3 ad § 79;
GEORG LEUCH, Die Zivilprozessordnung für den Kanton Bern, 5e éd., ch. 1 let.
c ad art. 71; ADOLF BAUMBACH et al., Zivilprozessordnung, 64e éd., Munich
2006, ch. 6 ad § 112 ZPO). La solution contraire pratiquée par le Tribunal
fédéral, dans l'application de l'art. 150 al. 2 OJ, ne semble donc pas
correspondre à un principe fondamental et généralement reconnu de la
procédure civile, principe qui s'imposerait aussi dans l'application des
législations cantonales; elle paraît surtout adaptée aux procédures de
recours qui

s'accomplissent devant le Tribunal fédéral, dans lesquelles, en règle
générale, la partie intimée se borne à déposer un unique mémoire. Pour le
surplus, les sûretés répondent sans doute à un objectif légitime, au regard
de l'art. 6 par. 1 CEDH, aussi lorsqu'elles garantissent indistinctement des
frais déjà subis et des frais futurs. Les recourants ne cherchent pas à
démontrer le contraire et on ne discerne pas ce qui pourrait justifier une
pareille opinion. Or, dans la mesure où il est approprié à un objectif
légitime, le montant des sûretés ne saurait être tenu pour disproportionné.

  2.3  Le Tribunal de première instance a pris en considération, outre la
valeur litigieuse, les difficultés inhérentes à un débat judiciaire portant
sur des questions de droit étranger. Les recourants contestent la pertinence
de cet élément d'appréciation. Ils affirment que le litige relatif au
contrat de séquestre ne nécessite qu'une instruction très simple. Certes,
les intimées opposent en compensation une prétention qu'elles fondent sur
des éléments exorbitants de ce contrat; toutefois, selon les recourants,
seuls les tribunaux anglais sont compétents pour connaître de cette
prétention.

  Dans les causes soumises au droit civil fédéral, la compensation peut
toujours intervenir conformément à ce droit et, par conséquent, le juge
appelé à statuer sur la prétention principale doit aussi statuer sur
l'existence de la prétention opposée à fin de compensation. En principe,
quelles que soient les règles du droit cantonal de procédure, le droit
fédéral interdit au juge d'éconduire le défendeur de son exception de
compensation pour le renvoyer à agir devant un autre juge, si ce n'est
devant un autre juge du même canton (ATF 85 II 103 consid. 2 p. 106; voir
aussi ATF 124 III 207 consid. 3b/bb p. 210). En l'occurrence, pour autant
que les clauses contractuelles relatives à l'élection de droit ne donnent
pas elles aussi lieu à contestation, il semble que la cause soit soumise au
droit anglais. Néanmoins, on ne peut pas exclure d'emblée qu'en conformité
de ce droit, à appliquer selon l'art. 148 al. 2 LDIP, ou du droit cantonal,
les tribunaux genevois puissent ou doivent admettre leur compétence pour
instruire et statuer aussi sur la prétention compensante des intimées. Par
ailleurs, même si une cause se révèle plus compliquée et difficile que
prévu, le droit genevois ne permet pas d'augmenter en cours d'instance les
sûretés exigées du demandeur. Dans ces conditions, les juges n'ont pas violé
le principe de la proportionnalité en tenant compte, dans l'évaluation du
montant à exiger pour les sûretés, des difficultés inhérentes à tous les
moyens soulevés dans le procès, y compris l'exception de compensation.

  Le grief que les recourants prétendent tirer de l'art. 36 al. 3 Cst., en
relation avec les art. 6 par. 1 CEDH, 29 al. 1 et 30 al. 1 Cst., se révèle
donc mal fondé.