Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 132 III 122



Urteilskopf

132 III 122

  16. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause Syndicat X.,
A., B., C. et D. contre Y. SA (recours en réforme)
  4C.422/2004 du 13 septembre 2005

Regeste

  Rechtmässigkeit von im Arbeitskampf eingesetzten Mitteln (Art. 28 BV; Art.
41 und 357a OR).

  Kriterien für die Bestimmung, ob ein Mittel des Arbeitskampfes vorliegt
(E. 4.3). Da Art. 28 BV betreffend die Koalitionsfreiheit indirekte
Drittwirkung im Bereich der Arbeitsbeziehungen des privaten Sektors
entfaltet, muss ein Gericht dieses Verfassungsrecht berücksichtigen, wenn es
die Rechtmässigkeit eines im Arbeitskampf eingesetzten Mittels prüft. Damit
ein Kampfmittel rechtmässig ist, muss es die Arbeitsbeziehungen betreffen,
nicht gegen die relative Friedenspflicht verstossen, von einer
Arbeitnehmervereinigung getragen werden und den Grundsatz der
Verhältnismässigkeit respektieren (E. 4.4). Unter dem Gesichtspunkt dieses
Grundsatzes ist es unverhältnismässig, Gewalt oder die Schädigung von Gütern
des Unternehmens als Kampfmittel zu gebrauchen. Verhältnismässig ist dagegen
das Aufstellen von Streikposten, soweit diese keine Gewalt anwenden (E.
4.5).

Sachverhalt

  A.

  A.a La société Y. SA (ci-après: la demanderesse ou Y.), qui fait partie du
groupe de l'industrie graphique Z. SA (ci-après: Z.), a pour but l'exécution
de travaux se rapportant aux arts graphiques, à l'édition et à la publicité.
Y. était membre de l'association patronale de l'industrie graphique F.

  Le Syndicat X. (ci-après: X. ou défenderesse n° 1), dont le siège est à
R., est un syndicat géré sous la forme d'une société coopérative, laquelle
est organisée en secteurs et régions. A. et B. (défendeurs n° 2 et n° 3)
sont membres du secrétariat central de X. à R., alors que C. et D.
(défendeurs n° 4 et n° 5) occupent la même fonction au secrétariat régional
de Lausanne. Les défendeurs n° 2 à n° 5 sont liés à la défenderesse n° 1 par
contrats de travail.

  X. est signataire avec F. d'une convention collective de travail (CCT),
qui est entrée en vigueur le 1er avril 2000. Cette CCT était conclue
jusqu'au 30 avril 2004.

  A.b Par lettre du 15 mai 2000, Y. a fait savoir à F. qu'elle démissionnait
de l'association patronale, avec effet au 31 décembre 2000. Cet acte a
suscité la réaction de X., qui a tenté d'amener la demanderesse à signer un
nouveau contrat collectif. La défenderesse n° 1 a ainsi fait signer en
octobre 2000 une pétition de 93 signatures qui a été remise à un notaire
vaudois.

  En novembre 2000, la demanderesse a avisé son personnel que la direction
n'entendait pas donner suite aux démarches de X. Y. s'est en particulier
plainte que les documents émis par la défenderesse n° 1 comportaient des
allégations mensongères visant à faire pression et intimider aussi bien le
personnel que la direction de l'entreprise, de sorte que cette dernière se
réservait de réagir par voie légale.

  Le 20 décembre 2000, le président du conseil d'administration du groupe Z.
a rencontré des représentants de X. Aucun accord n'a pu être trouvé.

  Le 30 janvier 2001, le groupe Z. a informé X. qu'il ne reviendrait pas sur
sa décision de retrait de l'association F.

  Le 27 février 2002, les quotidiens "M." et "N." ont publié les
déclarations suivantes de Y.:

   "Rien ne prouve que les signataires de la pétition, transmise anonymement
    par un notaire, soient bien des employés du groupe (...). Au syndicat du
    livre et du papier, nous avions en face de nous des professionnels avec
    lesquels nous pouvions dialoguer. X. n'est qu'un parti politique qui ne
    défend pas les travailleurs. Au contraire, ils sont même intervenus
    auprès de certains de nos clients pour enlever du travail."

  Considérant ces propos comme une provocation intolérable de la part de Y.,
X., par l'entremise des défendeurs nos 2 à 5, a décidé d'organiser le soir
du 18 mars 2001 une manifestation non autorisée

devant les locaux de la demanderesse, laquelle consistait à empêcher les
employés de celle-ci d'imprimer le numéro à tirage augmenté du quotidien S.
du 19 mars 2001.

  A.c Les événements de la soirée du dimanche 18 mars 2001 ont fait l'objet
d'un rapport de la police municipale de Lausanne, établi le 28 mars 2001.
Ils ont également été filmés en vidéo.

  Il résulte de ce rapport, de l'enregistrement vidéo et de l'audition des
témoins que, dès 17 h 30, une quinzaine de membres et sympathisants de X. -
dont faisaient partie A., C. et D. - ont bloqué les différents accès de Y.
Les manifestants, qui portaient tous des chasubles en papier portant
l'inscription "Touche pas à mon contrat collectif", ont apposé deux
banderoles sur la façade sud du bâtiment. Une première patrouille de police
a été dépêchée sur les lieux.

  Vers 19 h, environ 60 personnes, dont un cameraman de la Télévision Suisse
Romande, se trouvaient sur les lieux. Une tente a été dressée, où se
trouvaient à disposition de la nourriture, des boissons alcoolisées et du
café. Durant cette phase de la manifestation, l'atmosphère était
décontractée. Lorsque les premiers employés de Y. se sont présentés sur leur
lieu de travail, les défendeurs n° 2, n° 4 et n° 5 leur ont expliqué la
nature de l'action. Gardant une attitude neutre, les employés se sont alors
retirés dans un établissement public voisin.

  Des négociations ont été entreprises vainement entre les défendeurs n° 2,
n° 4 et n° 5, le directeur de Y. et le directeur du quotidien S. Vers 20 h
45, le Syndic d'alors de la ville de Lausanne, V., accompagné de l'ancien
directeur de la sécurité publique et des affaires sportives W., sont arrivés
sur les lieux pour faire oeuvre de médiateurs. Sans résultat, si bien que
l'autorité politique, par l'entremise de ces deux magistrats, a décidé
l'évacuation forcée des manifestants. Un détachement de 16 policiers est
ainsi entré en action vers 22 h 20. Les manifestants ont tenté de résister
en formant une chaîne humaine devant la porte n° 2 de l'entreprise. Il s'en
est suivi quelques échauffourées entre forces de l'ordre et manifestants,
dont plusieurs sont tombés au sol. Dans la mêlée, un manifestant a reçu un
coup au niveau de l'abdomen. Le système de fermeture de la porte d'entrée du
bâtiment a été brisé.

  Une brèche a néanmoins pu être ouverte et l'accès aux locaux de la
demanderesse a été assuré au personnel ouvrier. Aux alentours de

23 h, les manifestants se sont progressivement rassemblés devant la porte n°
2 pour empêcher toute personne de sortir du bâtiment. Ils ont été rejoints
par plusieurs personnes du milieu alternatif lausannois, qui ont adopté un
comportement agressif.

  Comme les premiers sacs de journaux étaient prêts à être livrés, une
stratégie a été mise en place par la police, désormais assistée par des
agents de la société I., laquelle avait été mandatée par Y. pendant la
soirée du jour en question pour les raisons qui seront indiquées ci-dessous.
Elle consistait à créer une diversion sur l'une des entrées extérieures sud
de l'immeuble, pendant que d'autres policiers se déplaçaient au nord pour
réduire une barricade formée de containers et de pavés. Les ouvriers de Y.
ont pu sortir les sacs par cette issue, vers 1 h du matin le 19 mars 2001,
en les posant dans la rue, où un taxi commandé par l'entreprise devait les
prendre en charge. Alertés toutefois par des guetteurs, les manifestants,
dont certains étaient sous l'influence de l'alcool, se sont déplacés en
masse. Des bagarres assez violentes ont éclaté entre ces derniers et les
forces de l'ordre. Quelques personnes se sont retrouvées au sol. Des vitres
situées au sud du bâtiment ont été brisées par des jets d'objets.

  Vers 1 h 20, les opposants du milieu autogéré, ainsi qu'une dizaine de
syndicalistes, ont quitté les lieux. Dix minutes plus tard, un camion de
livraison est arrivé à la rue H. pour prendre livraison d'un stock plus
important de journaux. A ce moment, les manifestants qui restaient ont tenté
d'empêcher le déroulement de cette opération, ce qui a provoqué de vives
algarades et de nombreuses bousculades. Certains des participants se sont
couchés devant le camion, alors que d'autres ont tenté de frapper le
chauffeur. Les policiers, faisant usage de la force, ont permis au véhicule
de repartir avec son chargement. Certains ouvriers de Y. en sont venus aux
mains avec les syndicalistes. Après que le Directeur W. se fut derechef
rendu sur place, les manifestants se sont finalement retirés.

  A 2 h du matin, un nouveau camion a pris le reste du chargement de
journaux. Un inconnu a toutefois crevé un pneu du véhicule. Aucun incident
ne s'est déroulé par la suite.

  Il n'a été procédé à aucune interpellation au cours de cette soirée,
laquelle a nécessité l'engagement d'un effectif de 39 policiers.

  A.d Il a été constaté qu'aucun des membres et sympathisants de X. présents
lors de la manifestation précitée ne faisait partie du personnel de Y.

  A.e Le responsable des opérations de police a déclaré le soir du 18 mars
2001 que les forces de l'ordre n'interviendraient plus en cas de nouveau
conflit du travail chez Y. et que celle-ci devait à l'avenir assurer sa
sécurité par le truchement d'une société privée. C'est ainsi que la
demanderesse a donné mandat à la société I. pour surveiller les alentours de
l'entreprise. I. a établi une première facture d'un montant de 7'929 fr. 10
pour le contrôle effectué aux portes d'accès de Y. entre le 18 et le 20 mars
2001.

  La distribution du journal S. a été perturbée le 19 mars 2001, tous les
journaux n'ayant pu être livrés en temps utile. Par convention du 8 novembre
2001, l'éditeur de ce journal et la demanderesse sont convenus d'arrêter à
12'500 fr. le préjudice subi, pour solde de tout compte et prétention.

  A.f Le 19 mars 2001, X. a saisi l'office cantonal de conciliation en cas
de conflit collectif. Lors d'un vote à bulletins secrets organisé en automne
2002 sous l'égide de cet office, les employés de Y. ont choisi d'adopter un
contrat-cadre plutôt que d'adhérer à la CCT dont est signataire F.

  A.g A la suite des événements du 18 mars 2001, le Premier Juge
d'instruction de l'arrondissement de Lausanne a ouvert d'office une enquête
pénale.

  Entendu le 26 avril 2001 par le magistrat instructeur, C. a déclaré que
les défendeurs ayant participé à l'action menée devant les portes de la
demanderesse s'étaient rendus coupables de contrainte. Il a en outre admis
que les manifestants initiaux avaient été débordés au cours de la soirée
lorsqu'ils avaient été rejoints par des squatters lausannois. Les défendeurs
n° 2 à n° 5 ont été inculpés notamment de contrainte (art. 181 CP).

  A.h Dans plusieurs parutions de son journal "G.", X. a fait savoir qu'elle
"n'abandonnerait pas le combat pour la CCT" ou encore que "le combat pour la
CCT et pour le respect des droits des salarié/e/s continue".

  Le 17 mai 2001, X. a perturbé la cérémonie de remise des clés de la
capitale olympique (i.e. Lausanne) à l'ancien président du Comité
International Olympique (CIO) T., au motif que l'avocat E., alors directeur
du CIO, est président de Y.

  Au vu des retombées de la manifestation du 18 mars 2001, I. a été chargée
par la demanderesse de contrôler l'accès aux portes sud et

nord du bâtiment. Cette surveillance, qui s'est exercée de moins en moins
intensivement entre le 21 mars et le 31 juillet 2001, a donné lieu à
l'établissement de cinq factures représentant un total de 39'401 fr. 40.

  B.- Par demande du 13 novembre 2001 fondée sur l'art. 41 CO, Y. a ouvert
action contre X., A., B., C. et D., concluant à ce que les défendeurs,
solidairement entre eux, subsidiairement chacun pour le montant que justice
dira, soient déclarés ses débiteurs du montant de 63'090 fr. 10, avec
intérêts à 5 % dès la date de la demande. La demanderesse réclamait le
remboursement de l'indemnité octroyée à l'éditeur du journal S., le paiement
des vitres brisées, du remplacement du système de fermeture de la porte
d'entrée et de la réparation du pneu crevé, le coût des heures
supplémentaires effectuées par 13 employés de Y. et le règlement des
factures de I. pour la surveillance exercée du 18 mars au 31 juillet 2001.

  La procédure pénale diligentée contre les défendeurs n° 2 à n° 5 a été
suspendue jusqu'à droit connu sur l'action aquilienne intentée par la
demanderesse.

  Par jugement du 3 avril 2003, le Tribunal civil de l'arrondissement de
Lausanne a admis partiellement les conclusions de la demanderesse en ce sens
que les défendeurs n° 1 à n° 5 ont été condamnés solidairement à payer à
cette dernière la somme de 21'858 fr. 15 plus intérêts à 5 % dès le 14
novembre 2001. Le Tribunal civil a admis que l'action entreprise par les
défendeurs le 18 mars 2001 était illicite. Les premiers juges ont reconnu
que la manifestation du 18 mars 2001 était la cause naturelle et adéquate du
paiement de l'indemnité due à S., par 12'500 fr., de la réparation des
vitres brisées, par 512 fr. 20, du pneu crevé, par 464 fr. 85, et du système
de fermeture de la porte principale, par 452 fr. ainsi que de la facture de
I. pour les contrôles opérés entre le 18 et 20 mars 2001, par 7929 fr. 10.
Ils ont en revanche retenu, pour les factures subséquentes de I., que le
rapport de causalité adéquate avait été rompu par la déclaration émanant de
la police le soir de la manifestation de ne plus intervenir si un nouveau
conflit syndical devait survenir chez Y. Enfin, le tribunal a considéré que
le nombre d'heures supplémentaires effectuées pour imprimer le quotidien S.
du 19 mars 2001 n'avait pas été prouvé.

  Statuant sur les recours formés et par la demanderesse et par les
défendeurs n° 1 à n° 5, la Chambre des recours, par arrêt du 8 octobre 2004,
a confirmé le jugement précité.

  C.- Les défendeurs n° 1 à n° 5 exercent un recours en réforme au Tribunal
fédéral contre l'arrêt cantonal. Ils requièrent que la demanderesse soit
entièrement déboutée de ses conclusions.

  Y. propose le rejet du recours. Elle forme également un recours joint et
conclut à ce que les défendeurs n° 1 à n° 5, solidairement entre eux,
subsidiairement chacun pour le montant que justice dira, soient déclarés ses
débiteurs du montant de 61'259 fr. 55 avec intérêts à 5 % dès la date de la
demande. La recourante par voie de jonction agit pour se voir rembourser par
les défendeurs la totalité des factures émises par I., ce qui représente un
total de 47'330 fr. 50, et non pas seulement la première de ces notes comme
l'a retenu le Tribunal d'arrondissement, suivi par la Chambres des recours.

  Le Tribunal fédéral a rejeté le recours principal, admis partiellement le
recours joint, annulé l'arrêt attaqué et renvoyé la cause à la cour
cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Auszug aus den Erwägungen:

                        Extrait des considérants:

Erwägung 4

  4.  Dans leur second moyen, les recourants principaux critiquent
l'application qui a été faite par la cour cantonale de l'art. 41 CO. Ils
font valoir que l'action syndicale qu'ils ont menée le 18 mars 2001,
laquelle avait consisté à bloquer momentanément l'accès de l'entreprise au
personnel, était conforme au droit et ne constituait pas un acte illicite
engageant leur responsabilité. Dès l'instant où la demanderesse avait
remplacé le contrat collectif alors en vigueur dans l'entreprise par un
contrat-cadre qui affaiblissait la position des travailleurs et qu'elle se
refusait à reprendre le dialogue en vue de la négociation d'une nouvelle
convention collective, les défendeurs soutiennent qu'ils étaient autorisés à
recourir à un moyen de combat.

  A en croire les recourants principaux, les juges cantonaux auraient commis
une double erreur d'appréciation et violé, outre la norme précitée, l'art.
356 CO. Ces magistrats auraient dû tenir compte de la situation qui a régné
dans les mois précédant l'action litigieuse ainsi que de l'impasse dans
laquelle se trouvaient les défendeurs. De plus, ils auraient dû constater
que les manoeuvres de la demanderesse ont réellement abouti à
l'affaiblissement du syndicat et des travailleurs de l'entreprise. Les
défendeurs, exposant que l'arrêt

entrepris a cautionné le démantèlement social, insistent sur le fait qu'un
contrat-cadre ne saurait remplacer valablement, en droit collectif suisse du
travail, une convention collective.

  Ils allèguent encore que l'action du 18 mars 2001, dont les effets, en
termes économiques, étaient moindres que ceux d'une grève, était
proportionnée dans ses moyens, compte tenu du but visé. La manifestation
serait licite au regard des principes posés par le Tribunal fédéral quant à
l'exercice du droit de grève, si bien que la principale condition requise
pour l'application de l'art. 41 CO ferait défaut. Sous cet angle, le fait
que les défendeurs n'aient pas saisi l'office cantonal de conciliation avant
de mener une action de combat serait privé de toute pertinence.

  In fine, les défendeurs soutiennent que les "menées" de la demanderesse
ont porté atteinte à leur personnalité, les prévisions de l'art. 28 CC étant
ainsi réunies.

  4.1  Il convient d'examiner si la Chambre des recours a jugé à bon droit
que les défendeurs ont engagé leur responsabilité aquilienne en organisant,
puis conduisant, par l'entremise des défendeurs n° 2, n° 4 et n° 5, l'action
du 18 mars 2001.

  La responsabilité délictuelle instituée par l'art. 41 CO suppose que
soient réalisées cumulativement les quatre conditions suivantes: un acte
illicite, une faute de l'auteur, un dommage et un rapport de causalité
(naturelle et adéquate) entre l'acte fautif et le dommage (cf. not. KARL
OFTINGER/EMIL W. STARK, Schweizerisches Haftpflichtrecht, Allgemeiner Teil,
vol. I, 5e éd., n. 102 ss, p. 44/45).

  En l'espèce, les recourants principaux ne contestent plus avoir agi
intentionnellement en étant conscients d'exercer une contrainte sur la
demanderesse, ni que la manifestation du 18 mars 2001 est la cause naturelle
et adéquate du préjudice calculé par la cour cantonale. Il reste donc à
déterminer si l'action menée le jour en question était ou non illicite.

  Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un acte est illicite s'il
enfreint un devoir légal général en portant atteinte soit à un droit absolu
du lésé (Erfolgsunrecht), soit à son patrimoine; dans ce dernier cas, la
norme violée doit avoir pour but de protéger le lésé dans les droits
atteints par l'acte incriminé (Verhaltensunrecht) (ATF 129 IV 322 consid.
2.2.2; 124 III 297 consid. 5b).

  4.2  Il résulte de l'état de fait déterminant que les défendeurs n° 2 à n°
5 ont été inculpés de contrainte au sens de l'art. 181 CP après les
événements du 18 mars 2001.

  La procédure pénale ayant été toutefois suspendue jusqu'à droit connu sur
la présente action civile de la demanderesse, on ne peut rien tirer de cet
élément quant à l'illicéité de l'action entreprise par les défendeurs.

  De toute manière, l'emploi d'un moyen de contrainte prévu par l'art. 181
CP ne signifie pas déjà que le recours à la contrainte soit illicite;
l'illicéité doit résulter de l'inadéquation entre les moyens employés et le
but poursuivi (ATF 122 IV 322 consid. 2a; VERA DELNON/BERNHARD RÜDY,
Commentaire bâlois, 2003, n. 49 ad art. 181 CP; BERNARD CORBOZ, Les
infractions en droit suisse, vol. I, n. 19 ss ad art. 181 CP).

  4.3  Avant toute chose, il y a lieu de définir l'action qui a été
organisée par tous les codéfendeurs, puis réalisée en particulier par les
défendeurs n° 2, n° 4 et n° 5 le soir du dimanche 18 mars 2001.

  Il a été retenu définitivement (art. 63 al. 2 OJ) qu'aucun employé lié par
contrat de travail à la demanderesse n'a participé à la manifestation du
jour en question. Partant, cette action ne saurait être qualifiée de grève,
laquelle est définie par la jurisprudence comme le refus collectif de la
prestation de travail due dans le but d'obtenir des conditions de travail
déterminées de la part d'un ou de plusieurs employeurs (ATF 125 III 277
consid. 3a). Autrement dit, des personnes extérieures à une entreprise,
quand bien même elles représentent des travailleurs syndiqués de celle-ci,
ne sauraient être considérées comme des grévistes, puisqu'elles n'ont aucune
obligation de fournir un travail à l'égard de ladite entreprise.

  Il a cependant été établi que la manifestation du 18 mars 2001, qui avait
pour but d'empêcher les employés de la demanderesse d'imprimer un numéro du
quotidien S., a été conduite par les membres d'un syndicat, qui est
signataire d'une convention collective conclue avec l'association patronale
dont était membre la demanderesse; partant, il s'agissait bien d'une action
collective. En outre, elle portait clairement sur les relations de travail
au sein de la recourante par voie de jonction et était dirigée contre cet
employeur, de sorte qu'elle n'avait pas un caractère politique. Enfin, elle
s'est déroulée après l'échec des pourparlers entre la défenderesse n° 1 et
la demanderesse concernant la signature avec celle-ci d'une nouvelle

convention collective de travail, ce qui est caractéristique d'une
"Pattsituation" entre partenaires sociaux, comme l'entend la doctrine
alémanique. Il se justifie en conséquence d'admettre que l'action du 18 mars
2001 entre dans la catégorie des moyens de combat relevant du droit
collectif du travail (Arbeitskampf), à l'instar de la grève et du lock-out
(cf. sur tous ces points, JEAN-FRITZ STÖCKLI, Commentaire bernois, n. 19 ad
art. 357a CO; FRANK VISCHER, Commentaire zurichois, n. 26 à 29 et n. 41 ad
art. 357a CO; HANS-PETER TSCHUDI, Der Arbeitsfrieden, Ziel des
Arbeitsrechts, in Mélanges en l'honneur de Jean-Louis Duc, Lausanne 2001, p.
387/ 388; MANFRED REHBINDER, Formen des Arbeitskampfes, in Recht und
Arbeitskampf, Berne 1980, p. 15 ss).

  4.4
  4.4.1  Jusqu'à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2000, de la nouvelle
Constitution fédérale du 18 avril 1999, le droit des mesures collectives de
combat avait été laissé en jachère par le législateur (STÖCKLI, op. cit., n.
20 ad art. 357a CO, avec les références doctrinales). Le moyen de combat en
tant que tel n'a d'ailleurs fait l'objet d'aucune disposition du code des
obligations (MANFRED REHBINDER/WOLFGANG PORTMANN, Commentaire bâlois, n. 9
ad art. 357a CO).

  S'agissant du droit de grève, le Tribunal fédéral avait laissé indécise la
question de savoir si le droit de grève était fondé sur un droit
constitutionnel non écrit. Il avait toutefois soumis la licéité d'une grève
à quatre conditions cumulatives: elle doit être appuyée par une organisation
ayant la capacité de négocier une convention collective de travail; elle
doit poursuivre des buts susceptibles d'être réglementés par une convention
collective; elle ne doit pas violer l'obligation de maintenir la paix du
travail; elle doit respecter le principe de la proportionnalité (ATF 111 II
245 consid. 4c). Puis, dans un arrêt rendu deux mois après l'adoption de la
nouvelle Constitution, soit six mois avant son entrée en vigueur, le
Tribunal fédéral, constatant que le droit suisse ne contenait aucune
réglementation explicite du droit de grève, a affirmé l'existence d'une
lacune du droit privé et conféré un effet horizontal au droit de grève,
reconnaissant formellement l'existence d'un tel droit dans l'ordre juridique
suisse (ATF 125 III 277 consid. 2). Dans ce même arrêt, le Tribunal fédéral
a consacré à nouveau les quatre conditions cumulatives précitées dont
dépendait la licéité d'une grève, en en déduisant qu'étaient interdites les
grèves "sauvages" de travailleurs

individuels, les grèves "politiques" n'ayant aucun rapport avec la relation
de travail ainsi que les mesures de combat portant sur des objets qui sont
déjà réglés dans une convention collective (ATF 125 III 277 consid. 3b).

  La situation s'est quelque peu décantée après l'adoption de l'art. 28 Cst.
relatif à la liberté syndicale, qui reconnaît le caractère licite de la
grève et du lock-out. Cette garantie constitutionnelle déploie en effet un
effet horizontal indirect (indirekte Drittwirkung) sur les relations de
travail dans le secteur privé (KLAUS A. VALLENDER, Die schweizerische
Bundesverfassung, Commentaire st-gallois, n.  13 et 23 ad art. 28 Cst.;
PASCAL MAHON, in Jean-François Aubert/Pascal Mahon, Petit commentaire de la
Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, n. 15 ad
art. 28 Cst.; PIERRE GARRONE, La liberté syndicale, § 50, n. 35, in Daniel
Thürer/Jean-François Aubert/Jörg Paul Müller, Droit constitutionnel suisse,
Zurich 2001; ANDREAS AUER/GIORGIO MALINVERNI/MICHEL HOTTELIER, Droit
constitutionnel suisse, vol. II, ch. 1604, p. 728/ 729). Dès lors, le juge,
qui est appelé, dans le cadre d'une action aquilienne, à se prononcer sur la
licéité d'un moyen de combat en droit collectif du travail, est tenu de
prendre en compte les garanties constitutionnelles en cause.

  4.4.2  Le premier alinéa de cette norme constitutionnelle garantit la
liberté syndicale ou liberté de coalition (Koalitionsfreiheit), qui est un
cas spécial de la liberté générale d'association instaurée par l'art. 23
Cst.

  L'art. 28 al. 2 Cst. dispose que les conflits sont, autant que possible,
réglés par la négociation ou la médiation. Il appert ainsi que le recours à
un moyen collectif de lutte ne doit survenir qu'en dernier ressort,
c'est-à-dire au titre d'ultima ratio (cf. Message du Conseil fédéral du 20
novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 180;
PASCAL MAHON, op. cit., n. 9 ad art. 28 Cst.; PIERRE GARRONE, op. cit., §
50, n. 21).

  Selon l'art. 28 al. 3 Cst., la grève et le lock-out sont licites quand ils
se rapportent aux relations de travail et sont conformes aux obligations de
préserver la paix du travail ou de recourir à une conciliation.

  Il résulte du libellé de l'art. 28 Cst. que la grève n'est licite qu'aux
conditions suivantes:

a) elle doit se rapporter aux relations de travail. Sont ainsi exclues les
grèves politiques qui tendent à faire pression sur les autorités (GARRONE,
op. cit., § 50, n. 25; MAHON, op. cit., n. 12 ad art. 28 Cst.);
b) elle doit être conforme aux obligations de préserver la paix du travail
ou de recourir à une conciliation. L'obligation de maintenir la paix du
travail résulte de l'art. 357a al. 2 CO, qui prévoit que les parties à une
convention collective de travail sont tenues en particulier de s'abstenir de
tout moyen de combat quant aux matières réglées dans la convention. Il
s'agit là de l'obligation de paix relative (cf. sur cette notion VISCHER,
op. cit., n. 33 ss ad art. 357a CO; RÉMY WYLER, Droit du travail, p. 494,
ch. 4; STÖCKLI, op. cit., n. 30/31 ad art. 357a CO), laquelle doit être
distinguée de l'obligation de paix absolue, qui étend l'obligation aux
matières qui ne sont pas réglées dans la convention et qui n'existe que si
la convention collective l'impose expressément (cf. WYLER, ibidem; STÖCKLI,
op. cit., n. 32 ad art. 357a CO);
c) la grève doit respecter le principe de la proportionnalité (cf. not.
VALLENDER, op. cit., n. 26 ad art. 28 Cst.; GARRONE, op. cit., § 50, n. 27;
WOLFGANG PORTMANN, Der Einfluss der neuen Bundesverfassung auf das
schweizerische Arbeitsrecht - Insbesondere ein Beitrag zu Art. 28 BV, in
Mitteilungen des Instituts für Schweizerisches Arbeitsrecht, Berne 2002, p.
65). Ce principe découle de l'invitation adressée aux parties à l'art. 28
al. 2 Cst. de régler les conflits "autant que possible" par la négociation
ou la médiation (ATF 125 III 277 consid. 3b). Il faut comprendre que la
grève ne doit pas être plus incisive qu'il n'est nécessaire pour atteindre
le but visé (critère de la nécessité) (MAHON, op. cit., n. 13 in fine ad
art. 28 Cst.).

  Le texte de l'art. 28 al. 2 Cst. n'a pas repris la quatrième des
conditions posées par la jurisprudence, laquelle voulait que la grève soit
appuyée par une organisation de travailleurs, un syndicat. Le législateur
fédéral n'a toutefois renoncé à inscrire cette exigence dans la norme en
question que pour des questions rédactionnelles, sans avoir l'intention de
procéder à un changement juridique (cf. VALLENDER, op. cit., n. 27 ad art.
28 Cst. et les références aux débats parlementaires). Il convient donc
d'admettre que cette condition est toujours valable (GARRONE, op. cit., §
50, n. 28; AUER/ MALINVERNI/HOTTELIER, op. cit., ch. 1595, p. 724/725).

  4.5  C'est à la lumière de ces quatre conditions qu'il faut vérifier si le
moyen de combat mis en action par les défendeurs contre la demanderesse le
soir du 18 mars 2001 était licite.

  4.5.1  Il ne fait aucun doute que la mesure de combat en cause était
soutenue par une organisation de travailleurs, puisqu'elle a été organisée
et menée par un syndicat, partie à la convention collective signée par
l'association patronale à laquelle appartenait la demanderesse.

  4.5.2  La mesure collective de lutte avait évidemment trait aux relations
de travail, puisqu'elle avait pour fin de contraindre la demanderesse à
signer une nouvelle convention collective, dont les clauses normatives
s'appliqueraient directement aux contrats individuels de travail conclus par
celle-ci (cf. GABRIEL AUBERT, Commentaire romand, n. 2 ss ad art. 357 CO).

  4.5.3  L'arrêt déféré retient souverainement que la défenderesse n° 1 est
signataire avec l'association patronale F. d'une convention collective de
travail, entrée en vigueur le 1er avril 2000, dont la durée de validité
s'étendait jusqu'au 30 avril 2004. Le 15 mai 2000, la demanderesse a informé
F. qu'elle démissionnait de l'association patronale pour le 31 décembre
2000. Mais comme la convention collective était de durée déterminée, l'effet
normatif de celle-ci a continué de s'appliquer, jusqu'à son expiration, à la
recourante par voie de jonction. En effet, il est de jurisprudence que même
si les travailleurs ou les employeurs quittent leur organisation avant la
fin de la durée de validité de la convention collective, les clauses
normatives de l'accord persistent à régir les relations de travail nouées
entre les employeurs et les travailleurs qui étaient liés par ce dernier
lors de sa conclusion (arrêt 4C.7/1999 du 13 juin 2000, consid. 4, publié in
SJ 2001 I p. 49 ss).

  En d'autres termes, la défenderesse n° 1 et la demanderesse étaient
toujours soumises à la convention collective en mars 2001. La première
devait ainsi veiller à l'observation de l'accord (art. 357a al. 1 CO in
principio) et maintenir la paix du travail, en s'abstenant de tout moyen de
combat quant aux matières réglées dans l'accord (art. 357a al. 2 CO).
L'obligation de maintenir la paix relative du travail l'obligeait notamment
à saisir l'office de conciliation institué par la législation cantonale
avant d'engager une mesure de lutte (cf. art. 356 al. 3 CO; MANFRED
REHBINDER, Schweizerisches Arbeitsrecht, 15e éd., ch. 528, p. 245).

  En droit vaudois, l'art. 27 de la loi du 15 décembre 1942 sur la
prévention et le règlement des conflits collectifs, en vigueur à l'époque
déterminante, disposait qu'il est interdit aux parties (intéressées à un
conflit collectif) de prendre des mesures de coercition quelconques
(lock-out, mise à l'index, grève, cessation de travail, etc.) aussi
longtemps qu'elles n'auront pas saisi l'office du conflit et que, saisi de
celui-ci, l'office de conciliation ou d'arbitrage n'aura pas terminé ses
opérations ou rendu sa sentence.

  En l'espèce, il a été établi que la défenderesse n° 1 n'a saisi l'office
cantonal de conciliation que le 19 mars 2001, soit le lendemain de l'action
de combat qu'elle a menée contre la demanderesse. Il appert donc que le
syndicat pourrait avoir enfreint l'obligation qui lui incombait de préserver
la paix du travail.

  Mais les circonstances sont tout à fait particulières.

  L'arrêt critiqué a retenu que les recourants principaux ignoraient la
nouvelle jurisprudence relative aux effets normatifs d'une convention
collective de durée déterminée après que l'employeur, avant le terme de
l'accord, a démissionné de l'association patronale signataire. Cette
constatation, qui a trait au niveau de connaissance des défendeurs à un
moment donné, relève du fait et lie le Tribunal fédéral en instance de
réforme (ATF 124 III 182 consid. 3).

  Or, le fait pour les intéressés de ne pas connaître l'arrêt 4C.7/1999 du
13 juin 2000 n'est pas décisif. Ce précédent, qui constituait pourtant un
changement complet par rapport à la jurisprudence rendue en 1938 (ATF 64 I
16 consid. 8 p. 32), n'a étrangement pas été publié aux ATF, mais uniquement
à la Semaine judiciaire, éditée à Genève. De plus, cet arrêt, prononcé moins
d'une année avant les faits litigieux, après avoir rappelé que la question
tranchée a fait de tout temps l'objet de vives controverses doctrinales (cf.
consid. 4 in initio), s'est fondé essentiellement sur l'opinion récente de
FRANK VISCHER (cf. Wirkungen des Verbandsaustritts des Arbeitgebers auf die
Geltung des Gesamtarbeitsvertrages, in Zivilprozessrecht, Arbeitsrecht:
Kolloquium zu Ehren von Professor Adrian Staehelin, Zurich 1997, p. 95 ss),
auteur qui est lui-même revenu sur son opinion antérieure.

  Dans un tel contexte, l'erreur des défendeurs est excusable. D'une part,
ils pouvaient légitimement admettre - comme on vient de le voir - qu'ils
n'avaient pas à saisir l'office de conciliation avant de passer à l'action
du 18 mars 2001. D'autre part, le groupe industriel

dont faisait partie la demanderesse avait clairement annoncé, dès le 30
janvier 2001, qu'il ne reviendrait pas sur sa décision de se retirer de
l'association patronale, ce qui coupait court à toute possibilité de trouver
un compromis (VISCHER, Commentaire zurichois, n. 40 ad art. 357a CO; SUZANNE
KUSTER ZÜRCHER, Streik und Aussperrung - Vom Verbot zum Recht, thèse Zurich
2004, p. 283/ 284).

  Il s'ensuit que les défendeurs ne sauraient encourir une responsabilité
délictuelle pour avoir enfreint leur devoir de se conformer à la paix
relative du travail (REHBINDER, Schweizerisches Arbeitsrecht, 15e éd., ch.
613, p. 280; BÉATRICE AUBERT-PIGUET, L'exercice du droit de grève, in PJA
1996 p. 1499/1500; WYLER, op. cit., p. 499).

  4.5.4  Le sort de la querelle repose sur le respect par les défendeurs du
principe de la proportionnalité.

  4.5.4.1  Il découle de ce principe que les mesures collectives de combat
ne sont licites qu'au titre d'ultima ratio (FRANK VISCHER, Streik und
Aussperrung in der Schweiz, in Wirtschaft und Recht 33/1981, fasc. 2, p. 15;
WYLER, op. cit., p. 495). Elles ne sont admissibles que si elles sont
nécessaires pour atteindre le but auquel tend la lutte. La doctrine moderne
écrit à ce propos que vaut en la matière le principe de la conduite du
combat loyal (faire Kampfführung) (STÖCKLI, op. cit., n. 46 ad art. 357a CO;
PORTMANN, op. cit., p. 65 in fine). Sont donc par exemple disproportionnés
les moyens de combat faisant usage de la violence ou ceux qui portent
atteinte aux biens de l'entreprise (PORTMANN, op. cit., p. 66; STÖCKLI, op.
cit., n. 46 ad art. 357a CO; VISCHER, Streik und Aussperrung in der Schweiz,
p. 16). En revanche, il est licite d'organiser des piquets de grève afin
d'empêcher pacifiquement l'accès de l'entreprise à des travailleurs, par
exemple en les persuadant de ne pas occuper leur place de travail (peaceful
picketing); mais dès que les piquets de grève usent de la violence pour
contraindre des personnes à ne pas se présenter au travail, ils sortent du
cadre de l'exercice licite d'un moyen de combat (cf. STÖCKLI, op. cit., n.
46 ad art. 357a CO; VISCHER, Streik und Aussperrung in der Schweiz, p. 16;
AUBERT-PIGUET, op. cit., p. 1503).

  4.5.4.2  D'après l'arrêt attaqué, l'action du 18 mars 2001 a débuté aux
alentours de 17 h 30. A ce moment, une quinzaine de membres et sympathisants
de la défenderesse n° 1 ont bloqué les accès de la

demanderesse. Lorsque les premiers employés de celle-ci sont arrivés devant
l'entreprise pour occuper leur poste de travail, les défendeurs n° 2, n° 4
et n° 5 leur ont expliqué les raisons de la manifestation. Adoptant une
attitude neutre, ces travailleurs se sont alors rendus dans un établissement
public des environs.

  Il appert que cette phase de l'action était parfaitement licite. Sans
utiliser ni violence ni contrainte, les défendeurs précités sont parvenus à
dissuader quelques employés d'aller travailler. Cette situation est celle du
"peaceful picketing" envisagée par la doctrine (cf. consid. 4.5.4.1
ci-dessus).

  La suite des événements a été tout autre.

  Sitôt que le détachement de policiers envoyé par l'autorité politique vers
22 h 30 a tenté d'évacuer par la force les manifestants, ceux-ci ont formé
une chaîne humaine devant une des entrées de l'entreprise, ce qui a provoqué
quelques échauffourées avec les forces de l'ordre. Le système de fermeture
de la porte en question a été brisé. Puis, alors que le personnel ouvrier
avait pu entrer dans les locaux de la demanderesse, les manifestants se sont
rassemblés devant l'entrée pour empêcher toute sortie du bâtiment, en
particulier la diffusion du quotidien S.

  Un tel modus operandi, qui consistait, par l'usage de la force physique
d'un groupe compact de personnes, à entraver les travailleurs dans leur
liberté d'action et qui a de plus entraîné le bris d'un système de
fermeture, était déjà disproportionné.

  C'est alors que les premiers manifestants ont été rejoints par des membres
du milieu alternatif lausannois. Afin d'assurer la livraison des sacs de
journaux, la police a mis en place, vers 1 h du matin le 19 mars 2001, une
manoeuvre de diversion pour les faire sortir par une autre issue. Avertis
par des guetteurs, les manifestants sont toutefois parvenus à se déplacer en
masse. Des affrontements relativement violents sont survenus entre ces
derniers et les forces de l'ordre. Des vitres du bâtiment ont été brisées.
Une vingtaine de minutes plus tard, les manifestants, qui n'étaient plus
appuyés par les opposants du milieu autogéré lausannois, ont encore tenté
d'empêcher un camion de prendre livraison d'un nouveau stock de journaux.
Certains d'entre eux se sont couchés devant le véhicule; d'autres ont
cherché à frapper le chauffeur. Des ouvriers de la demanderesse en sont
venus aux mains avec des syndicalistes. Le pneu d'un autre camion a enfin
été crevé une demi-heure plus tard.

  A considérer le déroulement des faits pendant la soirée en question, il
apparaît que, pendant plus de trois heures, les défendeurs ont entravé les
travailleurs de la demanderesse dans l'accomplissement de leurs tâches, qui
consistaient à imprimer un numéro du quotidien S. puis à en permettre la
diffusion. Pour ce faire, ils ont usé de la force physique, s'opposant
véhémentement aux forces de l'ordre, et ont eu des altercations avec des
ouvriers de la demanderesse, sans doute excédés par la tournure des
événements. Des dommages matériels ont en outre été commis au préjudice de
la recourante par voie de jonction.

  Il est vrai que le défendeur n° 4 a admis devant le juge d'instruction que
les premiers manifestants avaient été débordés quand ils avaient été
rejoints par des membres du milieu alternatif lausannois. Cela ne change
pourtant rien à l'affaire. Il incombe en effet à une organisation de
travailleurs, qui souhaite mener une action de combat loyale, de mettre en
place un service d'ordre efficace pour écarter la participation à l'action
d'individus enclins à la violence et désireux d'en découdre.

  En conclusion, l'action entreprise le soir du 18 mars 2001 violait le
principe de la proportionnalité, ce qui la rendait clairement illicite au
sens de l'art. 41 CO.

  4.6  La branche du grief relative à la violation de l'art. 28 CC est
privée de tout fondement. On cherche vainement les atteintes que la
demanderesse aurait portées sans droit contre les intérêts personnels des
défendeurs. Il est exclu de voir une telle atteinte dans la démission de la
recourante par voie de jonction de l'association patronale partie à la
convention collective entrée en vigueur le 1er avril 2000. L'employeur peut
en effet se libérer des obligations d'une convention collective de durée
déterminée en démissionnant de l'association patronale en question, avec la
réserve - on l'a dit plus haut - que les effets normatifs de l'accord
s'appliquent jusqu'à son expiration notamment aux travailleurs liés par
celui-ci lors de sa conclusion (cf. arrêt 4C.7/1999 du 13 juin 2000, consid.
4, publié in SJ 2001 I p. 49 ss).

  En résumé, le recours principal doit être entièrement rejeté avec des
motifs substitués.