Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 132 III 109



Urteilskopf

132 III 109

  14. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. contre Y. SA
(recours en réforme)
  4C.302/2005 du 9 janvier 2006

Regeste

  Art. 257f Abs. 3 OR; vorzeitige Kündigung des Mietvertrages über
Geschäftsräume wegen vertragswidrigen Gebrauchs.

  Bei anhaltender Verletzung der vertraglichen Bestimmungen über den
Gebrauch der vermieteten Räumlichkeiten kann der Vermieter das
Mietverhältnis nach Art. 257f Abs. 3 OR auflösen, auch wenn die Aktivitäten
des Mieters nicht zu unzumutbaren Verhältnissen im Sinne dieser Bestimmung
führen.

Sachverhalt ab Seite 109

  Selon contrat de bail à loyer conclu le 22 mai 2001 entre la société Y. SA
et la fédération d'entreprises Z., cette première partie a remis en location
à la seconde des locaux d'environ 150 m2 existant au deuxième étage d'un
bâtiment du centre de Genève. Ces locaux étaient loués à usage de bureaux.
Le contrat était conclu pour une durée de cinq ans, du 1er juin 2001 au 31
mai 2006.

  Répondant à une annonce publiée dans la presse, X. a pris contact avec la
locataire en vue de reprendre les locaux. Il a fait état d'une

activité de consultant en informatique. Dans une demande de location
adressée à la régie qui représentait la bailleresse, il a indiqué la
profession de "consultant". Aux termes d'une convention conclue le 13
février 2003 par la bailleresse, la locataire et X., le bail et ses
dispositions particulières furent transférés à ce dernier dès le 1er mars
2003.

  Dans les locaux, avec son épouse, X. a entrepris d'exploiter un salon de
massages érotiques. Le 1er avril 2003, la bailleresse l'a mis en demeure de
fermer ce salon dans un délai de dix jours et d'utiliser les lieux
conformément au contrat, c'est-à-dire en y installant des bureaux. Elle
menaçait son locataire d'une résiliation immédiate fondée sur l'art. 257f
al. 3 CO. X. a rejeté cette sommation en opposant que son activité n'était
pas fondamentalement différente de celle exercée par l'ancienne locataire.

  Le 16 avril 2003, la bailleresse a résilié le contrat avec effet au 31 mai
2003.

  X. a saisi la commission de conciliation compétente d'une requête tendant
à l'annulation de la résiliation. Y. SA a saisi la même autorité d'une
demande tendant à l'évacuation forcée des locaux. Après échec de la
conciliation, les deux causes furent jointes devant le Tribunal des baux et
loyers du canton de Genève. Ce tribunal a rejeté la demande principale du
locataire; accueillant la demande reconventionnelle de la bailleresse, il a
condamné celui-là à évacuer les locaux de sa personne et de ses biens.

  Le demandeur ayant appelé du jugement, la Chambre d'appel en matière de
baux et loyers s'est prononcée le 24 juin 2005. A l'instar des premiers
juges, elle a retenu que l'exploitation d'un salon de massages érotiques
constituait une violation du contrat et qu'il en résultait une situation
insupportable pour la défenderesse; elle a donc confirmé le jugement.

  Le demandeur a saisi le Tribunal fédéral d'un recours en réforme tendant à
l'annulation de la résiliation intervenue le 16 avril 2003. Le Tribunal
fédéral a rejeté le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                        Extrait des considérants:

Erwägung 2

  2.  Dès le 13 février 2003, le demandeur et la défenderesse ont été liés
par un contrat de bail à loyer et celui-ci était éventuellement résiliable,
aux conditions de l'art. 257f CO, avant l'échéance qui y était stipulée.

  Aux termes des art. 257f al. 1 et 2 CO, le locataire est tenu d'user de la
chose louée avec le soin nécessaire et, s'il s'agit d'un bien immobilier,
d'avoir pour les personnes habitant la maison et pour les voisins les égards
qui leur sont dus. L'art. 257f al. 3 CO prévoit que si le maintien du bail
est devenu insupportable pour le bailleur ou le voisinage et que le
locataire persiste à enfreindre ses devoirs en dépit d'une protestation
écrite, le bailleur peut, s'il s'agit d'un bail d'habitation ou de locaux
commerciaux, résilier ce contrat en observant un délai de congé de trente
jours pour la fin d'un mois.

  La résiliation anticipée peut notamment intervenir lorsque le locataire
affecte la chose à une utilisation incompatible avec les stipulations du
contrat (ATF 123 III 124 consid. 2a p. 126; DAVID LACHAT, Das Mietrecht für
die Praxis, 6e éd., Zurich 2005, p. 477), pour autant que la situation
résultant de cette utilisation, considérée objectivement, se révèle grave au
point d'être insupportable pour le bailleur (arrêts 4C.331/2004 du 17 mars
2005, consid. 1.1.4; 4C.306/ 2003 du 20 février 2003, consid. 3.5, SJ 2004 I
p. 442). Les principes généraux de l'interprétation des contrats sont
déterminants pour apprécier l'existence et la portée de stipulations
explicites ou tacites concernant l'utilisation de la chose. Parmi d'autres
éléments, on prend en considération le mode d'utilisation habituel de choses
du même genre, à l'époque de la conclusion du contrat (MARTIN USTERI et al.,
Schweizerisches Mietrecht: Kommentar, 2e éd., Zurich 1998, ch. 20 et 21 ad
art. 256 CO; PETER HIGI, Commentaire zurichois, ch. 20 ad art. 256 CO), et
on garde à l'esprit que des locaux commerciaux peuvent a priori se prêter à
des activités ou exploitations très diverses (CLAUDIA HEUSI, Ausgewählte
Fragen zur Geschäftsmiete, mp 1999 p. 3).

  Le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l'équité (art.
4 CC), si la résiliation anticipée répond à un motif suffisamment grave
(arrêts précités 4C.331/2004 et 4C.306/2003, ibidem). A cette fin, il prend
en considération tous les éléments concrets du cas particulier. Le Tribunal
fédéral ne revoit qu'avec réserve la décision d'équité prise en dernière
instance cantonale. Il intervient lorsque celle-ci s'écarte sans raison des
règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre
appréciation, ou lorsqu'elle s'appuie sur des faits qui, dans le cas
particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu'elle ignore des
éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; en outre, le
Tribunal fédéral redresse les décisions rendues en vertu d'un pouvoir

d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestement injuste
ou à une iniquité choquante (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 32, 213 consid.
3.1 p. 220; 129 III 380 consid. 2 p. 382).

Erwägung 3

  3.  Le contrat du 22 mai 2001 a été conclu par écrit sur la base d'une
formule imprimée d'avance et, sous la rubrique "destination des locaux", il
ne contient rien de plus que le libellé "bureaux". L'utilisation effective,
de juin 2001 à février 2003, n'a pas été élucidée mais il s'agissait
vraisemblablement d'une activité administrative de l'organisation qui était
alors locataire. La Chambre d'appel n'a pas constaté l'existence d'une
réelle et commune intention des parties qui eût pour objet la destination
des locaux concernés. Par conséquent, il faut rechercher comment, selon le
principe de la confiance (ATF 131 III 268 consid. 5.1.3 p. 276; 130 III 417
consid. 3.2; 129 III 118 consid. 2.5 p. 123), le demandeur pouvait et devait
comprendre le terme "bureaux" au moment où il est devenu partie au contrat,
le 13 février 2003. Or, ce terme désigne habituellement des locaux équipés
et meublés pour l'exercice d'activités essentiellement intellectuelles ou
administratives, activités qui se manifestent par la création ou la
modification de documents, la tenue de discussions ou l'usage des
télécommunications. Les massages érotiques ne s'inscrivent aucunement dans
ce profil et on n'envisage pas qu'un salon tel que celui du demandeur puisse
être normalement exploité dans des bureaux. En effet, une entreprise de ce
genre nécessite plutôt des locaux équipés et meublés autrement. Par
ailleurs, il n'apparaît pas que la défenderesse ait consenti de façon
tacite, avec ou après la convention du 13 février 2003, à une affectation
autre que celle spécifiée dans le contrat initial. Ainsi, la Chambre d'appel
retient à bon droit que l'exploitation du salon constitue une violation des
obligations contractuelles du demandeur.

Erwägung 4

  4.  D'après cette autorité, la condition d'une situation insupportable
pour la défenderesse est aussi réalisée. Cette partie a allégué les
nuisances subies par divers voisins et elle a offert les preuves
correspondantes; la Chambre d'appel n'a toutefois pas jugé utile de les
administrer. Elle a de toute manière considéré que l'entreprise du demandeur
pouvait être assimilée à un lieu de prostitution, en particulier "du point
de vue de la respectabilité de l'immeuble et de la tranquillité des autres
locataires". Elle a constaté que le bâtiment comportait déjà un dancing avec
strip-tease et un "bar à champagne"; toutefois, cela n'obligeait pas la
défenderesse à "tolérer toute activité liée au sexe" dans les étages
supérieurs qui étaient occupés

par des bureaux et des appartements. Dans son prononcé, la Chambre d'appel
consacre ses plus longs développements au fait qu'en se faisant passer pour
un consultant en informatique, le demandeur a trompé la défenderesse au
sujet de ses intentions.

  On observe d'emblée que la tromperie imputable au demandeur, quoique
blâmable, n'est d'aucune pertinence pour apprécier si l'exploitation du
salon de massages crée réellement et objectivement une situation
insupportable. Pour le surplus, l'arrêt ne constate aucun inconvénient
concrètement subi par la défenderesse ou par des occupants de l'immeuble.
Selon les juges d'appel, la connotation lascive de l'activité pratiquée dans
les locaux engendre par elle-même, indépendamment de toute gêne effective
pour le voisinage, une situation insupportable. Or, cette approche purement
abstraite ne satisfait pas aux exigences d'une appréciation conforme aux
art. 4 CC et 257f al. 3 CO; au contraire, même en cas de prostitution dans
des locaux loués, le bailleur qui prétend résilier sur la base de cette
dernière disposition doit prouver l'incidence négative subie par lui ou par
le voisinage (arrêt 4C.267/1994 du 10 janvier 1995, consid. 2b, mp 1996 p.
7). A première vue, l'arrêt attaqué devrait donc être annulé, et la cause
renvoyée à la juridiction cantonale pour faire administrer et apprécier les
preuves offertes par la défenderesse (art. 64 al. 1 OJ).

Erwägung 5

  5.  Il y a cependant lieu de reconsidérer la portée que la jurisprudence
confère à l'art. 257f al. 3 CO en rapport avec les stipulations des parties
concernant l'utilisation de la chose.

  L'art. 257f al. 3 CO vise un cas particulier d'inexécution des
obligations, spécifique à la relation entre bailleur et locataire, et il en
règle les effets. Dans son domaine de validité, il exclut l'application des
règles générales de l'art. 107 CO relatif aux droits de la partie qui ne
parvient pas à obtenir le respect d'un contrat. Selon son texte, cette
disposition spéciale vise les manquements du locataire dans son devoir de
diligence concernant la chose, d'une part, ou dans les égards dus au
voisinage, s'il s'agit d'une chose immobilière, d'autre part. Adhérant à
l'avis des commentateurs, le Tribunal fédéral a jugé ce texte trop
restrictif, en ce sens qu'en réalité, l'art. 257f CO régit également le cas
où le locataire use de la chose en violation des stipulations du contrat
(arrêt du 27 février 1997 in ATF 123 III 124, précité, consid. 2a p. 126).

  Il existe encore un autre cas particulier d'inexécution des obligations
imposées au locataire, concernant le paiement régulier du loyer et

des frais accessoires, qui est réglé à l'art. 257d CO. En dehors de ces
hypothèses régies par des dispositions spéciales, le bailleur peut user des
droits conférés par l'art. 107 CO si le locataire se trouve en demeure (ATF
123 III 124 consid. 3b p. 127). Sous certaines conditions ayant surtout pour
objet une sommation de la partie lésée et l'assignation, par elle, d'un
délai convenable d'exécution, cette partie peut résilier le contrat alors
même que, éventuellement, la violation imputable à l'autre partie n'engendre
pas une situation insupportable.

  Le régime consacré par l'arrêt du 27 février 1997, en rapport avec
l'hypothèse où le locataire use de la chose en violation des stipulations
contractuelles, a pour conséquence que le bailleur n'est en mesure de parer
à la violation du contrat que si l'utilisation effective, incompatible avec
la convention des parties, conduit à une situation insupportable (BEAT
ROHRER, commentaire ad ATF 123 III 124 in MietRecht Aktuell 1997 p. 113,
118). Pourtant, il est loisible au bailleur d'insérer, dans le bail de
locaux commerciaux et avec l'acceptation du locataire, des clauses destinées
à délimiter les activités qui seront admises dans ces locaux. Les clauses de
ce genre peuvent notamment avoir pour but de définir l'ambiance ou le
caractère de l'immeuble, ou de prévenir des conflits de voisinage. Leur
légitimité n'est pas douteuse et on ne discerne aucun besoin de restreindre
la liberté contractuelle dans ce domaine. Or, le régime précité entraîne une
restriction de cette liberté, dans la mesure où le bailleur ne peut réagir
contre une violation persistante desdites clauses qu'à la condition de
prouver une situation objectivement insupportable. Il s'agit d'une
restriction qui ne se déduit ni du texte ni du système de la loi. Le
Tribunal fédéral ne l'a d'ailleurs pas voulue car l'arrêt du 27 février 1997
ne concernait pas un cas d'utilisation incompatible avec les clauses du
contrat. La conséquence mise en évidence ici apparaît donc indésirable dans
la présente affaire, où la défenderesse devait pouvoir imposer le respect de
la clause d'affectation "bureaux" même si la violation du contrat, sur ce
point, n'entraînait pas une situation insupportable.

  Au regard de l'art. 257f al. 3 CO, la résiliation n'est valable qu'après
une protestation écrite du bailleur et une violation persistante des
stipulations concernant l'utilisation de la chose; elle doit aussi
satisfaire à la forme prévue par l'art. 266l CO et laisser au locataire un
délai de départ de trente jours au moins, expirant à la fin d'un mois. Ces
modalités sont adéquates et elles ne diffèrent pas fondamentalement

de celles prévues à l'art. 107 CO pour le régime général de l'inexécution
des contrats (cf. CLAUDE RAMONI, Demeure du débiteur et contrats de droit
suisse, thèse Lausanne 2002, n. 334-337 p. 157; voir aussi WOLFGANG WIEGAND,
Commentaire bâlois, 3e éd., n. 10 ad art. 109 CO). Nul ne conteste que la
défenderesse les ait dûment observées. Pour le surplus, comme on vient de le
voir, il s'impose de renoncer à la condition ayant pour objet une situation
objectivement insupportable. Dans son résultat, l'arrêt de la Chambre
d'appel se révèle donc conforme au droit fédéral, ce qui conduit au rejet du
recours.