Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 131 I 266



131 I 266

28. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause
Justice de paix du VIIe Cercle de la Gruyère contre Chambre des tutelles
du district de l'Entremont (réclamation de droit public)

    1P.177/2005 du 27 avril 2005

Regeste

    Art. 24 Abs. 1 BV; Art. 377 Abs. 2 ZGB; Art. 83 lit. e OG; Wechsel
des Wohnsitzes bevormundeter Personen; staatsrechtliche Klage.

    Tragweite von Art 83 lit. e OG bei Streitigkeiten zwischen den
kantonalen Vormundschaftsbehörden über den Wechsel des Wohnsitzes
bevormundeter Personen (E. 2.1). Subsidiarität der staatsrechtlichen Klage
(E. 2.2) und formelle Anforderungen dieses Rechtsmittels (E. 2.3).

    Die auf Art. 377 Abs. 1 ZGB abgestützte Beschränkung der
Niederlassungsfreiheit muss verhältnismässig sein (E. 3). Wiederholung der
Grundsätze zur Anwendung von Art. 377 Abs. 2 ZGB (E. 4.1). In Anbetracht
der vorliegenden familiären Situation musste der Wohnsitzwechsel bewilligt
werden (E. 4.2. und 4.3).

Sachverhalt

    La Justice de paix du VIIe Cercle de la Gruyère a désigné un tuteur à
la famille T., composée de A.T. et de son épouse B.T. ainsi que de leurs
enfants C.T. et D.T.

    Le 31 mai 2004, la famille T. a quitté son domicile de Neirivue pour
s'installer dans le hameau du Levron, sur le territoire de la commune de
Vollèges. La Justice de paix y a donné son accord et invité les autorités
de Vollèges à reprendre la tutelle, ce à quoi la Chambre pupillaire de
Vollèges a refusé de consentir, le 2 octobre 2004.

    Le 21 janvier 2005, la Chambre de tutelle du district d'Entremont
a rejeté la plainte formée contre cette décision par le Président de
la Chambre des tutelles de la Gruyère. Elle a considéré, en bref, que
le déménagement de la famille T. au Levron n'était pas dans l'intérêt
de celle-ci.

    Le 11 mars 2005, la Justice de paix du VIIe Cercle de la Gruyère
a formé auprès du Tribunal fédéral une réclamation de droit public au
sens de l'art. 83 let. e OJ. Elle a demandé que la Chambre pupillaire
de Vollèges soit invitée à admettre l'établissement de la famille T. sur
son territoire et, partant, le transfert du for tutélaire à Vollèges.

    Le Tribunal fédéral a admis la réclamation de droit public et invité
la Chambre pupillaire de Vollèges à reprendre la tutelle de la famille T.

Auszug aus den Erwägungen:

                          Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.  Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité
d'une réclamation de droit public dont il est saisi (ATF 125 I 458
consid. 1 p. 461).

    2.1  Le Tribunal fédéral connaît des différends de droit public entre
la Confédération et les cantons ou entre les cantons (art. 189 al. 1 let. d
Cst.; cf. art. 113 al. 1 ch. 2 aCst.). Aux termes de l'art. 83 let. e
OJ, le Tribunal fédéral est compétent pour trancher les contestations
entre les autorités tutélaires de cantons différents au sujet notamment
du changement de domicile de personnes sous tutelle. Cette disposition
trouve son origine dans la loi fédérale du 25 juin 1891 sur les rapports de
droit civil des citoyens établis ou en séjour (RO XII p. 337 ss). Celle-ci
avait notamment pour but de régler les rapports entre les autorités de
tutelle du lieu d'origine et du lieu de domicile (art. 14 et 15). Elle
prévoyait que les litiges y relatifs pouvaient être soumis au Tribunal
fédéral siégeant comme cour de droit public (art. 16). Lors de l'adoption
de la loi fédérale d'organisation judiciaire du 22 mars 1893 (RO XIII
p. 457), cette compétence a été ancrée à l'art. 180 ch. 4 aOJ. En 1907 a
été édicté le Code civil, dont l'art. 377 pose la règle que le pupille ne
peut changer de domicile qu'avec le consentement de l'autorité tutélaire
(al. 1), avec la conséquence que la tutelle passe au nouveau domicile
(al. 2). L'art. 378 CC réserve les droits de l'autorité tutélaire du lieu
d'origine. A la suite de l'entrée en vigueur de ces normes, l'OJ a été
modifiée, le 6 octobre 1911 (RO XXVIII p. 46) notamment en ce sens que
les contestations entre les autorités tutélaires de cantons différents
au sujet de l'application des art. 377 et 378 CC ont été placées dans
la compétence du Tribunal fédéral, selon l'art. 180 ch. 4 aOJ, dans
sa nouvelle teneur de l'époque. Le texte actuel de l'art. 83 let. e OJ
remonte à l'adoption de cette loi, le 16 décembre 1943.

    Le différend opposant la demanderesse à la défenderesse touche au
changement de domicile de la famille T., placée sous tutelle. Il entre dans
le champ d'application de l'art. 83 let. e OJ (cf. ATF 109 Ib 76; 81 I 48).

    2.2  La voie de la réclamation de droit public au sens de l'art. 83
let. e OJ est ouverte uniquement si celle du recours ordinaire est fermée
(ATF 81 I 43). Cette condition de subsidiarité est remplie. En effet,
la contestation relative au changement du domicile du pupille, au sens
de l'art. 377 al. 1 CC, ne peut faire l'objet ni d'un recours en réforme,
car elle ne figure pas dans le catalogue de l'art. 44 OJ, ni d'un recours
en nullité, car elle ne touche pas à une règle de compétence au sens de
l'art. 68 al. 1 let. e OJ (ATF 86 II 287; cf. également l'arrêt 5C.16/2001
du 5 février 2001, publié in Pra 90/2001 n° 131 p. 783).

    2.3  La réclamation de droit public n'est soumise à aucun délai
(ATF 125 I 458 consid. 1b p. 461). Il n'est pas exigé que les voies de
droit cantonales soient épuisées (ATF 125 I 458 consid. 1b p. 461; 71 I
158 consid. 1 p. 159). L'autorité tutélaire peut ainsi agir de son propre
chef, même sans le consentement de l'autorité cantonale supérieure (ATF 85
I 111 consid. 2 p. 112; 71 I 158 consid. 1 p. 159, et les arrêts cités). La
demanderesse est ainsi recevable à agir seule, comme elle l'a fait.

    Saisi d'une réclamation de droit public, le Tribunal fédéral examine
librement les éléments de fait et de droit déterminants pour la solution
du litige (ATF 129 I 419 consid. 1 p. 421).

    Il y a lieu d'entrer en matière.

Erwägung 3

    3.  Il est constant que A.T. et B.T. font l'objet d'une interdiction
volontaire, au sens de l'art. 372 CC. Comme ils sont privés de l'autorité
parentale (art. 296 al. 2 CC), leurs enfants mineurs C.T. et D.T. ont
également été placés sous tutelle (art. 368 al. 1 CC).

    Comme citoyens suisses, A.T. et B.T. sont titulaires de la liberté
d'établissement, garantie par l'art. 24 al. 1 Cst. Leur qualité d'interdits
n'y change rien (THOMAS GEISER, Commentaire bâlois, n. 5 ad art. 377 CC).
Cela étant, leur liberté est limitée dans la mesure où leur domicile se
trouve au siège de l'autorité tutélaire (art. 25 al. 2 CC) et qu'ils ne
peuvent en changer qu'avec le consentement de celle-ci (art. 377 al. 1 CC).
Cette condition, qui doit être appliquée dans le respect du principe de la
proportionnalité commandant toute restriction aux droits fondamentaux (cf.
art. 36 al. 3 Cst.; cf. ATF 106 Ia 33 consid. 4a p. 35), est remplie en
l'espèce. La demanderesse a approuvé, le 7 juin 2004, le déménagement de la
famille T. à Vollèges. Le tuteur a également donné son accord. Il importe
peu que cet acquiescement soit intervenu avant ou après le changement
de résidence effectif des pupilles (cf. BERNHARD SCHNYDER/ ERWIN MURER,
Commentaire bernois, n. 47-72 ad art. 377 CC).

Erwägung 4

    4.  Le différend porte sur les conditions du transfert de la tutelle
à l'autorité tutélaire du nouveau lieu de résidence, selon l'art. 377
al. 2 CC.

    4.1  Pour être justifié, le changement de domicile et, subséquemment,
le transfert de la tutelle doit correspondre à l'intérêt bien compris
du pupille et servir les buts poursuivis par la tutelle (ATF 109 Ib
78; 81 I 51; 78 I 222; 39 I 68; arrêt P.353/81 du 16 septembre 1981,
consid. 2; SCHNYDER/MURER, op. cit., n. 73-86 ad art. 377 CC; HENRI
DESCHENAUX/PAUL-HENRI STEINAUER, Personnes physiques et tutelles, 4e éd.,
Berne 2001, n. 398, 858b). L'avis du pupille n'est pas déterminant,
même s'il convient d'en tenir compte (SCHNYDER/ MURER, op. cit.,
n. 73 ad art. 377 CC). Si les conditions du transfert sont remplies,
le pupille dispose d'un droit à ce que l'autorité du nouveau domicile
consente au transfert de la tutelle (GEISER, op. cit. n. 6 ad art. 377 CC).
A défaut, l'autorité de tutelle du nouveau lieu de résidence peut refuser
son accord (ATF 56 I 179; arrêt du 16 septembre 1981, précité, consid. 2;
SCHNYDER/MURER, op. cit., n. 73 ad art. 377 CC; DESCHENAUX/STEINAUER, op.
cit., 858b). En tout cas, l'autorité de tutelle de l'ancien lieu de
résidence ne saurait consentir au changement de domicile uniquement pour
se débarrasser d'une charge financière ou d'une tâche ingrate (ATF 95 II
514 consid. 3a p. 516; SCHNYDER/MURER, op. cit. n. 73 ad art. 377 CC).

    4.2  A.T. et B.T. ont demandé volontairement à être placés sous
tutelle, parce qu'ils sont incapables de gérer leurs affaires. Ils
n'occupent que sporadiquement et brièvement un emploi. Ils dépendent
de l'aide sociale depuis des années. Leur relation avec leur tuteur
n'est pas harmonieuse. Le 6 mai 2002, Blaise Matthey, tuteur désigné par
l'autorité tutélaire de la Broye, a signalé qu'un "contrôle de proximité"
était indispensable, afin de s'assurer notamment que les enfants soient
bien nourris. Le 3 juillet 2002, le Conseil communal de la commune de
l'Haut-Intyamon a signalé à la tutrice que les enfants s'étaient plaints de
ne pas manger régulièrement à leur faim, alors que le chien de la famille
recevait sa pâtée journalière. Le 26 février 2003, la tutrice a signalé
au Juge de paix de la Gruyère que les époux T. ne voulaient pas entendre
raison, relativement à l'utilisation de leur automobile et à la location
d'un garage. Si les époux T. ont voulu quitter Neirivue pour Vollèges,
c'est parce que les relations avec le tuteur Tornare s'étaient tendues
et que D.T. souffrait d'asthme. Selon un rapport établi le 24 décembre
2004 par le Service médico-social de l'Entremont, la famille T. occupe
un logement confortable au Levron. Elle vit de l'aide sociale. A.T. n'a
pas droit aux prestations de l'assurance-chômage. Il ne dispose pas de
formation professionnelle. Il a des difficultés à s'adapter au travail,
parce qu'il ne peut accomplir que des gestes simples et répétitifs et
ne s'entend guère avec ses collègues. B.T. n'a pas suivi de formation
professionnelle. Elle est sans emploi. Les possibilités de trouver du
travail sur place sont très limitées. C.T. suit une scolarité normale,
mais elle est accablée de soucis qui ne sont pas de son âge. D.T. est
retardé dans son apprentissage scolaire; son intelligence paraît
médiocre. L'altitude est bénéfique pour le traitement de son asthme. Les
relations entre les parents et les enseignants sont difficiles.

    4.3  Il apparaît ainsi que A.T. et B.T. ne sont pas d'un caractère très
accommodant. Ils ne se soucient guère de dépendre de l'aide sociale et
ne semblent pas particulièrement préoccupés de leur incapacité chronique
à subvenir eux-mêmes aux besoins de la famille. Leurs relations avec les
autorités tutélaires et scolaires laissent à désirer. Ils ont tendance
à prendre des décisions unilatérales, sans en référer au tuteur. Quoi
qu'en dise la demanderesse, il semble bien que les époux T. ont décidé
de leur propre chef de déménager au Levron et que ce n'est qu'après coup,
ou du moins bien après la mise en oeuvre de ce projet, qu'ils ont requis
l'accord du tuteur Tornare. On peut dès lors comprendre la position de
l'autorité tutélaire de Vollèges, qui éprouve le sentiment que celle de
la Gruyère était satisfaite de se débarrasser d'une tutelle encombrante
et n'avait que mollement tenté de s'opposer au changement de domicile de
la famille T. A cet égard, le comportement de la Justice de paix du VIIe
Cercle de la Gruyère prête le flanc à la critique. Avant de consentir au
déménagement et demander le transfert de la tutelle, elle aurait été bien
inspirée de prendre contact avec la Chambre pupillaire de Vollèges pour
examiner avec elle la situation et recueillir son consentement préalable
au changement de domicile (cf. GEISER, op. cit., n. 6 ad art. 377 CC). En
omettant de le faire, elle a éveillé chez la défenderesse l'impression
désagréable d'être mise devant le fait accompli.

    Cela étant, rien ne permet de penser que la situation de la famille T.
soit rendue plus difficile par son changement de domicile. Les perspectives
de trouver du travail ne sont pas plus favorables en Gruyère que dans
l'Entremont. A.T. semble peu apte à conserver durablement un emploi. Ses
capacités professionnelles sont réduites. Il a fait en Valais des
démarches pour être mis au bénéfice de l'assurance-invalidité. Quant aux
possibilités d'une prise en charge par les services sociaux, notamment
du point de vue de la tutelle, elles ne sont pas moins bonnes à Vollèges
qu'à Neirivue. Il est peut-être même possible que le contrôle social
soit plus effectif dans une petite communauté, comme celle du Levron,
que dans une région plus peuplée. Pour le surplus, la famille T. n'a
pas tissé des liens sociaux très étroits pendant les deux ans et demi de
son séjour en Gruyère, où elle n'a pas de parenté. Or, l'une des raisons
du déménagement est que B.T. a des parents en Valais. Même si ces points
de rattachement sont assez faibles, ils laissent à penser que l'intérêt
bien compris de la famille T. est de trouver son avenir au Levron. Eu
égard également à la liberté constitutionnelle d'établissement et au
souhait de A.T. et B.T. de demeurer dans leur nouveau lieu de résidence,
la réclamation doit être admise et la Chambre pupillaire de Vollèges
invitée à reprendre la tutelle de la famille T.