Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 131 II 132



131 II 132

10. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause
A. et K. contre Ministère public de la Confédération (recours de droit
administratif)

    1A.206/2004 du 15 décembre 2004

Regeste

    Art. 63 und 65a IRSG; Anhörung von Zeugen über Videokonferenz.

    Weder Staatsvertragsrecht (vorliegend der Briefwechsel zwischen Indien
und der Schweiz) noch innerstaatliches Recht erlauben eine solche Art
der Zusammenarbeit (E. 2).

Sachverhalt

    A. et K., ressortissants turcs, ont été extradés à l'Inde pour les
besoins d'une procédure pénale relative à des délits d'escroquerie, abus de
confiance et corruption. L'extradition, accordée le 9 mai 1997 et confirmée
par arrêt du Tribunal fédéral du 16 septembre 1997, ne s'étendait pas aux
actes de corruption, et était assortie de diverses conditions relatives
au respect du Pacte ONU II, s'agissant notamment des droits de la défense
et des conditions de détention, ainsi que du principe de la spécialité.

    La Suisse a également transmis à l'autorité indienne, par la voie de
l'entraide judiciaire, la documentation relative notamment à des comptes
bancaires détenus par A., K. et leur société auprès des banques X. et Y.

    Le 24 septembre 2003, l'Ambassade d'Inde à Berne a présenté à
l'Office fédéral de la justice (OFJ) une demande tendant à l'audition
en vidéoconférence, par un tribunal de Delhi, de responsables des deux
banques précitées. Le représentant de la banque Y. devait expliquer dans
quelles circonstances un montant de 37.62 millions d'US$ avait été reçu
par cet établissement, puis renvoyé en Inde après que l'ouverture d'un
compte ait été refusée. Le représentant de la banque X. devait confirmer la
date d'ouverture de trois comptes, le versement sur l'un d'eux du montant
précité, ainsi que différentes opérations effectuées sur instructions de
A.; la preuve par pièces de ces opérations était requise. La demande a
été transmise au Ministère public de la Confédération (MPC).

    Le 3 septembre 2004, après plusieurs échanges de lettres avec
l'autorité requérante, le MPC a décidé d'admettre la demande. Les
représentants des deux banques seraient cités à comparaître ultérieurement
pour déposer par vidéoconférence à l'Ambassade d'Inde à Berne; ils
pourraient être assistés d'un conseiller juridique. Le MPC autorisait
aussi la présence des fonctionnaires et techniciens étrangers nécessaires
au bon déroulement de l'audition. Le principe de la spécialité était
également rappelé.

    Saisi d'un recours de droit administratif formé par A. et K., le
Tribunal fédéral a annulé cette dernière décision.

Auszug aus den Erwägungen:

                          Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.  Pour les recourants, l'audition par vidéoconférence ne serait
prévue ni par l'échange de lettres, ni par la loi fédérale du 20 mars
1981 sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP; RS 351.1). Le
deuxième protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide
judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 (CEEJ; RS 0.351.1), non
encore en vigueur pour la Suisse, ne saurait de toute façon profiter
à l'Etat requérant. Les autorités indiennes ne seraient pas non plus
en droit d'obtenir la mesure requise selon leur propre législation,
car le juge spécial compétent a déjà ordonné la clôture de la procédure
probatoire dans le procès.

    Selon le MPC, la mesure d'entraide serait prévue dans l'échange de
lettres du 20 février 1989 entre l'Inde et la Suisse, au titre des "autres
modes de coopération" dont sont convenus les deux Etats. Il ne s'agirait
que d'une simple modalité d'une audition de témoins. Ces derniers ayant
refusé de se déplacer en Inde, il ne resterait plus au tribunal compétent
que de se rendre in corpore en Suisse, ou d'autoriser une vidéoconférence.

    2.1  L'échange de lettres du 20 février 1989 entre l'Inde et
la Suisse concernant l'entraide judiciaire en matière pénale (RS
0.351.942.3) doit être considéré comme un véritable traité constituant
la base de la coopération entre les deux Etats (ATF 122 II 140 consid. 2
p. 141). Aux termes de cet accord, les parties s'octroient, sur la base
de la réciprocité et conformément à leur loi nationale, l'entraide
la plus large possible, selon les modes énumérés aux points 1 à 7 de
l'échange. Cela comprend l'obtention de moyens de preuve par l'application
de mesures de contrainte - moyennant le respect de la condition de la
double incrimination - et l'audition de personnes sans application de
moyens de contrainte. Selon le ch. 7, d'autres formes d'entraide peuvent
se présenter, les deux Etats se déclarant prêts à envisager, sur demande
et dans des cas particuliers, d'autres modes de coopération.

    2.2  L'art. 63 EIMP définit les différents actes d'entraide qui peuvent
être effectués par la Suisse à la demande d'une autorité étrangère; il
précise que ces actes doivent être "admis en droit suisse". Les mesures
d'audition et de confrontation sont certes prévues (art. 63 al. 2 let. b
EIMP), mais pas selon les modalités de la vidéoconférence. Dans son
message relatif au deuxième protocole additionnel à la CEEJ, le Conseil
fédéral admet que ce moyen n'est pas explicitement prévu par le droit
de procédure suisse; il estime que les art. 65 et 65a EIMP pourraient
autoriser le recours à un tel moyen de preuve (FF 2003 p. 2887). Toutefois,
comme le relève ZIMMERMANN (La coopération judiciaire internationale en
matière pénale, Berne 2004, n. 246-1), l'art. 65 EIMP permet uniquement
de confirmer les dépositions selon les exigences du droit de l'Etat
requérant, mais non d'effectuer des actes qui ne sont pas prévus par le
droit suisse. La forme applicable à la confirmation des dépositions doit
de toute façon respecter le droit suisse (al. 2).

    Quant à l'art. 65a EIMP, s'il permet aux enquêteurs étrangers
de participer en Suisse à l'exécution des actes d'entraide, cette
participation ne doit pas avoir pour conséquence que des informations
confidentielles ne parviennent à l'autorité requérante avant qu'il ne soit
statué sur l'octroi et l'étendue de l'entraide (art. 65a al. 3 EIMP). La
pratique a dégagé une série de principes à respecter dans ce cadre:
l'autorité d'exécution doit contrôler strictement la participation des
enquêteurs étrangers en dirigeant les investigations (art. 26 al. 2 de
l'ordonnance du 24 février 1982 sur l'entraide pénale internationale
[OEIMP; RS 351.11]), et en obtenant au besoin l'assurance de l'Etat
requérant que les renseignements ne seront pas utilisés avant l'octroi
définitif de l'entraide (ATF 118 Ib 547 consid. 6c p. 562 et les arrêts
cités; 113 Ib 157 consid. 7c p. 169).

    Comme il l'a déjà été relevé ci-dessus, la transmission immédiate au
juge étranger de la déposition de témoins apparaît incompatible avec ces
exigences. Selon l'ordonnance attaquée, le juge de Delhi, ainsi que les
parties, pourront poser librement leurs questions, auxquelles les témoins
devront immédiatement répondre, sans qu'aucun contrôle préalable ne soit
prévu par l'autorité d'exécution suisse. Toutes les personnes présentes
dans la salle du Tribunal pourront ainsi prendre directement connaissance
des déclarations des témoins. Il en résulte un risque évident de diffusion
non contrôlée de ces informations à l'étranger, contrairement notamment
au principe de la spécialité. On ne saurait par conséquent soutenir que
l'audition par vidéoconférence ne serait qu'une modalité d'application
de l'art. 65a EIMP.

    2.3  Dès l'entrée en vigueur du Protocole II à la CEEJ, la Suisse ne
pourra plus refuser à un Etat partie l'exécution d'une vidéoconférence au
motif que celle-ci ne peut trouver son fondement dans le droit interne. En
effet, selon l'art. 9 par. 2 du protocole, à défaut de déclaration inverse,
la partie requise consent à un tel moyen de preuve, pour autant que le
recours à cette méthode ne soit pas contraire aux principes fondamentaux
de son droit. Cette dernière mention ne permet pas de rejeter une demande
d'entraide judiciaire au motif que le droit interne ne prévoit pas ce moyen
(FF 2003 p. 2885). L'obligation d'aménager une vidéoconférence découlera,
dans ce cas, de l'engagement international exprès de la Suisse (ZIMMERMANN,
op. cit., n. 246-1). Or, rien de tel n'a été convenu dans l'échange de
lettres avec l'Inde.

    2.4  Non prévue par le droit conventionnel et interne, l'audition par
vidéoconférence se heurterait également à d'autres principes fondamentaux
fixés dans l'EIMP.

    Sous réserve des règles de procédure particulières figurant
dans la convention, et qui pourraient s'appliquer dans la mesure où
elles rendent plus aisée la collaboration internationale (principe de
faveur), la procédure à suivre en Suisse est exclusivement régie par
l'EIMP, soit, pour les demandes d'entraide, les art. 75 ss EIMP. La
référence conventionnelle à la loi nationale se rapporte en effet à la
procédure d'entraide judiciaire à suivre dans l'Etat requis (ATF 122
II 140 consid. 5b p. 142 concernant l'échange de lettres avec l'Inde;
ATF 124 II 120 consid. 4b p. 11 concernant l'art. 3 CEEJ). Après un
examen préliminaire d'admissibilité, l'autorité compétente rend une
décision d'entrée en matière sommairement motivée et procède aux actes
d'entraide requis (art. 80a EIMP). Elle doit ensuite procéder au tri
des renseignements obtenus et écarter, avec la participation des ayants
droit, ceux qui n'ont aucun intérêt potentiel pour l'enquête (ATF 130 II
14 consid. 4.3 et 4.4 p. 16 ss). Elle rend ensuite sa décision de clôture
motivée (art. 80d EIMP), contre laquelle les personnes touchées peuvent
recourir (art. 80e ss EIMP). Ces principes sont évidemment applicables aux
dépositions de témoins devant l'autorité d'exécution: aucun renseignement
utilisable par l'autorité requérante ne doit en principe lui parvenir
avant l'entrée en force de la décision de clôture.

    2.5  En l'occurrence, la vidéoconférence telle qu'envisagée par
le MPC ne satisfait pas à ces exigences procédurales. Les témoins
seront directement entendus par le juge étranger, sans aucun droit
de contrôle et d'intervention de l'autorité d'exécution. Les réponses
des témoins seront transmises au Tribunal de Delhi, sans que l'autorité
d'exécution ne puisse vérifier au préalable le respect du principe de la
proportionnalité; toute procédure de tri est exclue, et aucune protection
juridique n'est prévue pour les éventuels ayants droit - dont le cercle
ne peut être définitivement fixé qu'à l'issue de l'audition, en fonction
des renseignements donnés par les témoins. La procédure suivie n'offre
également aucune garantie du point de vue du principe de la spécialité,
puisque les informations transmises seront accessibles à toutes les
personnes présentes au procès.