Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 130 I 156



130 I 156

13. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Canton
de Genève contre Conseil fédéral ainsi que Commission fédérale de recours
en matière de marchés publics (réclamation de droit public)

    1P.426/2003 du 21 avril 2004

Regeste

    Art. 2c VoeB; Art. 3, 42 Abs. 2 und 95 Abs. 2 BV.

    Der Bund ist zuständig für den Erlass einer Kollisionsregel über
das anwendbare Recht und die zuständige Behörde im Fall gemeinsamer
Beschaffungen (E. 2).

    Als Hauptauftraggeberin im Sinn von Art. 2c VoeB gilt, wer sich am
Projekt finanziell am stärksten beteiligt (E. 3).

Sachverhalt

    A.- Le 14 octobre 2002, le Département genevois de l'aménagement,
de l'équipement et du logement (ci-après: le DAEL) a publié un appel
à candidatures concernant la phase d'avant-projet du lot no 3 de la
liaison ferroviaire Cornavin - Eaux-Vives - Annemasse (CEVA). Ce lot
comprend la construction du tunnel et de la station de Pinchat. La phase
d'avant-projet était menée en co-maîtrise par le canton de Genève et les
CFF, mais l'adjudicateur désigné conventionnellement était le DAEL. Le
droit applicable mentionné dans l'appel, ainsi que dans les instructions
et directives, était l'Accord OMC sur les marchés publics du 15 avril
1994 (AMP; RS 0.632.231.422), la loi fédérale sur le marché intérieur
(LMI; RS 943.02), l'accord intercantonal sur les marchés publics (AIMP;
RS 172.056.5) ainsi que le droit genevois sur les marchés publics.

    B.- Le Groupe Coranne, composé de trois bureaux d'ingénieurs, a déposé
sa candidature, qui a été écartée le 18 décembre 2002. Coranne a saisi
le Tribunal administratif genevois, ainsi que la Commission fédérale de
recours en matière de marchés publics (la commission). Le DAEL et les
CFF ont contesté la compétence de la commission, en relevant notamment
que le canton était l'autorité d'adjudication et que le droit applicable
était l'AIMP et le droit genevois.

    C.- Par décision du 4 mars 2003, la commission a admis le
recours. L'Etat de Genève et les CFF avaient convenu d'une co-maîtrise
d'ouvrage durant la phase d'avant-projet. En présence d'un adjudicateur
soumis au droit fédéral et d'un autre soumis au droit cantonal, l'art. 2c
de l'ordonnance du 11 décembre 1995 sur les marchés publics (OMP; RS
172.056.11 - entré en vigueur le 1er juin 2002 et applicable à un appel
d'offre publié le 10 octobre suivant) prévoyait l'application du droit
de l'adjudicateur principal. Cette disposition sur la compétence était de
droit impératif: elle ne contenait aucune réserve en faveur d'une élection
de droit. La participation financière au marché d'études d'avant-projet du
lot no 3 était de deux tiers à la charge des CFF (un tiers subventionné par
la Confédération), et d'un tiers à celle du canton. Ce dernier avait certes
avancé les coûts des études, mais il ne s'agissait que d'une avance, qui
ne permettait pas d'éluder la règle de l'art. 2c OMP. Assumant finalement
la plus grande part financière, les CFF devaient être considérés comme
l'adjudicateur principal. L'adjudication avait donc été faite par une
autorité incompétente, et les CFF devraient réévaluer la candidature de
Coranne sur la base du droit fédéral.

    Le même jour, la commission a rendu, sur recours du Groupe Coranne,
une décision identique concernant le lot no 5 du projet CEVA (tunnel
de Champel).

    D.- Par acte du 11 juillet 2003, complété le 10 septembre 2003,
le canton de Genève, représenté par son Conseil d'Etat, forme une
réclamation de droit public par laquelle il demande au Tribunal fédéral
de constater que les décisions de la commission, ainsi que l'art. 2c
OMP, violent la répartition constitutionnelle des compétences entre
Confédération et cantons. Il demande une interprétation de l'art. 2c OMP
selon laquelle l'adjudicateur principal n'est pas exclusivement celui
qui assume la plus grande part de financement, mais celui qui dispose
d'un intérêt prépondérant à la réalisation du projet, et sous réserve
des conventions contraires. Dans son premier mémoire, le canton de Genève
renonce à l'annulation de la décision attaquée, alors que dans le second,
il requiert l'annulation des décisions de la commission avec effet dès
le prononcé du Tribunal fédéral.

    Le même jour, le canton de Genève a formé une dénonciation auprès
du Conseil fédéral, en concluant à une modification de l'art. 2c OMP,
ou à une intervention auprès de la commission afin de sanctionner son
interprétation de cette disposition. Le 19 décembre 2003, le Conseil
fédéral a décidé de ne pas entrer en matière sur cette dénonciation
(cf. JAAC 68/2004 no 46 p. 571).

    Le Tribunal fédéral a rejeté la réclamation.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

Erwägung 1

    1.  Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition
si et, le cas échéant, dans quelle mesure la présente réclamation de
droit public est recevable (ATF 109 Ib 285 consid. 1 p. 287).

    1.1  Selon les art. 189 let. d Cst. et 83 let. a OJ, la voie de la
réclamation de droit public est ouverte pour les conflits de compétence
entre autorités fédérales d'une part et autorités cantonales d'autre
part. Cette voie de droit est ainsi ouverte lorsqu'il y a désaccord
entre un canton et la Confédération au sujet de la délimitation de leurs
attributions respectives, qu'il s'agisse d'un conflit de compétence positif
ou négatif (ATF 129 I 419 consid. 1 p. 421). En l'occurrence, le conflit
est positif, puisque le canton de Genève dispute à la Confédération
le droit de réglementer un marché public; le conflit porte tant sur le
droit applicable que sur l'autorité adjudicatrice ainsi que, par voie de
conséquence, sur l'autorité de recours compétente.

    1.2  Pour le Conseil fédéral, il s'agirait d'un simple problème
d'interprétation de l'art. 2c OMP; le canton de Genève ne contesterait
pas véritablement la compétence de la Confédération pour réglementer les
marchés en cause. La voie de la réclamation de droit public ne serait
pas ouverte chaque fois qu'un canton conteste l'interprétation d'une
disposition fédérale par une autorité fédérale de recours.

    Même s'il est apparu à l'occasion d'une décision concrète de la
commission fédérale et réside en partie dans l'interprétation d'une
disposition fédérale, le présent litige ne se rapporte pas moins à un
problème de compétence. Le contenu de l'art. 2c OMP, ainsi que son
interprétation (notamment la détermination de l'adjudicateur principal
en cas d'adjudication commune) sont certes contestés, en tant que
l'application du droit fédéral serait indûment favorisée. Le conflit
ne se limite toutefois pas à une simple question d'application du droit
fédéral (cf. ATF 103 Ib 247 consid. 1 p. 248-249), car le canton de Genève
conteste également la compétence de la Confédération pour adopter une norme
de conflit telle que celle qui figure à l'art. 2c OMP. Dans la mesure où
elle vise à résoudre un tel conflit, la réclamation est en soi recevable.

    Le canton de Genève dispose d'un intérêt juridique évident au règlement
du différend qui l'oppose à la Confédération, non seulement dans le
marché en cause (à l'égard duquel les conclusions en annulation sont
d'ailleurs limitées), mais aussi en prévision d'adjudications futures.
Même si elle est en relation avec une décision concrète - contre laquelle
il n'existe, conformément à l'art. 27 de la loi fédérale du 16 décembre
1994 sur les marchés publics (LMP; RS 172.056.1), aucun recours -, la
réclamation n'est soumise à aucun délai (ATF 74 I 29); tant l'écriture
originale que son complément du 10 septembre 2003 sont donc recevables.

    1.3  Saisi d'une réclamation de droit public, le Tribunal fédéral
examine librement et d'office l'application des règles de droit matériel
régissant le litige (ATF 129 I 419; 117 Ia 233 consid. 4b p. 244). Il
s'impose une retenue, en particulier dans le cadre des conflits de
compétence, lorsqu'il s'agit de résoudre des questions d'ordre technique,
politique, ou d'opportunité (ATF 125 II 152 consid. 3 p. 160). Le Tribunal
fédéral ne saurait de surcroît, en tranchant une réclamation de droit
public, procéder à des choix politiques dont les autorités, législatives et
gouvernementales, fédérales et cantonales, ont la responsabilité exclusive
(ATF 125 I 458 consid. 1g p. 466; 125 II 152 consid. 3 p. 160 et les
références citées).

    1.4  Le Tribunal fédéral ne peut en principe aller au-delà des
conclusions des parties (ATF 106 Ib 154 consid. 1b p. 158-159); il
appartient à celles-ci d'indiquer clairement quelles sont les mesures
requises. Lorsque la seule annulation d'un acte déterminé apparaît
suffisante, le jugement n'a qu'un effet cassatoire. Des conclusions en
constatation sont aussi admissibles, le Tribunal fédéral étant ainsi
invité à indiquer quelle collectivité publique est en droit d'agir
(ATF 125 I 458 consid. 1d p. 464 et les références). En l'occurrence,
l'annulation des décisions contestées, dans la mesure requise par le canton
de Genève, ne mettrait pas un terme à la contestation, qui concerne plus
généralement l'interprétation à donner à l'art. 2c OMP. Aussi le canton
requiert-il du Tribunal fédéral une interprétation de cette règle qui soit,
selon lui, conforme à la répartition constitutionnelle des compétences,
en écartant le critère exclusif de la part de financement prépondérante,
au profit de l'intérêt à la réalisation, et sous réserve d'une convention
contraire. Ces conclusions sont recevables.

Erwägung 2

    2.  Le canton de Genève relève que la Confédération et les cantons
disposent, en matière de marchés publics, de compétences parallèles. Le
silence de la Constitution fédérale dans ce domaine serait un silence
qualifié, de sorte que la Confédération ne pourrait réglementer que
ses propres marchés publics; elle ne serait pas légitimée à adopter
une règle de conflit sans base constitutionnelle explicite. En outre,
l'interprétation faite par la commission de l'art. 2c OMP négligerait
d'autres critères comme celui de l'intérêt de la collectivité à la
réalisation du projet, ou les critères posés à l'art. 8 al. 3 et 4
AIMP. La mise à l'écart du droit cantonal ou intercantonal violerait
ainsi la répartition constitutionnelle des compétences. Enfin, on ne
saurait voir dans l'art. 2c OMP une disposition impérative excluant toute
convention contraire, d'autant que les parts de financement sont de toute
façon fixées par convention. La voie conventionnelle serait la seule à
même d'éviter un empiétement de compétences.

    2.1  Le Conseil fédéral relève lui aussi l'existence de compétences
parallèles dans le domaine des marchés publics. L'institution de
l'adjudication commune aurait été concrétisée, en droit fédéral, à
l'art. 2c OMP, disposition destinée à "mettre fin aux constructions
juridiques délicates développées dans la pratique". La définition du
droit applicable par voie de convention ne serait pas souhaitable,
et les critères de l'AIMP ne seraient pas transposables; un critère
propre devrait être défini, cette tâche revenant à l'Etat central. Les
cantons avaient d'ailleurs été associés à l'élaboration de l'art. 2c OMP,
et l'avaient accepté, y compris le canton de Genève, en toute connaissance
de cause. Le critère retenu permettrait de déterminer de manière claire et
directe le droit applicable, au contraire de ceux proposés par le canton
de Genève. La réserve d'une convention contraire avait été délibérément
écartée lors de l'élaboration de l'art. 2c OMP.

    2.2  En présence d'un conflit entre la Confédération et un canton
relativement soit à la législation, soit à une décision, le Tribunal
fédéral doit examiner uniquement si l'ordre de répartition des compétences
au sein de l'Etat fédéral a été respecté (HALLER, Commentaire de la
Constitution fédérale de la Confédération suisse, n. 14 ad art. 113
aCst.). Le rôle du Tribunal fédéral se borne ainsi à déterminer la
collectivité qui, dans un domaine particulier, se trouve en "droit d'agir"
(SALADIN, Commentaire, n. 79 ad art. 3 Cst.). Il n'a pas à rechercher en
outre, au sein de la collectivité compétente, de quel organe (législatif
ou exécutif) devait émaner l'acte normatif litigieux (BIRCHMEIER,
Bundesrechtspflege, Zurich 1950, p. 285, 291 let. b). Si un examen
matériel de l'ordonnance litigieuse est nécessaire pour déterminer si la
Confédération est restée dans les limites de sa compétence (BIRCHMEIER,
op. cit., p. 293-294; HUBER, die Kompetenzkonflikt zwischen dem Bund
und den Kantonen, thèse Berne 1926, p. 60 ss), le Tribunal fédéral ne
se prononce pas sur la conformité matérielle de cet acte avec l'ensemble
de la Constitution, en particulier avec les droits constitutionnels des
citoyens (ATF 125 II 152 consid. 3 p. 160). La question de savoir si, à
cet égard, l'art. 2c OMP repose sur une base légale suffisante (principe de
la légalité; cf. infra consid. 2.4) n'a pas non plus à être examinée dans
le cadre de la présente procédure (ATF 117 Ia 221 consid. 1b p. 226-227;
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Berne 2000,
p. 735).

    2.3  En l'espèce, la contestation porte, d'une part, sur la compétence
de la Confédération pour adopter la règle de conflit litigieuse et,
d'autre part, sur le contenu matériel et l'interprétation de cette
règle. Dès lors que la disposition litigieuse a aussi pour effet d'exclure
une compétence cantonale dans un domaine déterminé, son contenu doit,
dans une certaine mesure, faire l'objet d'un examen matériel. Ce dernier
ne saurait toutefois s'exercer sans limites, dès lors qu'il porte pour
l'essentiel sur des questions relevant de l'opportunité, voire de choix
politiques, qu'il n'appartient pas au Tribunal fédéral de sanctionner.

    2.4  Une règle de conflit telle que celle de l'art. 2c OMP devrait
en principe figurer dans une loi au sens formel, car il en va de la
détermination du droit et de la procédure applicables (cf. art. 164 al. 1
let. g Cst.; rapport explicatif sur la révision de l'ordonnance sur les
marchés publics, décembre 2001, p. 13-14 ad art. 2c OMP). L'art. 2c OMP
ne constitue toutefois actuellement qu'une réglementation transitoire,
compte tenu de la révision en cours de la LMP. Le canton de Genève ne le
conteste pas et, comme cela est rappelé ci-dessus, il n'appartient pas
au Tribunal fédéral, dans le cadre d'une réclamation de droit public,
d'examiner si le principe de la légalité - ou de la séparation des
pouvoirs, au niveau fédéral - a été respecté.

    2.5  Aux termes de l'art. 3 Cst., les cantons sont souverains
en tant que leur souveraineté n'est pas limitée par la Constitution
fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués au
pouvoir fédéral. L'art. 3 Cst. n'est pas une règle de conflit; il ne fait
qu'instituer une compétence générale et résiduelle des cantons. Le partage
des compétences entre autorités fédérales et cantonales est opéré, sans
lacunes, par le droit constitutionnel fédéral écrit, notamment le titre 3
de la Constitution. L'art. 42 Cst. confirme les compétences d'attribution
de la Confédération.

    Les dispositions attributives de compétences ne sont pas
d'interprétation littérale, mais doivent être interprétées selon les
méthodes ordinaires. Il n'est donc pas nécessaire que les compétences
fédérales se fondent sur un texte exprès, la Confédération ayant aussi des
compétences "tacites". Ces dernières comprennent les pouvoirs inhérents,
soit ceux qui reviennent naturellement à l'Etat central, par son essence
même, et les compétences implicites, étroitement liées à l'exercice d'une
autre compétence (SALADIN, op. cit., n. 125 ss; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER,
op. cit., p. 330). La Confédération a toutes les compétences qu'elle
peut fonder sur une interprétation non pas littérale, mais raisonnable,
de la Constitution (AUBERT/MAHON, Petit commentaire de la Constitution
fédérale du 18 avril 1999, n. 5 ad art. 42 Cst.). Enfin, la question de
savoir si une compétence est exclusive, concurrente ou parallèle doit,
elle aussi, être résolue par la voie de l'interprétation (ATF 117 Ia 221
consid. 2 p. 227-228).

    2.6  La réglementation sur les marchés publics, adoptée après
la conclusion de l'AMP - entré en vigueur le 1er janvier 1996 - et de
l'Accord du 21 juin 1999 avec la Communauté européenne sur certains
aspects relatifs aux marchés publics - Accord CH-CE, entré en vigueur
le 1er juin 2002 -, est une compétence parallèle entre la Confédération
et les cantons. Pour les cantons, cela résulte de la clause générale de
l'art. 3 Cst.: les cantons sont compétents pour réglementer la passation de
leurs propres marchés, sous réserve du respect des accords internationaux
(art. 5 al. 4 Cst.). Pour la Confédération, il s'agit d'une compétence
inhérente rappelée à l'art. 164 al. 1 let. g Cst.: l'Etat fédéral doit être
à même de faire les acquisitions et de requérir les services nécessaires
à l'exercice des tâches qui lui sont attribuées par la Constitution et
par le droit international (cf. notamment l'art. 81 Cst. concernant les
travaux publics).

    2.7  Même si elle dispose de la compétence externe pour conclure les
accords internationaux précités (art. 54 Cst.), la Confédération doit
veiller, au stade de la concrétisation de ces accords, au respect des
compétences parallèles des cantons (CLERC, L'ouverture des marchés publics:
Effectivité et protection juridique, thèse Fribourg 1997, p. 327). On
ne saurait toutefois prétendre, comme le fait le canton de Genève, à une
étanchéité absolue entre les réglementations fédérale et cantonales.

    2.7.1  En premier lieu, la Confédération exerce une influence indirecte
sur le droit cantonal par le biais des accords qu'elle conclut en vertu
de sa compétence externe. Elle exerce ensuite une influence directe sur la
pratique cantonale, dans le cadre de sa mission d'unification de l'espace
économique suisse, et de son devoir d'assurer la fonction fédérative de la
liberté économique (art. 95 al. 2 Cst.); elle a ainsi adopté la LMI, dont
certaines dispositions (art. 5 et 9) sont applicables aux marchés publics
cantonaux (ATF 125 II 86 consid. 1c p. 91). Dans cette optique, la LMI
se veut une base légale pour des mesures visant à faciliter la mobilité
professionnelle et les échanges économiques en Suisse, à soutenir les
efforts des cantons en vue d'harmoniser les conditions d'accès au marché,
à accroître ainsi la compétitivité de l'économie suisse et à renforcer sa
cohésion économique (ZUFFEREY, Les marchés publics dans la construction
"Cinq ans après", Journées suisses du droit de la construction 2001,
p. 1-34, 13 ss).

    Enfin, la pratique relative au droit fédéral des marchés publics
constitue une source d'interprétation pour l'application du droit cantonal
(cf. ATF 125 II 86 consid. 7 p. 99; ZUFFEREY/DUBEY, Etude comparative
en droit des marchés publics de la Confédération et des cantons, rapport
relatif au mandat de recherche confié à l'Institut pour le droit suisse
et international de la Construction par la Commission des achats de la
Confédération, Fribourg 2003, p. 17-18).

    2.7.2  Les collectivités fédérale et cantonales peuvent exercer
simultanément leurs compétences, en cas d'adjudication commune. Cela ne
signifie pas que l'adoption de toute règle de conflit est en principe
exclue, et que les questions, essentielles, de droit applicable
et de compétence devraient systématiquement être réglées par voie
conventionnelle. La question du droit applicable doit être d'emblée
résolue, et l'adoption d'une règle de conflit apparaît nécessaire, de
toute façon, pour pallier l'absence de disposition conventionnelle.

    2.7.3  Selon l'art. 95 al. 2 Cst., la Confédération veille à créer
un espace économique unique. Cette disposition, qui figure au chapitre
des compétences fédérales, représente en premier lieu le fondement
constitutionnel de la législation sur le marché intérieur. Toutefois, elle
confère également à la Confédération des pouvoirs étendus dans la mise sur
pied d'un espace intérieur homogène, et l'Etat fédéral pourrait se fonder
sur cette disposition constitutionnelle pour harmoniser, sur certains
points, le droit des marchés publics (VALLENDER, Droit constitutionnel
suisse, Zurich 2001, § 61 n. 17; BIAGGINI, Die Regelungsaufteilung
im geltenden schweizerischen Vergaberecht sowie Darstellung möglicher
Alternativen, Etude réalisée sur mandat de la Commission des achats de
la Confédération, Zurich 2003, p. 71 ss). L'adoption d'une règle de
conflit s'inscrit assurément dans la mission d'harmonisation posée à
l'art. 95 al. 2 Cst. (ZUFFEREY/AMSTUTZ/ESSEIVA, Les effets juridiques
de la concurrence dans le secteur de la construction, DC 2003 p. 43-52,
46). En cas de projet commun entre la Confédération et un canton, la mise
sur pied d'une règle de conflit apparaît comme la compétence minimale
que l'on doit reconnaître à l'Etat fédéral. Laisser cette compétence aux
cantons permettrait la coexistence de nombreuses solutions différentes,
ce qui ne serait manifestement pas satisfaisant, dans le contexte de la
création d'un espace économique suisse homogène.

    2.7.4  L'adoption d'une règle de conflit suppose nécessairement
un certain débordement de compétence au détriment d'une
collectivité. Toutefois, dans un système fondé sur le principe de la
primauté du droit fédéral (art. 49 Cst.), la compétence législative
propre de l'Etat fédéral lui permet, en cas de compétences parallèles des
cantons, d'adopter les dispositions susceptibles d'éviter des conflits,
positifs ou négatifs, de compétence. Cette prérogative de l'Etat central
peut aussi être vue soit comme une compétence implicite, nécessaire à
la définition du champ d'application de sa propre législation, soit
comme un cas d'application de l'art. 42 al. 2 Cst., qui permet à la
Confédération d'assumer les tâches qui doivent être réglées de manière
uniforme. L'organisation et le fonctionnement de l'Etat fédéral empêchent
que chaque canton décide de telles règles de conflit. La pratique
actuelle déplore les multiples divergences matérielles qui subsistent
sur de très nombreux points du droit des marchés publics, en dépit de
l'effort d'harmonisation du droit intercantonal (ZUFFEREY/AMSTUTZ/ESSEIVA,
op. cit., p. 45-46). La jurisprudence présente elle aussi des disparités
importantes compte tenu de l'intervention de juridictions cantonales
différentes appliquant leur propre procédure, et du rôle limité du
Tribunal fédéral (L'ouverture des marchés publics en suisse sous l'angle
juridique et économique, Rapport final à l'attention de la Commission de
gestion du Conseil national, mars 2002, p. 36; ZUFFEREY/DUBEY, op. cit.,
p. 88-92). Le besoin d'uniformisation est indéniable, et l'intervention
de la Confédération pour définir le droit applicable aux marchés auxquels
elle participe va précisément dans ce sens, sans pour autant constituer
un dépassement inadmissible de ses compétences.

    2.7.5  Il y a lieu de relever également que, dans le cas d'une norme
de conflit adoptée par la Confédération, les cantons disposent d'un droit
de participer au processus de décision (art. 45 Cst.), alors qu'aucune
prérogative de ce genre n'est reconnue à l'Etat fédéral dans l'élaboration
du droit cantonal.

    Le canton de Genève ne saurait dès lors se contenter d'invoquer
l'existence de compétences parallèles pour dénier à la Confédération le
droit d'adopter une disposition telle que celle de l'art. 2c OMP.

Erwägung 3

    3.  Le canton de Genève conteste ensuite l'interprétation faite par
la commission de la notion d'"adjudicateur principal". Le critère de
l'intérêt prépondérant à la réalisation du projet devrait être préféré
à celui de la participation financière; le canton se réfère aux critères
figurant à l'art. 8 AIMP (siège de l'adjudicateur, activité principale),
et relève que la construction du projet CEVA a lieu essentiellement dans
son intérêt. Par ailleurs, la commission aurait admis à tort le caractère
impératif de la norme.

    3.1  Dans le cadre de la révision de l'OMP, suite à la conclusion
de l'Accord CH-CE, il a été constaté qu'en l'absence de base légale,
la pratique des adjudications communes avait développé des constructions
juridiques délicates (adjudications parallèles limitant l'efficacité des
recours des soumissionnaires), voire même non conformes (adjudications
par délégation en soumettant, sans base légale expresse, certains marchés
à un autre régime que le régime ordinaire; Rapport explicatif précité,
p. 13 ad art. 2c OMP). L'adoption de l'art. 2c OMP avait pour objectif
de mettre un terme à ces pratiques, en désignant le droit et la procédure
applicables sur la base d'un critère objectif unique.

    3.2  L'expression "adjudicateur principal" peut certes s'entendre
de plusieurs manières. Il ressort toutefois clairement des travaux
préparatoires que le critère choisi se rapporte à la participation
financière des différents adjudicateurs, le droit applicable étant celui
de l'adjudicateur dont la participation financière est la plus importante
(L'ouverture des marchés publics en suisse sous l'angle juridique et
économique, Rapport final du 14 mars 2002 à l'attention de la Commission
de gestion du Conseil national, p. 11 note 23 et p. 36; HERBERT LANG,
Neue Rechtsgrundlagen für das Vergabewesen in der Schweiz - Das Abkommen
CH-EU im öffentlichen Beschaffungswesen, ZBl 104/2003 p. 32 ss, 46,
dont la critique porte sur la légitimation de la Confédération pour
adopter cette disposition, mais non sur la solution retenue). Le droit
des marchés publics a notamment pour objectif de favoriser l'utilisation
économique des fonds publics (art. 1 al. 1 let. c LMP). Il est par
conséquent logique que celui qui assume la participation financière la
plus importante dispose d'un droit de contrôle sur son investissement.

    3.3  Cela étant, il ne suffit pas d'affirmer, comme le fait le
canton de Genève, que d'autres critères seraient envisageables, voire
même préférables, pour en déduire que la règle de l'art. 2c OMP - telle
qu'elle a été interprétée par la commission - serait contraire à la
répartition constitutionnelle des compétences. Le droit des marchés
publics est caractérisé par une grande diversité des sources (accords
internationaux, droits fédéral et cantonaux), lesquelles présentent
de nombreuses divergences des points de vue matériel et formel. La
pluralité des instances de recours ainsi que l'ouverture, pour les marchés
publics cantonaux, du seul recours de droit public, ne facilitent pas
une pratique uniforme. Les principes de transparence et d'ouverture s'en
trouvent également compromis (cf. notamment ZUFFEREY/DUBEY, op. cit.,
p. 85-87). Dans ce contexte, le choix du critère déterminant doit avant
tout permettre d'assurer une solution claire et prévisible. De ce point
de vue, la solution retenue apparaît adéquate puisqu'elle repose sur un
critère objectif directement appréciable, alors que la notion d'"intérêt
prépondérant à la réalisation" est une notion indéterminée difficilement
applicable, source d'insécurité juridique pour les tiers. Le présent cas
en est l'illustration: il est malaisé de mettre en balance, d'une part,
l'intérêt économique que peut avoir l'exploitant de la ligne ferroviaire
(en l'occurrence les CFF) et, d'autre part, les retombées générales du
projet sur la politique des transports publics, l'aménagement et l'économie
du canton, voire de la région.

    L'art. 2c OMP peut certes conduire à l'application plus fréquente du
droit fédéral. Cela présente toutefois l'avantage d'une uniformisation de
la pratique, notamment par l'intervention d'une autorité de recours unique
(cf. ATF 117 Ia 221 consid. 4c p. 232). A l'inverse, comme le relève
la commission, le critère préconisé par le canton de Genève conduirait
vraisemblablement à l'application exclusive des droits cantonaux, dès lors
que les projets auxquels la Confédération participe financièrement sont
réalisés sur territoire cantonal, dans l'intérêt souvent prépondérant de
la collectivité locale ou régionale.

    3.4  Le canton de Genève conteste enfin le caractère impératif attribué
par la commission à l'art. 2c OMP. Son argumentation sur ce point repose
toutefois sur la seule prémisse, erronée, d'une violation de la répartition
des compétences entre cantons et Confédération. Si cette dernière dispose,
comme on l'a vu, de la compétence d'édicter une norme de conflits, et que
les critères de délimitation sont, eux aussi, conformes à la Constitution,
la possibilité d'y déroger par convention est un choix d'opportunité,
nullement dicté par un impératif constitutionnel. En l'occurrence,
les considérations de la commission sont fondées sur le texte même de
la disposition, qui ne laisse aucune place à une éventuelle solution
conventionnelle, et sur la considération que les normes de compétences
sont en principe de nature impérative, ce que le canton de Genève ne
conteste pas. Tout élément conventionnel n'est au demeurant pas écarté:
les cantons et la Confédération règlent indirectement la question du droit
applicable lorsqu'ils conviennent de leurs participations financières
respectives. En revanche, la possibilité d'une véritable élection de
droit réintroduirait un élément d'incertitude que l'auteur de la norme
a précisément voulu écarter.