Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 130 II 217



130 II 217

20. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Wang
et consorts contre Office des juges d'instruction fédéraux (recours de
droit administratif)

    1A.3/2004 du 3 mai 2004

Regeste

    Internationale Rechtshilfe in Strafsachen; Art. 1a, 2, 5, 8 und
80p IRSG.

    Der Republik China (Taiwan) kann Rechtshilfe gewährt werden, auch
wenn dieser Staat von der Schweiz nicht anerkannt wird (E. 5).

    Kann die Gewährung von Rechtshilfe an Taiwan wesentliche Interessen
der Schweiz im Sinne von Art. 1a IRSG beeinträchtigen? Frage offen gelassen
(E. 6).

    Die Voraussetzung des Gegenrechts ist erfüllt (E. 7).

    Erfordernis der Einhaltung der Verfahrensgarantien in dem im Ausland
geführten Strafverfahren (E. 8).

    Die Verjährung beurteilt sich nach dem im Zeitpunkt der
Schlussverfügung geltenden schweizerischen Recht, im vorliegenden Fall
nach Art. 73 Ziff. 1 aStGB (E. 11).

Sachverhalt

    Le Juge d'instruction fédéral conduit une procédure pénale des chefs
de blanchiment d'argent, de défaut de vigilance en matière d'opérations
financières et de faux dans les titres. Ces délits auraient été commis en
relation avec des faits de corruption qui auraient entaché la vente par
la société française Thomson de six frégates à la Marine de la République
de Chine (Taïwan), selon un contrat passé le 31 août 1991.

    Le 2 octobre 2001, le Juge d'instruction a présenté aux autorités
de Taïwan une demande d'entraide portant sur la remise de documents
relatifs à la négociation et à la conclusion du contrat des frégates,
ainsi qu'au versement de commissions y relatives. Parallèlement, le Juge
d'instruction a adressé des demandes d'entraide aux autorités de la France
et du Liechtenstein.

    Le 27 mars 2002, les autorités taïwanaises ont remis au Juge
d'instruction les pièces d'exécution de la demande du 2 octobre 2001.

    Le 26 novembre 2001, la Délégation culturelle et économique de Taipei
à Berne a remis à l'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office
fédéral) une demande d'entraide, du 6 novembre 2001, présentée par Lu
Ren-fa, Procureur général auprès de la Cour suprême de la République
de Chine, pour les besoins de la procédure pénale ouverte contre des
officiers supérieurs de la Marine, prévenus d'avoir, en échange de
pots-de-vin versés par Thomson, favorisé l'achat des frégates à un prix
surfait. Quant à Wang Chuan-pu, il est poursuivi des chefs d'escroquerie,
de corruption, de blanchiment d'argent et de meurtre. Intervenant pour le
compte de Thomson dans la négociation du contrat de vente des frégates,
il est soupçonné d'avoir établi des contacts étroits avec les officiers
impliqués, et de leur avoir versé des commissions pour le compte de
Thomson, à titre de rétribution pour leur rôle dans la conclusion du
contrat. Thomson aurait payé des pots-de-vin pour un montant total de
3'000'000'000 FRF, dont une partie aurait été acheminée sur des comptes
bancaires en Suisse. Wang Chuan-pu était également soupçonné d'être mêlé
à l'homicide de Yin Chin-feng, officier de marine qui avait refusé de
se laisser corrompre dans une affaire d'acquisition d'armement pour les
frégates. La demande tendait à la remise de la documentation concernant
tous les comptes bancaires détenus ou contrôlés par Wang Chuan-pu et les
membres de sa famille, ainsi qu'à la remise de tout document utile tiré
de la procédure pénale en Suisse.

    Au terme de ses investigations, le Juge d'instruction a ordonné la
saisie notamment de quarante-six comptes bancaires, détenus par Wang
Chuan-pu, des membres de sa famille ou des sociétés qu'ils contrôlent,
ainsi que la remise de la documentation y relative. Ont été bloqués des
fonds pour un montant total équivalent à 494'885'804.60 USD.

    Le 28 novembre 2003, le Juge d'instruction a rendu une décision
d'entrée en matière et de clôture partielle de la procédure d'entraide. Il
a ordonné la transmission aux autorités de la République de Chine de la
documentation relative aux comptes saisis; de la documentation concernant
des sociétés dominées par les membres de la famille Wang; des pièces et de
la correspondance se rapportant aux accords passés entre Thomson et les
sociétés dominées par Wang Chuan-pu; des pièces concernant les montants
payés par Thomson; du compte-rendu des déclarations faites le 28 septembre
2000 par un fils de Wang Chuan-pu; des tableaux des flux des fonds, ainsi
que de la liste des comptes dont les membres de la famille Wang sont les
titulaires ou ayants droit. Le Juge d'instruction a ordonné en outre le
séquestre des fonds bloqués. Il a réservé le principe de la spécialité.

    Contre cette décision, les membres de la famille Wang, ainsi que
les sociétés impliquées, ont formé un recours de droit administratif,
en demandant au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 28 novembre
2003 et de rejeter la demande d'entraide. Ils invoquent les art. 1a, 2,
5, 8, 18, 27, 28, 29, 63, 64, 67a et 80b de la loi fédérale du 20 mars
1981 sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP; RS 351.1),
ainsi que l'art. 301 CP.

    Parallèlement au recours de droit administratif, les recourants
sont intervenus le 8 janvier 2004 auprès du Département fédéral de
justice et police pour qu'il constate que l'octroi de l'entraide à
Taïwan compromettrait les intérêts essentiels de la Suisse au sens de
l'art. 1a EIMP. Cette procédure est en cours.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

Erwägung 5

    5.  Selon les recourants, la République de Chine ne serait pas un Etat
reconnu, ce qui exclurait d'établir avec elle toute relation d'entraide.

    5.1  La République de Chine a été proclamée par Sun Yat-sen le
1er janvier 1912, après l'effondrement de l'empire mandchou. En 1925,
le généralissime Chiang Kai-shek a succédé à Sun Yat-sen à la tête du
gouvernement. En 1937 a éclaté la guerre avec le Japon, qui a pris fin
par la capitulation de celui-ci, le 14 août 1945. La Constitution a
été adoptée le 25 décembre 1946 et Chiang Kai-shek élu président de la
République. En 1949, la rébellion communiste dirigée par Mao Tsé-toung a
renversé le gouvernement et occupé toute la Chine continentale. Après la
proclamation de la République populaire de Chine, le 1er octobre 1949,
Chiang Kai-shek s'est replié à Taïwan avec une partie de son armée et de
ses partisans, le 8 décembre 1949.

    Taïwan (aussi anciennement appelée Formose) est une île d'une
superficie de 36'000 km2. Peuplé de 21 millions d'habitants et situé à
135 km des côtes de la Chine continentale, ce territoire a fait partie de
l'empire chinois de 1683 à 1895. Par le traité de Shimonoseki conclu le
18 avril 1895, l'empire chinois a cédé Taïwan au Japon. Réunis au Caire
le 1er décembre 1943, les représentants du Royaume-Uni, des Etats-Unis
et de l'Union soviétique ont manifesté leur intention de restituer
Taïwan à la Chine (soit la République de Chine de l'époque), après la
défaite de l'Axe. Dans son acte de capitulation du 1er septembre 1945,
le Japon a abandonné toute prétention sur Taïwan, qui a été occupée le
25 octobre 1945 par les troupes de la République de Chine. Depuis 1949,
tant la République de Chine (réduite à la possession de Taïwan) que la
République populaire de Chine ont prétendu représenter le seul gouvernement
légitime pour toute la Chine, y compris Taïwan. La République de Chine a
occupé le siège réservé à la Chine dans le Conseil de sécurité de l'ONU,
de 1945 à 1971, époque à laquelle elle a été exclue de l'ONU et son siège
attribué à la République populaire de Chine. Les Etats-Unis ont reconnu
celle-ci en 1979, et établi des relations diplomatiques. Simultanément,
ils ont rompu leurs relations avec Taïwan, tout en conservant avec elle des
liens étroits (notamment économiques, financiers, culturels et militaires).

    Au cours des dernières décennies, l'économie taïwanaise a connu un
essor considérable. Depuis 1987, elle a intensifié ses échanges même
avec la Chine continentale, dont elle est devenue l'un des principaux
partenaires et investisseurs. Malgré son isolement diplomatique,
Taïwan a pu se maintenir dans certaines organisations internationales.
Elle est membre (simultanément avec la République populaire de Chine) de la
Banque asiatique du développement, de l'Organisation pour la coopération
économique de l'Asie et du Pacifique, du Forum du Pacifique-Sud et de
l'Organisation mondiale du commerce. Il est à noter que depuis quelques
années se manifestent dans la société taïwanaise (y compris sur le plan
politique) des aspirations indépendantistes visant à abandonner la doctrine
officielle de la souveraineté sur toute la Chine et à consacrer l'existence
de deux Etats séparés, voire d'une confédération. Cette revendication se
heurte à l'opposition de la République populaire de Chine, qui persiste
à considérer Taïwan comme une province (provisoirement) séparée (sur le
tout, cf. RUDOLF BERNHARDT [éd.], Encyclopaedia of Public International
Law, Amsterdam 2000, vol. 4, p. 753 ss; JEAN-MARIE HENCKAERTS [éd.],
The International Status of Taiwan in the New World Order, Londres, La
Haye, Boston, 1996; ROBERT HEUSER, Taiwan und Selbstbestimmungsrecht,
Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht 1980 p. 31 ss; ALETH
MANIN, Taïwan: nouveaux aspects juridiques, Annuaire Français de Droit
International 1980 p. 141 ss; J.P. JAIN, The Legal Status of Formosa,
American Journal of International Law [AJIL] 1963 p. 25 ss; D.P.
O'CONNELL, The Status of Formosa and the Chinese Recognition Problem,
AJIL 1956 p. 405 ss; KARL ZEMANEK, Die völkerrechtliche Stellung Formosas,
Archiv des Völkerrechts 1955 p. 308 ss).

    5.2  L'Etat se définit en droit international selon trois critères:
un territoire; une population; un gouvernement effectif et indépendant
(cf. parmi d'autres: NGUYEN QUOC DINH/PATRICK DAILLIER/ALAIN PELLET,
Droit international public, 7e éd., Paris, 2002, no 265 ss; PIERRE-MARIE
DUPUY, Droit international public, Paris, 5e éd., 2000, n. 31 ss;
JOE VERHOEVEN, Droit international public, Bruxelles 2000, p. 52 ss;
GEORGES PERRIN, Droit international public, Zurich 1999, p. 570; JEAN
COMBACAU/SERGE SUR, Droit international public, Paris, 3e éd., 1997,
p. 266 ss; MALCOLM N. SHAW, International Law, Cambridge 1997, p. 137
ss; GEORG DAHM/JOST DELBRÜCK/RÜDIGER WOLFRUM, Völkerrecht, vol. I/1,
Berlin/New York, 2e éd., 1989, p. 127 ss; JAMES CRAWFORD, The Criteria
for Statehood in International Law, British Yearbook of International Law
1976/1977, p. 93 ss, 111 ss). En l'occurrence, la République de Chine ne
peut prétendre exercer sa souveraineté sur la Chine continentale, faute
pour son gouvernement d'exercer une autorité effective sur le territoire
et la population qui forment la République populaire de Chine (cf. QUOC
DINH/DAILLIER/PELLET, op. cit., no 272). Pour ce qui concerne l'île de
Taïwan en revanche, la République de Chine présente tous les traits d'un
Etat: elle occupe ce territoire depuis 1945; sa population (composée de
Taïwanais de souche, de Chinois venus du continent et de leurs descendants,
ainsi que d'une minorité aborigène) est importante, son indépendance
(y compris à l'égard de la République populaire de Chine) indéniable
(cf. VERHOEVEN, op. cit., p. 57/58; COMBACAU/SUR, op. cit., p. 275/276;
HUNGDAH CHIU, The International Legal Status of Taiwan, in Henckaerts, op.
cit., p. 6/7; HEUSER, op. cit., p. 67; MANIN, op. cit., p. 152; CRAWFORD,
op. cit., p. 130-133; cf. déjà ZEMANEK, op. cit., p. 319).

    5.3  Les Etats se reconnaissent mutuellement comme tels (VERHOEVEN,
op. cit., p. 61 ss). Selon les conceptions dominantes, la reconnaissance
ne produit qu'un effet déclaratif (et non constitutif), en ce sens
qu'elle constate uniquement que les critères de l'existence d'un Etat
sont réunis; la reconnaissance internationale n'est pas une condition
nécessaire de l'accession au rang d'Etat, qui existe par lui-même (QUOC
DINH/DAILLIER/PELLET, op. cit., nos 273 et 365; VERHOEVEN, op. cit.,
p. 74 ss, 80; PERRIN, op. cit., p. 571/572; SHAW, op. cit., p. 296 ss;
DAHM/DELBRÜCK/WOLFRUM, op. cit., p. 188 ss; COMBACAU/SUR, op. cit.,
p. 276/277, 280/281; CRAWFORD, op. cit., p. 95-107; cf. aussi l'avis de
droit de la Direction du droit international public du Département fédéral
des affaires étrangères, du 16 juillet 1982, JAAC 48/1984 no 51 p. 359).

    Jusqu'à son exclusion de l'ONU le 25 octobre 1971, la majorité des
Etats a reconnu la République de Chine comme le seul Etat chinois. Après
1979, un grand nombre d'entre eux, emboîtant le pas aux Etats-Unis,
ont reconnu la République populaire de Chine et rompu leurs relations
diplomatiques avec la République de Chine. Actuellement, seule une
vingtaine d'Etats ont maintenu des relations diplomatiques avec Taïwan. Le
statut de la République de Chine est ainsi ambigu. Sa reconnaissance
internationale est limitée, mais pas au point d'être réduite à une entité
mise à l'écart de la communauté internationale (comme par exemple, la
République turque de Chypre du Nord, reconnue par la seule Turquie). Son
statut est plutôt comparable à celui des Etats dont la reconnaissance
a été contestée par une partie de la communauté internationale, sans
que cela ne remette toutefois en cause leur qualité de sujet du droit
international (par exemple: Israël ou la République démocratique allemande
de l'époque; cf. HEUSER, op. cit., p. 67).

    Dès 1950, la Suisse a considéré la République populaire de Chine comme
le seul représentant légitime du peuple chinois, établi des relations
diplomatiques avec elle et rompu les liens avec Taïwan (cf. JÖRG PAUL
MÜLLER/LUZIUS WILDHABER, Praxis des Völkerrechts, 3e éd., Berne 2001,
p. 235). En 1991, le Conseil fédéral a répondu négativement au Conseiller
national Cotti qui préconisait la reconnaissance de Taïwan (BO 1991 CN p.
2516-2518). Or, seul le Conseil fédéral pourrait modifier la position
de la Suisse, constante sur ce point depuis 1950 (art. 184 Cst.). A
cet égard, on ne saurait soutenir que demander ou octroyer l'entraide
judiciaire à Taïwan équivaudrait à une reconnaissance, même implicite,
de la République de Chine. Cela prive de son fondement l'argument selon
lequel l'exécution de la demande pourrait être interprétée comme un acte
hostile à l'égard de la République populaire de Chine.

    Le défaut de reconnaissance et l'absence de relations diplomatiques ne
signifie pas que toute relation d'entraide avec Taïwan serait proscrite. Il
n'est pas décisif à cet égard que la République de Chine ne fasse pas
partie de l'ONU. Pour ne prendre que cet exemple, l'ONU n'a admis en son
sein la République fédérale allemande qu'en 1973; cela n'a pas empêché
la Suisse de passer avec elle plusieurs dizaines de traités (y compris
dans le domaine de l'entraide judiciaire) dans l'intervalle.

    5.4  Les recourants se réfèrent à un avis de droit établi le 26
novembre 2002 par deux professeurs de droit international. Selon ces
experts, la reconnaissance de la Chine populaire par la Suisse empêcherait
du même coup de considérer la République de Chine comme Etat. Taïwan
constituerait uniquement une province chinoise, à laquelle aucune entraide
ne pourrait, par définition, être prêtée. Cette approche formaliste ne
tient pas suffisamment compte de la qualité d'Etat de Taïwan (consid. 5.3
ci-dessus) et du fait que, nonobstant le défaut de sa reconnaissance,
de nombreux Etats (y compris la Suisse) entretiennent des relations
commerciales avec la République de Chine, à l'exclusion du domaine
diplomatique. S'ajoute à cela que la conception de Taïwan comme province
dissidente de la République populaire de Chine pose un problème délicat
du point de vue du droit international, car hormis cette revendication,
c'est le gouvernement de Taipei (et non celui de Beijing) qui exerce
son autorité effective sur l'île de Taïwan. Or, la demande d'entraide
porte sur des faits qui se sont déroulés dans la sphère de puissance
des autorités taïwanaises. Les prévenus sont des Chinois de Taïwan, où
certains d'entre eux sont détenus. Une procédure pénale est ouverte qui
peut conduire au renvoi des accusés devant des autorités de jugement à
Taïwan. Le fonctionnement des institutions, notamment judiciaires, est
assuré de manière continue. Même si la Suisse ne peut, par définition,
passer des traités avec la République de Chine qu'elle ne reconnaît
pas comme Etat, cela n'empêche pas des collaborations ponctuelles entre
autorités, comme en l'espèce.

    Les recourants le contestent, en faisant valoir une information
de l'Office fédéral, indiquant que l'entraide avec Taïwan serait
impossible. Quelle que soit la valeur de ce renseignement, il suffit de
constater que l'Office fédéral a transmis aux autorités taïwanaises la
demande d'entraide du 2 octobre 2001 et reçu la demande taïwanaise du
26 novembre 2001 (cf. art. 17 al. 2, première phrase, EIMP). Cela montre
bien que l'Office fédéral, quoi qu'il en ait dit par ailleurs, considère
qu'il est possible de demander et d'accorder l'entraide à Taïwan.

    5.5  En conclusion, les autorités suisses peuvent demander et accorder
l'entraide judiciaire en matière pénale aux autorités de Taïwan, sans que
cela modifie la position de la République populaire de Chine, seul Etat
chinois reconnu par la Suisse. Le défaut de reconnaissance de la République
de Chine a pour conséquence l'absence de relations diplomatiques. Il
s'ensuit que la demande n'a pas été acheminée par l'entremise d'une
représentation officielle en Suisse, mais par une délégation culturelle et
économique organisée sous forme d'association au sens des art. 60 ss CC.
Ce procédé inhabituel qui résulte de la force des choses ne change rien
au caractère officiel de la démarche des autorités taïwanaises et ne
remet pas en discussion la validité de la demande à cet égard. Pour le
surplus, contrairement à ce que disent les recourants, il arrive que
l'Etat requérant désigne un mandataire en Suisse pour les besoins de la
procédure: tel a notamment été le cas du Pakistan et de l'Ethiopie. Au
demeurant, la loi ne s'y oppose pas. On ne saurait ainsi reprocher à
l'Office fédéral et au Juge d'instruction d'avoir communiqué avec les
autorités de Taïwan par un canal informel.

Erwägung 6

    6.  La Suisse coopère à la répression des délits à l'étranger dans
les limites de sa souveraineté, de sa sûreté, de son ordre public ou de
ses autres intérêts essentiels (art. 1a EIMP). De l'avis des recourants,
l'octroi de l'entraide à Taïwan risquerait de compromettre les relations
de la Suisse avec la République populaire de Chine.

    C'est au Département fédéral de justice et police qu'il incombe de
décider si l'entraide doit être refusée pour l'un des motifs évoqués
à l'art. 1a EIMP, selon l'art. 17 al. 1 de la même loi. Sa décision
peut faire l'objet d'un recours administratif auprès du Conseil fédéral
(art. 26 EIMP). Les recourants sont intervenus auprès du Département
fédéral, en lui demandant de rejeter la demande d'entraide au regard
de l'art. 1a EIMP. La question de savoir si cette démarche exclut
l'invocation de cette disposition à l'appui du présent recours peut
rester indécise (cf. à ce propos, ROBERT ZIMMERMANN, La coopération
judiciaire internationale en matière pénale, 2e éd., Berne 2004, no 472;
STEPHAN BREITENMOSER, Internationale Amts- und Rechtshilfe, in Peter
Uebersax/Peter Münch/Thomas Geiser/Martin Arnold [éd.], Ausländerrecht,
Bâle 2002, n. 20.145 à 20.147). Quoi qu'il en soit, l'Office fédéral
indique, dans sa réponse du 27 février 2004, s'être assuré auprès du
Département fédéral des affaires étrangères que l'octroi de l'entraide en
l'espèce n'équivalait pas à une reconnaissance de la République de Chine
par la Suisse. Il n'y a pas lieu pour le Tribunal fédéral de s'écarter
de cette appréciation.

    Sous l'angle de l'art. 1a EIMP, les recourants soutiennent que la
remise aux autorités de Taïwan de documents ou d'informations protégés
en France par le secret de la défense nationale, serait aussi de nature
à mettre en danger les relations de la Suisse avec la France. A supposer
que des documents ou informations d'une telle nature soient transmis
à Taïwan, il n'en demeurerait pas moins qu'ils ont été recueillis en
Suisse par les autorités suisses. Celles-ci n'ont pas à prendre en
compte, pour l'exécution de la demande, les intérêts d'Etats tiers. Une
telle restriction au pouvoir de disposer ne serait concevable que si les
pièces litigieuses avaient été remises par les autorités françaises, avec
la réserve du secret et de leur accord préalable pour une transmission
ultérieure. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

Erwägung 7

    7.  Selon les recourants, une déclaration valable de réciprocité
ferait défaut.

    7.1  En règle générale, il n'est donné suite à une demande étrangère
que si l'Etat requérant assure la réciprocité (art. 8 al. 1, première
phrase, EIMP). L'Office fédéral requiert une telle garantie si les
circonstances l'exigent (art. 8 al. 1, deuxième phrase, EIMP). Il dispose
à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 110 Ib 173 consid. 3a
p. 176). Une déclaration de réciprocité a été exigée dans la plupart
des cas où, comme en l'espèce, un traité fait défaut (pour un aperçu
de la pratique, cf. ROBERT ZIMMERMANN, op. cit., no 345 n. 162). Selon
le principe de la confiance qui imprègne les relations entre Etats, les
autorités suisses n'ont pas à vérifier la conformité de la déclaration
de réciprocité aux règles de forme du droit étranger, ni la compétence
de l'autorité dont elle émane, sous réserve de l'abus manifeste (ATF
110 Ib 173 consid. 3a p. 177; arrêt 1A.49/2002 du 23 avril 2003, consid.
4.1 non publié à l'ATF 129 II 268, et les arrêts cités). L'Office fédéral
renonce à l'exigence de la réciprocité notamment lorsque l'exécution de la
demande paraît de toute manière s'imposer à raison de la nature de l'acte
commis ou de la nécessité de lutter contre certaines formes d'infractions
(art. 8 al. 2 let. a EIMP). Cela concerne en particulier la répression
de la criminalité organisée et des délits économiques (ATF 115 Ib 517
consid. 4b p. 525; 110 Ib 173 consid. 3a p. 176), du blanchiment d'argent
et de la corruption (arrêt 1A.49/2002 du 23 avril 2003, consid. 4.1 non
publié à l'ATF 129 II 268 et les arrêts cités).

    7.2  En l'occurrence, les autorités taïwanaises ont fait parvenir à
l'Office fédéral, le 29 avril 2003, une déclaration ("statement") établie
le 18 avril 2003 par le Ministre de la justice de la République de Chine,
assurant la réciprocité aux autorités judiciaires suisses pour l'exécution
des demandes d'entraide judiciaire en matière pénale, dans les mêmes
conditions. Ce document, simple et clair, ne prête à aucune discussion
quant à l'engagement pris par les autorités de Taïwan. De toute manière,
au regard de l'art. 8 al. 2 let. a EIMP et de la jurisprudence y relative,
l'Office fédéral aurait même pu renoncer à exiger une déclaration de
réciprocité en l'occurrence.

    7.3  La demande de Taïwan a été précédée d'une requête suisse dans la
même affaire. Même si les autorités taïwanaises n'ont pas fait dépendre
l'exécution des mesures requises de la garantie de réciprocité, il paraît
difficile de refuser aux autorités de Taïwan une coopération de même
étendue que celle qu'elles ont octroyée précédemment à la Suisse.

Erwägung 8

    8.  Les recourants invoquent l'art. 2 let. a EIMP, aux termes duquel
la demande de coopération en matière pénale est irrecevable s'il y a lieu
d'admettre que la procédure à l'étranger n'est pas conforme aux principes
de procédure fixés par la CEDH ou par le Pacte ONU II.

    8.1  L'art. 2 EIMP a pour but d'éviter que la Suisse ne prête son
concours, par le biais de l'entraide judiciaire ou de l'extradition,
à des procédures qui ne garantiraient pas à la personne poursuivie un
standard de protection minimal correspondant à celui offert par le droit
des Etats démocratiques, défini en particulier par la CEDH ou le Pacte
ONU II, ou qui heurteraient des normes reconnues comme appartenant à
l'ordre public international (ATF 129 II 268 consid. 6.1 p. 270/271;
126 II 324 consid. 4a p. 326; 125 II 356 consid. 8a p. 364, et les
arrêts cités). La Suisse elle-même contreviendrait à ses obligations
internationales en extradant une personne à un Etat où il existe des
motifs sérieux de penser qu'un risque de traitement contraire à la CEDH
ou au Pacte ONU II menace l'intéressé (ATF 129 II 268 consid. 6.1 p. 271;
126 II 258 consid. 2d/aa p. 260; 125 II 356 consid. 8a p. 364, et les
arrêts cités). Comme cela résulte du libellé de l'art. 2 EIMP, cette
règle s'applique à toutes les formes de coopération internationale,
y compris l'entraide (ATF 129 II 268 consid. 6.1 p. 271; 125 II 356
consid. 8a p. 364; 123 II 595 consid. 5c p. 608). L'examen des conditions
posées par l'art. 2 EIMP implique un jugement de valeur sur les affaires
internes de l'Etat requérant, en particulier sur son régime politique,
sur ses institutions, sur sa conception des droits fondamentaux et leur
respect effectif, et sur l'indépendance et l'impartialité du pouvoir
judiciaire (ATF 129 II 268 consid. 6.1 p. 271; 125 II 356 consid. 8a
p. 364; 123 II 161 consid. 6b p. 167, 511 consid. 5b p. 517, et les
arrêts cités). Le juge de la coopération doit faire preuve à cet égard
d'une prudence particulière. Il ne suffit pas que la personne accusée dans
le procès pénal ouvert dans l'Etat requérant se prétende menacée du fait
d'une situation politico-juridique spéciale; il lui appartient de rendre
vraisemblable l'existence d'un risque sérieux et objectif d'une grave
violation des droits de l'homme dans l'Etat requérant, susceptible de la
toucher de manière concrète (ATF 129 II 268 consid. 6.1 p. 271; 125 II 356
consid. 8a p. 364; 123 II 161 consid. 6b p. 167, 511 consid. 5b p. 517,
et les arrêts cités).

    8.2  Peut se prévaloir de l'art. 2 EIMP la personne dont est
demandée l'extradition ou le transfèrement à un tribunal pénal
international. Lorsque la demande d'entraide judiciaire porte, comme en
l'espèce, sur la remise de documents bancaires, l'art. 2 EIMP est invocable
par l'accusé qui se trouve sur le territoire de l'Etat requérant, s'il est
en mesure d'alléguer être exposé concrètement au risque de violation de
ses droits de procédure. En revanche, n'est pas recevable à se plaindre
de la violation de l'art. 2 EIMP celui qui réside à l'étranger ou qui
se trouve sur le territoire de l'Etat requérant sans toutefois y courir
aucun danger (ATF 129 II 268 consid. 6.1 p. 271 et les arrêts cités).

    En tant que le recours émane de personnes morales, celles-ci ne
sont pas recevables à invoquer l'art. 2 EIMP. Quant aux membres de la
famille Wang, seul Wang Chuan-pu est actuellement poursuivi à Taïwan,
du moins en l'état de la procédure. Si la demande indique l'adresse
à Taipei des membres de la famille Wang, l'acte de recours est muet
sur ce point. Il ressort de l'échange de correspondance intervenu au
cours de la procédure entre le Juge d'instruction et les mandataires des
recourants, que ces derniers (ou en tout cas Wang Chuan-pu) résident au
Royaume-Uni. Il est douteux qu'ils veuillent retourner à Taïwan. Leur
extradition est impossible, faute de traité entre le Royaume-Uni et la
République de Chine. La perspective d'une atteinte à leurs droits est
ainsi très réduite. Cela étant, compte tenu des particularités du cas,
que Taïwan n'a pas ratifié le Pacte ONU II et qu'elle n'est pas liée à la
Suisse par un traité, il se justifie d'examiner néanmoins le grief au fond.

    8.3  Chef de l'Etat sans discontinuer de 1949 à sa mort en 1975,
le généralissime Chiang Kai-shek a instauré un régime autoritaire
irrespectueux des droits fondamentaux (CHEN SHAN-LI, 50 Jahre
Menschenrechte in Taiwan: Rückblick und Prognosen, in Bernd Schünemann/Jörg
Paul Müller/Lothar Philipps [éd.], Das Menschenbild im weltweiten Wandel
der Grundrechte, Berlin 2002, p. 117 ss, 119/120). Il a exercé seul le
pouvoir, au travers d'un parti dominant sinon unique, le Kuo Min Tang
(ci-après: KMT). Son fils Chiang Ching-kuo lui a succédé; il a dirigé
l'Etat de la même manière, jusqu'à sa mort en 1988.

    Aux termes de la Constitution de 1946, la République de Chine
est un Etat démocratique, du peuple, par le peuple et pour le peuple
(art. 1). Tous les citoyens sont égaux devant la loi (art. 7). La liberté
personnelle est garantie (art. 8), ainsi que les libertés d'établissement
(art. 10), d'expression (art. 11), de religion (art. 13) et d'association
(art. 14). Sont aussi garantis le droit au travail et à la propriété
(art. 15), de pétition et de recours (art. 16), ainsi que les droits
politiques (art. 17). L'Assemblée nationale, composée de délégués des
citoyens, élit le Président et le Vice-président de la République; elle
amende la Constitution (art. 25-34). Le Président de la République est
le chef de l'Etat et des forces armées (art. 35-52). Les autres pouvoirs
de l'Etat sont séparés en cinq branches (ou "yuans"): le gouvernement
(conseil des ministres ou "Executive Yuan"; art. 53-61); le parlement
("Legislative Yuan"; art. 62-76); le conseil judiciaire ("Judicial Yuan";
art. 77-82); l'organe d'examen ("Examination Yuan"; art. 83-89), compétent
dans certaines matières sociales et l'organe de contrôle des activités
de l'Etat ("Control Yuan"; art. 90-106). De 1949 à 1987, les libertés
d'expression, de réunion et d'association ont été suspendues à raison du
décret sur l'état d'urgence. Le rapide développement économique de l'île
dès 1970 a fait naître la revendication de la restauration des libertés
suspendues et d'un partage du pouvoir, notamment dans les couches les plus
aisées et éduquées de la population. La remise en cause de la domination
du KMT a conduit à la création de nouveaux partis politiques, dont le
"Democratic Progressive Party" (ci-après: DPP), le 28 septembre 1986. A
cause de l'agitation qui s'ensuivit, le décret d'urgence a été abrogé
en 1987. Des réformes démocratiques ont été entreprises sous l'égide
du président Lee Teng-hui, qui a notamment abrogé, le 1er mai 1991, les
"dispositions provisoires en vigueur pendant la rébellion communiste". En
1994, la Constitution a été amendée, notamment pour permettre l'élection
au suffrage universel et direct du président et du vice-président de
la République. Lee Teng-hui, candidat du KMT, a remporté la première
élection présidentielle par le peuple, en 1996. En 1997, la Constitution
a été une nouvelle fois amendée. L'Assemblée nationale est désormais
élue au suffrage direct et ses pouvoirs étendus. Ceux du président
ont été restreints, s'agissant notamment du droit de dissolution du
parlement. De même, les rapports entre le gouvernement et le parlement ont
été rééquilibrés en faveur de ce dernier, qui peut renverser le premier
ministre par un vote de défiance. Les quinze grands juges qui forment
le conseil judiciaire ("Judicial Yuan") sont désignés depuis 2003 par le
président, avec l'accord de l'Assemblée nationale. Ils forment la Cour
constitutionnelle. En 2000, Chen Shui-bian, candidat du DPP, a remporté
l'élection présidentielle, mettant ainsi fin à un demi-siècle d'hégémonie
du KMT. Il a été réélu en 2004.

    L'organisation judiciaire est du domaine de la loi (art. 82 de la
Constitution). Les juges exercent leur fonction en toute indépendance
et impartialité (art. 80). Ils sont élus à vie; ils ne peuvent être
révoqués, sauf en cas de condamnation pénale, de sanction disciplinaire
ou d'interdiction; ils ne peuvent être suspendus ou transférés, ni leur
traitement réduit (art. 81). En matière civile et pénale, les tribunaux
sont organisés à trois degrés: les cours de districts, les cours
d'appel ("high courts") et la Cour suprême. A teneur de l'art. 8 al. 2
de la Constitution, toute personne arrêtée a le droit d'être informée
de l'accusation portée contre elle; elle est déférée au juge dans les
vingt-quatre heures. L'accusé est présumé innocent (art. 154 du Code de
procédure pénale). Il a le droit d'être assisté d'un mandataire de son
choix (art. 27 CPP) ou désigné d'office (art. 31 CPP). Il a le droit de
se taire (art. 95 CPP) et de faire appel (art. 344 CPP). Toute pression ou
moyen déloyal sont interdits (art. 98 CPP). Les auditions sont enregistrées
(art. 100-1 CPP). Le mandat d'arrêt est décerné par le juge (art. 128
CPP). Le fardeau de la preuve de l'accusation repose sur le Ministère
public (art. 161 CPP).

    Jusqu'à une époque récente, la situation des droits de l'homme à
Taïwan était préoccupante, non seulement en raison de la suspension de
certaines libertés publiques, mais aussi de la répression frappant les
milieux indépendantistes et de la fréquence du prononcé de la peine
de mort. Les personnes détenues dans les prisons étaient fréquemment
soumises à des mauvais traitements. La révision du Code pénal et les
réformes judiciaires tardaient à se concrétiser (cf. les rapports
d'Amnesty International pour les années 1992 à 2001, et le rapport
établi en 2001 par le Département d'Etat américain). En 2002 toutefois,
la perspective de l'abolition de la peine de mort et de l'adaptation de
la législation aux exigences du Pacte ONU II, semblait en meilleure voie
(rapport d'Amnesty International pour 2003). Une réforme de la justice
est en cours, qui a notamment pour but de renforcer l'indépendance des
juges à l'égard des partis politiques et de lutter contre la corruption.

    8.4  Dans un premier moyen, les recourants font valoir que le Procureur
Lu Ren-fa a, selon ses propres indications, été désigné par le Président
Chen Shui-bian pour superviser l'action du Ministère public dans la
procédure concernant la vente des frégates. Pour les recourants, cette
subordination au pouvoir exécutif démontrerait que la justice taïwanaise ne
serait pas indépendante. Cet argument n'est pas déterminant. A Taïwan, la
procédure pénale est régie par le principe accusatoire. Le Parquet établit
les faits, recueille les éléments de preuve, formule l'accusation, prononce
l'inculpation ("indictment"), et renvoie, le cas échéant, l'accusé devant
l'autorité de jugement. Dans le procès, il intervient comme partie. Il
est ainsi douteux que le Procureur soit assimilable à un juge auquel
s'applique l'exigence d'indépendance et d'impartialité au sens de l'art.
14 du Pacte ONU II (RS 0.103.2).

    Pour l'accusé, l'essentiel est qu'il puisse se défendre
convenablement devant l'autorité de jugement et que celle-ci statue en
toute indépendance. Hormis des allégations générales sur les défauts de
l'organisation judiciaire - que les autorités de Taïwan s'attachent à
corriger -, les recourants n'apportent aucun élément de nature à prouver
qu'ils seraient concrètement exposés à comparaître devant des juges qui
n'offriraient pas les garanties requises. L'affirmation selon laquelle le
Président Chen Shui-bian aurait dépêché un conseiller à l'étranger pour
diffuser des rumeurs à l'encontre de Wang Chuan-pu, n'est pas davantage
décisive à cet égard.

    8.5  Dans un deuxième moyen, les recourants exposent que les
déclarations à charge auraient été extorquées par la torture. De tels
moyens de preuve sont illégaux (art. 98 CPP). En outre, pour être prises
en compte, les déclarations des témoins doivent être faites devant le juge
(art. 159 al. 1 CPP). Les preuves sont administrées contradictoirement
(art. 164 et 166 CPP). Ces garanties sont suffisantes pour prévenir le
risque redouté par les recourants. Pour le surplus, l'argument selon lequel
l'accusation de meurtre en relation avec l'assassinat de Yin Chin-feng
aurait été fabriquée de toutes pièces et dans un but politique, relève
du juge du fond et non de celui de l'entraide.

    8.6  Dans un troisième moyen, les recourants soutiennent que Wang
Chuan-pu aurait été empêché de désigner un défenseur dans un procès en
diffamation qu'il avait intenté à Taïwan. Le droit au défenseur (de choix
ou d'office) est garanti (art. 27 et 30 CPP). Il semble cependant que
la législation exige le dépôt d'une procuration, selon une procédure de
légalisation. Des pièces déposées par les recourants, il ressort que la
représentation de Taïwan à Londres a établi une formule de légalisation,
annulée après coup par le Ministère des affaires étrangères. Les motifs
de cette mesure sont peu clairs. Les coupures de presse produites par
les recourants évoquent dans ce contexte des raisons liées à la sécurité
nationale, en relation avec la saisie des fonds en Suisse.

    Eu égard à l'incertitude qui pèse sur ce point, il se justifie de
subordonner l'entraide à une garantie expresse de la part des autorités
taïwanaises, au sens de l'art. 80p EIMP.

    8.7  Dans un quatrième moyen, les recourants soutiennent que la
présomption d'innocence aurait été violée, parce que Wang Chuan-pu aurait
été désigné officiellement comme un délinquant condamné.

    La présomption d'innocence (telle qu'elle est garantie notamment par
l'art. 6 par. 2 CEDH) est violée lorsque l'autorité de jugement - ou toute
autre autorité ayant à connaître de l'affaire à un titre quelconque -
désigne une personne comme coupable d'un délit, sans réserve et sans
nuance, incitant ainsi l'opinion publique à tenir la culpabilité pour
acquise et préjugeant de l'appréciation des faits par l'autorité appelée
à statuer au fond (ATF 124 I 324 consid. 3b p. 331 et la jurisprudence
citée).

    En l'occurrence, les recourants se réfèrent à un avis de recherche
international diffusé, par l'entremise d'Interpol, sur le réseau
Internet. Avec huit autres personnes, Wang Chuan-pu figure sur une liste
photographique de fugitifs recherchés par les autorités taïwanaises. Ce
tableau porte la mention selon laquelle "The subjects listed are convicted
offenders and are wanted by Taïwan judicial authorities".

    La pièce dont se prévalent les recourants n'a pas la portée qu'ils lui
prêtent. En premier lieu, il n'est pas établi que Wang Chuan-pu n'aurait
pas été condamné pour d'autres faits à Taïwan. Ainsi, l'affirmation selon
laquelle il s'agirait d'un délinquant condamné ("convicted offender")
ne peut pas être considérée comme fausse d'emblée. En outre, même à
supposer qu'elle le soit, il est possible que les autres personnes dont
le portrait orne l'avis de recherche à côté de celui de Wang Chuan-pu
sont effectivement des condamnés en fuite. Le procédé que dénoncent les
recourants relèverait ainsi tout au plus d'un amalgame malheureux qui ne
saurait, pris isolément, être la marque d'un préjugement dans l'affaire qui
a donné lieu à la demande d'entraide. Toutefois, compte tenu du fait que
l'octroi de la demande doit de toute manière être soumis à des conditions
(cf. consid. 8.6 et 8.8), il convient également, par précaution, de
faire porter celles-ci sur le respect de la présomption d'innocence.

    8.8  Wang Chuan-pu est poursuivi notamment pour meurtre. Or, selon
l'art. 271 par. 1 du Code pénal taïwanais, un tel crime est passible de
la peine de mort, de la réclusion à perpétuité ou de la réclusion pour
dix ans au moins.

    En Suisse, la peine de mort est abolie en toutes circonstances
(art. 10 al. 1, deuxième phrase, Cst.; Protocole no 13 à la CEDH [RS
0.101.093]). La coopération internationale en matière pénale est partant
exclue lorsque la personne accusée dans l'Etat requérant est exposée
à la peine de mort. La Suisse subordonne en pareil cas sa coopération à
l'assurance que cette peine ne sera ni requise, ni prononcée, ni appliquée
(cf. dans le domaine de l'extradition, art. 37 al. 3 EIMP; ATF 123 II 511).

    Wang Chuan-pu est poursuivi pour meurtre, à raison de sa participation
à l'homicide de Yin Chin-feng. L'exposé des faits joint à la demande
indique que Wang aurait exercé des menaces et des pressions pour amener la
victime à ne pas dénoncer les faits dont elle avait eu connaissance. Wang
aurait en outre conversé à plusieurs reprises au téléphone avec le dénommé
Guo Li-han, également impliqué dans l'affaire. Il semble ainsi que Wang
n'est pas soupçonné lui-même d'homicide, mais seulement de complicité. Il
n'en demeure pas moins qu'il est formellement accusé de meurtre et,
partant, exposé théoriquement au risque de la peine de mort.

    Sur ce point également, l'octroi de la demande doit être subordonné à
la remise, par les autorités de Taïwan, de l'assurance expresse que cette
peine ne sera ni requise, ni prononcée, ni appliquée. Le 30 avril 2003,
le mandataire des autorités de Taïwan a communiqué au Juge d'instruction
une déclaration faite le 18 avril 2003 par les Procureurs Lo Jung-chien
et Tsai Chiou-ming, selon laquelle le Ministère public s'engageait à ne
pas requérir la peine de mort contre les personnes qui seraient renvoyées
en jugement à raison des faits évoqués dans la demande. Cette promesse
lie sans doute ceux qui l'ont faite. Elle laisse toutefois subsister la
possibilité que la peine de mort, même non requise par l'accusation,
soit néanmoins prononcée par l'autorité de jugement. Pour parer tout
risque à ce propos, il est indispensable que le Ministère de la justice
de Taïwan complète sur ce point l'assurance donnée le 18 avril 2003.

    8.9  En conclusion, le grief tiré de l'art.  2 EIMP est partiellement
bien fondé. Les autorités de Taïwan seront invitées, par l'entremise
de l'Office fédéral, à fournir les garanties suivantes, conformément à
l'art. 80p EIMP, pour le cas où l'une des personnes physiques recourantes
devrait être arrêtée ou renvoyée en jugement à raison des faits évoqués
dans la demande du 6 novembre 2001:

    a) les prévenus disposeront du temps et des facilités nécessaires pour
préparer leur défense et du droit de se faire assister et de communiquer
librement avec le défenseur de leur choix;

    b) la présomption d'innocence sera respectée;

    c) la peine de mort ne sera ni requise, ni prononcée, ni appliquée.

    Après le prononcé du présent arrêt, l'Office fédéral communiquera ces
conditions aux autorités de Taïwan, selon les modalités adéquates, en leur
impartissant un délai approprié pour déclarer si elles les acceptent ou
les refusent (art. 80p al. 2 EIMP). L'Office fédéral décidera ensuite si
la réponse des autorités taïwanaises constitue un engagement suffisant
au regard de ces conditions (art. 80p al. 3 EIMP). Cette décision sera
attaquable séparément (art. 80p al. 4 EIMP).

    (...)

Erwägung 11

    11.  Les recourants allèguent que les faits seraient prescrits. Ils
se prévalent de l'art. 5 al. 1 let. c EIMP, à teneur duquel la demande
est irrecevable si son exécution implique des mesures de contrainte et
que la prescription absolue empêche, en droit suisse, d'ouvrir une action
pénale ou d'exécuter une sanction.

    11.1  En tant qu'accusé dans la procédure ouverte à Taïwan, Wang
Chuan-pu est habilité à soulever ce grief. Le moment duquel court le délai
de prescription est celui de l'exécution de la mesure de contrainte,
en l'occurrence celui des séquestres opérés auprès des banques pour la
remise de la documentation dont la transmission a été ordonnée (ATF 126
II 462 consid. 4b p. 465).

    11.2  Les faits dont est accusé Wang Chuan-pu sont antérieurs au 1er
octobre 2002. Par conséquent, la prescription s'examine au regard des
art. 70 ss CP dans leur teneur antérieure à la révision du 5 octobre
2001, sous réserve des dispositions plus favorables du nouveau droit
(art. 337 al. 1 CP; cf. CHRISTIAN DENYS, Prescription de l'action pénale:
les nouveaux art. 70, 71, 109 et 333 al. 5 CP, SJ 2003 II p. 49 ss, 62/63).

    En droit suisse, l'escroquerie est passible d'une peine de réclusion
de cinq ans au plus (art. 146 CP), le meurtre d'une peine de cinq ans au
moins (art. 111 CP). Le blanchiment d'argent est puni de l'emprisonnement
(art. 305bis ch. 1 CP) et, pour les cas graves, d'une peine de réclusion
de cinq ans au plus (art. 305bis ch. 2 CP). En l'espèce, eu égard au
caractère organisé des transferts de fonds et des montants en cause,
on se trouve dans un cas grave au sens de l'art. 305bis ch. 2 CP.

    Pour ce qui concerne la corruption, les recourants prétendent qu'il
faudrait prendre en compte l'art. 288 aCP, abrogé à la suite de l'entrée en
vigueur, le 1er mai 2000, des art. 322ter et suivants CP. Cette conception
ne peut être partagée. A l'instar de ce qui prévaut pour l'examen de
la double incrimination (cf. ATF 129 II 462 consid. 4.3 p. 465; 122 II
422 consid. 2a p. 424; 120 Ib 120 consid. 3b/bb p. 125, et les arrêts
cités), la prescription doit s'examiner au regard du droit en vigueur au
moment du prononcé de la décision de clôture, soit le 28 novembre 2003.
Selon l'art. 322ter CP, la peine encourue est de cinq ans ou plus. Le délai
de prescription absolue, au sens de l'art. 73 ch. 1 aCP est ainsi de quinze
ans. Conformément au principe de la lex mitior rappelé à l'art. 337 al. 1
CP, le nouveau droit, qui prévoit un délai de prescription de vingt ans
(art. 73 par. 1 CP), ne s'applique pas.

    Le Juge d'instruction a retenu que les faits auraient été commis de
façon continue de 1991 à 2000. Les recourants le contestent, en faisant
valoir que le pacte de corruption n'aurait pu être conclu qu'après le
4 juin 1993, date de l'amendement no 2 apporté au contrat du 31 août
1991. Les faits seraient prescrits au regard de l'art. 288 CP. Or, dès
l'instant où l'on retient un délai de quinze ans selon l'art. 73 ch. 1
aCP, la prescription n'est pas acquise. Elle ne le serait pas davantage
même si l'on admettait que le pacte de corruption avait été conclu le 26
septembre 1989, date du contrat passé entre Thomson et Cathay.

    (...)

Entscheid:

          Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

    1. Admet partiellement le recours au sens du considérant 8.9. Le
rejette pour le surplus, dans la mesure où il est recevable.

    2. Renvoie la cause à l'Office fédéral de la justice pour qu'il
requière les autorités taïwanaises de donner les garanties suivantes
pour le cas où l'une des personnes physiques recourantes serait arrêtée
ou renvoyée en jugement à raison de faits évoqués dans la demande du 6
novembre 2001:

    a) les prévenus disposeront du temps et des facilités nécessaires pour
préparer leur défense et du droit de se faire assister et de communiquer
librement avec le défenseur de leur choix;

    b) la présomption d'innocence sera respectée;

    c) la peine de mort ne sera ni requise, ni prononcée, ni appliquée.

    3. Maintient la décision de clôture du 28 novembre 2003 et suspend
ses effets jusqu'à l'entrée en force de la décision que l'Office fédéral
est invité à rendre en application de l'art. 80p EIMP (ch. 2 ci-dessus).

    4. (Frais et dépens)

    5. (Communication)