Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 129 IV 329



129 IV 329

49. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale dans la cause
A.X. contre Procureur général du canton de Genève (pourvoi en nullité)

    6S.225/2003 du 22 octobre 2003

Regeste

    Art. 305ter Abs. 1 StGB; Identifikation des wirtschaftlich
Berechtigten.

    Der Finanzintermediär, der zwar ungenügende Abklärungen trifft,
aber die Identität des wirtschaftlich Berechtigten gleichwohl richtig
feststellt, erfüllt den Tatbestand von Art. 305ter StGB nicht (E. 2.5).

Sachverhalt

    Par jugement du 11 janvier 2002, le Tribunal de police du canton de
Genève a reconnu A.X. coupable de faux dans les titres (art. 251 CP)
et de défaut de vigilance en matière d'opérations financières (art.
305ter CP) et l'a condamné à six mois d'emprisonnement et à une amende
de 25'000 francs. Il a reconnu B.X. coupable de complicité de défaut
de vigilance en matière d'opérations financières et l'a condamnée à la
peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis pendant trois ans et à
une amende de 10'000 francs. Les époux X. ont fait appel de ce jugement
auprès de la Chambre pénale du canton de Genève.

    Par arrêt du 5 mai 2003, la Chambre pénale a partiellement admis
l'appel d'A.X., le libérant du chef d'accusation de faux dans les
titres. Elle a condamné A.X., pour défaut de vigilance en matière
d'opérations financières, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis
durant quatre ans et à une amende de 25'000 francs. Elle a condamné B.X.,
pour complicité de défaut de vigilance en matière d'opérations financières,
à trois mois d'emprisonnement avec sursis durant trois ans et à une amende
de 10'000 francs. Elle a confirmé pour le surplus le jugement du Tribunal
de police du 11 janvier 2002.

    En bref, les faits à l'origine de la condamnation en vertu de
l'art. 305ter CP sont les suivants:

    A.X., actif dans le domaine financier, était en relation d'affaires
depuis plusieurs années avec E., avocat à Francfort. Le 25 octobre 1995,
Me E. lui a écrit pour lui demander de fournir à l'un de ses clients, nommé
D., une société anonyme de droit suisse. D. a rencontré A.X. à Genève en
novembre 1995 et lui a acheté pour 14'000 francs la société Y. SA, dont
B.X. était l'administratrice. Ne souhaitant pas être indiscret, A.X. n'a
pas demandé à voir le passeport de son cocontractant. Aucun document n'a
été signé à l'occasion de la vente. Selon les déclarations d'A.X., D.
lui a expliqué avoir un client qui faisait du commerce international et
agir à titre fiduciaire pour ce client. A.X. a ensuite entrepris auprès de
la banque Z. les démarches nécessaires à l'ouverture d'un compte bancaire
au nom de la société qu'il venait de vendre. Les documents d'ouverture du
compte ont été remplis le 13 novembre 1995 et signés par B.X.; la formule
A, datée du même jour, désigne D. comme ayant droit économique, avec comme
adresse celle de l'avocat E. Seul D. avait la signature sur le compte. La
banque Z. a fait savoir aux époux X. que l'élection de domicile effectuée
par l'ayant droit économique du compte auprès de son avocat n'était pas
admissible. Une seconde formule A, signée par B.X. et datée du 22 décembre
1995, a été adressée à Me E., puis récupérée à Francfort par les époux
X. lors d'une réunion chez cet avocat, en présence de D. Il a alors été
convenu que Me E. adresserait lui-même une copie du passeport de D. à
la banque Z., ce qu'il a fait le 22 décembre 1995. Le compte auprès de
la banque Z. a fait l'objet de plusieurs opérations en vertu d'ordres de
transfert donnés par D.

    A.X. se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 5
mai 2003. Il conclut à son annulation.

    Le Procureur général genevois conclut au rejet du pourvoi.

    Le Tribunal fédéral a partiellement admis le pourvoi en application
de l'art. 277 PPF.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.  Le recourant conteste tomber sous le coup de l'art. 305ter
al. 1 CP.

    2.1  Cette disposition prévoit que celui qui, dans l'exercice de sa
profession, aura accepté, gardé en dépôt ou aidé à placer ou à transférer
des valeurs patrimoniales appartenant à un tiers et qui aura omis de
vérifier l'identité de l'ayant droit économique avec la vigilance que
requièrent les circonstances, sera puni de l'emprisonnement pour une
année au plus, des arrêts ou de l'amende.

    2.2  L'art. 305ter al. 1 CP réprime un délit propre pur (echtes
Sonderdelikt): seule la personne qui, dans l'exercice de sa profession,
accepte, garde en dépôt ou aide à placer ou à transférer des valeurs
patrimoniales appartenant à des tiers, peut commettre cette infraction
comme auteur à titre principal; est donc visée la personne qui exerce une
activité professionnelle dans le secteur financier (cf. URSULA CASSANI,
Commentaire du droit pénal suisse, vol. 9, Berne 1996, art. 305ter
CP n. 6; MARLÈNE KISTLER, La vigilance requise en matière d'opérations
financières, thèse Lausanne 1994, p. 141 ss; MARK PIETH, Basler Kommentar,
Strafgesetzbuch II, 2003, art. 305ter CP n. 8 ss).

    Le recourant est employé d'une société anonyme; dans le cadre de son
activité professionnelle, il crée des sociétés, les administre, ouvre
en leur nom des comptes bancaires et s'occupe de leurs déclarations
fiscales. En l'espèce, il a vendu une société anonyme à un tiers et a
entrepris les démarches nécessaires auprès d'une banque pour ouvrir un
compte au nom de cette société, pour lequel le tiers acheteur devait
disposer de la signature. Par son activité professionnelle, il a donc
mis à disposition d'un tiers une structure commerciale permettant des
opérations financières.

    Le recourant ne conteste pas être actif dans le secteur financier et
à ce titre être exposé à l'art. 305ter CP pour avoir aidé à placer ou
à transférer des valeurs patrimoniales. Il relève toutefois que cette
disposition pénale aurait dû concerner en première ligne la banque,
qui n'a pas été inquiétée. La critique n'est pas pertinente. La présente
procédure n'a pas à déterminer si et dans quelle mesure des employés de
la banque auraient engagé leur responsabilité pénale, mais uniquement
si le comportement du recourant est constitutif de l'infraction réprimée
par l'art. 305ter CP.

    2.3  Selon le recourant, il n'a joué qu'un rôle d'intermédiaire entre
Me E. et D.; il a valablement délégué à l'avocat allemand le devoir
d'identifier l'ayant droit économique; cet avocat, avec qui il était
en relation d'affaires depuis des années, a attesté que D. était l'ayant
droit économique en transmettant à la banque une copie de son passeport par
courrier du 22 décembre 1995. Le recourant en déduit qu'il a respecté son
devoir de vérification et qu'aucun élément ne pouvait lui faire supposer
que le tiers acheteur n'était pas l'ayant droit économique. Il serait
disproportionné de lui imposer des vérifications allant au-delà de celles
effectuées par l'avocat allemand, en qui il avait toute confiance. Il
relève s'être lui-même rendu en Allemagne en décembre 1995, où la réunion
avec Me E. et D. a permis d'exclure tout doute. En conséquence, il doit
être libéré de l'infraction. Il ajoute subsidiairement que l'instruction
n'a pas établi que D. n'était pas l'ayant droit économique et que ce doute
implique que seule la qualification de délit impossible peut être retenue.

    2.4  Il ressort des constatations cantonales que lorsque le recourant a
rencontré D. à Genève dans la première quinzaine de novembre 1995, celui-ci
lui a indiqué qu'il n'agissait pas pour son compte mais à titre fiduciaire
pour un tiers. Le recourant savait donc que son cocontractant, de l'aveu
même de ce dernier, n'était pas l'ayant droit économique. Ce nonobstant,
le recourant a sitôt entrepris les démarches pour ouvrir un compte bancaire
et a transmis la formule A, datée du 13 novembre 1995, en identifiant
son cocontractant comme l'ayant droit économique. Ensuite, la banque
a souhaité connaître l'adresse exacte de D., une domiciliation chez Me
E. telle qu'indiquée dans la formule A n'étant pas admissible. C'est donc à
la requête de la banque et uniquement pour ce qui concerne l'adresse de D.
qu'une seconde formule A a dû être remplie. Il n'a pas été constaté que,
dans le laps de temps écoulé entre la première et la seconde formule A,
lors du voyage du recourant en Allemagne, D. était revenu sur ses aveux
faits à Genève, ni que le recourant avait obtenu un correctif plausible
à ce propos de la part de Me E. En raison de l'aveu de D., il apparaît
donc que le recourant a accepté de contrevenir aux devoirs de vigilance
auxquels il était astreint.

    Cependant, il ressort de l'arrêt attaqué que le recourant a produit
lors de la procédure une attestation de D. datée du 22 novembre 2002,
dans laquelle celui-ci affirme être l'ayant droit économique du compte. La
Chambre pénale a laissé ouverte la question de savoir si le contenu de
ce document était digne de foi, considérant ce point sans pertinence.

    2.5  Il convient à ce stade de se demander quelle incidence sur
l'application de l'art. 305ter al. 1 CP peut avoir le fait que la personne
identifiée est ou n'est pas l'ayant droit économique.

    2.5.1  La majorité de la doctrine ne discute pas de cette problématique
(cf. GÜNTER STRATENWERTH, Schweizerisches Strafrecht, Bes. Teil II,
5e éd., Berne 2000, § 55 n. 50 ss; JÖRG REHBERG, Strafrecht IV, 2e
éd., Zurich 1996, p. 368/369; STEFAN TRECHSEL, Kurzkommentar, 2e éd.,
Zurich 1997, art. 305ter CP n. 6 ss; BERNARD CORBOZ, Les infractions
en droit suisse, vol. 2, Berne 2002, art. 305ter CP n. 6 ss; URSULA
CASSANI, op. cit., art. 305ter CP n. 15 ss; MARLÈNE KISTLER, op. cit.,
p. 186 ss; MARK PIETH, op. cit., art. 305ter CP n. 17 ss). Sans aborder
directement cette question, un auteur laisse supposer que la correcte
identification de l'ayant droit économique exclut la punissabilité
(cf. NIKLAUS SCHMID, Kommentar Einziehung, organisiertes Verbrechen,
Geldwäscherei, vol. II, 2002, § 6 n. 169). Enfin, différents auteurs
traitent expressément de cette question et sont d'avis que celui qui ne
procède pas avec le soin nécessaire à l'identification de l'ayant droit
économique mais identifie malgré tout le bon ayant droit ne tombe pas
sous le coup de l'art. 305ter CP, un élément objectif faisant défaut;
autrement dit, pour eux, la seule violation du devoir de vigilance ne
suffit pas à réaliser l'infraction, car il faut aussi que la personne
identifiée ne soit pas l'ayant droit économique (cf. CHRISTOPH GRABER,
Zum Verhältnis der Sorgfaltspflichtvereinbarung der Banken zu Art. 305ter
Abs. 1 StGB, in RSDA 1995 p. 165; GEORG FRIEDLI, Die gebotene Sorgfalt
nach Art. 305ter Strafgesetzbuch für Banken, Anwälte und Notare, in
Bekämpfung der Geldwäscherei, Modellfall Schweiz?, Mark Pieth [éd.],
1992, p. 132; GUNTHER ARZT, Zur Rechtsnatur des Art. 305ter StGB, in RSJ
86/1990 p. 190/191; CHRISTINE EGGER TANNER, Die strafrechtliche Erfassug
der Geldwäscherei, thèse Zurich 1999, p. 274/275).

    2.5.2  Selon les deux derniers auteurs cités, l'art. 305ter al. 1
CP peut être interprété de deux manières possibles. Soit l'infraction
est réalisée d'un point de vue objectif lorsque l'auteur n'identifie pas
correctement l'ayant droit économique; soit elle l'est lorsque l'auteur
ne vérifie pas avec la vigilance requise l'ayant droit économique. Dans
la première interprétation, l'auteur, même s'il ne procède pas à
des vérifications suffisamment vigilantes, n'est pas punissable s'il
identifie malgré tout le bon ayant droit économique. Dans la seconde
interprétation, l'auteur est punissable du simple fait de n'avoir pas
vérifié avec toute la vigilance requise l'ayant droit économique. Pour
les deux auteurs précités, qui privilégient la première hypothèse,
cette double interprétation résulte d'une contradiction contenue dans
le message du Conseil fédéral. Dans sa version allemande, la rubrique
"Übersicht" mentionne d'une part que "strafbar ist nach Artikel 305ter
Entwurf, wer es im berufsmässigen Handel mit Vermögenswerten unterlässt,
die Identität des wirtschaftlich Berechtigten, das heisst seines wahren
Geschäftspartners, festzustellen", et, d'autre part, que "die Verletzung
der Identitätsprüfungspflicht als solche ist bereits das Delikt" (BBl 1989
II 1062). Autrement dit, le message indique en deux phrases d'une part
qu'est punissable celui qui omet de constater ("feststellen") l'identité
de l'ayant droit économique et d'autre part que la seule violation du
devoir d'identification constitue un délit. En quelque sorte, ces deux
phrases opposent la constatation de l'identité de l'ayant droit économique
à la vérification de l'identité de cet ayant droit. Cette différence ne
se retrouve toutefois pas dans les versions française et italienne du
message. Dans la version française, la première phrase précise que "se
rend punissable au sens de l'art. 305ter du projet celui qui [...] omet
de vérifier l'identité de l'ayant droit économique", alors que la seconde
mentionne que "la seule violation du devoir d'identification en tant que
tel constitue un délit" (FF 1989 II 962). En italien, le terme "accertare"
(vérifier) est employé dans les deux phrases: "è punibile [...] chiunque
ometta di accertare l'identità dell'avente economicamente diritto";
"la violazione dell'obbligo di accertare l'identità è già, come tale,
elemento costitutivo del reato" (FF 1989 II 838).

    La divergence évoquée se retrouve aussi dans le texte légal. En effet,
les versions française et italienne et la version allemande ne sont pas
similaires, les premières punissant le comportement de celui qui "aura
omis de vérifier l'identité de l'ayant droit économique avec la vigilance
que requièrent les circonstances" ("senza accertarsi, con la diligenza
richiesta dalle circostanze"), alors que la version allemande punit le
comportement de celui qui aura omis de constater l'identité de l'ayant
droit économique avec la vigilance que requièrent les circonstances
("wer [...] unterlässt, mit der nach den Umständen gebotenen Sorgfalt
die Identität des wirtschaftlich Berechtigten festzustellen").

    2.5.3  La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre. Selon la
jurisprudence, il n'y a lieu de déroger au sens littéral d'un texte clair
par voie d'interprétation que lorsque des raisons objectives permettent de
penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en
cause. De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but
et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi. Si le
texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci
sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de
la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment
des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que
des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec
d'autres dispositions légales (ATF 127 IV 193 consid. 5b/aa p. 194/195).

    A l'égard de l'art. 305ter al. 1 CP, une interprétation littérale
ne saurait être retenue, déjà pour le motif que les versions du texte
divergent quelque peu entre les versions allemande d'une part et française
et italienne d'autre part (cf. supra, consid. 2.5.2).

    Selon le message du Conseil fédéral, "les éléments constitutifs
objectifs [de l'art. 305ter CP] sont déjà remplis par l'omission de
l'identification; conformément à cette construction, peu importe que les
fonds concernés proviennent ou non d'une infraction" (FF 1989 II 989).

    En référence notamment à ce passage du message, la jurisprudence
relève que l'infraction de l'art. 305ter CP est un délit de mise en
danger abstraite. Le comportement interdit consiste à accepter des valeurs
sans vérifier l'identité de l'ayant droit économique, malgré des indices
laissant penser que le partenaire contractuel n'est pas le même que l'ayant
droit économique. Ainsi, la violation du devoir d'identification suffit
à elle seule. Peu importe de savoir si les valeurs patrimoniales ont été
ou non obtenues par l'ayant droit économique au moyen d'une infraction
(ATF 125 IV 139 consid. 3b p. 142).

    La jurisprudence et la doctrine relèvent également que l'objet
du devoir de vigilance mentionné à l'art. 305ter al. 1er CP est
l'identification de l'ayant droit économique. Le point de référence est
l'identité de l'ayant droit économique en tant que telle. Si l'identité
est connue du titulaire du devoir de vigilance, une punissabilité est
exclue, même si la provenance délictueuse des valeurs patrimoniales devait
se révéler ultérieurement. Si la personne astreinte à cette vigilance ne
vérifie pas l'identité malgré des indices révélateurs, elle est punissable
en vertu de l'art. 305ter CP, quand bien même il ne devait y avoir aucune
raison de douter de l'origine légale des valeurs patrimoniales (ATF 125
IV 139 consid. 3c p. 143; GÜNTER STRATENWERTH, op. cit., § 55 n. 52).

    2.5.4  Les justifications doctrinales pour exclure la punissabilité
lorsque l'ayant droit économique est correctement identifié sont en
particulier les suivantes: L'art. 305ter CP n'est qu'une norme d'appoint
par rapport à l'art. 305bis CP dans la lutte contre le blanchiment,
l'important étant de connaître le véritable ayant droit économique, sans
que la manière d'y parvenir ne soit déterminante (cf. CHRISTINE EGGER
TANNER, op. cit., p. 275). L'art. 305ter al. 1 CP exige concrètement
que l'auteur accepte, garde en dépôt ou aide à placer ou à transférer
des valeurs patrimoniales appartenant à un tiers; il en découle que pour
être punissable l'auteur doit avoir conclu une relation d'affaires avec
un partenaire non identifié (cf. CHRISTOPH GRABER, op. cit., p. 165).

    Ces motifs s'accordent avec le but poursuivi par l'art. 305ter al. 1
CP. Cette norme pénale tend à assurer la transparence dans le secteur
financier afin d'éviter que les blanchisseurs de capitaux ne tirent
profit de l'anonymat des relations pour se livrer à leurs activités
criminelles. La connaissance du réel propriétaire économique des valeurs
doit faciliter les enquêtes pénales. Le but ultime de la norme réside
dans la protection de l'administration de la justice pénale (cf. MARLÈNE
KISTLER, op. cit., p. 139; URSULA CASSANI, op. cit., art. 305ter CP
n. 2; NIKLAUS SCHMID, op. cit., § 6 n. 40). On peut ainsi en déduire
que l'objectif visé par la norme pénale est atteint lorsque l'ayant
droit économique est identifié. L'identification, qui est au coeur
de l'art. 305ter al. 1 CP, implique certes de procéder à des mesures de
vérification avec toute la vigilance requise. Mais si en fin de compte une
identification correcte a lieu, il ne paraît guère approprié, dès lors que
le but recherché est atteint, d'appliquer l'art. 305ter CP à celui qui a
accompli des vérifications insuffisantes. En ce sens, le résultat importe
plus que la manière. La jurisprudence a d'ailleurs déjà laissé entendre,
en distinguant le champ d'application de la Convention de diligence des
banques et de l'art. 305ter al. 1 CP, que cette dernière disposition ne
tendait pas à sanctionner des lacunes dans la procédure d'identification,
mais plutôt une identification défectueuse de l'ayant droit économique
(cf. ATF 125 IV 139 consid. 3d p. 145). Encore peut-on relever que lors
des débats parlementaires, si la teneur du message du Conseil fédéral
a été avalisée, la punissabilité a en particulier été associée à la
violation du devoir d'identification et a été décrite comme découlant
du fait pour l'auteur de n'avoir pas identifié l'ayant droit économique
(cf. interventions Bonny, BO 1989 CN p. 1872, et Béguin, BO 1990 CE
p. 201). En conséquence, il convient d'admettre que l'art. 305ter al. 1
CP ne saurait être appliqué en cas d'identification correcte de l'ayant
droit économique, même si l'intermédiaire financier est parvenu à cette
identification sans procéder avec toute la vigilance requise par les
circonstances concrètes.

    2.6  En l'espèce, la Chambre pénale n'a pas constaté si D. était ou
non l'ayant droit économique (cf. supra, consid. 2.4). En laissant cette
question ouverte, la Chambre pénale a omis de trancher un fait pertinent
pour l'application du droit fédéral. En conséquence, le pourvoi doit être
admis sur ce point et la cause doit être retournée en instance cantonale
en application de l'art. 277 PPF pour compléter l'état de fait (ATF 123
IV 211 consid. 4b p. 217; 119 IV 284 consid. 5b p. 287). En fonction de
la réponse donnée à cette question, deux solutions sont possibles:

    - Si D. n'est pas l'ayant droit économique, la condamnation
du recourant ne viole pas le droit fédéral. En effet, compte tenu de
l'aveu de D., le recourant ne pouvait pas l'identifier comme l'ayant
droit économique dans ses démarches entreprises pour ouvrir un compte
bancaire. Le recourant a ainsi volontairement accepté un ayant droit
économique inexact. Il a de la sorte contrevenu à l'art. 305ter al. 1 CP
(cf. CARLO LOMBARDINI, Droit bancaire suisse, 2002, n. 67, p. 677).

    - Si D. est l'ayant droit économique, les circonstances concrètes
n'impliquent pas l'acquittement du recourant mais un changement de
qualification juridique, les conditions étant réalisées pour admettre un
délit impossible de défaut de vigilance en matière d'opérations financières
(cf. MARLÈNE KISTLER, op. cit., p. 228/229). Une telle qualification est
susceptible d'être plus favorable au recourant.

    Le délit impossible est réglé à l'art. 23 CP. Selon cette disposition,
le juge pourra atténuer librement la peine (art. 66 CP) à l'égard de celui
qui aura tenté de commettre un crime ou un délit par un moyen ou contre
un objet de nature telle que la perpétration de cette infraction était
absolument impossible (al. 1). Pour le délit impossible, il existe une
erreur sur les faits en défaveur de l'auteur. Selon la représentation
que se fait l'auteur, il réalise un élément constitutif. En réalité, son
comportement est inoffensif (ATF 126 IV 53 consid. 2b p. 57; 124 IV 97
consid. 2a p. 99; GUIDO JENNY, Basler Kommentar, Strafgesetzbuch I, 2003,
art. 23 CP n. 4 ss). En l'espèce, la situation du recourant n'équivaut
pas à celle de l'auteur qui ne procède qu'à des mesures d'identification
approximatives mais identifie malgré tout le bon ayant droit économique.
Dans ce dernier cas, l'infraction n'est pas réalisée et l'auteur doit être
libéré (cf. supra, consid. 2.5.4). Le recourant a procédé comme s'il avait
identifié D. en tant qu'ayant droit économique et a entrepris en ce sens
les démarches utiles auprès de l'établissement bancaire, alors même que
D. lui avait indiqué agir à titre fiduciaire pour un tiers. En pareille
situation, le recourant ne saurait être libéré de l'infraction pour le
motif que D. était pourtant l'ayant droit économique, aussi surprenant
que ce renversement puisse apparaître. En effet, au moment d'accomplir
les démarches d'ouverture du compte, parmi lesquelles la première formule
A datée du 13 novembre 1995, le recourant ne pouvait qu'être certain en
raison de l'aveu de son cocontractant que celui-ci n'était pas l'ayant
droit économique. Le recourant a ainsi délibérément accepté un ayant
droit économique inexact et a en conséquence manifesté sa volonté de
violer l'art. 305ter al. 1 CP. Si en fin de compte la personne acceptée
par le recourant se trouve malgré tout être l'ayant droit économique,
on se trouve en présence d'un délit impossible.