Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 129 IV 257



129 IV 257

39. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale dans la cause
X. contre Ministère public du canton de Vaud (pourvoi en nullité)

    6S.151/2003 du 30 juin 2003

Regeste

    Art. 138 Ziff. 1 Abs. 2 StGB, Art. 513 Abs. 2 OR; Veruntreuung,
Darlehen zu Spielzwecken.

    Wer ein für ein Spiel gewährtes Darlehen zu einem anderen Zweck
verwendet, erfüllt nicht den Tatbestand der Veruntreuung (E. 2).

Sachverhalt

    A.- Par jugement du 24 juillet 2002, le Tribunal correctionnel de
l'arrondissement de l'Est vaudois a condamné X., pour abus de confiance,
escroquerie et tentative de crime impossible d'escroquerie, à huit
mois d'emprisonnement avec sursis durant trois ans, sous déduction de
quarante-deux jours de détention préventive.

    B.- Par arrêt du 22 octobre 2002, dont les considérants écrits ont
été envoyés aux parties le 28 mars 2003, la Cour de cassation pénale du
Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours de X.

    En ce qui concerne la qualification d'abus de confiance retenue,
les éléments pertinents sont les suivants:

    X. a été attiré dans un jeu de cartes truqué par R., S. et T. R. a
présenté S. à X. comme étant un certain M. Alexandre, vieillard très riche
et passionné par un jeu de cartes, dit jeu du "Dada", auquel il perdait
régulièrement des sommes exorbitantes mais s'obstinait à jouer. R. a
démontré à X. que le jeu reposait sur un principe arithmétique qui
permettait de désigner avec certitude la carte choisie par M. Alexandre et
d'emporter ainsi la mise. Il l'a convaincu de jouer. En réalité, par une
manipulation, R. faussait l'arithmétique et permettait à M. Alexandre
d'emporter les enjeux fictifs de ses compagnons mais réels de leur
dupe. Comme X. ne disposait pas de l'argent exigé pour entrer dans le jeu,
il a demandé à Y. de lui avancer les fonds en lui exposant sans détour
les motifs de son emprunt. Il a ainsi obtenu 500'000 francs. Au moment
du remboursement, Y. devait recevoir en plus de la somme prêtée une
part du gain que X. réaliserait au jeu. Le 18 juin 1996, une partie de
cartes a été organisée dans les locaux de la fiduciaire de T. Celui-ci,
R. et M. Alexandre misaient un leurre, soit une liasse de papier vierge
couverte par un seul billet authentique. X. a joué 500'000 francs et a
perdu. Les initiateurs du jeu l'ont convaincu du caractère accidentel de
la perte et l'ont persuadé de rejouer.

    X. s'est de nouveau adressé à Y., qui lui a avancé, le 26 juin 1996,
500'000 francs à titre de prêt, attesté par une reconnaissance de dette
avec échéance au 30 septembre 1996, et encore 500'000 francs à titre
fiduciaire, à charge pour X. de jouer ce montant au nom de Y. X. a
prélevé 200'000 francs pour son usage personnel, l'achat d'une voiture,
un séjour en Espagne et l'extinction de quelques dettes. Le 29 août 1996,
il a retrouvé les trois compagnons. Il a joué 800'000 francs et a perdu. Il
n'a compris que par la suite qu'il avait été floué.

    Il a été retenu que X. avait prélevé les 200'000 francs sur la somme
prêtée et non sur celle remise à titre fiduciaire et qu'en utilisant ces
200'000 francs à son profit, il s'était rendu coupable d'abus de confiance
au détriment de Y.

    C.- X. se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral contre l'arrêt du
22 octobre 2002. Il conclut à son annulation et sollicite par ailleurs
l'assistance judiciaire.

    Le Ministère public vaudois se réfère à l'arrêt attaqué et conclut
au rejet du pourvoi.

    Le Tribunal fédéral a admis le pourvoi.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.  Le recourant conteste l'abus de confiance mis à sa charge. Il ne
remet pas en cause les autres infractions.

    2.1  La Cour de cassation vaudoise a en substance exposé ce qui suit
pour admettre la qualification d'abus de confiance:

    Y. a prêté au recourant un premier montant de 500'000 francs pour
qu'il puisse le jouer. Le recourant l'a perdu. Y. lui a accordé un
second prêt d'un même montant pour jouer la revanche. Selon le système
du jeu, le gagnant remportait la mise de son adversaire et conservait la
sienne. Ainsi, si le recourant gagnait, il conservait sa propre mise de
500'000 francs et remportait celle de son adversaire du même montant,
disposant au total d'un million de francs qui devait être employé au
remboursement de ses deux emprunts. Y. était aussi convaincu de la perte
accidentelle de la première partie, ce qu'atteste sa remise, en plus
du second prêt, de 500'000 francs à titre fiduciaire, que le recourant
devait jouer au nom de celui-ci. Le second prêt de 500'000 francs a été
octroyé pour le jeu et le recourant devait affecter ce montant à cette fin
uniquement. Si le recourant ne pouvait pas garantir un résultat de gain
en raison du risque de perte au jeu, il devait en tout cas assurer ses
chances d'emporter la partie, ce qui impliquait le devoir de conserver
intacte la mise. Autrement dit, le recourant ne devait pas garantir
le remboursement des prêts mais ses chances de pouvoir les rembourser
par le jeu. Or, en prélevant 200'000 francs sur le montant prêté et en
l'affectant à ses dépenses personnelles, il a utilisé sans droit et dans
un dessein d'enrichissement illégitime une valeur patrimoniale qui lui
avait été confiée pour être misée dans le jeu.

    2.2  La question à résoudre est de déterminer si le recourant a
employé sans droit une valeur patrimoniale confiée au sens de l'art. 138
ch. 1 al. 2 CP.

    2.2.1  Sur le plan objectif, cette disposition suppose que l'auteur
ait utilisé, sans droit, à son profit ou au profit d'un tiers, les valeurs
patrimoniales qui lui avaient été confiées. Il y a emploi illicite d'une
valeur patrimoniale confiée lorsque l'auteur l'utilise contrairement aux
instructions reçues, en s'écartant de la destination fixée (ATF 121 IV 23
consid. 1c p. 25; 119 IV 127 consid. 2 p. 128). L'alinéa 2 de l'art. 138
ch. 1 CP ne protège pas la propriété, mais le droit de celui qui a confié
la valeur patrimoniale à ce que celle-ci soit utilisée dans le but qu'il
a assigné et conformément aux instructions qu'il a données; est ainsi
caractéristique de l'abus de confiance au sens de cette disposition le
comportement par lequel l'auteur démontre clairement sa volonté de ne
pas respecter les droits de celui qui lui fait confiance (ATF 121 IV 23
consid. 1c p. 25).

    2.2.2  En cas de prêt, il y a emploi illicite de l'argent confié
si le prêt a été consenti dans un but déterminé, correspondant aussi à
l'intérêt du prêteur, et que l'emprunteur en fait une autre utilisation,
dès lors qu'on peut déduire de l'accord contractuel un devoir de sa part
de conserver constamment la contre-valeur de ce qu'il a reçu (ATF 124 IV
9 consid. 1 p. 10 ss; 120 IV 117 consid. 2 p. 118 ss).

    A l'ATF 120 IV 117 précité, le Tribunal fédéral a admis le devoir
de l'emprunteur de conserver constamment la contre-valeur de ce
qu'il avait reçu ("Werterhaltungspflicht"): le prêt avait été accordé
pour l'acquisition d'un immeuble déterminé, le remboursement devant
intervenir lors de sa revente, prévue avec bénéfice. Il s'agissait
là d'une clause importante du contrat et le prêteur pouvait partir de
l'idée que si l'emprunteur utilisait les fonds conformément à ce qui
avait été convenu, il serait en mesure de le rembourser. Le prêt n'aurait
sinon pas été accordé compte tenu de la mauvaise situation financière de
l'emprunteur. Comme celui-ci était tenu contractuellement de consacrer
l'argent prêté à l'achat de l'immeuble, il avait aussi l'obligation de
conserver cet argent jusqu'à l'achat.

    A l'ATF 124 IV 9, le même devoir de l'emprunteur a été admis à
propos d'un crédit de construction. D'après le contrat, l'argent devait
être employé au paiement du travail et du matériel. Avec le crédit,
la banque prêteuse mettait à disposition de l'emprunteur d'importants
montants, qui n'étaient pas couverts par la seule valeur du bien-fonds.
L'utilisation progressive du crédit pour le paiement des travaux
de construction augmentait consécutivement la valeur dudit bien et
constituait une garantie pour la banque. En affectant l'argent à un autre
but, l'emprunteur a entravé cette garantie.

    Ces deux arrêts mettent en évidence la destination convenue des
fonds et l'intérêt pour le prêteur que représente le respect de cette
destination, en tant que limite du risque de perte. On peut en déduire que
l'utilisation de l'argent prêté contrairement à sa destination convenue
peut être constitutive d'un abus de confiance lorsqu'elle est de nature à
créer un dommage au prêteur (cf. MARCEL ALEXANDER NIGGLI/ CHRISTOF RIEDO,
Basler Kommentar, Strafgesetzbuch II, art. 138 CP n. 68).

    2.3  Comme il ressort de l'arrêt attaqué, le prêt de 500'000 francs a
été accordé dans un but clairement déterminé. L'argent devait servir de
mise dans un jeu. En cas de victoire, un montant d'un million de francs
devenait disponible, lequel devait être consacré au remboursement du prêt,
ainsi qu'à celui d'un précédent prêt d'un même montant, déjà accordé
pour jouer. En utilisant 200'000 francs du prêt à son propre profit, le
recourant n'était plus en mesure de miser suffisamment pour rembourser
le prêteur conformément à ce qui était prévu en cas de victoire. Que le
recourant se soit par ailleurs fait remettre un autre montant de 500'000
francs à titre fiduciaire pour le jeu n'y change rien, car il n'était
pas convenu qu'un gain sur ce montant pût servir au remboursement des
prêts. Que le jeu lui-même ait en réalité été organisé dans le but de
soutirer de l'argent au recourant en le trompant reste sans incidence
sur ses relations avec le prêteur.

    D'après l'art. 513 CO, le jeu ne donne aucun droit de créance (al. 1);
il en va de même des avances ou prêts faits sciemment en vue d'un jeu
ou d'un pari (al. 2). En matière de prêt pour un jeu, il n'existe ainsi
qu'une obligation naturelle, qui peut être valablement éteinte par le
paiement volontaire du débiteur mais pour laquelle le créancier ne peut
l'y contraindre par les moyens légaux d'ordinaire à sa disposition,
soit une action en justice et l'exécution forcée (ATF 93 IV 14).

    Il résulte de l'art. 513 CO que si le recourant avait affecté comme
convenu l'entier du prêt au jeu et s'il avait gagné, le prêteur n'aurait
pas pu l'actionner en justice en cas de refus de paiement. Cette hypothèse
amenuise singulièrement l'intérêt que pouvait avoir le prêteur à ce que
l'argent soit employé de manière conforme à la destination convenue. Or,
la qualification d'abus de confiance à propos d'un prêt implique que
la destination convenue des fonds puisse assurer la couverture du
risque du prêteur ou, du moins, diminue son risque de perte. Lorsque,
comme en l'espèce, le prêteur n'a civilement aucun droit d'action en
cas d'utilisation conforme de l'argent, il ne saurait invoquer qu'une
telle utilisation est de nature à limiter son risque de perte. En outre,
le jeu impliquait que le recourant misât l'argent prêté, sans que son
patrimoine ne bénéficiât alors d'une contre-valeur correspondante. Cette
situation ne s'apparente pas aux cas traités aux ATF 124 IV 9 et 120 IV
117, où l'affectation déterminée du prêt dans l'immobilier devait assurer
le maintien d'une contre-valeur. Il s'ensuit que la qualification d'abus
de confiance ne saurait être retenue. Le pourvoi doit être admis.

    Encore peut-on noter que lorsque l'argent prêté pour jouer est
utilisé par l'emprunteur à une autre fin (comme en l'espèce pour 200'000
francs), la question de savoir si le prêteur dispose civilement contre
lui d'un droit d'action est controversée en doctrine (cf. KURT AMONN,
Spiel und spielartige Verträge, in Schweizerisches Privatrecht, vol.
VII/2, n. 9 et les références citées, p. 477; SILVIO GIOVANOLI, Spiel
und Wette, in Berner Kommentar, art. 513 CO n. 11; PIERRE TERCIER, Les
contrats spéciaux, 2e éd., n. 5373). L'existence éventuelle d'une action
dans cette hypothèse reste sans incidence sur la qualification d'abus de
confiance. En effet, l'élément déterminant pour retenir cette infraction
réside dans la limitation du risque que procure au prêteur l'utilisation
conforme du prêt. Comme on l'a vu, une telle limitation n'entre pas en
considération s'agissant d'un prêt concédé pour jouer.