Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 129 III 369



129 III 369

60. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile dans la cause de Marval
contre de Marval et consorts (recours en réforme)

    5C.233/2002 du 30 avril 2003

Regeste

    Art. 30 Abs. 3 ZGB; Anfechtung einer Namensänderung.

    Zulässigkeit der Berufung (E. 1).

    Tragweite des Schutzes eines seltenen Familiennamens (Präzisierung
der Rechtsprechung). Berücksichtigung des Zeitablaufs zwischen der
Bewilligung der Namensänderung und der Anhebung der Anfechtungsklage bei
der Interessenabwägung (E. 3).

Sachverhalt

    A.

    A.a  Adélaïde de Marval, née le 28 décembre 1898 et décédée, sans
enfant, le 28 juillet 1998, fut la dernière descendante par le sang de
la branche "de Monruz" de la famille "de Marval". Pendant son mariage et
après le décès de son mari, elle fit usage, dans la vie courante et dans
ses activités culturelles, du nom d'artiste de son époux (Verneuil) suivi
de son nom de jeune fille. C'est sous ce pseudonyme "Verneuil-de Marval"
qu'elle fit connaissance, dans les années soixante, avec Gaston Hauser,
né en 1941. En 1971, à l'instigation de ce dernier, elle reprit son nom
de jeune fille. En 1972, elle déposa une demande d'adoption de Gaston
Hauser, laquelle fut rejetée le 25 février 1975 par le Tribunal fédéral
(ATF 101 II 3). Pendant plus de trente ans, elle fit preuve d'une constante
attention envers le jeune homme qu'elle considéra comme son fils.

    A.b  Le 26 mars 1976, Gaston Hauser (qui se prénommera par la suite
Gaspard, à la demande de sa bienfaitrice) a été autorisé par le Département
de la justice, de la police et des affaires militaires du canton de Vaud,
à changer de nom et à porter à l'avenir le patronyme "de Marval". Cette
décision a été publiée dans la Feuille des avis officiels du canton de
Vaud du 2 avril 1976. Louis de Marval, Marie-Louise de Marval, Floriane
de Marval et Christine de Marval, neveux d'Adélaïde de Marval, qui étaient
alors tous domiciliés à Neuchâtel, n'ont pas été consultés.

    Gaspard de Marval s'est marié en novembre 1976. Trois enfants, nés
en 1977 (jumeaux) et 1979, sont issus de son union.

    A.c  Le patronyme "de Marval", dont l'origine remonte au XIe siècle,
est connu. La famille "de Marval" est considérée comme l'une des plus
anciennes familles de Genève et de Suisse. A de nombreuses reprises, le nom
"de Marval" s'est trouvé lié à l'histoire de ce pays. En septembre 1995,
huit abonnés (y compris Gaspard de Marval et son épouse, deux mentions)
étaient inscrits sous le nom "de Marval" dans les annuaires téléphoniques
suisses.

    Gaspard de Marval a constamment honoré ce nom de famille.

    B.- Le 23 avril 1993, Louis de Marval, Marie-Louise de Marval,
Floriane de Marval et Christine de Marval ont appris de l'Inspecteur
cantonal de l'état civil vaudois que Gaspard de Marval portait son nom
de famille en vertu d'une décision prise en application de l'art. 30 CC.

    Par demande du 19 novembre 1993, ils ont agi en contestation
du changement de nom, concluant notamment à ce que la décision du 26
mars 1976 soit annulée et à ce que les modifications correspondantes
soient ordonnées au conservateur du registre de l'état civil; ils ont en
outre demandé 10'000 fr. à titre de dommages-intérêts et de réparation
morale. Gaspard de Marval s'est opposé à l'action.

    Suspendue le 24 février 1997, la procédure a été reprise le 19
octobre 1999.

    Le 23 janvier 2002, le Tribunal civil de l'arrondissement de Lausanne
a rejeté les conclusions des demandeurs et admis celles en libération
du défendeur.

    Statuant le 15 octobre 2002 sur le recours des demandeurs, la Chambre
des recours du Tribunal cantonal vaudois a réformé le jugement de première
instance, en ce sens qu'elle a notamment annulé la décision du 26 mars
1976 autorisant le changement de nom et invité les autorités d'état civil
compétentes à procéder aux modifications correspondantes.

    C.- Gaspard de Marval exerce un recours en réforme au Tribunal
fédéral. Invoquant en particulier la violation de l'art. 30 CC, il conclut
au rejet de l'action.

    Le Tribunal fédéral a admis le recours et réformé l'arrêt entrepris en
ce sens que l'action des demandeurs tendant à l'annulation de la décision
autorisant le changement de nom a été rejetée.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

Erwägung 1

    1.  Le présent recours est formé en temps utile contre une décision
finale prise par l'autorité suprême du canton. Il est dès lors recevable
au regard des art. 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ. La décision attaquée a été
rendue dans le cadre d'une contestation judiciaire d'un changement de nom
au sens de l'art. 30 al. 3 CC. En vertu de l'art. 44 OJ, le recours en
réforme est recevable dans de telles contestations civiles non pécuniaires
(recevabilité admise implicitement dans les arrêts publiés aux ATF 95 II
503 [Fornerod], 76 II 337 [Tobler] et 72 II 145 [Surava]; cf. POUDRET,
Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. II, p. 7,
n. 1.2.4 ad Titre II et p. 206, n. 2.1 ad art. 44 OJ; WURZBURGER, Les
conditions objectives du recours en réforme au Tribunal fédéral, thèse
Lausanne 1964, p. 30 et 229).

    (...)

Erwägung 3

    3.  Selon le défendeur, son intérêt à conserver le patronyme
"de Marval" l'emporte sur celui des demandeurs à s'y opposer. A titre
d'argumentation, il avance notamment avoir porté ce nom depuis un quart
de siècle.

    3.1  En vertu de l'art. 30 al. 3 CC, toute personne lésée par un
changement de nom peut l'attaquer en justice. Pour déterminer si les
conditions subjectives de l'action sont remplies, le juge examine si
le demandeur a unintérêt suffisant et digne de protection à contester
le changement de nom. Si tel est le cas, il procède à une pesée des
intérêts en présence; il s'agit de savoir si l'intérêt du défendeur au
changement de nom (et non pas à l'abandon de l'ancien nom, ce qui est du
ressort de l'autorité administrative) l'emporte ou non sur l'atteinte
subie dans ses intérêts par le demandeur (ATF 118 II 1 consid. 8 p. 10
et les arrêts cités).

    3.2  En l'espèce, après avoir reconnu aux demandeurs un intérêt
suffisant et digne de protection à contester le changement de nom,
la cour cantonale a considéré que la pesée des intérêts se faisait
en leur faveur. En bref, elle a jugé que les demandeurs ont un intérêt
prépondérant à empêcher que le défendeur porte un patronyme rare, porteur
d'un certain prestige et témoin d'une certaine histoire. Le fait que
l'intéressé éprouve une grande admiration pour certains milieux marqués
par la tradition et cherche à s'identifier à ceux-ci en prenant le nom de
l'une des familles qui les composent, si vif et si zélé qu'il puisse être,
ne justifiait pas qu'il fût protégé par l'ordre juridique objectif. Le lien
de "filiation spirituelle" qui semblait avoir uni le défendeur à Adélaïde
de Marval ne pouvait par ailleurs être considéré comme déterminant. En
effet, l'existence d'une forte amitié, d'un respect mutuel entre deux
personnes, ne pouvait avoir pour résultat digne de protection d'obtenir une
modification de nom. De même, l'admiration, le zèle du défendeur à l'égard
de la famille des demandeurs, ne pouvait fonder le maintien du changement
de nom, car une telle démarche psychologique ne constitue pas un intérêt
légitime. Enfin, que le défendeur ait porté officiellement le patronyme
"de Marval" depuis 1976 n'était pas non plus pertinent, dans la mesure où
il avait eu une attitude fort ambiguë quant à l'origine de son nouveau nom,
en indiquant en pointillé, dans une revue, un lien entre sa bienfaitrice
et lui-même et en faisant usage du nom modifié avant l'autorisation. Vu
les circonstances, il ne pouvait invoquer une "prescription acquisitive",
dès lors que, par son comportement, il avait dissuadé les demandeurs de
se renseigner et d'agir.

    3.3  A plusieurs reprises, le Tribunal fédéral a considéré qu'un nom de
famille rare, jouissant d'une notoriété toute particulière et conférant à
ses possesseurs des avantages d'ordre social mérite une protection accrue,
de telle sorte que son appropriation par le tiers est inadmissible, sauf
circonstances exceptionnelles (ATF 52 II 103 consid. 2 p. 106 [Eynard];
60 II 387 consid. 2 p. 390 [Dedual]; 67 II 191 [Segesser]; plutôt strict
aussi: ATF 118 II 1 consid. 8 p. 10 [Bigot de Morogues]). Toutefois,
contrairement à ce que cette jurisprudence peut laisser penser, ce n'est
pas la considération sociale, ou pour reprendre un des termes de l'autorité
cantonale le "prestige" dont jouit un nom qui mérite protection. Le nouveau
porteur peut en effet - à l'instar du défendeur qui a constamment honoré le
nom de famille "de Marval" - aussi ajouter à cette illustration. L'élément
déterminant tient plutôt à la rareté du nom, lequel remplit alors mieux sa
fonction distinctive et suggère davantage l'idée de l'appartenance à une
famille (ATF 72 II 145 consid. 3 p. 151 [Surava]; 95 II 503 [Fornerod];
moins insistant sur cet aspect: ATF 118 II 1 consid. 8 p. 11 in initio;
JACQUES-MICHEL GROSSEN, Les personnes physiques, Traité de droit privé
suisse, Tome II, 2, p. 63).

    En l'espèce, il est établi (art. 63 al. 2 OJ) que le nom litigieux est
peu répandu en Suisse. Seules huit personnes, y compris le défendeur (deux
mentions) sont en effet inscrites sous ce patronyme dans les annuaires
téléphoniques suisses. L'adoption d'un tel nom par le défendeur peut ainsi
éveiller l'idée d'un lien, en réalité inexistant, avec les demandeurs. De
ce point de vue, ceux-ci ont dès lors une prétention légitime à empêcher
ce tiers de porter leur nom.

    3.4  A cet intérêt, le défendeur oppose l'inconvénient de
devoir changer de nom si longtemps après l'octroi de l'autorisation
administrative, alors que c'est sous le patronyme litigieux qu'il est
connu de tous. Il se prévaut en outre de ce que les demandeurs ont admis
pendant un quart de siècle qu'il se fasse appeler "de Marval".

    Le Tribunal fédéral a traité à deux reprises l'argument tiré du fait
que le défendeur a porté pendant plusieurs années le nom modifié. Dans
l'arrêt Surava, il a considéré que, même si le défendeur avait porté ce
nom à titre de pseudonyme durant un certain temps avant l'autorisation
et était donc déjà connu sous celui-ci, il ne pouvait s'en prévaloir dès
lors qu'il ne l'avait pas choisi de bonne foi (ATF 72 II 145 consid. 4
p. 151/152). Dans la jurisprudence Bigot de Morogues, il a jugé, dans
ses considérations sur la prescription, que "l'inconvénient (...) de se
voir (...) exposé à une action en contestation du changement de nom de
nombreuses années après l'octroi de l'autorisation administrative doit
être pris en compte lors de l'examen au fond des intérêts réciproques des
parties"; il s'agissait alors de comparer l'intérêt du demandeur à obtenir
l'interdiction pour le défendeur de porter le nom visé à celui du défendeur
à la conservation de son nouveau nom; dans le cadre de cette appréciation,
l'écoulement du temps pouvait, "dans certaines circonstances", constituer
un facteur non négligeable (ATF 118 II 1 consid. 5c p. 6). En l'occurrence,
le Tribunal fédéral avait cependant finalement estimé que l'argument des
défendeurs pris de l'écoulement du temps (vingt-huit ans, soit la durée
entre l'autorisation et l'arrêt sur recours en réforme) ne leur était
"d'aucun secours" (ATF précité, consid. 8 p. 11).

    En l'espèce, il faut en revanche retenir l'existence de telles
circonstances particulières. Contrairement à l'arrêt publié aux ATF
118 II 1 où les défendeurs portaient le patronyme "Bigot de Morogues"
accolé au nom de "Müller", il est en effet établi que c'est sous le
seul nom "de Marval" que le défendeur travaille depuis de nombreuses
années à la Direction des écoles de la Ville de Lausanne (art. 63 al. 2
OJ) et qu'il est connu et intégré dans la vie sociale et religieuse de
son lieu de domicile (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c p. 252 et
l'arrêt cité). Au moment de l'introduction de l'action en 1993, il le
portait en outre officiellement depuis 1976, soit depuis dix-sept ans,
qui plus est, au vu et au su des demandeurs depuis 1977. Certes, selon
l'arrêt cantonal, ceux-ci n'ont, pendant toutes ces années, pas réagi
parce qu'ils ont vraisemblablement ignoré que le changement de nom se
fondait sur une autorisation administrative. Toutefois, contrairement aux
juges cantonaux, on ne saurait imputer cette méconnaissance à "l'attitude
ambiguë" du défendeur, qui a fait usage du patronyme litigieux avant
même l'autorisation administrative et a indiqué en pointillé, dans un
fascicule transmis aux demandeurs, un lien entre Adélaïde de Marval et
lui-même. C'est oublier que, d'une part, l'intéressé signait ses écrits
avec l'accord de sa bienfaitrice et que, d'autre part, il entretenait des
relations quasi filiales avec cette dernière, laquelle avait au demeurant
conduit - à ses côtés - jusqu'en dernière instance fédérale (ATF 101 II 3)
une procédure en vue de son adoption et avait été jusqu'à lui demander de
changer de prénom. Au vu de cette situation singulière, il faut considérer
que l'intérêt des demandeurs à préserver la rareté de leur patronyme, à
savoir de supprimer le risque de confusion qui peut se produire entre leur
famille et le défendeur, perd son acuité au regard des inconvénients que
subirait, selon l'expérience générale de la vie, ce dernier s'il devait
reprendre son ancien nom. C'est ainsi à tort que l'autorité cantonale a
admis l'action en contestation du changement de nom. (...)