Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 128 II 329



128 II 329

38. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause SI
Valverne A contre Etat de Genève et Commission fédérale d'estimation du
1er arrondissement (recours de droit administratif)

    1E.5/2002 du 5 septembre 2002

Regeste

    Formelle Enteignung, Nachbarrechte (Art. 5 EntG).

    Für die Anwendung der Voraussetzung der Unvorhersehbarkeit ist,
wenn es sich beim Enteigneten um eine Immobiliengesellschaft handelt,
der Verkauf aller Aktien der Gesellschaft dem Verkauf des Grundstückes
selber gleichzustellen (E. 2).

Sachverhalt

    A.- La société anonyme SI Valverne A S.A. a été constituée en 1959,
avec comme but statutaire l'achat, la vente, la construction, la location
et l'exploitation d'immeubles. Cette société a acquis, le 22 décembre
1959, une parcelle de 1540 m2 située sur le territoire de la commune de
Vernier, à proximité de l'extrémité sud-ouest de la piste de l'Aéroport
international de Genève. En 1960, SI Valverne A a construit une villa
familiale sur sa parcelle. Le capital-actions de la société, appartenant
alors à M., a été vendu en 1977 dans son intégralité soit à T. seul, soit
à ce dernier et à G., qui était alors son épouse. Celle-ci est devenue
actionnaire unique de la société en 1994, en acquérant les actions détenues
par T. dans la liquidation du régime matrimonial.

    B.- Le 27 août 1992, SI Valverne A a écrit au Département des travaux
publics de la République et canton de Genève (actuellement: Département de
l'aménagement, de l'équipement et du logement) pour demander une indemnité
d'expropriation, en relation avec les nuisances causées par l'exploitation
de l'aéroport. L'instruction de cette affaire a été suspendue jusqu'au
mois de mai 1999. A ce moment-là, SI Valverne A a adressé à la Commission
fédérale d'estimation du 1er arrondissement une demande en indemnisation,
dans laquelle elle a précisé et complété ses prétentions à l'encontre de
l'Etat de Genève, déjà annoncées en 1992.

    Le 1er septembre 1999, le Département fédéral de l'environnement,
des transports, de l'énergie et de la communication a octroyé à l'Etat
de Genève le droit d'expropriation, sur la base de la loi fédérale sur
l'aviation (LA; RS 748.0), afin qu'il puisse faire ouvrir, par le Président
de la Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement, une procédure
dans laquelle il serait statué sur les prétentions de SI Valverne A.

    Devant la Commission fédérale d'estimation, l'Etat de Genève a contesté
la réalisation de la condition de l'imprévisibilité (l'une des conditions,
avec celles de la spécialité et de la gravité, auxquelles la jurisprudence
subordonne l'octroi d'une indemnité pour l'expropriation des droits de
voisinage à cause des immissions de bruit de l'aéroport).

    La Commission fédérale d'estimation a rendu le 12 avril 2002 sa
décision sur les prétentions de SI Valverne A. Elle a rejeté la demande
d'indemnité pour expropriation formelle des droits de voisinage, en
considérant en substance que SI Valverne A abusait manifestement d'un
droit en demandant une indemnité d'expropriation formelle, car c'est son
actionnaire unique qui profiterait de cette indemnité; or cette actionnaire
était au courant des nuisances provenant de l'exploitation de l'aéroport
au moment de l'acquisition du capital-actions.

    C.- Agissant par la voie du recours de droit administratif, SI Valverne
A a demandé au Tribunal fédéral d'annuler la décision de la Commission
fédérale d'estimation, de lui reconnaître le droit à une indemnité pour
expropriation formelle des droits de voisinage et de renvoyer l'affaire à
l'autorité inférieure pour la suite de l'instruction. Le Tribunal fédéral
a rejeté le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.  La contestation porte sur la réalisation de la condition de
l'imprévisibilité, la recourante reprochant à la Commission fédérale
d'estimation de l'avoir appliquée en prenant en considération la situation
de son actionnaire unique, et non pas sa propre situation de propriétaire
foncier.

    2.1  D'après la jurisprudence, développée sur la base des art. 5 de la
loi fédérale du 20 juin 1930 sur l'expropriation (LEx; RS 711) et 684 CC,
la collectivité publique, en sa qualité d'expropriante, peut être tenue
d'indemniser le propriétaire foncier voisin d'une route nationale, d'une
voie de chemin de fer ou d'un aéroport s'il subit, à cause des immissions
de bruit, un dommage spécial, imprévisible et grave (cf. ATF 124 II 543
consid. 3a p. 548 et 5a p. 551 et les arrêts cités). Seule la condition
de l'imprévisibilité est en l'espèce litigieuse.

    S'agissant des nuisances du trafic aérien sur l'un des aéroports
nationaux, le Tribunal fédéral a posé la règle selon laquelle on ne
tient pas compte de la condition de l'imprévisibilité quand le bien-fonds
exposé au bruit a été acquis par l'exproprié avant le 1er janvier 1961
(ATF 121 II 317 consid. 6b p. 334 ss). En revanche, si l'exproprié a
acquis son bien-fonds à partir du 1er janvier 1961, on doit considérer
que les effets de l'exploitation de l'aéroport, avec le développement du
trafic aérien, étaient prévisibles voire connus, ce qui exclut l'octroi
d'une indemnité d'expropriation fondée sur l'art. 5 LEx (ATF 128 II 231
consid. 2.2 p. 234; 121 II 317 consid. 6c p. 337 s.).

    2.2  Le Tribunal fédéral a déjà considéré que, dans certaines
situations particulières, le propriétaire d'un bien-fonds acquis après
le 1er janvier 1961 pouvait néanmoins se prévaloir de l'imprévisibilité
des nuisances de l'aéroport. Ainsi, d'après la jurisprudence, la
date d'acquisition de l'immeuble par le précédent propriétaire est
déterminante quand la demande d'indemnité d'expropriation est présentée
par son héritier, actuel propriétaire - à savoir lorsque celui-ci a acquis
l'immeuble après le 1er janvier 1961 par la dévolution de la succession -,
ou encore lorsque le transfert de propriété à celui qui prétend à une
indemnité d'expropriation résulte d'une libéralité entre vifs faite à
titre d'avancement d'hoirie (ATF 128 II 231 consid. 2.3 p. 235; 121 II
317 consid. 6c p. 337). Dans ces situations-là, le transfert de propriété
n'a donc pas les mêmes effets, du point de vue du droit à une indemnité
pour l'expropriation de droits de voisinage, que le transfert résultant
d'une vente immobilière (cf. ATF 128 II 231 consid. 2.3 p. 235; 111 Ib
233 consid. 2a p. 235).

    Le Tribunal fédéral ne s'est en revanche jamais prononcé au sujet d'une
autre situation particulière: celle de la vente, après le 1er janvier 1961,
de toutes les actions d'une société immobilière elle-même propriétaire,
déjà avant le 1er janvier 1961, d'un immeuble exposé au bruit provenant de
l'exploitation d'un aéroport national. On peut se demander si la vente des
actions doit être assimilée à la vente de l'immeuble lui-même, quand bien
même aucune vente immobilière au sens des art. 216 ss CO n'a été conclue,
puisque le patrimoine de la société immobilière demeure intact. Telle
est précisément la question litigieuse en l'espèce: la recourante, ou
expropriée, est en effet une société immobilière stricto sensu (SI), soit
une société anonyme dont le capital-actions est réparti entre quelques
actionnaires ou réuni en une seule main et dont l'activité consiste dans
l'exercice du droit de propriété sur un ou quelques immeubles (définition
donnée par ARNOLD SCHLAEPFER, in La vente du capital-actions d'une société
anonyme immobilière, thèse Genève 1948, p. 39). Son capital-actions a été
vendu en bloc en 1977, par l'actionnaire unique d'alors, soit aux deux
époux T., soit au mari seul, l'instruction n'ayant pas permis d'établir
plus en détail les circonstances de cette vente; cela n'est toutefois
pas décisif car on peut sans autre assimiler à une société à actionnaire
unique une société immobilière propriétaire d'une villa familiale dont
les actionnaires sont des époux. Il ressort en outre clairement du dossier
que depuis 1994, la société recourante a une actionnaire unique.

    2.3  L'expropriation des "droits résultant des dispositions sur
la propriété foncière en matière de rapports de voisinage" (on parle
aussi d'"expropriation des droits de voisinage" - cf. GRÉGORY BOVEY,
L'expropriation des droits de voisinage, thèse Lausanne 2000) est
expressément prévue à l'art. 5 al. 1 LEx; les droits expropriés ne sont pas
des "droits personnels" (comme les droits des locataires ou fermiers - cf.
art. 5 al. 1 in fine LEx), mais bien des droits attachés à la propriété
foncière en vertu des art. 679 ss CC. C'est pourquoi la partie expropriée,
dans une telle procédure, ne peut être que le propriétaire du bien-fonds
exposé aux immissions excessives (cf. art. 684 al. 2 CC).

    La condition de l'imprévisibilité n'est pas une condition prévue
par les art. 679 ss CC; c'est une création de la jurisprudence du
Tribunal fédéral, s'appliquant dans le cadre de l'art. 5 LEx, lorsque
l'expropriation a pour objet des "droits de voisinage" (cf. ATF 121 II
317 consid. 5a p. 330/331 et les arrêts cités). Il ne s'agit donc pas,
en l'occurrence, d'interpréter une norme du droit civil définissant la
propriété foncière, ni de déroger à une règle existante, mais bien de
préciser une notion jurisprudentielle dont la portée est limitée aux cas
d'expropriation selon la législation fédérale.

    2.4  La société anonyme à actionnaire unique ("Einmanngesellschaft")
- notamment lorsqu'elle a pour but l'exploitation d'un immeuble -
ne correspond pas à la société anonyme type, telle que la voulait le
législateur, c'est-à-dire une grande société de caractère capitaliste et
collectiviste qui exerce une activité commerciale ou industrielle (cf.
SCHLAEPFER, op. cit., p. 38). Ce genre de société anonyme, création de
la pratique, est néanmoins toléré en droit suisse et, malgré l'identité
économique entre la société et l'actionnaire, on les traite en principe
comme des sujets de droit distincts, avec des patrimoines séparés
(cf. notamment ATF 92 II 160 consid. 1 p. 164; 85 I 91 consid. 2
p. 97). Cependant, la jurisprudence tient parfois compte de l'identité
économique entre la société et son actionnaire lorsque, dans les rapports
de la société avec des tiers, le principe de la bonne foi en affaires exige
qu'il soit fait abstraction de son indépendance formelle; on évite ainsi,
le cas échéant, de consacrer un abus de droit (principe de la transparence
[Durchgriff], déduit de l'art. 2 CC - cf. ATF 113 II 31 consid. 2c p. 36;
112 II 503 consid. 3b p. 506; arrêt 4C.335/1999 du 25 août 2000, publ. in
SJ 2001 I p. 186 consid. 5c).

    2.5  La Commission fédérale d'estimation s'est inspirée de la
jurisprudence précitée pour considérer que la société recourante ne
pouvait pas se prévaloir de son indépendance juridique afin de demander une
indemnité qui profiterait à son actionnaire unique. On peut s'interroger
sur la pertinence de cette application du principe de la transparence
dans un cas d'expropriation formelle, où seul le propriétaire foncier -
la société immobilière en l'occurrence - est admis à faire valoir des
prétentions à une indemnité. Cette question peut toutefois demeurer
indécise.

    En effet, pour appliquer la condition de l'imprévisibilité, il y a lieu
de prendre en considération l'analogie de fait entre l'actionnaire unique
de la société dont le seul actif est un immeuble, et un propriétaire
foncier. De même, quand l'actionnaire unique de cette société vend à
un tiers l'ensemble de ses actions, il donne à son tour à l'acheteur
une position analogue à celle du propriétaire de l'actif social, en
l'occurrence à celle du propriétaire de l'immeuble (cf. JEAN-JACQUES
FATTON, La vente de toutes les actions d'une société immobilière, thèse
Lausanne 1949, p. 41). La vente en bloc des actions équivaut économiquement
à une vente immobilière, quand bien même elle s'en distingue sur le plan du
droit civil, notamment à propos des exigences de forme, des conditions de
la garantie, etc. (FATTON, op. cit., p. 43, 62 ss; ARTHUR MEIER-HAYOZ,
Commentaire bernois, vol. IV/1/2, n. 75 ad art. 657 CC; HANS GIGER,
Commentaire bernois, vol. VI/2/1/3, n. 20 ad art. 216 CO). Cela étant, dans
l'application de certaines normes du droit fédéral, on assimile la vente
des actions d'une société immobilière à la vente de l'immeuble lui-même: il
en va ainsi, en particulier, en matière d'autorisation pour l'acquisition
d'immeubles par des personnes à l'étranger (cf. art. 4 al. 1 let. e de la
loi fédérale sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger
[LFAIE; RS 211.412.41]; JEAN-CHRISTOPHE PERRIG, L'acquisition d'immeubles
en Suisse par des personnes à l'étranger, thèse Lausanne 1990, p. 210 ss),
ou dans des cas d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural
(LDFR; RS 211.412.11 - cf. art. 4 al. 2 et 61 al. 3 LDFR; BEAT STALDER,
in Christoph Bandli et al., Le droit foncier rural, Brugg 1998, n. 19
ss ad art. 61 LDFR; cf. aussi ATF 127 III 90 consid. 5a p. 97; 97 I 548
consid. 2b p. 550), ou encore à propos de l'approbation de l'autorité
tutélaire pour la vente d'immeubles du pupille, prévue à l'art. 404 CC
(cf. ALBERT GULER, Commentaire bâlois, n. 7 ad art. 404 CC). Pareille
appréciation économique des faits, lors de la vente des actions d'une
société immobilière, est également courante en droit fiscal (cf. notamment
ATF 85 I 91 consid. 3 p. 99 ss; URS P. GÄHWILER, Die Besteuerung der
Immobiliengesellschaft und der daran Beteiligten, thèse Saint-Gall 1991,
p. 131 ss; OLIVIER BOURGEOIS, Le statut fiscal des sociétés immobilières
dans les cantons de Vaud et de Genève, thèse Lausanne 1964, p. 191 ss).

    Pour déterminer si le propriétaire actuel de l'immeuble peut se
prévaloir de la condition de l'imprévisibilité, la jurisprudence admet déjà
que le juge de l'expropriation doit dans certaines circonstances apprécier
la situation sous l'angle économique (cf. ATF 128 II 231 consid. 2.4.2.4
p. 239 à propos du caractère successoral du transfert de la propriété dans
le cadre familial). Une telle appréciation économique s'impose dans le
cas particulier: il faut examiner si la personne qui domine la société
immobilière, ou son actionnaire unique, pouvait prévoir les nuisances
de l'aéroport au moment où elle a obtenu la disposition effective de
l'immeuble en acquérant le capital-actions; en d'autres termes, la vente
en bloc des actions doit de ce point de vue être assimilée à la vente de
l'immeuble lui-même, la société immobilière (soit l'expropriée) ne pouvant
se prévaloir de l'imprévisibilité qu'au cas où son capital-actions n'aurait
pas changé de mains depuis le 1er janvier 1961 (voire dans l'hypothèse
où ces actions auraient ensuite été transmises par voie successorale,
cf. supra, consid. 2.2).

    Il en résulte que, dans le cas particulier, la Commission
fédérale d'estimation était fondée à considérer que la condition de
l'imprévisibilité n'était pas satisfaite, le capital-actions de la société
recourante n'appartenant plus, au moment de l'ouverture de la procédure
d'expropriation, à la personne qui le détenait le 1er janvier 1961. Le
recours de droit administratif doit donc être rejeté.