Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 127 I 115



127 I 115

14. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public du 18 juin 2001
dans la cause époux W. contre Tribunal administratif du canton de Genève
(recours de droit public) Regeste

    Art. 10 BV und Art. 6 Ziff. 1 EMRK; richterliche Kontrolle einer
Autopsieverfügung.

    Bestreiten die nahen Angehörigen eines Verstorbenen im Nachhinein die
Anordnung einer Autopsie, muss diese grundsätzlich zum Gegenstand einer
richterlichen Überprüfung gemacht werden können.

Sachverhalt

    A., âgée de 11 ans, a été victime d'un accident de la circulation
survenu le 2 avril 1999. Transportée d'urgence à l'Hôpital cantonal
universitaire de Genève, elle y est décédée le lendemain d'un traumatisme
cérébral grave. Le premier constat de décès a été posé le 3 avril 1999
à 10 heures 23, le second à 18 heures 30.

    Conformément à la volonté de leur fille, les époux W. ont proposé
de faire don de ses organes; les prélèvements ont été prévus pour le
dimanche de Pâques, 4 avril 1999. Les parents se sont rendus à l'Hôpital
à cette date, afin de se recueillir auprès du corps. Il leur fut répondu
qu'une autopsie avait été ordonnée par le Chef de la police de sûreté, et
que le corps avait été transporté à l'Institut universitaire de médecine
légale, à l'insu des médecins hospitaliers. L'autopsie a été pratiquée
le 6 avril 1999.

    Selon une note du 9 mars 2000 du Chef de la police au juge
d'instruction chargé de la cause pénale - et transmise pour information aux
époux W. à la fin du mois de juin 2000 -, l'autopsie avait été ordonnée
en vertu d'une directive de l'état-major de la police du 2 octobre 1989,
selon laquelle une telle mesure est requise lors de tout accident de la
circulation ou de chantier, afin de définir si le décès est causé par
l'accident, le retard des secours ou des erreurs médicales.

    Le 17 juillet 2000, les époux W. ont saisi le Conseil d'Etat genevois
d'un recours coutumier, afin qu'il soit constaté que l'ordre d'autopsie
était injustifié. Il devait, selon eux, être fait abstraction de l'exigence
d'un intérêt actuel, l'ordre d'autopsie ne pouvant être attaqué qu'après
avoir été exécuté. Sur le fond, ils soutenaient que l'accord des parents
aurait dû être préalablement requis. L'autorité s'était fondée sur une
directive interne, sans s'interroger sur l'opportunité d'une autopsie,
alors qu'en l'occurrence, les causes du décès étaient d'ores et déjà
établies.

    La cause a été transmise le 24 octobre 2000 au Tribunal administratif
genevois, car, dans le cadre de la réforme de la juridiction
administrative genevoise, le recours coutumier avait été supprimé,
le Tribunal administratif devenant l'autorité supérieure de recours en
matière administrative.

    Par arrêt du 9 janvier 2001, le Tribunal administratif a déclaré
irrecevables tant le recours dirigé contre l'ordre d'autopsie que
l'éventuelle action en constatation. L'ordre d'autopsie était un acte
de la police accompli en vertu des art. 13 de la loi genevoise sur la
police et 112A du code de procédure pénale genevois; la loi genevoise
sur la procédure administrative ne s'appliquait pas à un tel acte. Les
recourants ne disposaient en outre plus d'un intérêt à agir, puisque
l'ordre contesté avait déjà été exécuté. L'arrêt a été communiqué au
Procureur général, en tant qu'autorité de surveillance de la police.

    Les époux W. forment un recours de droit public contre cet arrêt,
dont ils demandent l'annulation. Le Tribunal fédéral a admis le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- Les recourants invoquent la liberté personnelle (art. 10 Cst.),
qui comprend le droit au respect de l'intégrité corporelle, protégé
après le décès d'une personne. Ils en déduisent que le Tribunal fédéral
devrait intervenir avec un plein pouvoir d'examen. Il n'en est toutefois
rien s'agissant des griefs relatifs à l'application du droit cantonal,
car le pouvoir d'examen est limité sur ce point à l'arbitraire.

Erwägung 3

    3.- Les recourants soutiennent que l'arrêt attaqué violerait le
droit cantonal de procédure. Il serait insoutenable qu'une décision aussi
importante qu'un ordre d'autopsie puisse être prise, sans l'accord de la
famille, sans pouvoir être soumise à une autorité judiciaire. Le Procureur
général ne serait pas une autorité de recours, et ses propres décisions ne
pourraient pas non plus être attaquées devant la Chambre d'accusation. En
définitive, il n'existerait aucune voie de recours cantonale contre un
tel ordre. Le Tribunal administratif aurait donc dû entrer en matière,
puisqu'il dispose d'un pouvoir général de juridiction en vertu de
l'art. 56A de la loi genevoise d'organisation judiciaire (OJ/GE). L'art. 2
let. b de la loi genevoise sur la procédure administrative (LPA/GE),
qui exclut l'application des règles de procédure administrative aux
actes de police judiciaire, n'exclurait pas la compétence de la cour
cantonale. Les recourants invoquent également à ce titre l'art. 6 par. 1
CEDH (RS 0.101). Ce grief sera examiné ci-dessous (consid. 4).

    a) Selon l'art. 13 al. 2 de la loi genevoise sur la police (LPol),
le Chef de la police et les officiers de police sont compétents pour
accomplir, dans le cadre de la police judiciaire et sous la surveillance
du Procureur général, les formalités de levée de corps et, le cas échéant,
ordonner qu'il soit procédé à une autopsie légale en cas de mort violente
ou indéterminée. Dans le cadre d'une procédure pénale, l'art. 112A du
code de procédure pénale genevois (CPP/GE) est applicable, et donne au
Procureur général et aux officiers de police la même compétence. Selon
l'art. 2 let. b LPA/GE, les règles de procédure contenues dans cette loi
ne sont pas applicables aux procédures pénales administratives dans la
mesure où celles-ci font l'objet de dispositions spéciales, ainsi qu'aux
actes de police judiciaire.

    b) Depuis le 1er janvier 2000, le Tribunal administratif genevois
dispose d'une attribution générale de compétences, dont le but principal
est de clarifier l'agencement des voies de recours, de combler les lacunes
de la protection juridique et d'aménager une voie de recours conformément
aux exigences des art. 98a OJ et 6 par. 1 CEDH (THIERRY TANQUEREL,
Les principes généraux de la réforme de la juridiction administrative
genevoise, in RDAF 2000 1 p. 475-496, 478). L'art. 54A OJ/GE prévoit
ainsi que le Tribunal administratif connaît des recours dirigés contre
les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des
art. 4 à 6 et 57 LPA/GE, ou dans les autres cas prévus par la loi.

    L'art. 56B OJ/GE exclut le recours dans certains cas; les actes de
la police judiciaire ne sont pas visés.

    Il ressort de cette réglementation que le Tribunal administratif est
l'autorité de recours contre les décisions fondées sur la LPA/GE. Il
est par conséquent logique de considérer que les décisions et actes
soustraits au champ d'application de cette dernière loi, tels les
actes de la police judiciaire, ne peuvent pas faire l'objet du recours
administratif ordinaire. L'arrêt attaqué ne repose donc pas sur une
application arbitraire du droit cantonal.

    c) Les recourants invoquent également l'art. 49 LPA/GE. Cette
disposition permet d'obtenir une décision de constatation si le requérant
rend vraisemblable qu'il a un intérêt juridique, personnel et concret,
digne de protection. Le Tribunal administratif a considéré qu'il n'y
avait pas d'intérêt actuel à une telle constatation, dès lors que
l'ordre d'autopsie avait déjà été exécuté. Les recourants invoquent la
jurisprudence fédérale selon laquelle il est renoncé à l'exigence d'un
intérêt actuel lorsque celle-ci aurait pour effet de soustraire une
décision à un examen de constitutionnalité. Toutefois, l'obligation
d'entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances,
nonobstant l'absence d'un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de
créer une voie de droit non prévue par la réglementation cantonale. La
règle de l'art. 98a OJ, selon laquelle le recours cantonal doit être
ouvert aussi largement que le recours au Tribunal fédéral, s'applique au
recours de droit administratif, et non au recours de droit public.

    d) Les recourants évoquent enfin l'art. 11 al. 3 LPA/GE, disposition
selon laquelle l'affaire est transmise à l'autorité compétente. Le Tribunal
administratif ne pouvait se contenter de communiquer son arrêt au Procureur
général, pour information, mais devait lui remettre le dossier pour
décision. Les recourants perdent de vue que le Tribunal administratif
a déclaré le recours et la demande de constatation irrecevables, à
défaut de toute voie de droit, aménagée en droit cantonal, contre un
ordre d'autopsie. La communication en a été faite au Procureur général,
non pas en tant qu'autorité de recours - comme l'admettent d'ailleurs les
recourants eux-mêmes -, mais comme autorité de surveillance. C'est à cette
dernière qu'il appartiendrait dès lors de décider, sans être tenue par
les considérations de la cour cantonale, si une intervention se justifie,
et de requérir éventuellement la production du dossier. Il n'y a pas, par
conséquent, d'application arbitraire de l'art. 11 al. 3 LPA/GE. En réalité,
les recourants invoquent, sur ce point également, leur droit à obtenir
une décision judiciaire, question qui fait l'objet du considérant ci-après.

Erwägung 4

    4.- Dans l'ensemble de leurs griefs, les recourants soutiennent que
la légalité de l'ordre d'autopsie devait faire l'objet d'un examen par
une autorité judiciaire. Ils invoquent à ce sujet la liberté personnelle
et les art. 6 et 8 CEDH.

    a) La liberté personnelle, garantie par l'art. 10 Cst., est l'un
des aspects de la dignité humaine (art. 7 Cst.; ATF 126 I 112 consid. 3a
p. 114 et les arrêts cités). Selon la jurisprudence relative au droit
constitutionnel non écrit, et applicable sans autre à l'art. 10 Cst. (FF
1997 I 148), la liberté personnelle ne se limite pas à la durée de
la vie de l'individu. Elle s'étend au-delà du décès et permet à toute
personne de se déterminer à l'avance sur le sort de sa dépouille, et
de se prémunir contre toute intervention illicite, qu'il s'agisse de
prélèvements d'organes ou d'une autopsie (ATF 111 Ia 231 consid. 3 p.
232; 98 Ia 508 consid. 8 p. 520). Il est généralement reconnu que le
respect dû aux morts découle de la dignité humaine (MAURER, Le principe
de respect de la dignité humaine et la Convention européenne des droits
de l'homme, Paris 1999, p. 402-403). A l'instar de toute atteinte à un
droit fondamental, un ordre d'autopsie doit se fonder sur une base légale
(en l'espèce les art. 13 al. 2 LPol et 112A CPP/GE), et reposer sur un
intérêt public prépondérant (en l'occurrence, la nécessité de déterminer
la cause précise du décès). Lorsque les proches de la victime s'opposent à
une telle mesure (ce qui nécessite une information préalable, cf. ATF 123
I 112 consid. 4c p. 119), il convient de mettre en balance les différents
intérêts en présence. En l'espèce, ces intérêts consistaient d'une part
dans les besoins de l'enquête visant à déterminer précisément les causes
du décès et, d'autre part, le droit au respect du corps de la victime,
ainsi que la volonté manifestée par cette dernière, en accord avec ses
parents, d'effectuer un don d'organes.

    Les parents sont protégés, dans une certaine mesure, à l'égard
d'un ordre d'autopsie concernant le corps de leur enfant. Ce droit ne
permet toutefois pas à lui seul d'exiger l'intervention d'une autorité
judiciaire. La Constitution actuelle impose le respect des droits
fondamentaux à toute autorité étatique (art. 35 al. 2 Cst.), mais ne
donne pas un accès inconditionnel à une autorité juridictionnelle: l'art.
29a Cst. (droit à un juge), accepté en votation populaire, n'est pas encore
entré en vigueur (FF 1999 p. 7831). Les recourants invoquent en vain le
caractère "inaliénable et imprescriptible" de la liberté personnelle:
cette caractéristique permet d'entreprendre une décision d'exécution,
mais non d'exiger un contrôle judiciaire.

    b) La jurisprudence rappelée ci-dessus considère que la protection
du corps d'une personne décédée découle également de l'art. 8 CEDH: le
droit au respect de la vie privée comprend le droit de se déterminer sur
le sort de son propre corps et de se prémunir contre toute atteinte à
l'intégrité corporelle (VELU/ERGEC, La Convention européenne des droits
de l'homme, Bruxelles 1990, no 661). Le respect de la sépulture, de la
dépouille mortelle, et la protection contre des prélèvements irrespectueux
de la volonté du défunt et de sa famille relèvent de cette disposition
(MAURER, op. cit., p. 403-404, qui envisage également l'application
de l'art. 3 de la Convention dans certains cas graves où le traitement
du cadavre "l'instrumentaliserait" clairement ou bien serait très
franchement offensant). Cette disposition n'est toutefois, elle non
plus, d'aucune aide aux recourants, car si elle doit être assortie d'un
recours effectif au sens de l'art. 13 CEDH, rien n'impose l'intervention
d'une autorité judiciaire cantonale. Les recourants auraient notamment
pu saisir directement le Tribunal fédéral d'un recours de droit public
dirigé contre l'ordre d'autopsie, ce qui aurait satisfait aux exigences
minimales de l'art. 13 CEDH. L'art. 8 CEDH n'est toutefois pas sans
influence sur l'application de l'art. 6 par. 1 CEDH, dont la portée est
examinée ci-dessous.

Erwägung 5

    5.- Selon l'art. 6 par. 1 CEDH, toute personne a le droit à ce que
sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai
raisonnable par un tribunal indépendant et impartial qui décidera des
constatations sur ses droits et obligations de caractère civil ou du
bien-fondé de toute accusation pénale dirigée contre elle. L'art. 6 par. 1
CEDH peut ainsi être invoqué par quiconque, estimant illégale une ingérence
dans l'exercice de l'un de ses droits (notamment de caractère civil),
se plaint de n'avoir pas eu l'occasion de soumettre pareille contestation
à un tribunal répondant aux exigences de l'art. 6 par. 1 (CourEDH, arrêt
Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique du 23 juin 1981, série A,
vol. 43, p. 20, par. 44).

    a) Le volet pénal de cette disposition n'est pas pertinent en l'espèce:
la procédure pénale a été ouverte à l'encontre du conducteur impliqué et
l'on ignore si les recourants y sont intervenus, et à quel titre. Leur
démarche ne s'inscrivait pas dans le cadre de la procédure pénale, mais
revêtait un caractère indépendant.

    b) La notion de "droits et obligations de caractère civil"
est autonome: l'art. 6 CEDH ne donne par lui-même aucun contenu
matériel déterminé dans l'ordre juridique des Etats contractants.
Cette disposition implique l'existence d'une "contestation" réelle et
sérieuse; elle peut concerner aussi bien l'existence même d'un droit que
son étendue ou ses modalités d'exercice. L'issue de la procédure doit
être directement déterminante pour le droit en question. Un lien ténu
ou des répercussions lointaines ne suffisent pas à faire entrer en jeu
l'art. 6 par. 1 CEDH (CourEDH, arrêts Le Compte, Van Leuven et De Meyere
précité, pp. 21-22, par. 47; Fayed c. Royaume-Uni du 21 septembre 1994,
série A, vol. 294-B, pp. 45-46, par. 56; Masson et Van Zon c. Pays-Bas
du 28 septembre 1995, série A, vol. 327-A, p. 17, par. 44; cf. aussi JAAC
64/2000 no 136 p. 1326). En définitive, le droit à un tribunal ne vaut
que pour les "contestations" relatives à des "droits et obligations de
caractère civil" que l'on peut prétendre, au moins de manière défendable,
reconnus en droit interne, qu'ils soient ou non protégés de surcroît par
la Convention. Bien que de caractère autonome, cette notion implique donc
l'examen de la prétention, selon le droit interne.

    aa) Par contestation, au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH, il faut entendre
tout litige surgissant entre deux particuliers ou entre un particulier
et une autorité étatique, par exemple lorsque cette dernière supprime ou
restreint l'exercice d'un droit. Il en va ainsi lorsque sont invoqués des
droits de nature privée telles la garantie de la propriété et la liberté
économique (voir les références citées in FROWEIN/PEUKERT, EMRK-Kommentar,
2ème éd. 1996, art. 6 nos 19 et 21). Les prétentions en indemnités
élevées contre la collectivité présentent un caractère patrimonial et
entrent dans le champ d'application de l'art. 6 par. 1 CEDH (VILLIGER,
Handbuch der EMRK, 2ème éd., Zurich 1999, par. 384 et 387).

    bb) L'art. 6 par. 1 CEDH ne concerne donc pas seulement les
contestations de droit privé au sens étroit - soit les litiges surgissant
entre les particuliers ou entre les particuliers et l'Etat agissant au
même titre qu'une personne privée -, mais aussi les actes administratifs
adoptés par une autorité dans l'exercice de la puissance publique, pour
autant qu'ils produisent un effet déterminant sur des droits de caractère
civil. De ce point de vue également, sont décisifs le contenu du droit
matériel et les effets que lui confère la législation nationale (ATF 125
I 209 consid. 7a p. 215-216 et les références citées). Il convient dès
lors de s'interroger préalablement sur l'existence d'un droit subjectif,
fondé sur la législation interne. Un tel droit est nié lorsque l'autorité
agit de manière discrétionnaire, par exemple dans les cas de concessions
(ATF 125 I 209), d'autorisations d'entrée ou de séjour d'un étranger
(CourEDH, arrêt Maoui c. France du 5 octobre 2000), s'agissant des
habitants voisins d'une centrale nucléaire recourant contre l'autorisation
d'exploitation (JAAC 64/2000 no 136 p. 1326), ou de concurrents attaquant
l'autorisation d'exploiter un commerce (ATF 125 I 7). Il est admis, en
revanche dans le cas des voisins qui se plaignent de violation de normes
tendant à leur protection (ATF 127 I 44 consid. 2c et d p. 45), s'agissant
d'une allocation sociale à laquelle l'intéressé peut prétendre en vertu du
droit national (CourEDH, arrêt Mennitto c. Italie du 5 octobre 2000), ou
dans les actions en responsabilité dirigées contre l'Etat (ATF 126 I 144).

    cc) La jurisprudence considère qu'une plainte pénale dirigée contre des
fonctionnaires de police peut avoir une incidence sur la réparation des
préjudices matériel et moral allégués et a, partant, un caractère civil,
même si une action en responsabilité n'a pas encore été formée (CourEDH,
arrêt Maini c. France du 26 octobre 1999). La procédure d'indemnisation
des victimes d'infractions - pour autant que le droit interne confère
une véritable prétention - présente aussi un tel caractère (CourEDH,
arrêt Gustafson c. Suède du 1er juillet 1997), de même qu'une action
en indemnisation pour mauvais traitement de la police (CourEDH, arrêts
Assenov c. Bulgarie et Osman c. Royaume-Uni, du 28 octobre 1998), ou une
procédure relative à l'indemnisation pour la détention préventive subie
(CourEDH, arrêts W. et S. c. Autriche du 24 novembre 1997).

Erwägung 6

    6.- Le droit de s'opposer à une intervention illicite sur le corps
d'un proche est une émanation des droits généraux de la personnalité,
protégés en droit civil par les art. 28 ss CC et comparables, du point de
vue privatiste, au droit de propriété (ATF 111 Ia 231 consid. 3b p. 234;
123 I 112 consid. 4c p. 119). En matière civile, la victime d'une atteinte
aux droits de la personnalité peut agir auprès d'un juge en interdiction ou
en cessation du trouble ou en constatation de son caractère illicite, si
le trouble subsiste (art. 28a al. 1 CC). Elle peut également requérir des
dommages-intérêts et la réparation de son tort moral (art. 28a al. 3 CC).

    a) Après la mort et la fin de la personnalité (art. 31 CC), cette
dernière n'est en principe plus protégée. L'ordre juridique admet toutefois
une prolongation de la protection, eu égard à la dignité du défunt et au
sentiment de piété de ses proches. Outre la protection découlant du droit
public (règles relatives à la constatation du décès et à l'inhumation en
particulier) et pénal (dispositions protégeant contre les atteintes à la
paix des morts, art. 262 CP), cette protection est également reconnue en
droit privé. Son respect est alors entièrement subordonné à l'intervention
des proches ou des autres ayants droit, puisque le titulaire n'est plus
en mesure d'agir. Ce droit a pour conséquence essentielle que nul ne peut
librement disposer du cadavre d'autrui (TERCIER, Le nouveau droit de la
personnalité, Zurich 1984, nos 406 ss). Selon la conception retenue en
Suisse, cette prolongation de la protection de la personnalité ne tient
pas au fait que toute personne peut, de son vivant, espérer que son
image personnelle ne sera pas profanée après sa mort, mais bien plutôt
à la volonté de protéger le sentiment de piété des proches survivants:
la protection s'étend aussi aux sentiments intimes qui comprennent le
sentiment de piété envers les proches décédés, les souvenirs d'événements
communs importants, de circonstances particulières qui attachent les uns
aux autres et qui s'incorporent en quelque sorte à notre personnalité
(ATF 70 II 127 consid. 2 p. 130/131; pour une protection "post mortem"
de la personnalité, cf. OTT/GRIEDER, Plädoyer für den postmortalen
Persönlichkeitsschutz, in PJA 2001 p. 627-631). Les proches ne peuvent
dès lors agir, en principe, que s'ils invoquent leurs propres intérêts
personnels (ATF 104 II 225). Les proches du défunt ont le droit de disposer
du cadavre de celui-ci; en cela, ils n'exercent pas le droit qu'avait
le de cujus de disposer de son cadavre, mais bien leur propre droit de
la personnalité (DESCHENAUX/STEINAUER, Personnes physiques et tutelle,
4ème éd., Berne 2001, no 536c et la jurisprudence citée).

    b) Il découle de ce qui précède que les particuliers disposent d'un
droit, opposable à l'Etat, à l'encontre des interventions de celui-ci
sur le corps d'un proche. Telle qu'elle est reconnue en droit suisse,
cette protection s'analyse comme un véritable droit subjectif. Il ne
saurait certes être assimilé sans autre à un droit de propriété (même si
le cadavre humain est, en soi, une chose impersonnelle, cf. STEINAUER,
Les droits réels, Berne 1990, no 68), mais implique un certain droit
de disposition. Par ailleurs, les droits qui ressortissent au droit
de la personnalité, notamment le droit au respect de la vie familiale
et le droit à l'intégrité corporelle, font partie des droits dont le
caractère civil ne prête pas à controverse (VELU/ERGEC, op. cit., no 424
et la jurisprudence citée). Cet aspect très particulier de la liberté
personnelle tombe par conséquent sous le coup de l'art. 6 par. 1 CEDH.

    c) La jurisprudence compte au rang des prétentions de caractère
civil le droit à l'indemnisation d'un préjudice causé par un acte fautif
des pouvoirs publics (ATF 126 I 144 consid. 3 p. 150 et la jurisprudence
citée). Pour autant que des droits de caractère "personnel et patrimonial
et subjectif" aient été lésés, le contentieux de la responsabilité de la
puissance publique tombe sous l'application de l'art. 6 par. 1 CEDH. Or,
il apparaît que la démarche des recourants tendait à l'obtention d'une
réparation de nature constatatoire et il serait choquant de ne pas leur
faire bénéficier du droit à un juge du simple fait qu'ils ont désiré
se contenter d'un tel mode de réparation, sans élever de prétentions
pécuniaires, le droit invoqué étant par ailleurs le même. Il ne serait
au demeurant pas exclu que la constatation du caractère éventuellement
illicite de l'ordre d'autopsie puisse ouvrir la voie à une procédure
d'indemnisation fondée sur la responsabilité de l'Etat, quand bien même
tel n'est pas l'objectif poursuivi par les recourants.

    d) Compte tenu de la nature du droit invoqué, la contestation relative
à un ordre d'autopsie tombe sous le coup de l'art. 6 par. 1 CEDH et doit en
principe être soumise à un tribunal au sens de cette disposition. Cela ne
signifie pas que l'intervention du juge doit obligatoirement être requise
avant même qu'il soit procédé à la mesure contestée; un tel contrôle
préalable ne serait généralement pas réalisable, comme en témoigne
d'ailleurs la présente espèce. En revanche, lorsque le bien-fondé
d'un ordre d'autopsie est contesté, cela implique l'intervention,
a posteriori, d'une autorité judiciaire satisfaisant aux exigences de
l'art. 6 CEDH. La transmission de la cause au Procureur général, comme
autorité de surveillance de la police judiciaire, ne remplit pas ces
exigences, pas plus que la possibilité de recourir directement au Tribunal
fédéral contre la décision d'autopsie, par la voie du recours de droit
public. La cause doit pouvoir être soumise à un tribunal disposant d'un
pouvoir d'examen non limité en fait et en droit (ATF 126 I 144 consid. 3c
p. 152 et les arrêts cités).

Erwägung 7

    7.- En l'espèce, les recourants se sont adressés, dans un premier
temps au Conseil d'Etat, puis au Tribunal administratif, afin "qu'il soit
statué sur la légitimité" de l'ordre d'autopsie, et que soit constaté
son caractère "totalement injustifié". L'acte contesté ayant déployé
ses effets, il n'était pas question pour les recourants d'intervenir
préventivement (par le biais d'un recours tendant à l'annulation de
la décision) ou en cessation du trouble. Seule était envisageable une
action en constatation, voire en réparation. Les recourants ont choisi
la première de ces voies, en attaquant l'ordre d'autopsie du 4 avril
1999; ils exposaient n'avoir eu connaissance de cet ordre que par le
biais d'une communication du juge d'instruction, dans le cadre de la
procédure pénale. Il convenait, selon eux, de renoncer à l'exigence d'un
intérêt actuel, car la mesure contestée échapperait sans cela toujours au
contrôle de constitutionnalité. Le Tribunal administratif a répondu qu'il
n'y avait pas de recours contre les actes de la police judiciaire et que
les recourants n'avaient pas d'intérêt actuel à une constatation. L'un
et l'autre de ces motifs ne résistent pas à l'examen.

    a) Le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu. Il se prête à des
limitations, notamment quant aux conditions de recevabilité d'une action
ou d'un recours, dès lors que les règles d'organisation judiciaire et de
procédure doivent être déterminées par l'Etat, qui jouit à cet égard d'une
certaine marge d'appréciation. Ces limitations ne sauraient toutefois
restreindre l'accès au justiciable de manière ou à un point tels que
son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même. En
outre, les limitations appliquées ne se concilient avec l'art. 6 par. 1
CEDH que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé
(CourEDH, arrêts S. et N. SA c. Grèce du 16 novembre 2000, par. 15;
Levages Prestations Services c. France du 23 octobre 1996, Recueil des
arrêts et décisions 1996 p. 1543, par. 40).

    b) Le droit d'accès à un tribunal s'est trouvé nié, en l'espèce, par
l'application - non arbitraire - des art. 56A al. 2 OJ/GE et 2 let. b
LPA/GE. Or, si la cour cantonale pouvait refuser d'entrer en matière
pour des motifs de procédure spécifiques (tel le respect du délai pour
agir), elle ne pouvait en revanche se borner à décliner sa compétence.
Dès lors que l'ordre d'autopsie doit pouvoir faire l'objet d'un contrôle
judiciaire, elle devait soit renvoyer les recourants à mieux agir, soit
se saisir du litige en dépit du droit cantonal, par application directe
de l'art. 6 par. 1 CEDH.

    c) L'argument tiré du défaut d'intérêt n'est pas mieux fondé. Comme
cela est relevé ci-dessus, la constatation requise avait une fonction
réparatrice, de sorte que la cour cantonale ne pouvait nier tout intérêt
actuel aux recourants. La jurisprudence des organes de Strasbourg et du
Tribunal fédéral admet qu'en cas de violation de la CEDH, il existe un
droit à une constatation, par exemple dans les cas où les conditions d'une
indemnisation pour dommage ou tort moral ne sont pas remplies (à défaut
de dommage ou d'atteinte particulière à la personnalité), ou lorsque les
intéressés y renoncent délibérément (ATF 125 I 394 consid. 5c p. 400/401
et les arrêts cités). Outre l'intérêt personnel des recourants à une
telle constatation, il existe manifestement un intérêt général à faire
vérifier une pratique fondée sur une ordonnance administrative et qui,
en vertu de son caractère automatique, paraît empêcher toute pesée réelle
des intérêts. La jurisprudence reconnaît un tel intérêt dans le cas de
décisions ayant déjà déployé tous leurs effets, mais qui pourraient se
reproduire en tout temps, lorsque la résolution d'une question déterminée
correspond à un intérêt public et que l'intervention de l'autorité
judiciaire ne pourrait, pratiquement, avoir lieu en temps utile (ATF 125 I
394 consid. 4b p. 396/397 et les arrêts cités). Tel est le cas en l'espèce.

Erwägung 8

    8.- A défaut de dispositions expresses du droit cantonal, une voie
de recours cantonale doit être ouverte dans le cas particulier, sur
la seule base de la CEDH. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral de
désigner lui-même l'autorité compétente, de déterminer la voie de droit
adéquate et de fixer les règles de procédure applicables. C'est aux
autorités cantonales qu'il incombe de garantir la protection juridique
exigée par l'art. 6 par. 1 CEDH. En l'occurrence, plusieurs possibilités
sont envisageables.

    a) Le Tribunal administratif pourrait ainsi se reconnaître compétent,
"contra legem", et entrer en matière sur le recours, respectivement
l'action en constatation, sous réserve des autres exigences de procédure
fixées par le droit cantonal.

    b) Les recourants pourraient également être renvoyés à agir par la
voie de l'action en responsabilité de l'Etat. Selon l'art. 2 de la loi
genevoise sur la responsabilité de l'Etat, l'Etat de Genève est tenu de
réparer le dommage résultant pour des tiers d'actes illicites commis soit
intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par ses agents ou
fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions. La réparation du
dommage causé par des actes licites n'a lieu que si l'équité l'exige
(art. 4). Les règles du code civil sont applicables à titre de droit
cantonal supplétif (art. 6). Le Tribunal de première instance est compétent
pour statuer sur de telles demandes, et la procédure civile cantonale est
applicable (art. 7). Il est possible que les recourants puissent, dans ce
cadre, faire reconnaître l'illégalité de l'ordre d'autopsie. En matière
de détention préventive, la jurisprudence considère que les irrégularités
qui peuvent avoir entaché la procédure relative à celle-là peuvent être
invoquées dans le cadre d'une procédure d'indemnisation sur la base de
l'art. 5 par. 5 CEDH (ATF 125 I 394).

Erwägung 9

    9.- C'est dès lors aux autorités cantonales, et en premier lieu au
Tribunal administratif, auteur de la décision attaquée et juridiction
de recours ordinaire en matière administrative, qu'il appartiendra de
décider de quelle manière il peut être pourvu au contrôle judiciaire
exigé par l'art. 6 par. 1 CEDH. Le cas échéant, la cour cantonale devra
également s'interroger sur la recevabilité de la démarche des recourants,
en particulier sur le respect du délai pour agir, question demeurée
indécise dans l'arrêt attaqué. L'art. 6 CEDH ne saurait avoir pour effet
de dispenser les recourants d'agir selon les formes requises, et les
délais de procédure font partie des exigences légitimes dont peut dépendre
l'accès à un tribunal. Il suffit de constater, à ce stade, que le Tribunal
administratif ne pouvait refuser d'entrer en matière aux seuls motifs que
le recours et l'action en constatation étaient exclus par la loi cantonale
d'organisation judiciaire, et que les recourants ne pouvaient faire valoir
un intérêt juridique. L'arrêt du 9 janvier 2000 doit par conséquent être
annulé, et le Tribunal administratif devra rendre une nouvelle décision
sur cet objet, dans le sens des considérants qui précèdent.