Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 125 I 209



125 I 209

21. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 26 avril 1999
dans la cause JC Decaux Mobilier Urbain Genève SA et Decaux SA contre
Ville de Genève, Etat de Genève et Société Générale d'Affichage (recours
de droit public) Regeste

    Art. 4 BV und art. 31 BV; Art. 6 Ziff. 1 EMRK. Konzession für das
Exklusiv-Recht zum Plakataushang auf öffentlichem Grund. Begriff des
öffentlichen Beschaffungswesens. Faktisches Monopol.

    Begriff des «öffentlichen Beschaffungswesens». Die Erteilung der
Konzession für die Beanspruchung des Plakataushangmonopols fällt nicht
in den Bereich der öffentlichen Beschaffung (E. 6).

    Art. 6 Ziff. 1 EMRK ist nicht anwendbar, weil die einschlägige
Gesetzgebung dem Einzelnen keinen Rechtsanspruch auf Erteilung der
fraglichen Konzession einräumt (E. 7).

    Unterschiede zwischen der Regelung des Ausstands von Mitgliedern
kantonaler Regierungen gemäss Art. 4 BV und von Mitgliedern von Gerichten
gemäss Art. 6 EMRK und Art. 58 BV (E. 8).

    Im Verfahren zur Erteilung der vorliegenden Konzession wurden keine
sich aus Art. 4 BV ergebenden Formvorschriften verletzt (E. 9).

    Zulässigkeit eines Monopols unter dem Gesichtspunkt von Art. 31 BV.
Unterscheidung zwischen faktischen und rechtlichen Monopolen. Im konkreten
Fall verletzt die Erteilung der Konzession für den Plakataushang an
einen einzigen Bewerber das Verhältnismässigkeitsprinzip nicht, da die
Konzession nur den Aushang auf öffentlichem Grund betrifft (E. 10).

    Der Entscheid über die Konzessionserteilung ist vorliegend nicht
willkürlich (E. 11).

Sachverhalt

    Le Département des travaux publics et de l'énergie du canton de Genève
et la Ville de Genève ont fait paraître dans la Feuille d'avis officielle
du canton de Genève du 30 septembre 1996 un avis de soumission publique
ouvrant «une inscription pour la mise en soumission du droit exclusif:

    a) d'apposer de la publicité par voie d'affichage sur le domaine
public et sur le domaine patrimonial vu du domaine public de la Ville de
Genève et du canton de Genève au sens de l'art. 2, al. 2, de la loi sur
les routes; b) d'exploiter publicitairement les panneaux de chantiers
placés sur les voies publiques». Un cahier des charges a été communiqué
aux candidats intéressés, ainsi que divers renseignements complémentaires.

    Quatre sociétés, dont la société JC Decaux Mobilier Urbain Genève SA,
à Genève (ci-après: JC Decaux SA), et la Société Générale d'Affichage
(SGA), ont déposé leurs offres. Celles-ci ont été dépouillées le 6
novembre 1996 en présence du Conseil administratif de la Ville de Genève
et d'un représentant de l'Etat de Genève, ainsi que des représentants
des soumissionnaires.

    Par courrier du 20 août 1997 adressé au Président du Conseil d'Etat,
JC Decaux SA a demandé la récusation des deux Conseillers d'Etat qui
avaient assisté à un entretien qui avait eu lieu le 8 juillet 1997 avec
une délégation de la Ville de Genève pour discuter de la concession du
monopole d'affichage en question.

    Par arrêté du 27 août 1997, le Conseil d'Etat du canton de Genève a
concédé à la Société Générale d'Affichage le droit exclusif d'apposer de
la publicité par voie d'affichage sur le domaine public et sur le domaine
patrimonial vu du domaine public de la Ville et du canton de Genève,
ainsi que d'exploiter publicitairement les clôtures de chantiers mises
en place sur le domaine public ou privé, et ce pour une durée de dix ans
à compter du 1er janvier 1998, conformément aux droits et obligations et
selon les modalités découlant de la convention à signer ultérieurement
par les parties en cause. Dans la même décision, le Conseil d'Etat a pris
acte de la récusation volontaire des Conseillers d'Etat, Jean-Philippe
Maître et Philippe Joye, qui avaient participé à la séance susmentionnée
du 8 juillet 1997.

    La convention tripartite fixant les conditions de l'attribution de la
concession en cause a été signée le 9 septembre 1997 par l'Etat de Genève,
la Ville de Genève et la Société Générale d'Affichage.

    Agissant par la voie du recours de droit public, JC Decaux SA,
à Genève, et la société mère Decaux SA, à Neuilly-sur-Seine (France),
demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêté pris le 27 août 1997
par le Conseil d'Etat.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était
recevable.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

Erwägung 6

    6.- a) Il convient d'examiner d'emblée la question de savoir si
la concession du monopole d'affichage en cause est ou non soumise à la
nouvelle législation sur les marchés publics, car les règles de procédure
applicables au cas particulier en dépendent.

    Invoquant le principe de la force dérogatoire du droit fédéral au sens
de l'art. 2 Disp. trans. Cst., les recourantes font valoir que les règles
cantonales sur la concession du monopole de l'affichage seraient contraires
au droit fédéral. Selon les recourantes, c'est à tort que les nouvelles
dispositions sur les marchés publics n'auraient pas été appliquées à la
procédure d'octroi de la concession litigieuse. En omettant notamment
de spécifier par avance tous les critères d'adjudication du marché
public en cause, les autorités intimées auraient violé d'une part la
loi fédérale du 6 octobre 1995 sur le marché intérieur (LMI; RS 943.02),
dont l'art. 5 (entré en vigueur le 1er juillet 1996) s'applique à tous
les marchés publics cantonaux et communaux et, d'autre part, plusieurs
règles de l'Accord GATT/OMC sur les marchés publics conclu à Marrakech
le 15 avril 1994, entré en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 1996
(RS 0.632.231.42; ci-après: AMP).

    b) Point n'est cependant besoin d'examiner plus avant les moyens
soulevés par les recourantes, dans la mesure où la réglementation sur les
marchés publics n'était de toute manière pas applicable à la procédure
d'octroi de la concession du monopole d'affichage publicitaire sur le
domaine public. En effet, pareille concession n'entre pas dans la notion
de «marché public» au sens de cette législation. Ni la loi fédérale sur
le marché intérieur, ni l'Accord GATT/OMC sur les marchés publics ne
contiennent une définition du marché public. Selon la doctrine, on parle
communément de marché public pour désigner l'ensemble des contrats passés
par les pouvoirs publics avec des soumissionnaires (privés) portant sur
l'acquisition de fournitures, de constructions ou de services. L'adjectif
«public» fait ici référence à la personnalité de l'acquéreur de la
prestation et non pas au régime juridique applicable à ces contrats:
en Suisse, ceux-ci restent soumis au droit privé (NICOLAS MICHEL, Droit
public de la construction, Fribourg 1996, n. 1872, p. 376 s.). On se
trouve en présence d'un marché public lorsque la collectivité publique,
qui intervient sur le marché libre en tant que «demandeur» («Nachfrager»),
acquiert auprès d'une entreprise privée, moyennant le paiement d'un
prix, les moyens nécessaires dont il a besoin pour exécuter ses tâches
publiques. C'est la collectivité publique qui est «consommatrice»
(«Konsument») de la prestation et c'est l'entreprise privée qui en est le
«fournisseur» («Produzent») (RENÉ RHINOW/GERHARD SCHMID/GIOVANNI BIAGGINI,
Öffentliches Wirtschaftsrecht, Bâle 1998, par. 19, n. 1 à 9, p. 395 s.). Le
terme allemand «öffentliche Beschaffungswesen» («acquisitions publiques»)
utilisé pour désigner les marchés publics est plus parlant.

    En l'occurrence, force est de constater que la Ville et l'Etat de
Genève ne se trouvent pas dans la position d'un «demandeur» (ou d'un
«acquéreur») de prestations, mais plutôt dans la position inverse d'»un
offreur» (ou d'un «vendeur»). En concédant le monopole de l'affichage
publicitaire sur leur domaine public respectif, lesdites collectivités
publiques n'entendaient pas acquérir des prestations de services, mais
au contraire «vendre» le droit d'utiliser le domaine public à des fins
commerciales moyennant une redevance et diverses prestations accessoires
dues par l'entreprise concessionnaire.

    Même si la nature des tâches à remplir par l'Etat ne constitue pas
un critère absolu étant donné que la limite entre tâches publiques et
tâches privées n'est pas toujours aisée à tracer (cf. GERHARD KUNNERT,
WTO-Vergaberecht, Baden-Baden 1998, p. 9), on peut néanmoins observer
que la Ville et l'Etat de Genève n'ont pas concédé le monopole de
l'affichage en vue de l'accomplissement de leurs tâches publiques. En
effet, l'affichage de placards publicitaires à des fins commerciales,
qui est l'élément central de la concession en cause, ne constitue pas
une tâche publique à proprement parler. Dès lors, on ne saurait dire que
la société concessionnaire exerce un service public pour le compte des
autorités concédantes. A vrai dire, celle-ci exerce une activité lucrative
à ses risques et profits. Il est vrai que, par convention tripartite du 9
septembre 1997, la Société Générale d'Affichage s'est engagée à exécuter
gratuitement pour la Ville et l'Etat de Genève notamment l'affichage de
campagnes à des fins prophylactiques (art. 29) ou à des fins de prévention
routière (art. 30), ainsi que l'affichage officiel et militaire (art. 31).
Mais ces prestations, accessoires, sont dues par la société concessionnaire
en contrepartie du monopole d'affichage commercial concédé, qui constitue
l'objet essentiel de la concession en cause. En fait, la concessionnaire
n'a pas mandat de concevoir ou de réaliser des affiches pour le compte
des collectivités publiques en question. Elle doit simplement mettre à
leur disposition des emplacements pour l'affichage public et placarder
gratuitement les affiches concernées.

    La nouvelle réglementation sur les marchés publics a pour but essentiel
d'améliorer la transparence des procédures de passation des marchés
(voir, préambule de l'AMP et art. XVII AMP), de manière à garantir une
authentique concurrence entre les soumissionnaires et partant à permettre
une utilisation parcimonieuse des deniers publics (cf. ATF 125 II 86,
consid. 7c p. 100 ss et les références citées). L'objectif est donc de
permettre aux pouvoirs publics de se procurer aux meilleures conditions
possible sur le marché libre les biens et les services dont ils ont besoin,
c'est-à-dire de dépenser de manière rationnelle les fonds publics. Il y a
donc marché public lorsque l'Etat se procure auprès d'une entreprise privée
un bien ou service moyennant un prix que l'Etat s'engage à payer. Mais
en l'espèce l'un des éléments caractéristiques du marché public, soit le
paiement d'un prix par l'Etat, fait défaut. Dans le cadre de la concession
litigieuse, les collectivités publiques concernées n'ont pas utilisé leurs
fonds publics. Au contraire, elles ont droit à une redevance calculée en
fonction du chiffre d'affaires, ainsi qu'à diverses prestations annexes
(mise à disposition d'emplacement pour l'affichage public notamment)
dues par la concessionnaire en contrepartie de la jouissance du droit
exclusif d'utiliser le domaine public à titre privatif. Il s'agit donc
ici en quelque sorte de l'inverse d'un marché public.

    On peut encore relever qu'à la différence du contrat signé dans le
cadre d'un marché public qui est régi par le droit privé, la concession
litigieuse est soumise au droit public cantonal.

    Enfin, il n'est pas contesté qu'un marché public peut porter
sur des services d'architecture (y compris des services d'ingénierie,
d'aménagement urbain etc...), de même que sur des services de publicité
tels que mentionnés par l'Annexe 4 de l'appendice I à l'AMP en relation
avec les chiffres 867 et 871 du Central product classification [CPC]
de l'ONU. Mais, comme on vient de le voir, l'on ne se trouve pas dans un
tel cas de figure. En effet, les autorités intimées n'ont pas passé avec
la Société Générale d'Affichage un contrat portant sur l'acquisition de
prestations de services d'architecture ou de services de publicité. En
particulier, la concessionnaire n'a pas été chargée de préparer une étude
sur l'aménagement urbain ou de réaliser des affiches publiques en faveur
de la Ville et l'Etat de Genève. Certes, selon l'article 6 de la convention
tripartite du 9 septembre 1997, la concessionnaire doit mettre au point un
nouveau concept global d'affichage et de mobilier urbain, qui devra être
soumis à l'approbation de la Ville et de l'Etat de Genève. Mais la société
concessionnaire n'exerce pas l'activité concédée pour le compte de la Ville
et l'Etat de Genève; elle la gère en son propre nom, à ses propres risques
et profits et à son propre compte. D'ailleurs, le mobilier urbain que la
concessionnaire doit installer sert avant tout comme support d'affiches
publicitaires permettant à la société concessionnaire d'exercer l'activité
à son profit. A noter que l'installation du nouveau mobilier urbain sera
financée et entretenue par la Société Générale d'Affichage et non par
les collectivités publiques (cf. art. 14 de la convention tripartite).

    En résumé, la concession du monopole d'affichage ne constitue pas
un marché public, si bien que la réglementation sur la passation des
marchés publics n'était pas applicable en l'espèce. Il s'ensuit que tous
les griefs invoqués en relation avec le déroulement de la procédure sur
la passation des marchés publics tombent à faux.

    c) Aux dires des recourantes, le Conseil d'Etat aurait sciemment
retardé l'adhésion du canton de Genève à l'Accord intercantonal sur les
marchés publics du 25 novembre 1994 (RS 172.056.4), afin de soustraire
la procédure d'octroi de la concession litigieuse au champ d'application
d'un tel accord. Ce faisant, le gouvernement cantonal aurait violé le
principe de la séparation des pouvoirs. Il n'est toutefois pas nécessaire
de se pencher sur un tel grief, du moment que la procédure d'octroi de
la concession incriminée n'est de toute façon pas soumise à un tel accord
intercantonal, puisqu'il ne s'agit précisément pas d'un marché public. Et
le Tribunal fédéral n'a pas à résoudre des questions purement théoriques
(cf. ATF 123 II 285 consid. 4).

Erwägung 7

    7.- Les recourantes allèguent la violation de l'art. 6 par. 1 CEDH et
affirment que la décision concernant le refus d'accorder une concession
du monopole de l'affichage sur le domaine public doit être soumise à un
tribunal indépendant et impartial au sens de cette disposition.

    a) Selon l'art. 6 par. 1 CEDH, toute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai
raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi,
qui décidera en particulier des contestations sur ses droits et obligations
de caractère civil.

    Le Tribunal fédéral interprète la notion conventionnelle de
«contestations sur des droits et obligations de caractère civil» aussi
largement que le font les organes de la Convention européenne des droits
de l'homme. La contestation, qui doit être réelle et sérieuse, peut
porter aussi bien sur l'existence d'un droit que sur son étendue ou les
modalités de son exercice; l'issue de la procédure doit être directement
déterminante pour l'exercice d'un tel droit. Le «caractère civil» est
une notion autonome de la Convention européenne; sont décisifs le contenu
matériel du droit en cause et les effets que lui confère la législation
interne de l'Etat en question. Ainsi, l'art. 6 par. 1 CEDH ne concerne pas
seulement les contestations de droit privé au sens étroit - c'est-à-dire
celles qui surgissent entre des particuliers, ou entre un particulier
et l'Etat agissant au même titre qu'une personne privée - mais aussi
les actes administratifs adoptés par une autorité dans l'exercice de la
puissance publique, pour autant qu'ils produisent un effet déterminant
sur des droits de caractère privé (ATF 122 II 464 consid. 3b; 121 I 30
consid. 5c p. 34; 119 Ia 88 consid. 3b p. 92/93, 321 consid. 6a/bb p. 329
et les références citées). L'art. 6 par. 1 CEDH ne vise pas à créer de
nouveaux droits matériels qui n'ont pas de fondement légal dans l'Etat
concerné, mais à accorder une protection procédurale aux droits reconnus
en droit interne. L'art. 6 par. 1 CEDH régit uniquement les contestations
relatives à des droits (de caractère civil) que l'on peut dire, au moins
de manière défendable, reconnus en droit interne; il n'assure par lui-même
aux «droits et obligations» (de caractère civil) aucun contenu matériel
déterminé dans l'ordre juridique des Etats contractants (arrêts de la
CourEDH dans la cause W. contre Royaume-Uni du 8 juillet 1987, Série
A, vol. 121, par. 73; dans la cause Pudas contre Suède du 27 octobre
1987, Série A, vol. 125, par. 30; dans la cause H. contre Belgique
du 30 novembre 1987, Série A, vol. 127-B, par. 41 ss. Voir aussi MARK
E. VILLIGER, Handbuch der Europäischen Menschenrechtskonvention (EMRK),
Zurich 1993, n. 377, p. 225/226; JACQUES VELU/RUSEN ERGEC, La Convention
européenne des droits de l'homme, Bruxelles 1990, n. 418, p. 372 ss;
JOCHEN A. FROWEIN/WOLFGANG PEUKERT, EMRK-Kommentar, 2ème éd., Kehl,
Strasbourg, Arlington, 1996, n. 7 ad art. 6).

    b) En l'occurrence, la loi genevoise sur le domaine public prévoit
que l'établissement de constructions ou d'installations permanentes sur le
domaine public, son utilisation à des fins industrielles ou commerciales
ou tout autre utilisation du domaine public excédant l'usage commun sont
subordonnés à une permission; ils sont subordonnés à une concession s'ils
sont assortis de dispositions contractuelles (art. 13). L'autorité qui
octroie une concession en fixe les conditions (art. 17). Selon l'art. 1er
du règlement genevois sur l'affichage public et la publicité sur la voie
publique, aucun placard ou affiche ne peut être mis sous les yeux du
public sans une autorisation ou une concession, en conformité des lois et
réglementations sur l'utilisation du domaine public (al. 1); les conditions
de l'affichage sont fixées par l'autorisation ou l'acte de concession (al.
2). Il s'ensuit que les recourantes ne peuvent pas soutenir de manière
plausible et défendable qu'elles ont droit, en vertu du droit interne,
à l'octroi d'une concession d'utilisation du domaine public à des fins
commerciales. Au contraire, il résulte de la réglementation précitée
que le Conseil d'Etat genevois jouit d'un pouvoir discrétionnaire pour
octroyer ou refuser une telle concession. En définitive, la législation
cantonale ne confère aucun droit à l'octroi d'une concession ayant pour
objet le monopole de l'affichage sur le domaine public de la Ville et
de l'Etat de Genève (cf. HERBERT MIEHSLER/THEO VOGLER, Internationaler
Kommentar zur Europäischen Menschenrechtskonvention, n. 149 ad art. 6).

    A noter que les concurrents, qui s'opposent à la permission d'exercer
une activité lucrative délivrée à un tiers, ne peuvent invoquer l'art. 6
par. 1 CEDH que dans la mesure où la décision incriminée a des effets
directs sur les «droits» matériels à caractère civil que leur reconnaît
le droit interne (ATF 125 I 7 consid. 4; 123 II 376 consid. 6 et les
références citées). Or tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, le
droit interne ne tend pas à protéger les intérêts privés des recourantes
qui entendent s'en prendre à la concession du monopole d'affichage sur
le domaine public octroyée à un tiers. L'art. 6 par. 1 CEDH est donc
inapplicable.

Erwägung 8

    8.- Dénonçant la violation de l'art. 6 CEDH et des art. 4 et 58
Cst., les recourantes soutiennent que les membres du Conseil d'Etat ne
présentaient pas toutes les garanties d'indépendance et d'impartialité
voulues et qu'ils auraient donc dû se récuser.

    a) La garantie découlant de l'art. 6 par. 1 CEDH et de l'art. 58 Cst.
permet au plaideur d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou
le comportement est de nature à faire naître un doute sur son impartialité.
Elle tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause,
constatées objectivement, ne puissent influencer le jugement en faveur
ou au détriment d'une partie. Par ailleurs, les règles cantonales sur
l'organisation et la composition des tribunaux doivent être conçues de
façon à assurer l'indépendance et l'impartialité des juges (ATF 125 I
119 consid. 3a et les arrêts cités). Selon plusieurs arrêts du Tribunal
fédéral, l'art. 4 Cst. - qui est seul applicable en l'espèce - confère une
garantie de portée équivalente quant à l'indépendance et l'impartialité
des autorités qui ne sont pas des tribunaux (ATF 120 Ia 184 consid. 2a;
119 Ia 13 consid. 3a; 117 Ia 408 consid. 2a; 114 Ia 278 consid. 3b). Il
convient toutefois de préciser que la récusation de membres des autorités
supérieures du pouvoir exécutif doit être examinée en tenant compte de
la mission et de l'organisation desdites autorités. Celles-ci assument
avant tout des tâches de gouvernement, de direction et de gestion;
elles ne sont qu'occasionnellement impliquées dans des procédures
juridiques ouvertes à l'égard ou sur requête de particuliers. Leurs
tâches impliquent le cumul de fonctions diverses, qui ne pourraient
pas être séparées sans atteinte à l'efficacité de la gestion et à la
légitimité démocratique et politique des décisions correspondantes. Ainsi
par exemple, à l'égard d'un projet de route cantonale, les membres du
gouvernement cantonal agissent à la fois à titre d'organe du maître
d'oeuvre et d'autorité compétente pour l'approbation des plans. Dans
cette seconde fonction, ils ne sont pas récusables au seul motif qu'ils
ont déjà pris position, en faveur du projet, devant le parlement et dans
la campagne précédant une votation populaire, car cette situation est
inhérente à la réglementation légale des compétences (consid. 4 non publié
de l'ATF 122 II 81). A la différence des art. 6 par. 1 CEDH et 58 Cst.,
l'art. 4 Cst. n'impose donc pas l'indépendance et l'impartialité comme
maxime d'organisation d'autorités gouvernementales, administratives ou de
gestion. Une appréciation spécifique est nécessaire dans chaque situation
particulière. L'art. 4 Cst. n'offre donc pas, dans ce contexte, une
garantie équivalente à celle des art. 6 par. 1 CEDH et 58 Cst. applicables
aux tribunaux (ATF 125 I 119 consid. 3d-f et les arrêts cités; voir aussi
ZBl 100/1999 p. 74 consid. 2b).

    b) Par lettre du 20 août 1997 adressée au Président du Conseil d'Etat,
JC Decaux SA a demandé la récusation des deux Conseillers d'Etat qui
avaient assisté à un entretien qui avait eu lieu le 8 juillet 1997 avec
une délégation de la Ville de Genève pour discuter de la concession
du monopole d'affichage en question. Dans l'arrêté attaqué du 27 août
1997, le Conseil d'Etat a pris acte de la récusation volontaire des deux
Conseillers d'Etat en question. On ne saurait dire que les autres membres
du Conseil d'Etat auraient dû se récuser. Il n'existe aucune circonstance
objective permettant de douter de l'impartialité de ceux-ci. Le fait
qu'avant même de prendre sa décision formelle sur l'octroi de la
concession litigieuse, le Conseil d'Etat ait étudié le dossier relatif
à l'affichage public et ait eu connaissance du projet de convention
discuté entre la Ville de Genève et la Société Générale d'Affichage ne
constitue pas un motif de récusation, dans la mesure où l'octroi de la
concession impliquait précisément qu'une convention soit passée pour
en régler les modalités. Par ailleurs, il est patent que, par arrêté du
18 août 1997, le Conseil d'Etat a déclaré irrecevable le recours formé
par les recourantes à l'encontre de la décision du 18 décembre 1996 par
laquelle le Conseil administratif de la Ville de Genève s'était prononcé
en faveur de l'octroi du droit exclusif d'affichage sur le domaine public
à la Société Générale d'Affichage. Mais le simple fait que le Conseil
d'Etat ait rendu précédemment des décisions en défaveur des intéressées
ne constitue pas en soi un motif de récusation, car cette situation est
inhérente à la réglementation légale des compétences en la matière.

Erwägung 9

    9.- a) Invoquant l'art. 4 Cst., les recourantes se plaignent de ce
que l'arrêté attaqué ne contient pas une motivation suffisante. Il est
vrai que le Conseil d'Etat n'a pas mentionné les motifs sur lesquels
il a fondé sa décision; il n'a pas précisé les raisons pour lesquelles
il avait donné sa préférence à la Société Générale d'Affichage plutôt
qu'à la société JC Decaux SA. Mais dans une très large mesure, celle-ci
connaissait les motifs de cette décision, puisqu'elle a pu déposer un
recours qui n'a pas moins de septante-cinq pages et qui est accompagné
de deux avis de droit. Point n'est cependant besoin de s'attarder sur
ce grief, car ce vice de forme a de toute manière été réparé au cours
de la présente procédure du recours de droit public, dès lors que les
recourantes ont eu la possibilité, conformément à l'art. 93 al. 2 OJ, de
présenter un mémoire complémentaire pour prendre position sur les motifs
contenus dans la réponse des autorités intimées et qu'il n'en résulte,
pour les recourantes, aucun préjudice (ATF 107 Ia 1 ss; ZBl 90/1989 p. 363,
consid. 4d).

    b) Se référant à l'art. 4 Cst., les recourantes semblent reprocher au
Conseil d'Etat de ne pas leur avoir donné l'occasion de s'exprimer par oral
avant que la décision soit prise. Ce grief est toutefois mal fondé. En
effet, les exigences minimales déduites de l'art. 4 Cst. n'impliquent
pas le droit de s'exprimer oralement devant l'autorité appelée à statuer
(ATF 122 II 464 consid. 4c et les références citées).

    c) Les recourantes laissent entendre que JC Decaux SA n'a pas pu
présenter une offre valable en raison des faux renseignements fournis
par les autorités. Découlant directement de l'art. 4 Cst. et valant pour
l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi donne au
citoyen le droit d'être protégé dans la confiance légitime qu'il met dans
les assurances reçues des autorités; il le protège donc lorsqu'il a réglé
sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement
déterminé de l'administration (ATF 122 II 113 consid. 3b/cc p. 123;
121 II 473 consid. 2c p. 479 et les références citées).

    En l'espèce, les recourantes ne démontrent pas en quoi JC Decaux SA
aurait été induite en erreur par des indications erronées fournies par les
autorités. En particulier, il ressort du dossier que l'offre présentée par
JC Decaux SA était très complète et respectait les exigences fixées par le
cahier des charges et par divers documents complémentaires qui avaient été
transmis en date des 10, 16 et 17 octobre 1996 à tous les soumissionnaires.
JC Decaux SA ne saurait donc prétendre avoir été induite en erreur par les
indications erronées, qui n'emportaient de toute manière aucune assurance
de la part des autorités au sujet de l'octroi de la concession.

    d) Par ailleurs, c'est à tort que les recourantes dénoncent d'autres
vices de procédure.

    aa) Tout d'abord, la procédure de la concession du monopole
de l'affichage n'avait pas à être interrompue en raison des divers
recours formés par JC Decaux SA. Les effets suspensifs qui ont pu être
temporairement en vigueur n'empêchaient pas les autorités concernées de
continuer à préparer la décision d'octroi de la concession litigieuse,
qui a finalement été prise le 27 août 1997, soit après que le Conseil
d'Etat eut statué sur le recours en cause (18 août 1997). A ce moment-là,
et lorsque la convention tripartite du 9 septembre 1997 a été signée,
aucune décision d'effet suspensif n'y faisait obstacle.

    bb) S'agissant du soi-disant manque de transparence des conditions de
l'appel d'offres, il convient de rappeler que les règles très strictes
en la matière contenues dans la réglementation sur les marchés publics
n'étaient pas applicables en l'espèce. A noter du reste que, comme
cela avait été annoncé dans le cahier des charges et dans la lettre du
10 octobre 1996 adressés à tous les soumissionnaires, on attendait de
leur part une certaine créativité. Autrement dit, les soumissionnaires
jouissaient d'une assez grande liberté pour élaborer leur offre, ce qui
n'est pas contraire à l'art. 4 Cst. En outre, on ne voit pas en quoi
l'audition séparée des concurrents violait cette norme constitutionnelle.

    cc) Dans sa lettre du 10 octobre 1996, la Ville de Genève a indiqué
à tous les soumissionnaires qu'ils avaient la possibilité de requérir,
motifs à l'appui, une prolongation du délai pour déposer leur offre. Aucune
requête de prolongation n'ayant été déposée en temps utile, la Ville
de Genève pouvait dès lors, sans violer l'art. 4 Cst., écrire dans sa
lettre du 17 octobre 1996 que le délai initialement fixé au 1er novembre
1996 ne serait pas prorogé. JC Decaux SA a du reste déposé son offre
dans les délais, si bien que l'on ne comprend pas très bien ce que les
recourantes entendent déduire du grief tiré de la non-prolongation du
délai en question.

    dd) En résumé, la procédure d'octroi de la concession en question ne
viole pas l'art. 4 Cst., quand bien même elle aurait pu être améliorée. Il
n'était pas nécessaire d'appliquer intégralement, même par analogie,
les règles en matière de marchés publics qui ne sont pas nécessairement
adaptées à une situation de ce type. Il faut et il suffit du point de
vue de l'art. 4 Cst. pour l'attribution d'un droit d'usage exclusif qui,
par définition, ne peut être accordé à tous les requérants, que soit
prévu un système équitable permettant à chaque concurrent d'être pris en
considération (cf. arrêt non publié du 15 novembre 1983 en la cause Dober,
consid. 3b).

Erwägung 10

    10.- Les recourantes mettent en cause pour la première fois devant
le Tribunal fédéral la constitutionnalité du monopole d'affichage sur le
domaine public et le patrimoine administratif de l'Etat et la Ville de
Genève. Elles tiennent ce monopole pour contraire à l'art. 31 Cst.

    a) A l'instar d'autres libertés publiques, la liberté du commerce et de
l'industrie garantie par l'art. 31 Cst. n'est pas absolue. En particulier,
l'art. 31 al. 2 Cst. réserve les prescriptions cantonales sur l'exercice
du commerce et de l'industrie, par quoi il faut entendre non seulement
les mesures de police proprement dites, mais également d'autres mesures
d'intérêt général tendant à procurer du bien-être à l'ensemble ou à une
grande partie des citoyens ou à accroître ce bien-être, telles que les
mesures sociales ou de politique sociale (ATF 100 Ia 445 consid. 5 p. 449).
Ces restrictions cantonales doivent reposer sur une base légale, être
justifiées par un intérêt public prépondérant et, selon le principe de
la proportionnalité, se limiter à ce qui est nécessaire à la réalisation
des buts d'intérêt public poursuivis. Les restrictions cantonales à la
liberté du commerce et de l'industrie ne peuvent toutefois se fonder sur
des motifs de politique économique et intervenir dans la libre concurrence
pour favoriser certaines formes d'exploitation en dirigeant l'économie
selon un certain plan, à moins que cela ne soit prévu par une disposition
constitutionnelle spéciale (ATF 123 I 12 consid. 2a p. 15; 121 I 129
consid. 3b p. 131-132; 120 Ia 67 consid. 2a p. 70; 119 Ia 348 consid. 2b
p. 353-354 et les arrêts cités). L'art. 31 al. 2 Cst. autorise les cantons
à instituer d'autres monopoles que les «régales cantonales», pour autant
qu'ils respectent également les principes mentionnés ci-dessus. De tels
monopoles ne peuvent toutefois poursuivre de purs intérêts fiscaux
(à propos de monopoles de droit en matière d'assurance-incendie des
bâtiments: ATF 124 I 11 consid. 3b p. 15/16, 4b p. 17/18 et 5a p. 18/19;
124 I 25 consid. 3a p. 27 et les références citées).

    b) La doctrine distingue plusieurs sortes de monopoles cantonaux. A
côté des régales historiques, il existe des monopoles de droit et des
monopoles de fait. Lorsque l'Etat empêche les administrés d'exercer une
activité lucrative qu'il se réserve en édictant une norme, on parle de
monopole de droit qui, par définition, repose sur une règle topique
et expresse. A l'opposé, on appelle monopole de fait la situation où
l'Etat, en raison de sa souveraineté sur le domaine public, est en mesure
d'exercer seul une activité économique nécessitant un usage particulier
du domaine public, sans avoir à créer une base légale pour exclure les
particuliers de l'activité en cause; son fondement n'est pas la loi mais
la maîtrise générale sur les biens publics (ETIENNE GRISEL, Liberté du
commerce et de l'industrie, vol. II, Berne 1995, n. 942 et 943, p. 204;
PIERRE MOOR, Droit administratif, vol. III, Berne 1992, n. 7.3.1.1,
p. 376, ANDRÉ GRISEL, Traité de droit administratif, vol. I, p. 201;
CLAUDE RUEY, Monopoles cantonaux et liberté économique, thèse Lausanne
1988, p. 121 ss et p. 135 ss; ULRICH HÄFELIN/GEORG MÜLLER, Grundriss des
Allgemeinen Verwaltungsrechts, 3ème éd., Zurich 1998, n. 1991 à 1997,
p. 508/509). La réglementation de l'affichage fait apparaître nettement
la différence entre les deux notions: si une commune veut se réserver la
pose des placards sur tout son territoire, y compris les fonds privés,
elle doit nécessairement créer un monopole de droit, fondé sur une base
légale explicite. Si elle veut limiter son activité au domaine public,
elle peut instituer un simple monopole de fait (ETIENNE GRISEL, op.cit.,
n. 944). Contrairement à ce que prétendent les recourantes, on se trouve
ici en présence d'un monopole de fait, dans la mesure où le monopole
d'affichage porte uniquement sur le domaine public (cf. KARIN SUTTER-SOMM,
Das Monopol im schweizerischen Verwaltungs- und Verfassungsrecht, thèse
Bâle 1988, p. 150), qui est soumis à la haute police de l'Etat sur le
territoire desquels ils se trouvent (cf. art. 664 CC). Un tel monopole
de fait n'est, par définition, soumis à aucune base légale expresse. C'est
d'ailleurs ce qui le distingue du monopole de droit.

    c) Se prononçant sur la validité d'un monopole d'affichage de la Ville
de Lausanne sur son domaine public et sur les fonds appartenant à des
privés (monopole de droit), le Tribunal fédéral a eu l'occasion de dire
sous l'angle de l'art. 31 Cst. que la réglementation de l'affichage,
notamment dans les localités, répondait à un intérêt public réel;
elle était même indispensable pour assurer la sécurité du trafic et la
protection des sites urbains et du paysage (ATF 100 Ia 445 consid. 5b
p. 450/451; 60 I 271). En l'espèce, il n'est pas sérieusement contesté
que le présent monopole d'affichage portant exclusivement sur le domaine
public est justifié par un intérêt public prépondérant. On ne saurait dire
que le monopole en cause poursuit de purs intérêts fiscaux. A partir du
moment où le monopole répond, comme ici, à un véritable intérêt public,
il est de toute façon sans importance que l'activité visée rapporte ou
non un excédent de recettes (ETIENNE GRISEL, op.cit., n. 996, p. 226).

    d) aa) Plus délicate est la question de savoir si ce monopole
d'affichage respecte le principe de la proportionnalité. Celui-ci se
compose traditionnellement des règles d'aptitude - qui exige que le moyen
choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose
qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte
la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit
- qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de
l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public
(ATF 123 I 112 consid. 4e p. 121; 122 I 236 consid. 4e/bb p. 246). A titre
préalable, il y a lieu de relever que le monopole de fait est soumis à
des conditions d'admission moins sévères que le monopole de droit (RUEY,
op.cit., p. 364 ss). En ce qui concerne plus particulièrement le critère
de la nécessité, on peut se montrer moins strict que pour un monopole de
droit. Il peut en effet arriver qu'une mesure moins restrictive que le
monopole puisse être suffisante pour atteindre le but d'intérêt public
visé, mais qu'elle soit insuffisante pour protéger la destination ou la
substance même du domaine public (cf. RUEY, op.cit., p. 366).

    bb) En l'occurrence, le droit d'apposer des placards publicitaires
sur le domaine public, sur lequel l'Etat et la Ville de Genève disposent
d'un monopole de fait, a été octroyé pour une longue durée (dix ans) à un
concessionnaire unique. Une autre solution aurait consisté à soumettre
l'activité en cause au régime de l'autorisation préalable, appelé de
la «libre concurrence». Les systèmes d'une concession partagée entre
plusieurs entreprises privées ou d'une concession de courte durée octroyée
par rotation à différents requérants étaient aussi envisageables. Mais
ces autres systèmes auraient engendré une surcharge de dépenses et de
travail pour l'administration qui aurait dû alors s'assurer du respect
de l'égalité des chances entre les concurrents. Il est donc indéniable
que la concession de la totalité du droit de l'affichage publicitaire sur
l'ensemble du domaine public à un seul concessionnaire présente de nombreux
avantages d'ordre pratique. En outre, cette concession exclusive constitue
un moyen apte et nécessaire à atteindre les buts d'intérêt public visés,
car si l'affichage sur le domaine public était soumis par exemple à simple
autorisation préalable, la protection des sites et la sécurité du trafic
ne pourraient pas être totalement assurées. En particulier, l'homogénéité
de l'architecture urbaine, soit plus précisément ce qu'on appelle le
mobilier urbain, ne pourrait plus être garantie. En effet, il ne faut
pas perdre de vue que l'affichage publicitaire sur le domaine public et
l'installation du mobilier urbain comme support publicitaire ont une grande
influence sur le paysage urbain. De surcroît, comme on l'a vu plus haut,
l'activité concédée requiert un usage particulier du domaine public. Or
un tel usage est de nature à gêner la circulation des piétons ou des
automobilistes qui, eux, font un usage «normal» du domaine public. Ainsi,
la création d'un monopole de l'affichage publicitaire sur le domaine
public constitue une mesure appropriée pour veiller à ce que l'usage
commun du domaine public ne soit pas exagérément entravé par l'exercice
de l'activité monopolisée. Le régime du monopole permet de gérer plus
efficacement la priorité et la coordination entre les divers usagers du
domaine public que le régime de l'autorisation préalable. On peut ajouter
en passant que la concession du monopole en question à une seule entreprise
concessionnaire apparaît également comme une mesure appropriée, compte
tenu du caractère limité du domaine public et de l'intensité de l'activité
visée. La coexistence de plusieurs concessionnaires pourrait conduire à
des concepts différents qui ne s'harmoniseraient pas forcément. Du reste,
statuant sur une dénonciation de JC Decaux SA relative à la procédure
d'octroi de la concession en cause, le secrétariat de la Commission de
la concurrence est arrivé à la conclusion que la concession exclusive du
monopole d'affichage ne constituait pas une restriction illicite de la
concurrence, tout en encourageant la Ville et l'Etat de Genève à répartir
à l'avenir la concession de l'affichage entre plusieurs concessionnaires
et à limiter sa durée au strict nécessaire.

    Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, on peut donc admettre
que l'octroi à un seul concessionnaire du droit d'apposer de la publicité,
en tant que limité au domaine public (monopole de fait), respecte le
principe de la proportionnalité.

    cc) Dans l'arrêt publié aux ATF 100 Ia 445 consid. 5c, le Tribunal
fédéral a reconnu que le monopole d'affichage sur le domaine public et les
fonds privés situés sur le territoire de la commune de Lausanne respectait
le principe de la proportionnalité; il a justifié cette opinion par le fait
que le régime de monopole et de concession exclusive permet d'avoir la vue
d'ensemble indispensable pour assurer de façon efficace la protection des
sites et la sécurité du trafic; il permet aussi d'imposer à l'entreprise
concessionnaire certaines conditions, notamment la mise à disposition des
emplacements nécessaires à l'affichage officiel. A l'inverse du système de
l'autorisation préalable dans le régime de libre concurrence, le régime du
monopole facilite en outre le contrôle de la part des pouvoirs publics et
rend celui-ci moins onéreux. Sur ce point, cet arrêt a été critiqué par la
doctrine (cf. LEO SCHÜRMANN, Wirtschaftsverwaltungsrecht, 3ème éd., Berne
1994, p. 73, 75 et 76; FRITZ GYGI/PAUL RICHLI, Wirtschaftsverfassungsrecht,
2ème éd., Berne 1997, p. 75; MOOR, op.cit., vol. III, n. 3.2.2.2, p. 127.
ULRICH HÄFELIN/WALTER HALLER, Schweizeriches Bundesstaatsrecht, 4ème éd.,
Zurich 1998, n. 1497, p. 495. Peu clair, RUEY, op.cit., p. 285/286 et note
de bas de page 168, p. 367). Mais ces critiques - sur lesquelles il n'est
pas nécessaire de prendre position - ne modifient pas les considérations
précédentes. En effet, d'une manière générale, ces auteurs critiquent
l'admissibilité du monopole de droit en ce qui concerne l'affichage sur les
fonds privés, mais pas celle du monopole d'affichage sur le domaine public
qui est qualifié de monopole de fait (cf. aussi SUTTER-SOMM, op.cit., p.
150/151; ETIENNE GRISEL, op.cit., n. 1000, p. 227/228; JÖRG PAUL MÜLLER,
Die Grundrechte der schweizerischen Bundesverfassung, Berne 1991, note
de bas de page 117, p. 374/375, qui considère que le monopole d'affichage
sur le domaine privé constitue une atteinte disproportionnée à la liberté
du commerce et de l'industrie).

Erwägung 11

    11.- Les recourantes soutiennent que l'octroi de la concession
litigieuse serait entachée d'arbitraire. Force est toutefois d'admettre
que, compte tenu notamment de la grande liberté d'appréciation dont
disposait l'autorité concédante en la matière, la décision attaquée
n'apparaît pour le moins pas insoutenable. Il n'est en tout cas pas
démontré que l'offre déposée par JC Decaux SA était objectivement
supérieure à celle présentée par la Société Générale d'Affichage,
si bien que la concession du droit d'affichage sur le domaine public
aurait dû revenir de plein droit à JC Decaux SA. En particulier, on ne
saurait affirmer que l'offre de JC Decaux SA était meilleure du point de
vue financier. La comparaison entre les diverses offres est délicate,
car il ne faut pas seulement prendre en compte la redevance minimum,
mais encore d'autres prestations en nature accessoires offertes par les
différents soumissionnaires. De plus, on ne peut évidemment pas comparer
l'offre de JC Decaux SA qui portait sur une concession de quinze ans avec
celle de la Société Générale d'Affichage qui portait sur une période de dix
ans. Par ailleurs, le gouvernement cantonal pouvait, sans violer l'art. 4
Cst., attacher une grande importance au concept général d'affichage, ainsi
qu'à l'intégration du mobilier urbain à la ville en question. Il s'agit là
certes d'un critère comportant un élément subjectif très marqué. Mais cela
était inhérent au problème très particulier de l'affichage publicitaire
en milieu urbain. En considérant que le concept d'affichage de la
Société Générale d'Affichage était plus élaboré que celui de JC Decaux
SA et que les supports proposés par celle-là étaient plus conformes à la
politique urbanistique de la ville, le Conseil d'Etat n'a pas fait preuve
d'arbitraire. Quoi qu'il en soit, l'appréciation du Tribunal fédéral ne
saurait se substituer à celle de l'autorité concédante, car, en l'espèce,
le choix de celle-ci comportait indéniablement une composante politique
que le Tribunal fédéral ne peut revoir qu'avec une grande retenue. Il est
vrai que la Société Générale d'Affichage avait précédemment déjà obtenu
la concession d'affichage publicitaire dans la Ville de Genève et qu'elle
avait donc une meilleure connaissance des lieux que ses concurrents. Mais
cet avantage de fait n'était à lui seul pas de nature à fausser l'octroi de
la concession litigieuse de manière contraire à l'art. 4 Cst. En résumé,
il n'apparaît pas que le gouvernement cantonal ait usé de son large
pouvoir d'appréciation de manière abusive.