Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 124 I 107



124 I 107

15. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public du 29 avril
1998 dans la cause Parti socialiste jurassien et consorts contre Cour
constitutionnelle de la République et canton du Jura (recours de droit
public) Regeste

    Art. 85 lit. a OG; Bundesgesetz über die Allgemeinverbindlicherklärung
von Gesamtarbeitsverträgen (AVEG), Bundesgesetz über den Binnenmarkt
(BGBM); Vereinsfreiheit; Teilungültigerklärung einer generell formulierten
Volksinitiative.

    Der Vorschlag, staatliche Hilfe für Unternehmen an die Voraussetzung
des Abschlusses eines Gesamtarbeitsvertrages zu knüpfen, verstösst gegen
Bundesrecht. Er ist unverhältnismässig und verletzt namentlich das AVEG,
das BGBM und die Vereinsfreiheit (E. 2-4).

    Selbst als blosser Wunsch verstanden, ist der Vorschlag keiner
bundesrechtskonformen Auslegung oder Konkretisierung zugänglich (E. 5).

Sachverhalt

    Le 21 avril 1995, le Parti socialiste jurassien (ci-après: PSJ)
a déposé une initiative intitulée "Pour une politique dynamique et
efficace de plein emploi", consistant en un programme en sept points,
dont le troisième est ainsi formulé:

    "L'aide publique aux entreprises est subordonnée à la conclusion par
   celles-ci d'une convention collective de travail, ainsi qu'au respect du
   principe de l'égalité entre hommes et femmes s'agissant des conditions
   d'emploi, notamment de rémunération".
      Le 10 mai 1995, le Gouvernement du canton du Jura a constaté
      la validité
formelle de l'initiative. Dans son message au Parlement du 12 mars 1997,
il proposait d'en constater la validité matérielle, à l'exclusion toutefois
des termes relatifs à la conclusion d'une CCT, jugés contraires au droit
fédéral, et dont il préconisait la suppression.
      Dans sa séance du 23 avril 1997, le Parlement jurassien a invalidé
partiellement l'initiative, dans le sens préconisé par le Gouvernement.
      Par arrêt du 12 novembre 1997, la Cour constitutionnelle du canton
      du Jura
a rejeté un recours déposé par le PSJ et par huit citoyens du canton:
si le comité pouvait retirer son initiative, l'art. 89 al. 2 de la loi
cantonale sur les droits politiques (LDP/JU) ne lui permettait pas pour
autant d'en modifier le texte, même rédigé en termes généraux, pour le
rendre compatible avec le droit fédéral. Il n'y avait donc pas à entrer
en matière sur la proposition de modification du point 3 de l'initiative
présentée par le comité d'initiative. Sur la question centrale de la
conformité avec le droit fédéral, le texte du chiffre 3 de l'initiative
était clair: l'aide publique aux entreprises devait être subordonnée à
la conclusion formelle d'une CCT, et non au simple respect ou à la seule
application par les entreprises des conditions prévues par ces CCT. Cette
obligation portait atteinte, d'une part, à la liberté contractuelle et à
la liberté de coalition garanties par le droit fédéral et, d'autre part,
pourrait se révéler contraire à la loi fédérale du 28 septembre 1956,
permettant d'étendre le champ d'application de la convention collective
de travail (LECCT, RS 221.215.311).
      Agissant par la voie du recours de droit public pour violation
      des droits
politiques (art. 85 let. a OJ), le PSJ, ainsi que son président et sa
secrétaire, demandent au Tribunal fédéral d'annuler ce dernier arrêt,
ainsi que l'arrêté du Parlement jurassien du 23 avril 1997, dans la mesure
où il invalide partiellement l'initiative cantonale.
      Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était
recevable.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 2

      2.- Les recourants estiment que l'obligation de conclure
une CCT ou d'y adhérer, posée par le point 3 de l'initiative comme
condition à l'octroi d'une aide de l'Etat aux entreprises, ne
constituerait pas une violation de la liberté des contrats et de la
liberté d'association. Ils relèvent que le droit d'un syndicat minoritaire
d'adhérer à une CCT implique pour les autres parties une obligation de
contracter avec lui. Or, une telle obligation existerait dans d'autres
domaines, par exemple l'obligation faite aux avocats jurassiens d'adhérer
à l'ordre des avocats. En l'espèce, l'atteinte serait admissible compte
tenu du but de politique sociale poursuivi. Les entreprises n'ayant
aucun droit à l'aide de l'Etat, ce dernier pourrait imposer une telle
obligation en contrepartie de ses prestations. Malgré la crise économique,
les entreprises n'auraient pas un besoin vital de l'aide étatique, de
sorte qu'il ne s'agirait que d'une contrainte indirecte, admissible.
      a) En vertu du principe de la force dérogatoire du droit fédéral
      (art. 2
disp. trans. Cst.), les cantons ne sont pas autorisés à légiférer dans
les domaines exhaustivement réglementés par le droit fédéral. Dans les
autres domaines, ils peuvent édicter des règles de droit qui ne violent
ni le sens ni l'esprit du droit fédéral, et qui n'en compromettent pas
la réalisation (ATF 123 I 313 consid. 2b p. 316).
      Selon l'art. 64 Cst., il appartient à la Confédération de légiférer
      dans le
domaine du droit civil. Les cantons ne peuvent édicter de dispositions
de droit civil que dans la mesure où le droit fédéral leur réserve cette
possibilité. En revanche, selon l'art. 6 CC, le droit privé fédéral laisse
subsister les compétences des cantons en matière de droit public. Les
cantons peuvent donc, dans l'intérêt public, édicter des prescriptions
complétant les règles de droit civil. Selon la jurisprudence, l'adoption
de telles normes est admissible à la triple condition que le législateur
fédéral n'ait pas entendu réglementer la matière de manière exhaustive, que
les règles cantonales soient justifiées par un intérêt public pertinent,
et enfin qu'elles n'éludent ni ne contredisent le sens ou l'esprit du
droit civil fédéral (ATF 120 Ia 299 consid. 2c/aa p. 303).
      b) L'art. 34ter al. 1 Cst. donne notamment à la Confédération le
      droit de
légiférer sur la protection des employés ou ouvriers (let. a), sur les
rapports entre employeurs et employés ou ouvriers, notamment sur la
réglementation en commun des questions intéressant l'entreprise et la
profession (let. b), et sur la force obligatoire générale des CCT (let. c),
en tenant compte des diversités régionales, des intérêts légitimes des
minorités, et en respectant l'égalité devant la loi ainsi que la liberté
d'association (art. 34ter al. 2 Cst.).
      c) Le législateur a fixé aux art. 356 ss CO les règles relatives à la
conclusion et aux effets des CCT. Par cet instrument, des employeurs ou
associations d'employeurs d'une part, et des associations de travailleurs
d'autre part, établissent en commun des clauses sur la conclusion,
l'objet et la fin des contrats de travail entre employeurs et travailleurs
intéressés (art. 356 al. 1 CO). Un employeur ou un travailleur peuvent s'y
soumettre individuellement, avec le consentement des parties (art. 356b
al. 1 CO). Les CCT déploient un effet direct (art. 357 CO) et impératif
(art. 341 al. 1 CO).
      La LECCT permet d'étendre le champ d'application de la CCT à toute la
branche économique ou à la profession visée. Une telle extension n'est
prononcée, à la requête de toutes les parties contractantes (art. 1
al. 1) que si, en son absence, les employeurs et travailleurs liés par la
convention risquent de subir de graves inconvénients, et si elle n'est pas
contraire à l'intérêt général et ne lèse pas d'autres intérêts légitimes
(art. 2 ch. 1 et 2). La CCT ne doit violer ni l'égalité devant la loi, ni
les dispositions impératives du droit fédéral ou cantonal, ni la liberté
d'association, en particulier le droit de s'affilier ou de ne pas le faire
(ch. 4 et 5). Le droit d'adhésion et d'affiliation doit être garanti
(ch. 6 et 7). Un organe de contrôle indépendant peut être désigné (art. 6).

    Lorsqu'il s'agit de clauses relatives à des caisses de compensation
ou à d'autres institutions prévues à l'art. 323ter al. 1 let. b CO, la loi
en exige une organisation satisfaisante et une gestion correcte (art. 3).
      d) Dans un premier arrêt rendu en 1976 (ATF 102 Ia 533), le Tribunal
fédéral a considéré que l'attribution de travaux publics aux seuls bureaux
d'architectes tessinois assurant le respect de la CCT conclue dans ce
domaine ne violait pas le droit fédéral. L'acte attaqué ne régissait pas
les rapports de travail en tant que tels, ni ne tendait à influer sur
le contenu même du contrat collectif. Une influence indirecte de ce type
ne violerait le droit fédéral que dans la mesure où elle compromettrait
la réalisation des buts de ce dernier. Au contraire, la réglementation
cantonale en cause tendait à privilégier les entreprises assurant
des conditions de travail satisfaisantes: en favorisant le respect du
contrat collectif de travail, elle ne violait ni le sens ni l'esprit de
la législation fédérale (consid. 7 p. 539 et la doctrine citée p. 541). Le
législateur fédéral avait, par la LECCT, créé un instrument permettant, à
certaines conditions, l'application des CCT sur l'ensemble du territoire
suisse. Les cantons n'en perdaient pas pour autant le droit d'user
de leur poids économique pour promouvoir sur leur sol l'adoption ou le
respect des CCT. La Confédération elle-même recourait à ce procédé (art. 5
al. 9 de l'ordonnance du 31 mars 1971 sur les soumissions; actuellement,
art. 8 let. b de la loi fédérale sur les marchés publics, RS 172.056.1
et, plus précisément, art. 7 de l'ordonnance sur les marchés publics -
RS 172.056.11 - qui inclut dans les conditions de travail celles qui
figurent dans les CCT et les contrats-type, ou les conditions de travail
habituelles dans la région ou la profession; consid. 7 in fine).
      Dans un second arrêt de 1983 (ATF 109 Ib 238), le Tribunal fédéral,
confirmant la pratique du Conseil fédéral - alors compétent dans
ce domaine, JAAC 35, 1970/71 no 10 p. 43 -, a en revanche annulé une
autorisation de travail accordée dans le canton de Genève à un étranger,
dans la mesure où cette décision contraignait l'employeur à s'engager à
se conformer à la CCT organisant sa branche d'activité. L'ordonnance du
Conseil fédéral limitant le nombre des étrangers qui exercent une activité
lucrative (OLE, RS 823.21) n'autorisait pas la formulation d'une telle
condition, qui étendait en pratique le champ d'application de la CCT sans
respecter la procédure prévue par la LECCT: les dissidents se trouvaient
ainsi frustrés des droits que cette loi leur accorde impérativement.
      e) Certes, il convient de reconnaître aux cantons la possibilité de
recourir à des moyens de contrainte indirecte en vue d'une application
large des CCT. Un tel but est manifestement conforme, en soi, à la LECCT,
qui tend notamment à une protection élargie des travailleurs. Comme le
relève G. Aubert (Soumissions publiques et conventions collectives de
travail, in: Les instruments d'action de l'Etat, publié par C.-A. Morand,
Bâle 1991 p.147-175, 158), l'intervention de l'Etat, à l'occasion de
procédures de soumission ou d'autorisation (ou, comme en l'espèce, à
l'occasion d'une aide accordée aux entreprises), n'a pas la même portée
que dans une procédure d'extension formelle: dans ce dernier cas, il agit
à la requête des organisations professionnelles, auxquelles un certain
pouvoir législatif peut être reconnu; en revanche, lorsqu'il accorde une
aide, l'Etat se trouve dans une situation différente: le particulier
qui prétend - sans y avoir un droit - à une aide, doit accepter de se
soumettre aux conditions fixées, pour autant que ces dernières respectent
le droit fédéral et cantonal pertinents.
      Toutefois, comme cela est relevé ci-dessus, la LECCT exige,
      avant d'imposer
l'application d'une CCT aux employeurs et travailleurs non liés, l'examen
par l'autorité du respect des conditions générales et spéciales fixées
aux art. 2 et 3 LECCT (art. 12 al. 1 LECCT). Tel est le cas non seulement
lors d'une extension nationale (art. 7 al. 1 LECCT), mais aussi lors d'une
extension cantonale prononcée par le Conseil d'Etat (art. 7 al. 2 LECCT).

    La loi exige par ailleurs, dans les deux cas, la mise en oeuvre d'une
procédure d'opposition. Elle permet aussi la désignation d'un organe
de contrôle. Dans la ligne de la jurisprudence rappelée ci-dessus (en
particulier, ATF 109 Ib 238), il y a lieu de considérer que le point 3 de
l'initiative jurassienne constitue en réalité une tentative d'extension
déguisée des CCT existantes. Une telle extension ne respecterait pas la
procédure de conclusion et d'extension prévue par le droit fédéral et,
en particulier, n'offrirait pas aux minoritaires et aux dissidents les
garanties précitées (cf. également la recommandation de la Commission
de la concurrence du 3 novembre 1997 publiée in: Droit et politique
de la concurrence 1997/4 p. 591, consid. 3b). On peut à cet égard se
demander si une obligation d'adhérer à une CCT, fixée de cas en cas par
l'Etat, n'est pas tout simplement "impossible" au sens de l'art. 75 al.
3 Cst./JU, car l'octroi d'une aide ponctuelle de l'Etat à une entreprise
déterminée pourrait se révéler incompatible avec la durée de la procédure
d'adhésion ou de conclusion d'une CCT, dont l'initiative et la mise en
oeuvre dépendent nécessairement d'une discussion générale entre les
partenaires sociaux. Dans le cas où le type d'entreprise concerné ne
serait pas soumis à une CCT, le respect à la lettre de l'exigence posée
par l'initiative ferait dépendre toute aide cantonale de la conclusion
d'une CCT non seulement par l'entreprise elle-même, mais, selon le cas,
par toute la branche économique dont elle relève.
      Telle qu'elle est rédigée, la proposition litigieuse revêt donc un
caractère d'automaticité contraire au droit fédéral précité.
      f) Elle pourrait aussi, selon les cas d'aide apportée par l'Etat,
apparaître incompatible avec les exigences de la loi fédérale sur le marché
intérieur (LMI, RS 943.02). En effet, lorsque l'assistance de l'Etat prend
la forme de l'octroi de marchés publics (art. 5 LMI), l'exigence relative
à la conclusion d'une CCT constituerait une restriction inadmissible à
la liberté d'accès au marché pour les entreprises extérieures au canton
qui ne connaissent pas les mêmes conditions. Une telle restriction, qui
poursuivrait certes un objectif de politique sociale au sens de l'art. 3
al. 2 let. d LMI, se révélerait non seulement contraire au principe
de la proportionnalité réservé à l'art. 3 al. 1 let. c et al. 3 LMI
(recommandation précitée de la Commission de la concurrence, DPC 1997/4
p. 591, let. c p. 593), mais constituerait de surcroît un obstacle déguisé
aux échanges, destiné à favoriser des intérêts économiques locaux, au
sens de l'art. 3 al. 4 LMI.

Erwägung 3

      3.- Outre la législation fédérale, le point 3 de
l'initiative violerait également le droit constitutionnel, en particulier
au regard du principe de la proportionnalité.
      a) La liberté du commerce et de l'industrie (art. 31 Cst.),
      qui protège
toute activité économique privée exercée à titre professionnel (ATF 123
I 12 consid. 2a p. 15; 119 Ia 378 consid. 4b p. 381), comprend notamment
la faculté d'aménager ses rapports contractuels, et notamment le droit
des employeurs et des travailleurs de négocier librement les conditions
de travail (ATF 106 Ia 363).
      b) La liberté du commerce et de l'industrie n'est garantie que
      sous réserve
de la législation fédérale (art. 31 al. 1 Cst.), et les cantons peuvent
aussi apporter, en vertu de l'art. 31 al. 2 Cst., des restrictions
de police au droit d'exercer librement une activité économique. Ces
restrictions doivent reposer sur une base légale, être justifiées par un
intérêt public prépondérant et, selon le principe de la proportionnalité,
se limiter à ce qui est nécessaire à la réalisation des buts d'intérêt
public poursuivis (ATF 123 I 12 consid. 2a p. 15; 122 I 130 consid. 3a
p. 133; 121 I 129 consid. 3b p. 131/132, 326 consid. 2b p. 329 et les
arrêts cités). Elles ne peuvent toutefois pas déroger au principe de la
liberté économique, à moins que la Constitution n'en dispose autrement
(ATF 124 I 11 consid. 3a p. 14). De surcroît, ces restrictions ne peuvent
se fonder sur des motifs de politique économique et intervenir dans la
libre concurrence pour favoriser certaines branches d'activité ou certaines
formes d'exploitation en dirigeant l'économie selon un plan déterminé,
à moins que cela ne soit prévu par une disposition constitutionnelle
spéciale (ATF 123 I 12 consid. 2a p. 15; 120 Ia 67 consid. 2a p. 70;
119 Ia 348 consid. 2b p. 353/354 et les arrêts cités).
      c) Conçue comme un droit fondamental classique, la liberté du
      commerce et
de l'industrie ne confère en principe aucun droit à une prestation de
la part de l'Etat (ATF 109 Ia 124). La jurisprudence reconnaît certes,
dans le champ d'application de l'art. 31 Cst., un "droit conditionnel"
à l'autorisation de l'usage accru du domaine public (ATF 121 I 279
consid. 2 p. 282 et la jurisprudence citée, notamment ATF 101 Ia 473
consid. 5 p. 479 ss). On ne saurait pour autant déduire de la liberté
du commerce et de l'industrie un droit pour l'individu d'exiger que
l'Etat favorise la création ou le soutien d'entreprises. On peut dès
lors se demander si l'Etat viole directement la liberté du commerce et
de l'industrie en imposant une obligation de conclure une convention
collective, comme condition à l'octroi d'une prestation pour laquelle il
n'existe pas de droit (ATF 102 Ia 533 consid. 10b p. 542). Par ailleurs,
l'initiative soumise au Parlement jurassien, et particulièrement son
point 3, poursuit un but de politique sociale évident, soit la protection
accrue des travailleurs; elle n'a guère pour objectif - sinon pour effet
- d'interférer dans la libre concurrence (même arrêt, consid. 10e/f
p. 543-544). Il s'agit donc d'une prescription de politique sociale,
en soi admissible à condition de respecter les principes de l'intérêt
public et de la proportionnalité. Ces deux dernières conditions sont
examinées ci-dessous en relation avec la liberté d'association.

Erwägung 4

      4.- L'art. 56 Cst. garantit la liberté d'association. Dans
son aspect positif, cette liberté permet aux particuliers de créer des
associations, d'en devenir membre, d'exercer en leur sein des activités,
et de les dissoudre. Dans son aspect négatif, elle garantit le droit de
ne pas être obligé de faire partie d'une association, ou de la quitter
(ATF 110 Ia 42; Malinverni, Commentaire de la Constitution fédérale,
no 24 ss ad art. 56 Cst.). L'art. 11 CEDH garantit lui aussi les
libertés de réunion et d'association, ainsi que la liberté syndicale,
dans ses aspects positif et négatif (arrêt Sigurdur A. Sigurjónsson c/
Islande du 30 juin 1993, CourEDH, série A no 264 par. 35 ss, notamment
p. 16). Afin d'assurer le respect effectif du droit à la liberté de ne pas
se syndiquer, l'Etat peut ainsi être amené, dans certaines circonstances,
à intervenir pour limiter les moyens de pression utilisés par un syndicat
pour accroître la portée du système de négociation collective (arrêt
Gustafsson c/ Suède du 25 avril 1996, CourEDH Rec. 1996 II p. 637 ss,
par. 45 ss p. 652-656, notamment par. 52 p. 656).
      Dans le domaine spécifique de l'application des conventions
      collectives, le
constituant et le législateur ont exprimé le souci de respecter autant que
possible la liberté d'association. L'art. 34ter al. 2 Cst. fait du respect
de cette liberté l'une des conditions à l'extension des CCT. L'art. 356a
CO limite pour sa part la liberté contractuelle des parties en déclarant
nulles les clauses des conventions qui tendent à contraindre les employeurs
ou travailleurs à s'affilier à une association contractante. L'art. 2 ch. 5
LECCT prévoit lui aussi que l'extension ne peut être prononcée que si la
CCT ne porte pas atteinte à la liberté d'association, ni en particulier
au droit de s'affilier à une association ou de ne pas le faire. C'est
en effet un principe essentiel du droit collectif du travail que les
organisations professionnelles ne peuvent prendre des dispositions ayant
pour effet, juridiquement ou économiquement, de contraindre les employeurs
ou les salariés à devenir membre de l'une d'entre elles ou d'empêcher leur
affiliation à une organisation tierce, voire de provoquer leur démission
d'une telle organisation.
      a) La disposition litigieuse impose à l'entreprise aspirant à une
      aide de
l'Etat la "conclusion" d'une convention collective; que l'employeur soit
"dissident" (non membre d'une organisation patronale) ou "minoritaire"
(membre d'une organisation non partie à la CCT), il s'agit pour lui soit
d'adhérer à une organisation professionnelle liée par la CCT, soit de s'y
soumettre individuellement, avec le consentement des parties (art. 356b
CO). Dans le premier cas, la liberté d'association est directement en jeu;
dans le second, il s'agit de la liberté contractuelle, garantie notamment
par l'art. 31 Cst.
      b) Comme le relèvent les recourants, la participation à une
      association
peut être rendue obligatoire par l'Etat lorsque cela est justifié par un
intérêt public suffisant. Tel peut être le cas, à certaines conditions,
par exemple pour des organisations professionnelles (avocats, médecins,
ATF 78 I 409) ou des associations d'étudiants (ATF 110 Ia 36).
      En l'espèce, le point 3 de l'initiative constitue un moyen de
      contrainte
indirecte destinée à favoriser une application aussi large que possible
des CCT. Un tel objectif correspond, comme on l'a vu, à un intérêt public
incontestable. Il reste toutefois à examiner si la mesure envisagée
respecte le principe de la proportionnalité.
      c) aa) Le principe de la proportionnalité exige d'une part que le
      moyen mis
en oeuvre par l'Etat soit propre à atteindre le but recherché (règle
d'aptitude), et d'autre part qu'entre plusieurs moyens permettant
d'atteindre un but déterminé, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte
la moins grave aux intérêts privés (règle de nécessité; ATF 123 I 152
consid. 7a p. 169; 121 I 334 consid. 11 p. 349). Le principe de la
proportionnalité ne constitue pas un droit constitutionnel indépendant
(ATF 124 I 40 consid. 3e; 123 I 1 consid. 10 p. 11), mais lorsque, comme
en l'espèce, des libertés individuelles sont en jeu, le Tribunal fédéral
en examine librement le respect.
      bb) Il n'est pas contestable que la condition posée au point 3 de
l'initiative est propre à atteindre le but recherché: la conclusion et
l'adhésion aux CCT, à une large échelle, paraissent propres à assurer
une meilleure protection des travailleurs, mesure en soi adéquate dans
le cadre d'un programme de plein emploi.
      cc) L'obligation faite aux entreprises de "conclure" une CCT
      constitue
toutefois une atteinte importante à la liberté de coalition et à la
liberté contractuelle. Les recourants contestent l'importance d'une
telle atteinte, en soutenant qu'il n'existe aucune obligation à la charge
des entreprises: ces dernières seraient libres de renoncer à toute aide
de l'Etat si elles n'entendent pas se plier aux conditions posées. Ce
point de vue ne peut être partagé. Comme le relève la cour cantonale,
les contraintes économiques peuvent être telles, notamment pour des
entreprises en difficultés, que ces dernières pourraient se trouver forcées
de renoncer à leur liberté contractuelle ou de coalition pour obtenir une
aide nécessaire à la continuation de leurs activités. Les recourants
ne sauraient non plus prétendre, comme ils le font implicitement,
que l'absence de droit à une aide de l'Etat dispenserait d'examiner le
respect du principe de la proportionnalité. Au contraire, ce principe
trouve particulièrement à s'appliquer dans le domaine de l'administration
de prestation, en particulier dans la définition des charges et conditions
auxquelles les prestations étatiques sont liées (MOOR, Droit administratif,
Berne 1988, vol. 1 p. 355). Lorsqu'il recourt à un moyen de pression
indirect sur les employeurs, l'Etat est par conséquent tenu au respect
de la proportionnalité.
      Comme cela est relevé ci-dessus (consid. 2e), l'obligation, pour
l'entreprise désireuse d'une aide de l'Etat, de "conclure" préalablement
une CCT, soulève des problèmes pratiques importants liés à la procédure
de conclusion et d'adhésion. L'exigence posée se heurterait non seulement
à la liberté négative d'association des entreprises concernées (droit de
ne pas adhérer à une CCT en dehors d'une procédure formelle d'extension),
mais également à celle des autres parties à la CCT, dont le consentement
est nécessaire (cf. art. 356 al. 4 et 356b al. 1 CO).
      Sur le vu de ces difficultés juridiques et pratiques, il apparaît que
d'autres mesures eussent été propres à parvenir à un résultat similaire,
tout en ménageant la liberté d'association et la liberté contractuelle
des entreprises intéressées. Le texte de l'initiative pouvait ainsi se
contenter d'exiger le respect des conditions de travail telles qu'elles
sont prévues dans les CCT existantes, sans exiger d'adhésion formelle. La
tentative de contraindre l'entreprise, par le biais d'une pression
économique, à adhérer à une association patronale, ou de se soumettre
formellement à une CCT, constituerait donc une atteinte disproportionnée à
la liberté d'association, aux droits de la personnalité tels qu'ils sont
concrétisés à l'art. 28 CC, ainsi qu'à la liberté contractuelle (cf. ATF
102 Ia 533 consid. 9 publié in RDAT 1978 p. 99 et les références aux ATF
74 II 158 et 75 II 315). L'obligation d'adhérer à un syndicat porterait
en outre atteinte à l'art. 11 CEDH (arrêt Gustafsson précité, par. 52).
      d) La cour cantonale a donc considéré avec raison que le point 3 de
l'initiative litigieuse était contraire au droit fédéral en tant qu'il
imposait aux entreprises la conclusion d'une CCT. Le premier grief des
recourants doit par conséquent être rejeté.

Erwägung 5

      5.- Les recourants reprochent ensuite à la Cour
constitutionnelle jurassienne de s'être tenue à la lettre du texte de
l'initiative, et d'en avoir interprété le chiffre 3 comme s'il s'agissait
d'une initiative rédigée de toutes pièces. Selon eux, dans le système des
droits politiques du canton du Jura, l'initiative populaire cantonale
ne peut être présentée qu'en termes généraux pour demander l'adoption,
la modification ou l'abrogation de dispositions constitutionnelles ou
de lois (art. 75 al. 1 Cst./JU); le point 3 litigieux ne serait donc
pas une prescription normative, mais seulement un voeu, de sorte que le
Parlement jurassien aurait dû en constater sans restriction la validité au
fond. La Cour constitutionnelle cantonale aurait préjugé que l'initiative
serait concrétisée de manière contraire au droit supérieur. Selon les
recourants, il convenait bien plutôt d'attendre de voir de quelle façon
le Parlement déciderait de concrétiser le voeu de l'initiative par des
dispositions normatives concrètes, en application de l'art. 76 al. 1
Cst./JU. L'attente de ces normes de concrétisation était d'autant plus
nécessaire qu'elles auraient pu elles-mêmes faire l'objet d'un contrôle
préalable de constitutionnalité, sur requête d'un groupe parlementaire
ou de députés en application de l'art. 104 al. 1 Cst./JU et des art. 177
et 178 du Code de procédure administrative du canton du Jura.
      a) Saisi d'un recours pour violation des droits politiques (art. 85
      let. a
OJ), le Tribunal fédéral examine librement non seulement l'interprétation
du droit constitutionnel fédéral et cantonal, mais également celle du
droit cantonal qui définit la portée du droit de vote ou qui entretient
un rapport étroit avec ce dernier (ATF 121 I 334 consid. 2b p. 338).
      aa) Les autorités jurassiennes se sont en l'espèce fondées non
      seulement
sur l'art. 75 al. 3 Cst./JU, mais aussi sur l'art. 89 LDP/JU qui,
sous la note marginale intitulée "Validation de l'initiative", confère
au Gouvernement cantonal la compétence de vérifier si l'initiative est
valable en la forme (al. 1) et au Parlement cantonal celle de constater
"si l'initiative est valable au fond" (al. 2).
      bb) Si tous les cantons connaissent l'institution de l'initiative
      conçue en
termes généraux (ETIENNE GRISEL, Initiative et référendum populaires,
2e éd., 1997, p. 219, no 557), la plupart connaît cet instrument à côté
de l'initiative rédigée de toutes pièces. Seuls deux cantons, soit Schwyz
(art. 102-105 Cst./SZ, RS 131.215) et le canton du Jura (art. 75 al. 1
Cst./JU) ne connaissent que l'initiative dite générale ou de type unique
(GRISEL, op.cit., p. 224, no 573, n. 122; sur les caractéristiques
de l'initiative générale ou de type unique, voir ALDO LOMBARDI, Die
Einheitsinitiative: eine Frucht der Totalrevision der Bundesverfassung in:
Formen der Volksinitiative im Bund: Heute und Morgen, Bâle et Francfort
1990 p. 7-53): l'art. 75 al. 1 Cst./JU permet à 2000 électeurs ou à 8
communes de "demander en termes généraux l'adoption, la modification ou
l'abrogation de dispositions constitutionnelles ou de lois".
      La caractéristique essentielle de l'initiative populaire générale
      (qui fait
également partie des propositions de réforme des droits populaires au
niveau fédéral; voir le Message relatif à une nouvelle Constitution
fédérale du 20 novembre 1996, FF 1997 I 1 ss, ch. 221.3, p. 450 ss, le
commentaire du projet d'art. 129a, p. 464-468, valant mutatis mutandis pour
l'art. 75 al. 1 Cst./JU, rédigé en des termes pratiquement identiques),
est d'être un instrument très souple présentant plusieurs avantages:
d'une part, il contribue à préserver la cohérence de l'ordre juridique,
en laissant au Parlement le soin de décider s'il convient d'agir au niveau
constitutionnel ou au niveau législatif, ou encore aux deux niveaux;
mais surtout, il consiste en une demande d'ordre général et non pas en un
texte contraignant rédigé, de sorte que le Parlement dispose d'une marge
de manoeuvre étendue pour concrétiser l'initiative, ce qui lui permet
par exemple, dans le respect des règles d'interprétation reconnues, "de
réaliser dans un sens conforme à la Constitution une initiative populaire
générale qui serait contraire à la Constitution" (FF 1997 I p. 464).
      Le Parlement doit toutefois respecter certaines limites dans la
      mise en
oeuvre d'une initiative générale. Il est en particulier lié par le sens
du mandat qui lui est confié: il doit en respecter le but, le contenu et
les moyens proposés, et il ne saurait s'en écarter que sur des détails ou
des points d'une importance secondaire (ATF 121 I 357 consid. 4b p. 361
et la jurisprudence citée).
      b) Pour être validée, une initiative populaire - rédigée ou
      formulée en
termes généraux - doit, à côté des prescriptions de forme, satisfaire à des
conditions de fond, et en particulier ne rien contenir qui viole le droit
supérieur, qu'il soit cantonal, fédéral ou international. L'autorité
appelée à statuer sur la validité matérielle d'une initiative doit en
interpréter les termes dans le sens le plus favorable aux initiants. Elle
doit recourir pour cela aux méthodes d'interprétation reconnues. Lorsque le
texte de l'initiative se prête à une interprétation la faisant apparaître
comme conforme au droit supérieur, elle doit être déclarée valable et
être soumise au peuple. L'interprétation conforme doit donc permettre
d'éviter autant que possible les déclarations d'invalidité. Lorsque seule
une partie de l'initiative apparaît inadmissible, la partie restante
peut subsister comme telle, pour autant qu'elle forme un tout cohérent
et qu'elle puisse encore correspondre à la volonté des initiants (ATF
121 I 334 consid. 2a p. 338 et la jurisprudence citée).
      aa) La marge d'appréciation de l'autorité de contrôle est à cet
      égard plus
grande pour une initiative générale, dont les caractéristiques ont
été rappelées ci-dessus, que pour une initiative formulée. En effet,
en présence d'une initiative formulée à la manière d'un acte normatif -
et appelée à devenir elle-même texte légal en cas d'acceptation -, il y a
lieu d'appliquer les principes qui ont été dégagés en matière de contrôle
des normes, en se basant sur le texte même de l'initiative, sans égard à
la volonté subjective des initiants (ATF 111 Ia 292 consid. 2 p. 295). En
revanche, confrontée à un simple voeu articulé par des citoyens, l'autorité
ne peut méconnaître qu'il appartiendra encore au législateur de concrétiser
l'initiative en adoptant les normes - constitutionnelles ou législatives
- nécessaires à sa réalisation, et en disposant pour ce faire d'une
certaine liberté. On peut présumer à cet égard - sous réserve d'ailleurs
d'un contrôle judiciaire ultérieur - que le parlement cantonal agira
dans le respect du droit supérieur et que, tout en tenant compte de la
volonté des initiants, il pourra corriger les imperfections éventuelles de
l'initiative lors de sa concrétisation (ATF 112 Ia 240 consid. 5b p. 245,
arrêt du 3 octobre 1990 publié in ZBl 92 1991 266 consid. 5a p. 269).
      bb) On ne saurait toutefois en inférer que le contenu d'une
      initiative non
formulée ne saurait jamais, comme semblent le soutenir les recourants,
aller à l'encontre du droit supérieur. Lorsque, de par son but même ou
les moyens mis en oeuvre, le projet contenu dans l'initiative ne pourrait
être reconnu conforme au droit supérieur que moyennant l'adjonction de
réserves ou de conditions qui en modifient profondément la nature, une
telle interprétation entre en conflit avec le respect, fondamental, de la
volonté des signataires de l'initiative et du peuple appelé à s'exprimer
(arrêt précité publié in ZBl 92 1991 266 consid. 5a p. 269-270); la
volonté de ce dernier ne doit pas être faussée par la présentation d'un
projet qui, comme tel, ne serait pas constitutionnellement réalisable
(ATF 105 Ia 362 consid. 4 p. 366).
      c) Or en l'espèce, même si l'initiative "pour une politique
      dynamique et
efficace de plein emploi" est de nature générale, son point 3 se rapproche
d'une proposition rédigée. Bien qu'inadéquats, les termes "subordonnée à
la conclusion [...] d'une convention collective de travail" ne se prêtent
guère à une interprétation. Il en ressort au contraire que les auteurs de
l'initiative ont clairement voulu soumettre l'octroi de l'aide étatique
à une procédure formelle de soumission à une convention collective de
travail. Une interprétation, voire une concrétisation conforme au droit
fédéral, telle qu'envisagée ci-dessus dans le sens d'un simple respect
des règles instituées par les CCT, pourrait ainsi se voir reprocher,
de la part des initiants, de dénaturer la portée de leur proposition
initiale, qualifiée par le porte-parole du groupe socialiste, lors des
débats parlementaires, de "point le plus important de l'initiative"
(Journal des débats du Parlement de la République et canton du Jura,
1997 p. 105 ss, 117, séance du 23 avril 1997).
      C'est dès lors avec raison que le Parlement jurassien et, à sa
      suite, la
Cour constitutionnelle cantonale, ont retenu que les termes litigieux
du point 3 de l'initiative violaient d'une part le droit fédéral, et,
d'autre part, n'étaient pas susceptibles d'une interprétation ou d'une
concrétisation conforme au droit supérieur. La déclaration d'invalidation
partielle ne viole donc pas les droits politiques des recourants.