Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 123 I 112



123 I 112

13. Arrêt de la Ire Cour de droit public du 16 avril 1997 dans la cause
Rolf Himmelberger contre Grand Conseil du canton de Genève (recours de
droit public) Regeste

    Abstrakte Überprüfung des Genfer Gesetzes über die Entnahme und
Transplantation von Organen und Geweben; persönliche Freiheit, Art. 4 BV
und Art. 2 ÜbBest. BV.

    Beschwerdelegitimation (E. 1b).

    Das Gesetz verletzt Art. 2 ÜbBest. BV nicht, da es auf dem fraglichen
Gebiet an einer bundesrechtlichen Regelung fehlt (E. 3).

    Tragweite der persönlichen Freiheit auf dem Gebiet der
Organtransplantation; Bedeutung des internationalen Rechts (E. 4).

    Das Gesetz, das für die Organtransplantation von einer vermuteten
Einwilligung ausgeht und ein Widerspruchsrecht des Betroffenen oder seiner
Angehörigen vorsieht, stellt eine genügend klare gesetzliche Grundlage
dar; es ist zulässig, für die Bestimmung des Zeitpunkts des Todes auf die
Richtlinien der Schweizerischen Akademie für medizinische Wissenschaften
zu verweisen (E. 6 und 7).

    Die Regelung beruht auf einem ausreichenden öffentlichen Interesse
(E. 8); sie ist mit dem Prinzip der Verhältnismässigkeit vereinbar,
sofern allgemein eine entsprechende Informationspolitik betrieben und
die Informationspflicht gegenüber den Angehörigen befolgt wird (E. 9).

    Das Gesetz verletzt die Rechtsgleichheit nicht (E. 10).

Sachverhalt

    Le 28 mars 1996, le Grand Conseil du canton de Genève a adopté la
loi sur les prélèvements et les transplantations d'organes et de tissus
(K 1 19,5), dont la teneur est la suivante:
                                   Article 1
Interdiction Le commerce d'organes et de tissus humains est
interdit.
                                    Art. 2
Etablissements 1Les prélèvements en vue de transplantation et agréés
la transplantation d'organes en provenance d'êtres
vivants ou de cadavres humains se déroulent dans les
établissements médicaux agréés par le Conseil d'Etat qui
satisfont aux exigences des organismes faîtiers suisses
tant de la transplantation que de l'éthique médicale.
                  2Le médecin cantonal exerce le contrôle et la
                  surveillance dans le secteur
privé.
                  3 Dans les établissements publics médicaux,
                  ils se déroulent dans les
divisions communes.
                                    Art. 3
Consentement 1Toute personne peut, de son vivant, s'opposer présumé
au prélèvement d'organes ou de tissus sur son corps,
après décès. Elle peut faire inscrire son opposition dans un
registre. Seul le corps médical d'un établissement agréé peut
y avoir accès. L'absence d'inscription ne constitue pas
une présomption d'accord à un prélèvement d'organes.
                  2Les proches du défunt peuvent s'opposer à un
                  tel prélèvement dans les six
heures qui suivent le décès. La mort se détermine selon les
dernières directives de l'Académie suisse des sciences
médicales en la matière.
                  3 La présente disposition s'applique en cas de
                  décès de toute personne
ayant son domicile légal dans le canton au moment de
sa mort. A défaut, la législation du lieu de domicile du
défunt s'applique.
                                    Art. 4
Contraventions Les contrevenants aux dispositions de la
présente loi sont passibles des peines de police.
                                    Art. 5
                  Le Conseil d'Etat édicte le règlement
                  d'application de la présente loi.
                                    Art. 6
Modification La loi concernant la constatation des décès et à une
autre loi les interventions sur les cadavres humains, du (K 1 19)
        16 septembre 1988, est modifiée comme suit:
                              CHAPITRE V (abrogé)
                      Prélèvements d'organes et de tissus
                                   (abrogé)
                               Art. 14 (abrogé)

    Publiée dans la Feuille d'avis officielle le 3 avril 1996 puis le 17
mai 1996 avec l'arrêté de promulgation du Conseil d'Etat, cette loi est
entrée en vigueur le 18 mai 1996.

    Agissant par la voie du recours de droit public, Rolf Himmelberger
demande au Tribunal fédéral, à titre principal, d'annuler la loi du 28
mars 1996 dans son entier, subsidiairement d'annuler ses art. 2 al. 3
et 3. Il invoque la violation de ses droits constitutionnels (garantie
non écrite de la liberté personnelle; droit à l'égalité de traitement,
art. 4 al. 1 Cst., et primauté du droit fédéral sur le droit cantonal -
art. 2 Disp. trans. Cst.).

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours, au sens des considérant.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Recevabilité, qualité pour agir

    Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours qui lui sont soumis (ATF 122 I 351 consid. 1 et les arrêts cités).

    a) En l'espèce, le recourant invoque la violation de ses droits
constitutionnels, au sens de l'art. 84 al. 1 OJ. Plus particulièrement,
il se plaint d'une violation de la garantie constitutionnelle non
écrite de la liberté personnelle, de l'art. 4 al. 1 Cst. et de l'art. 2
Disp. trans. Cst. La règle de l'épuisement des moyens de droit cantonal
(art. 86 al. 1 OJ) est respectée, le droit genevois ne prévoyant pas de
contrôle judiciaire abstrait des lois cantonales; il en va de même de
l'exigence de l'art. 84 al. 2 OJ, le recours de droit public étant la
seule voie de recours fédérale permettant d'invoquer la violation des
droits constitutionnels du citoyen par une norme générale et abstraite
cantonale (ATF 122 I 70 consid. 1a et les arrêts cités).

    b) Lorsque le recours est dirigé, comme en l'espèce, contre un arrêté
de portée générale, la qualité pour recourir, au sens de l'art. 88
OJ, est reconnue à toute personne à qui les dispositions prétendument
inconstitutionnelles pourraient s'appliquer un jour. Une atteinte virtuelle
aux intérêts juridiquement protégés suffit, à condition qu'elle puisse
être envisagée avec une certaine vraisemblance (ATF 122 I 70 consid. 1b
et la jurisprudence citée).

    aa) Le recourant expose qu'en tant que personne physique domiciliée
à Genève, appelée à décéder un jour et, de plus, pouvant également
être affectée par le décès d'un membre de sa famille ou d'un proche,
il est potentiellement touché par la loi sur les prélèvements et les
transplantations d'organes et de tissus, dont l'art. 3 institue le
consentement présumé du donneur.

    bb) Le Conseil d'Etat met en doute la qualité pour agir du
recourant. Les dispositions attaquées ne sauraient lui être appliquées
contre sa volonté ou celle de ses proches, puisqu'il lui suffirait de
déclarer de son vivant son opposition à tout prélèvement d'organes sur lui
après son décès. De surcroît, pour le cas où il aurait omis de remplir
cette formalité de son vivant, ses proches pourraient valablement faire
opposition au prélèvement, immédiatement après son décès. Le prélèvement
d'organes ne serait donc pas automatique et le recourant, ou ses proches,
ne courraient aucun risque de se le voir imposer contre leur volonté. Le
recours de Rolf Himmelberger serait une véritable "action populaire".

    cc) La loi contestée consacre une modification importante de la
législation antérieure, puisqu'elle marque le passage du consentement
explicite au consentement présumé. Il est vrai que dans le système de
l'art. 3 de la loi, le recourant peut se prémunir lui-même contre une
atteinte virtuelle à ses intérêts juridiquement protégés en s'opposant, de
son vivant, au prélèvement d'organes ou de tissus sur son corps après son
décès, et en faisant inscrire son opposition sur le registre officiel. La
nouvelle loi lui impose toutefois un comportement actif, alors que dans le
régime actuel, une attitude passive suffit. Ce changement de réglementation
entraîne également des conséquences sur l'attitude que doivent adopter
les proches du défunt immédiatement après le décès: si ceux-ci ne s'y
opposent pas formellement dans les six heures qui suivent le décès, le
prélèvement pourra être effectué. Même si, sur de nombreux points, la loi
contestée tend à concrétiser et à protéger les droits constitutionnels
des particuliers (cf. consid. 5a), elle est donc bien susceptible de
s'appliquer au recourant, domicilié dans le canton de Genève. Cela suffit
pour lui reconnaître la qualité pour agir (ATF 98 Ia 508 consid. 1 et 2).

    Le recourant ne saurait par ailleurs se voir reprocher d'agir
indirectement pour autrui: de par sa nature, le recours de droit public
qui a pour objet le contrôle abstrait de la constitutionnalité d'un acte
normatif cantonal remplit une fonction qui va au-delà de la protection des
seuls intérêts juridiques du recourant. Dans le système de la juridiction
constitutionnelle suisse, c'est de la vigilance des particuliers intéressés
à la sauvegarde de leurs droits que dépend l'efficacité du contrôle
abstrait de la constitutionnalité des actes étatiques cantonaux.

Erwägung 2

    2.- Contrôle abstrait de constitutionnalité; objet et modalités

    a) Saisi d'un recours de droit public dirigé contre une loi cantonale,
le Tribunal fédéral recherche prioritairement et avec pleine cognition
si, selon les principes d'interprétation reconnus, on peut donner à la
règle attaquée une portée qui la fasse apparaître comme conforme à la
Constitution (ATF 122 I 18 consid. 2a p. 20 et les arrêts cités). Cet
examen de conformité exige également, dans les limites du principe
d'allégation (art. 90 al. 1 let. b OJ), la prise en considération du
droit international pertinent (même arrêt; cf. également ATF 117 Ib
367 consid. 2e p. 372/373). Le Tribunal fédéral n'annulera la ou les
dispositions de l'arrêté cantonal entrepris que si celles-ci ne se
prêtent à aucune interprétation de ce type (ATF 118 Ia 64 consid. 2c
p. 72, 427 consid. 3b p. 433). Si la formulation de la loi entreprise
est claire et non équivoque, son sens littéral ne saurait être infléchi
par l'interprétation conforme; celle-ci n'est donc admissible que dans
la mesure où le sens de la loi contestée apparaît ambigu, imprécis ou
lacunaire (ATF 113 Ia 126 consid. 5 p. 131). Le recours à l'interprétation
conforme se justifie également lorsque les dispositions législatives qui
sont objet du contrôle doivent encore faire l'objet d'une concrétisation
par un règlement d'application de l'exécutif cantonal, comme c'est le
cas en l'espèce (art. 5 de la loi entreprise).

    b) Lorsque l'arrêté cantonal attaqué ne viole le droit constitutionnel
ou conventionnel que sous certains aspects seulement, le Tribunal
fédéral n'annulera en principe que les seules dispositions litigieuses. Il
n'annulera intégralement l'arrêté cantonal attaqué que si ces dispositions
ne peuvent pas être supprimées sans dénaturer l'acte dans son ensemble
(ATF 118 Ia 64 consid. 2c p. 72; 113 Ia 126 consid. 5 p. 131). Compte
tenu de la nature essentiellement cassatoire du recours de droit public,
une norme déclarée inconstitutionnelle ne peut être qu'annulée, mais non
modifiée ou remplacée (ATF 118 Ia 64 consid. 1e p. 69).

    c) Enfin, le juge constitutionnel doit rechercher dans quelles
circonstances pratiques les dispositions litigieuses seront appliquées, et
ne pas se borner à traiter le problème de manière purement abstraite. La
façon dont la loi sera vraisemblablement mise en oeuvre, de même que la
qualité de ses organes d'exécution jouent, dès lors, un rôle important dans
l'examen de la conformité des dispositions attaquées avec la Constitution
(ATF 118 Ia 427 consid. 3b p. 433 et les arrêts cités).

Erwägung 3

    3.- Force dérogatoire du droit fédéral, art. 2 Disp. trans.  Cst.

    Outre les griefs qu'il adresse à la loi attaquée sur le
terrain de la garantie constitutionnelle non écrite de la liberté
personnelle (ci-dessous, consid. 4-9) et - en ce qui concerne son
art. 3 al. 3, - sur celui de l'égalité de traitement garantie par
l'art. 4 al. 1 Cst. (ci-dessous, consid. 10), le recourant invoque
l'art. 2 Disp. trans. Cst., sans pour autant indiquer, comme l'exige
l'art. 90 al. 1 let. b OJ, en quoi consisterait la violation de cette
disposition. Il semble perdre de vue, sur ce point, que si le principe
de la force dérogatoire du droit fédéral fait obstacle à l'adoption
ou à l'application de règles cantonales qui éludent ou contredisent
les prescriptions du droit fédéral, cela suppose que la Confédération
ait effectivement et exhaustivement réglementé la matière (ATF 122 I 18
consid. 2b/aa, 81 consid. 2a; 112 Ia 398 consid. 4a). Or il n'existe pas,
à ce jour, de législation fédérale dans le domaine de la transplantation
d'organes (consid. 6 ci-dessous; cf. également, en matière de procréation
médicalement assistée, ATF 115 Ia 234 consid. 4 p. 245 et les arrêts
cités). Le grief doit donc être écarté, dans la mesure où il est recevable.

Erwägung 4

    4.- Liberté personnelle; généralités

    Le recourant invoque principalement une atteinte à sa liberté
personnelle.

    a) Selon la jurisprudence, la liberté personnelle, droit
constitutionnel non écrit, imprescriptible et inaliénable, confère
à l'individu le droit d'aller et de venir et le droit au respect
de son intégrité corporelle (ATF 111 Ia 231 consid. 3a, 109 Ia 273
consid. 4a p. 279 et les arrêts cités). Elle le protège, en outre, dans
l'exercice de sa faculté d'apprécier une situation de fait déterminée et
d'agir selon cette appréciation. Cette garantie n'englobe certes pas la
protection de toute possibilité de choix et de détermination de l'homme,
si peu importante soit-elle; elle recouvre cependant toutes les libertés
élémentaires dont l'exercice est indispensable à l'épanouissement de la
personne humaine (ATF 122 I 360 consid. 5a). Elle se conçoit, dès lors,
comme une garantie générale et subsidiaire à laquelle le citoyen peut se
référer lorsque les droits fondamentaux dont il allègue la violation ne
font pas l'objet de garanties particulières (ATF 114 Ia 350 consid. 5,
101 Ia 346 consid. 7a et les arrêts cités). La liberté personnelle oblige
le détenteur de la puissance publique à un comportement envers le citoyen
qui soit compatible avec le respect de sa personnalité. Elle protège
intégralement la dignité de l'homme et sa valeur propre (ATF 111 Ia 231
consid. 3 et les références citées).

    b) La garantie constitutionnelle de la liberté personnelle ne se limite
pas à la durée de la vie des individus. Elle prolonge ses effets, dans
une certaine mesure, au-delà du décès. Du point de vue constitutionnel,
le défunt doit être considéré comme le titulaire prioritaire des droits
protégeant sa dépouille contre des atteintes contraires aux moeurs et aux
usages (ATF 111 Ia 231 consid. 3b). Cette pérennité de certains droits
se justifie d'autant plus que le moment de la disparition de toute trace
de vie dans le corps de l'individu est très difficile à fixer et que
les critères retenus par l'Académie suisse des sciences médicales n'ont
pas été prioritairement élaborés pour définir la fin de la personnalité,
mais bien pour déterminer, en vue notamment d'un prélèvement d'organe,
le moment à partir duquel un retour à la vie est exclu (ATF 118 IV 319
consid. 2 p. 323; 97 I 221 consid. 4b p. 228).

    Toute personne a ainsi le droit de déterminer le sort de sa dépouille
après sa mort. Cette prétention comporte notamment une liberté de choix,
dans le cadre tracé par la loi, l'ordre public et les bonnes moeurs,
quant à la forme des funérailles et au mode d'inhumation, l'être humain
ayant, quel que soit le rang qu'il a occupé dans la société, un droit
constitutionnel, consacré par l'art. 53 al. 2 Cst., à un enterrement et
à une sépulture décents (ATF 111 Ia 231 consid. 3b). Ce droit découle
directement de la protection de la dignité humaine (cf. déjà ATF 45 I
132; ATF 98 Ia 508 consid. 8c p. 523 et les arrêts cités; voir également
le Message relatif à une nouvelle Constitution fédérale, du 20 novembre
1996, FF 1997 I p. 1 ss, 143; NICOLÒ RASELLI, Schickliche Beerdigung für
"Andersgläubige", PJA 1996 p. 1103-1110, p. 1105, ch. 2a); il s'oppose
également à toute profanation d'un cadavre humain et, partant, à toute
intervention illicite sur lui. Cette interdiction trouve, au demeurant,
sa protection pénale à l'art. 262 ch. 2 CP.

    c) Le respect du défunt et l'intangibilité de son corps, ainsi
concrétisés dans le droit positif, ont leur fondement dans les conceptions
éthiques ou religieuses relatives à la signification de la mort. En
l'absence d'une décision du défunt, ses proches peuvent prétendre, dans
certaines limites, à disposer du sort de son cadavre. Du point de vue
du droit privé, le droit de ces derniers est, lui aussi, une émanation
des droits généraux de la personnalité (art. 28 CC). Fondé sur les
rapports étroits qu'ont eus les intéressés avec le défunt et protégeant
les relations sentimentales qui en résultent, ce droit subsidiaire des
proches trouve sa limite dans les droits de la personnalité, dont jouit
le défunt lui-même, de déterminer le sort de son cadavre et les modalités
de ses funérailles (ATF 101 II 177 consid. 5a p. 191). Il en découle
que le droit des proches n'intervient que si le défunt n'a pas pris
de décision, écrite ou orale, sur le sort de son cadavre. Ce pouvoir
subsidiaire de décision doit être exercé, en première ligne, par celui
qui était le plus étroitement lié au défunt et qui a été de ce chef
le plus affecté par sa disparition (ATF 111 Ia 231 consid. 3b; dans le
même sens, RASELLI, loc.cit., p. 1108 ch. V.1 ad note 74; dans ce sens
également, ROLF SCHÖNING, Rechtliche Aspekte der Organtransplantation,
unter besonderer Berücksichtigung des Strafrechts, thèse Zurich, 1996,
339 p., p. 75-76 et la doctrine citée aux notes 155-157).

    d) La liberté personnelle est également garantie par certaines
dispositions du droit international relatives à la protection des droits
de l'homme.

    aa) Présentent une pertinence dans ce contexte, dans l'optique du
donneur potentiel d'organes, l'art. 2 par. 1 CEDH (RS 0.101), selon
lequel le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi;
l'art. 6, par. 1 3ème phrase du Pacte ONU II (RS 0.103.2), qui précise
que "nul ne peut être arbitrairement privé de la vie"; l'art. 3 CEDH,
aux termes duquel nul ne peut être soumis, notamment, à des traitements
inhumains ou dégradants, ainsi que la disposition correspondante du Pacte
ONU II (art. 7), qui précise de surcroît qu'"il est interdit de soumettre
une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou
scientifique". La pertinence au moins indirecte de cette disposition dans
le domaine des transplantations d'organes n'est guère douteuse (voir
cependant MANFRED NOWAK, CCPR-Kommentar, Kehl 1989, p. 147, § 30). Il
convient également de mentionner l'art. 8 CEDH (et son correspondant,
moins précis, l'art. 17 Pacte ONU II), selon lequel - dans la mesure utile
ici - toute personne a droit au respect de sa vie privée, les ingérences
étatiques dans l'exercice de ce droit devant être prévues par la loi et
constituer des mesures qui sont nécessaires, dans une société démocratique,
"à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits
et libertés d'autrui". Du point de vue du receveur potentiel d'organes,
l'art. 12 du Pacte ONU I (RS 0.103.1) présente également un intérêt:
il consacre "le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état
de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre", et la
Suisse s'est engagée, à ce titre, à prendre les mesures nécessaires pour
permettre, notamment, la création de "conditions propres à assurer à tous
des services médicaux et une aide médicale en cas de maladie" (art. 12
par. 2 let. d; voir à ce sujet, OLIVIER GUILLOD et DOMINIQUE SPRUMONT,
Le droit à la santé: un droit en émergence, in: De la Constitution,
Mélanges J.-F. AUBERT, Bâle 1996, p. 337-353, 346).

    bb) En dépit de leur caractère non obligatoire, d'autres actes
élaborés sous les auspices d'organisations internationales revêtent un
intérêt direct pour la présente cause:

    - la Résolution (78) 29 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe
sur l'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux
prélèvements, greffes et transplantations de substances d'origine humaine,
du 11 mai 1978, dont le chapitre III concerne les prélèvements, greffes
et transplantations de substances provenant de personnes décédées, et
dont l'art. 10 a la teneur suivante:

    1. Aucun prélèvement ne doit être effectué lorsqu'il y a une opposition
   manifeste ou présumée du défunt compte tenu notamment de ses convictions
   religieuses ou philosophiques.

    2. A défaut d'une volonté du défunt manifestée explicitement ou
   implicitement, le prélèvement peut être effectué. Toutefois, un
   Etat pourra décider que le prélèvement ne doit pas avoir lieu, si,
   après une enquête appropriée, compte tenu des circonstances, visant
   à déterminer l'opinion de la famille du défunt, et dans le cas d'un
   incapable juridique survivant, celle de son représentant légal, une
   opposition se manifeste; lorsque le défunt était un incapable juridique
   le consentement de son représentant légal peut être exigé.

    - la Recommandation (79) 5 du Comité des ministres aux Etats membres
du Conseil de l'Europe, concernant le transport et l'échange internationaux
de substances d'origine humaine, du 14 mars 1979;

    - la Résolution WHA 44.25 de l'Organisation mondiale de la santé du
13 mai 1991, relative aux "Principes directeurs sur la transplantation
d'organes humains", qui définit notamment les modalités de l'exigence du
consentement du donneur (principe directeur 1) et pose le principe de la
gratuité de la transplantation (principes directeurs 5 à 9).

    cc) Bien que non obligatoires, ces actes internationaux unilatéraux
constituent d'importants moyens auxiliaires d'interprétation des règles
conventionnelles pertinentes pour le contrôle de constitutionnalité (voir
sur ce point l'art. 31 ch. 3, let. b et c de la Convention de Vienne sur le
droit des traités de 1969, RS 0.111), voire des règles constitutionnelles
elles-mêmes (ATF 117 Ib 367 consid. 2 e-f p. 372), dans la mesure où ces
textes internationaux reflètent les traditions juridiques communes aux
Etats membres des organisations sous les auspices desquelles ils ont été
élaborés et dont la Suisse se réclame (ATF 118 Ia 64 consid. 2a et la
jurisprudence citée; 109 Ia 151; 105 Ia 98 consid. 3b). Ils seront cités
plus loin dans la mesure nécessaire.

    e) A l'instar des autres droits individuels, la liberté personnelle
peut être limitée par une mesure étatique pour autant que celle-ci repose
sur une base légale, répond à un intérêt public prépondérant et est
conforme au principe de la proportionnalité (ATF 120 Ia 147 consid. 2b
p. 150). Ce dernier principe se compose traditionnellement des règles
d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but
fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on
choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés -,
et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de
la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté
du point de vue de l'intérêt public (ATF 118 Ia 427 consid. 7a p. 439 et
les références citées).

Erwägung 5

    5.- Application de la garantie de la liberté personnelle au cas de
la législation cantonale sur la transplantation d'organes

    a) La loi du 28 mars 1996 constitue à n'en point douter, sur plusieurs
points, une ingérence dans la garantie de la liberté personnelle reconnue
au recourant par le droit constitutionnel (cf. consid. 1b/cc ci-dessus). Il
convient cependant d'observer d'emblée que plusieurs de ses dispositions
instaurent une protection dont le recourant, de manière significative,
ne critique pas le bien-fondé: l'art. 1 de la loi pose le principe de
l'interdiction du commerce d'organes et de tissus humains (tout comme le
projet d'art. 24decies al. 2 Cst., l'art. 21 de la Convention sur les
droits de l'homme et la biomédecine, ouverte à la signature des Etats
membres du Conseil de l'Europe à Oviedo le 4 avril 1997, l'art. 9 de la
Résolution (78) 29 du Conseil de l'Europe, et les principes directeurs 5 à
9 de la Résolution WHA 44.25 de l'OMS). L'art. 2 al. 1 de la loi genevoise
exige en outre que les prélèvements et la transplantation d'organes en
provenance d'êtres vivants ou de cadavres humains se déroulent "dans
les établissements médicaux agréés par le Conseil d'Etat qui satisfont
aux exigences des organismes faîtiers suisses tant de la transplantation
que de l'éthique médicale"; enfin, l'art. 2 al. 2 prévoit que le médecin
cantonal exerce le contrôle et la surveillance de ces prélèvements et
transplantations dans le secteur privé. Ces dispositions, dont la fonction
protectrice est évidente, sont conformes à l'art. 8 ch. 2 de la Résolution
(78) 29 du Conseil de l'Europe.

    b) La principale atteinte que le recourant critique dans la loi
résulte de son art. 3, qui, sous la note marginale "Consentement présumé",
subordonne la possibilité d'un prélèvement d'organes ou de tissus sur
un cadavre à l'absence d'opposition de l'intéressé de son vivant ou,
immédiatement après son décès, de ses proches. Selon le recourant,
seul un comportement actif de la part de l'intéressé (inscription de
son opposition sur le registre officiel), ou de ses proches (opposition
exprimée dans les six heures après le décès), permettrait de faire échec
aux prélèvements d'organes ou de tissus en vue d'une transplantation. Il
critique de surcroît le manque de clarté de l'art. 3 de la loi, notamment
sur la question du moment à partir duquel le délai d'opposition de six
heures commence à courir.

Erwägung 6

    6.- Base légale; compétences cantonales

    a) Sur le principe, le recourant ne conteste pas que l'art. 3 de la
loi constitue en soi une base légale. Faute d'une compétence fédérale
correspondante, le domaine de la transplantation d'organes relève en
effet aujourd'hui, pour l'essentiel, de la compétence des cantons (art. 3
Cst.). Un projet d'art. 24decies Cst. sur la médecine de transplantation
a été mis en consultation par le Conseil fédéral jusqu'à la fin de l'année
1996 (FF 1997 I 142; voir également MARCO BORGHI, Pour une réglementation
constitutionnelle fédérale des transplantations d'organes en Suisse, in
"La transplantation d'organes; repères pour une législation fédérale",
MARCO BORGHI et DOMINIQUE SPRUMONT, éd. Institut du fédéralisme de Fribourg
et Institut du droit de la santé de Neuchâtel, 1995, p. 3-28). A la suite
de deux motions chargeant le Conseil fédéral d'élaborer des dispositions
légales permettant d'interdire le commerce d'organes humains en Suisse,
et d'élaborer des dispositions constitutionnelles et législatives en vue
de maîtriser les multiples problèmes liés aux transplantations d'organes,
les cantons eux-mêmes, par l'intermédiaire de la Conférence des directeurs
cantonaux des affaires sanitaires, se sont adressés au Conseil fédéral en
date du 9 décembre 1994. Ils se sont prononcés à cette occasion en faveur
d'une solution fédérale pour réglementer la médecine de transplantation
car, en raison du développement prévisible considérable de cette branche
au cours des prochaines années et des problèmes d'éthique multiples et
fort délicats liés à ce phénomène, la réglementation cantonale de la
transplantation d'organes apparaît insuffisante (sur la nécessité d'une
norme constitutionnelle spécifique, cf. JAAC 1997 61/I p. 29-45).

    En décidant de réglementer le domaine de la transplantation d'organes,
les autorités genevoises étaient donc pleinement conscientes de la
nécessité d'agir sur le plan législatif. Constatant que la situation suisse
relève du "véritable imbroglio", la Commission de la santé du Grand Conseil
a, elle aussi, estimé que les législations cantonales "sont insuffisantes
mais néanmoins nécessaires". Dans l'attente d'une réglementation fédérale,
elle a invité en conséquence le Grand Conseil à choisir pour Genève le
même type de législation que dans les autres cantons universitaires.

    b) En Suisse, le principe du consentement présumé du patient ou de ses
proches à un prélèvement d'organes ou de tissus semble consacré dans la
moitié des cantons, parmi lesquels les six cantons disposant d'un centre de
transplantation (BS, BE, GE, SG, VD, ZH; voir WOLFRAM HÖFLING, Rechtsfragen
der Transplantationsmedizin, Eine rechtsvergleichende Betrachtung, RJB 1996
p. 787-807, 802, et la classification plus détaillée de SCHÖNING, op.cit.,
qui distingue, p. 81/82 et 335-337, entre les cantons qui consacrent la
"Zustimmungslösung", la "Widerspruchslösung", et la "Informationslösung").
S'agissant des cantons universitaires, les dispositions pertinentes
sont: pour Bâle-Ville, le § 12 de la Spitalgesetz du 26 mars 1981; pour
Berne, l'art. 41 al. 2 de la loi sur la santé publique; pour Saint-Gall,
l'art. 35 de la Gesundheitsgesetz du 28 juin 1979; pour Vaud, l'art. 11
ch. 6 et l'art. 20 du règlement du 5 décembre 1996 sur les inhumations, les
incinérations et les interventions médicales pratiquées sur des cadavres;
pour Zurich, le § 26 de la Verordnung über die Rechte und Pflichten
der Patienten in staatlichen und staatsunterstützten Krankenhäusern
(Patientenrechtverordnung), du 28 août 1991.

Erwägung 7

    7.- Base légale; précision de la norme; renvoi aux directives de l'ASSM

    L'existence même d'une base légale formelle n'étant pas en cause ici,
il convient de vérifier si celle-ci présente les garanties de clarté et
de transparence exigées tant par le droit constitutionnel, au titre de
la "densité normative", que par la Convention européenne des droits de
l'homme. Sur plusieurs points en effet, le recourant fait grief à la loi
de manquer de précision, notamment quant aux modalités du "consentement
présumé", aux modalités d'information des proches et au moment à partir
duquel le prélèvement d'organes peut avoir lieu.

    a) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'exigence de précision
de la norme découle du principe général de la légalité, mais aussi de la
sécurité du droit et de l'égalité devant la loi (ATF 109 Ia 273 consid. 4d
p. 282 et les références citées; 117 Ia 341 consid. 5a p. 346; cf. THOMAS
COTTIER, Die Verfassung und das Erfordernis der gesetzlichen Grundlage,
2e édition, Zurich 1991, p. 144 ss, 190 ss; SCHÖNING, op.cit. p. 53
ss). L'exigence de la densité normative n'est toutefois pas absolue, car on
ne saurait exiger du législateur qu'il renonce totalement à recourir à des
notions générales, comportant une part nécessaire d'interprétation. Cela
tient en premier lieu à la nature générale et abstraite inhérente à toute
règle de droit, et à la nécessité qui en découle de laisser aux autorités
d'application une certaine marge de manoeuvre lors de la concrétisation
de la norme. Pour déterminer quel degré de précision on est en droit
d'exiger de la loi, il faut tenir compte du cercle de ses destinataires,
et de la gravité des atteintes qu'elle autorise aux droits fondamentaux
(ATF 109 Ia 273 précité). Une atteinte grave exige en principe une base
légale formelle, claire et précise, alors que les atteintes plus légères
peuvent, par le biais d'une délégation législative, figurer dans des actes
de niveau inférieur à la loi, ou trouver leur fondement dans une clause
générale (ATF 122 I 360 consid. 5b/bb et les arrêts cités). Le Tribunal
fédéral examine librement cette question (idem).

    Dans le système de la Convention européenne des droits de l'homme,
les exigences matérielles découlant du principe de la légalité ont été
dégagées par la Cour de Strasbourg à propos des mots "prévu par la loi"
que l'on retrouve, notamment, à l'art. 8 par. 2 CEDH. Selon la Cour,
cette dernière expression "englobe le droit d'origine tant législative
que jurisprudentielle, et implique des conditions qualitatives,
entre autres celles d'accessibilité et de prévisibilité" (CourEDH,
arrêt Cantoni c. France du 15 novembre 1996, Rec. 1996 - à paraître -,
par. 29). Ces deux dernières notions dépendent "dans une large mesure
du contenu du texte dont il s'agit, du domaine qu'il couvre ainsi que
du nombre et de la qualité de ses destinataires" (même arrêt, par. 35
et la jurisprudence citée). La mesure incriminée doit reposer sur une
disposition du droit interne. En particulier, l'accessibilité de la loi
aux personnes concernées exige de celle-ci une formulation assez précise
pour leur permettre - en s'entourant, au besoin, de conseils éclairés -
de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause,
les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé. Une loi qui confère
un pouvoir d'appréciation ne se heurte pas en soi à cette exigence, à
condition que l'étendue et les modalités d'exercice d'un tel pouvoir se
trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en
jeu, pour fournir à l'individu une protection adéquate contre l'arbitraire
(CourEDH, arrêt Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, du 13 juillet 1995,
Série A no 316 B, p. 71, § 37).

    b) Le principal grief que le recourant adresse à la loi est de créer
une fiction de consentement qui ne serait autre, selon lui, qu'un "moyen
déguisé de se passer de ce même consentement".

    aa) Un examen de l'art. 3 de la loi, considéré dans sa genèse et son
système, permet toutefois d'écarter les reproches d'imprécision ou de
manque de clarté que le recourant lui voit sur ce point.

    Il ressort de la genèse de cette disposition que le législateur
genevois a, pour l'essentiel, remplacé le système du consentement explicite
en matière de prélèvement d'organes par celui du consentement présumé
à ce prélèvement. Ce changement fondamental est mis en évidence par la
note marginale de l'art. 3, intitulée "Consentement présumé".

    En vertu de l'alinéa premier de cette disposition, le droit
d'opposition appartient au premier chef à l'intéressé: celui-ci peut,
de son vivant, s'opposer à un prélèvement postérieur au décès. Son
opposition pourra se manifester de différentes façons: oralement à
ses proches, par une déclaration écrite remise à des proches et à
d'autres personnes, ou encore par le biais d'une "carte de donneur"
portée sur lui. On trouve, dans les travaux préparatoires de la loi
(Mémorial des séances du Grand Conseil genevois - mémorial - 1996,
p. 1421), la reproduction d'une telle carte, selon laquelle l'intéressé
peut autoriser le prélèvement d'organes sur son corps en cas de décès,
"si cette opération permet une transplantation sur un être humain"; une
rubrique permet de limiter l'autorisation, en excluant le prélèvement de
certains organes; la carte permet enfin de manifester son opposition à
tout prélèvement. Ces modes de consentement ou d'opposition non formels,
qui peuvent être rangés sous la première phrase de l'al. 1 de l'art. 3
de la loi attaquée, sont complétés par la possibilité, mentionnée dans la
deuxième phrase, de faire inscrire son opposition dans un registre dont la
troisième phrase précise que seul le corps médical d'un établissement agréé
peut y avoir accès. Ces différentes modalités d'opposition, dont bénéficie
le donneur potentiel d'organes de son vivant, ont toutes pour effet commun
de renverser la présomption de consentement instituée par la loi.

    On peut certes, à première lecture, déceler une certaine contradiction
entre la note marginale de l'art. 3 ("Consentement présumé"), et
la dernière phrase de l'al. 1er de cette disposition, selon laquelle
"L'absence d'inscription ne constitue pas une présomption d'accord à un
prélèvement d'organe". Le sens de cette dernière phrase ne peut être
compris qu'en considérant l'élément central de la réglementation, qui
a consisté, comme déjà relevé, à substituer le régime du consentement
par celui du consentement présumé en cas d'absence d'opposition de
l'intéressé. Envisagée dans le système de la réglementation litigieuse,
cette phrase a pour but de préciser qu'à lui seul, le défaut d'inscription
de l'opposition du donneur potentiel dans le registre ad hoc ne signifie
pas encore que la présomption de consentement est définitivement
acquise. Celle-ci n'est acquise que si le donneur potentiel n'a pas,
d'une manière ou d'une autre, manifesté son opposition. En d'autres
termes, le législateur, qui aurait pu dresser une liste positive des cas
dans lesquels la présomption de consentement est acquise, a énuméré, de
manière négative, les possibilités d'opposition dont dispose le donneur
potentiel pour faire échec à cette présomption.

    bb) L'alinéa 2 de l'art. 3 décrit le second mode possible d'opposition
au prélèvement qui est réservé, dans les six heures qui suivent le décès,
aux "proches du défunt".

    Ainsi replacée dans le système de l'art. 3, l'articulation de l'al. 1
et de l'al. 2 présente une clarté suffisante pour les particuliers. Qu'ils
soient donneurs potentiels ou "proches du défunt", les personnes légitimées
sont à même, pour autant qu'elles aient connaissance de l'existence du
texte légal (sur le devoir d'information de l'autorité, voir ci-dessous,
consid. 9e), de manifester leur opposition et de comprendre les
conséquences d'une inaction de leur part.

    cc) Sans doute aussi l'art. 3 al. 2 de la loi contient-il une notion
- celle de "proches" - qui comporte une part d'imprécision. Le recourant
ne s'en plaint toutefois pas. Il appartiendra au règlement d'application
prévu par l'art. 5 de la loi d'en préciser le contenu, en s'inspirant de
la jurisprudence et de la doctrine. Il est communément admis qu'il faut
entendre, par proche, la personne qui était la plus étroitement liée au
défunt, et est par conséquent la plus touchée par sa disparition (ATF
101 II 177, analysé par PIERRE TERCIER, Qui sont nos "proches"?, in:
Mélanges Bernhard Schnyder, Fribourg 1995, p. 799-816, 802 et 814-816;
voir également SCHÖNING, op.cit. p. 76-77). Par ailleurs, la loi genevoise
ne semble pas non plus établir de hiérarchie en faveur du consentement
du donneur sur celui de ses proches: l'opposition des proches après le
décès paraît pouvoir faire échec au consentement donné par le donneur
de son vivant. Tel n'est toutefois pas le cas. Comme cela est relevé
ci-dessus (consid. 4c), les proches ne disposent que d'un pouvoir
de décision subsidiaire: le respect de leur sentiment de piété doit
céder le pas à la protection, prioritaire, de la liberté personnelle du
principal intéressé. Leur propre opinion ne saurait donc faire échec à une
autorisation - ou à un refus - explicite du défunt. L'avis des proches n'a,
par conséquent, à être recherché qu'en l'absence de disposition connue,
prise par l'intéressé de son vivant, et la réglementation genevoise peut
être comprise dans ce sens (voir, dans le même sens, l'arrêt précité ATF
111 Ia 231, consid. 3b p. 233-234; plus nettement BORGHI, op.cit. p. 15-16,
de même que TERCIER, op.cit. p. 802, et SCHÖNING, op.cit. p. 75-76).

    c) Le recourant s'en prend ensuite à l'imprécision de l'art. 3 al. 2
de la loi en ce qui concerne le point de départ du délai d'opposition
des proches. Dûment interprétée, la loi attaquée ne prête toutefois pas
à confusion. En prévoyant que l'opposition des proches peut intervenir
"dans les six heures qui suivent le décès", la loi, prise dans son sens
littéral, est précise. Tout dépend toutefois de ce qu'il faut entendre par
l'expression "décès" ou "mort". Or la loi genevoise fait, sur ce point,
un renvoi aux "dernières directives de l'Académie suisse des sciences
médicales (ASSM) en la matière". Même si le recourant ne critique pas ce
renvoi en tant que tel, il y a lieu d'en vérifier la conformité au droit
constitutionnel, car cette vérification s'inscrit dans l'examen, libre,
de l'existence d'une base légale suffisante.

    aa) La première directive à laquelle renvoie la loi est intitulée
"Définition et directives pour le diagnostic de la mort en vue d'une
transplantation d'organes" (version du 18 novembre 1994). Révisée et
complétée depuis et approuvée, sous le même titre, par le Sénat de l'ASSM
le 13 juin 1996 (Bulletin des Médecins suisses, vol. 77, 45/1996 du 6
novembre 1996, p. 1821-1829), elle prévoit notamment (II, ch. 3.2) que "Le
diagnostic de mort cérébrale dans le contexte d'un prélèvement d'organes
requiert deux évaluations cliniques séparées", étant précisé que la durée
minimale d'observation ne devra jamais être inférieure à six heures. La
même directive précise (IV, p. 1826) que "Juridiquement, l'instant de
la mort est le moment du premier diagnostic de l'arrêt irréversible des
fonctions cardiaques ou cérébrales. Pour cette constatation, les signes
cliniques suffisent" (la directive énumère les huit critères cliniques
qui doivent être établis pour le constat de la mort cardio-circulatoire
(II, ch. 2.1) et les sept critères cliniques qui doivent être présents
pour que la mort cérébrale puisse être constatée (II, ch. 3.1).

    Les secondes directives de l'ASSM auxquelles se réfère le
législateur genevois sont intitulées "Directives médico-éthiques pour
les transplantations d'organes", approuvées en 1ère consultation par le
Sénat de l'ASSM le 8 juin 1995 (Bulletin des Médecins suisses, vol. 75,
5/1994 du 2 février 1996, p. 168-170).

    bb) Le Tribunal fédéral a, depuis longtemps, reconnu la légitimité
et la pertinence des directives de l'ASSM, notamment pour déterminer le
moment de la mort. Dans son arrêt publié aux ATF 98 Ia 508, il a admis
le renvoi à ces directives, opéré dans une ordonnance zurichoise sur les
hôpitaux, pour ce qui concerne la constatation des décès. Ces directives
paraissaient correspondre, à l'époque, au niveau de la science dans ce
domaine; le renvoi avait seulement pour effet de poser des exigences
minimales pour le diagnostic de la mort, d'autres critères pouvant,
le cas échéant, entrer en considération (consid. 4c et d p. 516-518).

    Dans son arrêt du 26 octobre 1989 dans la cause D. (RDAF 1990 p. 156),
le Tribunal fédéral a admis qu'une loi soumise au référendum facultatif
pouvait déléguer au Conseil vaudois de la santé (organe consultatif) le
soin de fixer, "en se fondant notamment sur les directives de l'ASSM",
les conditions dans lesquelles peuvent se dérouler les opérations de
fécondation in vitro et de transferts d'embryons. Cette délégation,
non exclue par la loi et limitée à un domaine déterminé, permettait
l'adaptation progressive du droit cantonal à l'évolution des techniques
médicales (consid. 3).

    Dans ses arrêts parus aux ATF 115 Ia 234 (consid. 3b p. 242) et 119
Ia 460 (consid. 4c/cc p. 470), le Tribunal fédéral a aussi reconnu la
pertinence des directives de l'ASSM dans le domaine de la procréation
médicalement assistée; il ne s'est pas prononcé, à ces occasions,
sur l'admissibilité des renvois opérés dans ce domaine par différentes
législations cantonales.

    La Cour européenne des droits de l'homme admet, elle aussi, un renvoi
de la loi à d'autres actes, en particulier lorsque le domaine à réglementer
revêt un caractère technique (CourEDH, arrêt Groppera c. Suisse du 28
mars 1990, Série A no 173, p. 25-26, 65-68).

    cc) La doctrine est partagée sur l'admissibilité du renvoi
aux directives de l'ASSM. Selon Häfelin/Haller (Schweizerisches
Bundesstaatsrecht, Ein Grundriss, 3ème éd. Zurich 1993 no 1030 ss),
la compatibilité de ce procédé avec la Constitution ne peut être admise
sans autre, puisqu'il porte atteinte à la répartition constitutionnelle
des compétences. Le renvoi doit en tout cas figurer dans un acte de
rang législatif, et se limiter aux questions techniques. Pour SCHÖNING
(op.cit. p. 57-60), de tels renvois à des dispositions d'organismes privés
posent problème, parce que le législateur renonce ainsi à assumer sa
responsabilité. Cet auteur différencie le renvoi direct - c'est-à-dire
la référence à des règles émanant d'un organisme clairement désigné
-, qui peut être statique lorsqu'il est fait référence à une version
déterminée de ces règles, ou dynamique, lorsque sont évoquées les "règles
actuellement en vigueur". La loi peut aussi opérer un renvoi indirect
lorsqu'elle recourt aux notions de "standards actuels" (tel l'état de la
science et de la technique), dont les règles privées ne sont alors que
le reflet. LAURENZ ROTACH (Die Verwendung von Anhängen in den Erlassen
des Bundesrechts, in Législation d'aujourd'hui 1995/3, p. 111-120, 116),
subordonne le procédé du renvoi à deux conditions: un cercle restreint de
destinataires et une norme de nature technique destinée principalement
à des spécialistes. D'autres auteurs posent encore d'autres conditions
(MARINA MANDOFIA et MICHEL BÜRGISSER, Réflexions critiques sur le règlement
genevois en matière de fécondation in vitro, SJ 1988 p. 177 ss, 181,
qui fixent des conditions proches de celles posées pour la délégation
législative). DIETER GRAUER (Die Verweisung im Bundesrecht, insbesondere
auf technische Verbandsnormen, thèse, Zurich 1980, 208 p., p. 182 ss),
admet pour sa part le procédé du renvoi statique, mais non du renvoi
dynamique, qui ne permettrait pas de contrôle ultérieur du législateur en
cas de changement de la règle privée. Selon URSULA BRUNNER (Rechtssetzung
durch Private, thèse, Zurich 1982, 169 p., p. 32), la technique du renvoi
est admissible en matière médicale, même si elle est appliquée de manière
beaucoup plus générale et fréquente dans les domaines techniques. Un tel
renvoi supposerait en outre une base légale formelle (op.cit. p. 140 ss;
contra, MOOR, Droit administratif, Berne 1992, vol. III, p. 102-103).

    dd) En l'espèce, la loi contestée contient un renvoi indirect
(art. 2 al. 1 "établissements médicaux... qui satisfont aux exigences des
organismes faîtiers suisses tant de la transplantation que de l'éthique
médicale") dont l'admissibilité fait d'autant moins problème, sous l'angle
de la légalité, qu'il vise à renforcer les garanties individuelles en
matière de transplantation.

    Pour la détermination du moment de la mort, la loi semble en
revanche opérer, en son art. 3 al. 2 deuxième phrase, un renvoi direct
aux directives de l'ASSM. Dès lors qu'il s'agirait d'un renvoi dynamique
(il n'est pas fait référence à une version déterminée, mais aux "dernières
directives"), l'admissibilité du procédé pourrait prêter à discussion. Il
convient toutefois de relever (comme le fait SCHÖNING à propos de l'art. 24
de l'ordonnance zurichoise sur les droits des patients, de teneur semblable
sur ce point à la loi genevoise, op.cit. p. 59-60), que les directives
de l'ASSM constituent, dans le domaine médical, le reflet de l'état
de la science et de la technique à un moment donné; elles consacrent le
consensus qui prévaut dans le milieu de la médecine scientifique. L'auteur
de la loi genevoise est manifestement parti de cette considération, de
sorte que le renvoi consiste bien plutôt dans la référence à un standard,
dont les directives ne sont que le reflet. On peut donc y voir un renvoi
de nature indirecte, en l'occurrence admissible (ATF 98 Ia 508, consid.
3a p. 512-513). En outre, comme l'a déjà relevé le Tribunal fédéral, les
directives relatives au diagnostic de la mort définissent les exigences
minimales auxquelles doit satisfaire un tel diagnostic en vue d'une
transplantation (même arrêt, consid. 4c p. 516-517). En s'y référant,
le législateur genevois avait pour objectif de renforcer la protection
des droits fondamentaux, et nullement d'y porter atteinte. Il y a lieu,
dès lors, de se montrer moins strict quant aux conditions d'un renvoi.

    La référence de la loi aux "dernières" directives n'apparaît pas
non plus critiquable, puisqu'elle peut se comprendre non pas comme
un renvoi dynamique, mais comme l'obligation plus générale de tenir
compte des connaissances les plus récentes dans ce domaine, dans
le respect des libertés individuelles. En outre, elle témoigne de la
volonté du législateur genevois de permettre à la pratique de s'adapter
progressivement à l'évolution de la science médicale (cf. RDAF 1990
p. 156 consid. 3b). S'agissant d'une question technique et complexe,
telle que la définition du moment de la mort, il apparaît adéquat de
permettre une adaptation immédiate de la réglementation à l'évolution
des connaissances scientifiques, sans compter que la reproduction dans
la loi de l'intégralité des directives aboutirait à alourdir indûment le
texte légal, et en compromettrait une lecture aisée. Toute modification,
même mineure, des directives nécessiterait alors une modification
législative. Sous l'angle de la légalité, il suffit que les directives en
question, publiées, soient accessibles. Les hésitations de la doctrine
ne sont pas de nature à remettre en cause la jurisprudence admettant,
dans ce domaine spécifique, le renvoi aux directives de l'ASSM.

    ee) Cela étant, il n'appartient pas au Tribunal fédéral de s'immiscer
dans la controverse scientifique relative à l'adéquation des critères
permettant d'établir le décès, en particulier quant au délai de six
heures qui doit s'écouler entre les deux diagnostics. Les critiques du
recourant ne portent d'ailleurs pas sur ce point. Il suffit de constater
ici que les directives de l'ASSM sont suffisamment précises pour que
le particulier puisse comprendre la notion de la mort à laquelle le
législateur a entendu se référer dans la loi attaquée. Ces directives,
auxquelles plusieurs législations cantonales renvoient de manière générale
ou spécifique (par ex. AR, BE, BL, GE, LU, OW, TI, ZH), expriment le
consensus de la communauté médicale scientifique de Suisse et sont très
respectées par les membres de la profession; dans leur teneur actuelle
elles paraissent en outre - compte tenu de la retenue que doit observer
le juge constitutionnel dans ce domaine - correspondre aux conditions
posées aujourd'hui par le droit constitutionnel (cf. ATF 98 Ia 508
consid. 4 s'agissant de l'admissibilité du critère de la mort cérébrale,
en fonction des directives de l'époque).

    Il convient certes de réserver le cas d'un changement important que
subiraient les directives auxquelles il est renvoyé; dans un tel cas
en effet, la réglementation adoptée par le législateur genevois sur la
base d'un texte déterminé pourrait se trouver fondamentalement modifiée,
sans intervention de l'organe législatif. Le renvoi perdrait alors sa
légitimité, et avec elle sa validité. Une telle hypothèse ne suffit
toutefois pas pour nier l'admissibilité du procédé lorsque, comme
ici, il apparaît nécessaire, dans l'intérêt immédiat de la personne
concernée, d'adapter régulièrement les techniques de diagnostic de la
mort cardio-circulatoire ou cérébrale, afin d'obtenir, lors du second
diagnostic, la certitude scientifique la plus élevée possible qu'il est
indispensable d'atteindre en prévision d'un éventuel prélèvement d'organes.

    ff) On ne saurait non plus soutenir, comme le fait le recourant,
que l'art. 3 al. 2 de la loi serait imprécis en ce qui concerne le
délai d'opposition de six heures à disposition des proches. Ce délai
commence à courir au moment du premier diagnostic de la mort, telle
que définie par les directives précitées de l'ASSM, soit à partir du
premier diagnostic de l'arrêt irréversible des fonctions cardiaques ou
cérébrales. La consultation des proches coïncide avec la durée minimale
(6 heures) qui doit séparer les deux évaluations cliniques séparées,
afin de permettre de poser avec certitude le diagnostic de mort cérébrale
en vue d'un prélèvement d'organes (II, ch. 3.2). En effet, "avant qu'un
prélèvement d'organe ne soit autorisé, toute possibilité de retour à la
vie doit être exclue (...)". La seconde évaluation après l'intervalle
exigé permet, dans le cas de la mort cérébrale, d'obtenir la certitude
nécessaire en prévision d'éventuels prélèvements d'organes. Une garantie
supplémentaire est encore donnée sur ce point par les directives, qui
exigent que l'équipe médicale qui pose le diagnostic de la mort soit
différente de celle qui effectue la transplantation.

    d) Il découle de ce qui précède que les reproches d'imprécision que
le recourant adresse à l'art. 3 de la loi ne sont pas fondés. En effet,
le niveau de précision de l'art. 3 répond aux exigences du principe de la
légalité, dans un domaine aussi délicat que celui des transplantations
d'organes. Les justiciables visés par la loi, soit les personnes ayant
eu leur dernier domicile légal dans le canton de Genève au moment de
leur mort, ainsi que leurs proches (art. 3, al. 2, 1ère phrase de la
loi attaquée), pourront - du moins après la mise en place nécessaire de
la politique d'information (cf. ci-dessous consid. 9c) prévoir avec un
degré raisonnable de précision les conséquences de la norme pour eux,
et adapter leur comportement en conséquence.

Erwägung 8

    8.- Intérêt public

    Le recourant conteste l'existence en l'espèce d'un intérêt public
prépondérant, justifiant la réglementation attaquée. Il s'en prend ainsi
au système même du consentement présumé tel qu'il découle de l'art. 3 de
la loi. Cet intérêt public est néanmoins clairement établi en l'espèce.

    a) Lors des travaux préparatoires qui ont conduit à la loi du 28 mars
1996, il a été longuement insisté sur la légitimité du don d'organes et la
nécessité de mettre fin à une insécurité juridique dans un domaine certes
délicat et sensible, mais qui intéresse la population dans son ensemble. En
l'absence de législation fédérale, l'option d'une loi cantonale s'est
imposée, non seulement pour favoriser les dons d'organes, mais aussi pour
éviter et réprimer tout excès et abus pouvant résulter d'une pénurie et
d'un trafic d'organes. Le législateur cantonal a également tenu compte de
ce que la transplantation d'organes est susceptible de sauver des vies
humaines et d'améliorer considérablement la qualité de vie des malades
qui bénéficient de greffes. Ainsi, dans l'exposé des motifs précité du
projet de loi à l'origine de la loi attaquée, il est relevé que si le
nombre des transplantations en Suisse a légèrement augmenté au cours de
ces dernières années (en raison de l'augmentation du nombre de donneurs
multi-organes et des progrès des équipes de prélèvement), on constate,
à l'inverse, une nette baisse du nombre total de donneurs, qui, après
avoir culminé à 151 en 1986, n'a depuis lors cessé de diminuer, passant
à 111 en 1994 pour tomber à 91 en 1995, et à 88 en 1996.

    b) Le législateur genevois a également tenu compte d'une étude menée
en 1994 à Zurich, qui montre que si 77% des citoyens acceptaient le don
d'organes après une information adéquate, seul le 11% de la population
suisse serait porteur d'une carte de donneur (voir "La disponibilité
au don d'organes en Suisse", Bulletin des Médecins suisses, 6 septembre
1995). La baisse du nombre de donneurs a eu pour conséquence d'augmenter
le nombre des patients en liste d'attente (dont le nombre a progressé,
en ce qui concerne les transplantations rénales en Suisse, de 270 en
1987 à 386 en 1993), et de provoquer la mort de nombreux autres patients
en attente d'un organe vital (coeur et foie en particulier). Au début
1997, 464 personnes se trouvaient en Suisse dans l'attente d'un organe
à transplanter, alors que 43 patients sont décédés en 1996 faute d'un
organe disponible (Rapport d'activité 1996 de la Centrale de coordination
de transplantation Swisstransplant, Genève 1997, p. 37 ss, 54 ss).
Cette situation a augmenté la tendance, considérée à juste titre comme
inacceptable par le législateur genevois, d'inciter les patients les
plus aisés à recourir "à un tourisme médical ignoble vers les pays où la
transplantation est plus facile" (Mémorial 1996, p. 1386-1388).

    c) Un autre élément qui semble avoir joué un rôle décisif dans le
choix législatif genevois est celui des problèmes psychologiques liés à
l'obtention du consentement des proches immédiatement après un décès causé
notamment par un accident. L'annonce du décès d'un être cher, doublée de la
demande presque simultanée de l'autorisation de procéder à un prélèvement
d'organe, "constituent une épreuve que peu de gens sont en mesure de
supporter"; elle n'est guère compatible avec le lent processus de deuil
qui doit conduire à l'acceptation et à l'adaptation à la réalité de la
perte d'un proche (voir, à ce propos, ATF 101 II 177 consid. 5d p. 194,
et SCHÖNING, op.cit. p. 80 ad note 172). Or, relève encore l'exposé des
motifs précité, il n'est pas rare que certaines familles, après avoir pu
faire face au deuil qui les frappe, expriment le regret de n'avoir pas
consenti au don d'organe.

    d) C'est l'ensemble de ces considérations qui a incité le législateur
genevois à introduire, en matière de prélèvement d'organes, la notion de
consentement présumé se trouvant au coeur de la loi attaquée. En faisant
ce choix, il a entendu respecter la liberté du donneur de s'opposer
de son vivant à un prélèvement, et la possibilité de ses proches de le
faire immédiatement après le décès. Il a tenu compte de l'existence de
ce système dans la législation d'autres pays (p. ex. Autriche, Espagne,
Finlande, France, Grèce, Italie, Portugal; voir GERMAINE MORAND et
DOMINIQUE SPRUMONT, Pour une approche juridique globale, in MARCO BORGHI
et DOMINIQUE SPRUMONT, op.cit., p. 29-105, 35) et dans la moitié des
cantons suisses (cf. supra consid. 6c).

    e) Le recourant fait grand cas des considérations, émises dans
les travaux préparatoires, relatives aux économies que certaines
transplantations (rénales en particulier) permettent de réaliser par
rapport à un traitement ordinaire: il n'y voit pas un intérêt public
suffisant. Il perd toutefois de vue qu'il ne s'agit que de considérations
accessoires, la loi attaquée étant essentiellement fondée sur l'existence
de l'intérêt public fondamental à la sauvegarde des vies humaines et à
l'allégement des souffrances de patients.

Erwägung 9

    9.- Proportionnalité; devoir d'information

    Le recourant estime encore que la loi attaquée violerait le principe
de la proportionnalité, en ce sens qu'il existerait d'autres moyens
(une meilleure politique d'information par exemple) pour parvenir à
l'augmentation du nombre des transplantations d'organes. Le recourant
ne conteste toutefois pas que la norme soit adéquate pour atteindre le
but visé.

    a) aa) Selon le rapport précité de l'OMS relatif à la transplantation
d'organes humains (Commentaires sur le principe directeur 1 de la
Résolution WHA 44.25 de 1991, p. 10), il convient de distinguer entre
deux systèmes principaux sur la question centrale du consentement au
prélèvement d'organes de personnes décédées. Le premier est le système
du "consentement explicite" (opting in/contracting in), par lequel une
personne déclare expressément, de son vivant, accepter le prélèvement de
ses organes après sa mort, ou par lequel un membre approprié de la famille
exprime son approbation lorsque le défunt ne laisse aucune déclaration
ou autre indication allant en sens contraire. Le second est le système du
"consentement présumé" (opting out/contracting out) qui consiste à admettre
que les organes peuvent être prélevés aux fins de transplantation sur
le corps d'une personne décédée, à moins qu'elle ne s'y soit opposée
de son vivant ou, éventuellement, que les proches n'aient indiqué au
moment opportun qu'elle s'opposait à ce que les organes soient prélevés
sur son corps après sa mort. Que l'on adopte le système du consentement
explicite ou celui du consentement présumé, le prélèvement posthume
d'organes sera exclu s'il existe une déclaration ou d'autres indications
adéquates par lesquelles une personne s'y oppose. Quand rien n'indique
qu'une personne décédée s'opposait à un prélèvement posthume, le système
du consentement explicite exige normalement qu'un membre approprié de la
famille donne son consentement au prélèvement d'organe. Dans le système
du consentement présumé, cela n'est pas nécessaire, mais des membres de
la famille peuvent faire part de l'opposition du défunt ou de leur propre
opposition à un prélèvement.

    bb) La doctrine suisse et allemande distingue encore d'autres
possibilités de réglementation dans le domaine des prélèvements
d'organes. Entre la solution de la pure opposition (Widerspruchslösung) et
celle du consentement explicite (Einwilligungslösung, Zustimmungslösung)
de l'intéressé et de ses proches (ECKHARD NAGEL/PETRA SCHMIDT,
Transplantation, Leben durch fremde Organe, Berlin/Heidelberg 1996,
p. 46-47), elle distingue diverses formes intermédiaires telle la
solution dite de l'information (Informationslösung), qui consacre un
droit d'opposition, tout en exigeant que leurs titulaires en soient
préalablement et concrètement informés (Höfling, Rechtsfragen der
Transplantationsmedizin, RJB 1996 p. 787-807, 802; voir aussi les autres
modèles décrits par SCHÖNING, op.cit. p. 78-89, et par WINFRIED KLUTH
et BIRGIT

SANDER, Verfassungsrechtliche Aspekte einer Organspendepflicht, Deutsches
Verwaltungsblatt 111/1996 p. 1285-1293, 1291).

    b) A ce stade, le droit international laisse sur ce point une grande
liberté aux Etats; les textes pertinents précités admettent en particulier
le système du consentement présumé pour les prélèvements d'organes aux
fins de transplantations sur le corps de personnes décédées (consid. 4d;
voir, plus spécifiquement, l'art. 10 ch. 2 de la Résolution WHA (78) 29 du
Conseil de l'Europe, et le principe directeur 1 let. b de la Résolution
WHA 44.25 du 13 mai 1991 de l'OMS, textes reproduits par SCHÖNING,
op.cit. p. 306 et 303).

    aa) Du strict point de vue de la liberté personnelle et du droit à
se déterminer personnellement sur le sort de sa dépouille, la solution
du consentement explicite est certainement la plus satisfaisante,
puisqu'elle permet d'exclure avec certitude tout prélèvement d'organe
qui ne correspondrait pas à la volonté de l'intéressé (SCHÖNING,
op.cit. p. 80 et les références citées; HÖFLING, op.cit. RJB 1996 p. 803
ss). Toutefois, comme on l'a vu, la liberté personnelle des intéressés
ne peut pas être considérée isolément; elle doit être mise en balance,
notamment, avec l'intérêt privé des personnes en attente d'une greffe,
attente qui participe de l'intérêt plus général lié au droit à la vie et à
l'amélioration des conditions d'existence des malades. Or, le législateur
genevois a considéré que la solution jusqu'alors en vigueur pouvait avoir
pour conséquence l'impossibilité de prélèvements dans de nombreux cas
où les intéressés n'auraient pourtant pas manifesté d'opposition. Cette
solution obligeait par ailleurs à solliciter une autorisation, démarche
souvent ressentie, par le malade ou ses proches, comme une agression grave
(ATF 101 II 177 consid. 5d p. 195; JÖRG PAUL MÜLLER, Recht auf Leben,
Persönliche Freiheit und das Problem der Organtransplantation, ZSR 1971
I 457-478, 472).

    bb) Le modèle du consentement présumé permet de supposer, en l'absence
d'une manifestation contraire, que l'intervention sur un cadavre en vue
d'une transplantation d'organes a été approuvée.

    Le Tribunal fédéral a déjà admis qu'une telle réglementation était
"raisonnable" et conforme à la liberté personnelle (ATF 98 Ia 508):
les transplantations doivent être effectuées dans un délai relativement
court, de sorte que l'exigence d'un consentement explicite peut dans
certains cas engendrer d'importantes difficultés pratiques lorsque, le
défunt n'ayant pas laissé de déclaration de volonté, il faut entreprendre
de longues recherches pour déterminer qui sont ses proches et obtenir
leur consentement. L'exigence du consentement explicite paraît aussi
discutable du point de vue de la protection de la personnalité, car
le fait de solliciter une déclaration de volonté d'un malade, voire
d'un mourant ou de ses proches, et d'évoquer ainsi l'idée d'une mort
prochaine, peut représenter une atteinte grave à la sphère personnelle
protégée. Une telle démarche peut en outre provoquer une contrainte
psychique excessive sur l'être humain qui, de ce fait, peut ne plus se
trouver en mesure de prendre une décision raisonnable. Enfin, il faut tenir
compte du fait que certaines personnes ne désirent absolument pas être
interrogées sur le sort de leur cadavre, sans être pour autant opposées
à un prélèvement d'organe. Compte tenu de l'ensemble des intérêts en jeu,
il paraît justifié, selon l'arrêt précité, de renoncer à l'exigence d'une
autorisation expresse et d'admettre un simple droit d'opposition; une telle
concrétisation de la protection constitutionnelle de la personnalité ne
pose pas de problème pour autant qu'elle soit portée à la connaissance
des personnes virtuellement ou concrètement concernées, de telle manière
que leur droit d'opposition soit effectif; dans le cas soumis alors au
Tribunal fédéral, l'ordonnance attaquée satisfaisait à cette exigence,
car, même si elle était muette sur la manière d'informer les personnes
concernées, il fallait compter sur une application de ces dispositions qui
soit respectueuse des droits de la personnalité et partir du point de vue
que les intéressés seraient, autant que possible, informés de leur droit
d'opposition; pour l'essentiel, la publication de l'acte attaqué dans la
feuille des avis officiels, et sa parution au recueil officiel des lois,
en assuraient une diffusion suffisante, sous réserve de cas exceptionnels
(consid. 8c p. 524-526).

    c) Ces considérations conservent, pour l'essentiel, toute leur
pertinence, et il n'y a pas de raison d'y revenir en l'espèce, du moins
pour ce qui concerne l'admissibilité de principe du système du consentement
présumé tel qu'adopté par le législateur genevois. Il convient toutefois
d'apporter les deux précisions suivantes, la première sur la prise en
considération de la liberté personnelle du receveur potentiel, la seconde,
capitale, sur le devoir d'information.

    d) Au chapitre de l'examen de la proportionnalité de l'ingérence
étatique que représente, pour le donneur potentiel d'organes, le système
du consentement présumé, on ne saurait faire abstraction de la liberté
personnelle du receveur potentiel. En effet, même si elle reste anonyme,
toute opération de transplantation crée des liens idéaux de solidarité
entre la personne récemment décédée et le patient en attente d'un
organe. Envisagée sous l'angle de l'art. 8 CEDH, l'ingérence de l'Etat
sous l'autorité duquel est prélevé, en vue d'une transplantation, un
organe sur une personne décédée, n'a de justification que si, prévue
par la loi, elle répond pleinement au respect de la dignité humaine du
donneur (voir ci-dessus consid. 4b et c), et constitue, dans l'optique du
receveur potentiel, une mesure nécessaire, dans une société démocratique,
à la protection de sa "santé", et à la protection de ses "droits" et
"libertés", à commencer - s'il est en danger de mort - par son droit à
la vie et son droit à jouir du meilleur état de santé physique ou mentale
qu'il soit capable d'atteindre (voir en particulier les art. 2 et 3 CEDH
et l'art. 12 du Pacte ONU I, ainsi que les autres dispositions citées
ci-dessus, consid. 4d/aa). La liberté personnelle du receveur potentiel
doit toutefois être contenue dans d'étroites limites. En particulier, il
est exclu que, même en cas d'urgence ou de danger de mort du receveur,
la garantie de la liberté personnelle de ce dernier l'emporte sur
celle du donneur, laquelle doit toujours avoir la priorité (contra:
Andreas Bucher, Personnes physiques et protection de la personnalité,
3ème éd., Bâle 1995, no 538; voir Andreas Auer, Rapport suisse présenté
au Colloque international tenu à Paris les 6 et 7 février 1997 sur le
thème "Constitution et bioéthique", destiné à la publication, par. 81,
qui laisse la question ouverte).

    e) L'information du public constitue, dans ce domaine extrêmement
sensible qui touche aux convictions profondes de chaque individu, un
élément essentiel sans lequel le système du consentement présumé perd sa
légitimité. A cet égard, la simple publication de la norme au moment de
son adoption, puis sa parution au recueil officiel, n'apparaissent pas
comme des mesures suffisantes à elles seules. En d'autres termes, on ne
saurait inférer du silence de l'intéressé qu'il consent à un prélèvement
d'organes, s'il n'a pas été suffisamment informé que son silence pouvait
être interprété comme un consentement. Le justiciable peut en effet, à
défaut d'une information contraire, partir légitimement de l'idée qu'il est
totalement maître du sort de son corps après décès et que, par conséquent,
toute utilisation de sa dépouille n'est possible qu'avec son consentement
préalable explicite. Le passage du consentement explicite au consentement
présumé n'est dès lors envisageable qu'à condition d'être accompagné
de mesures d'information spécifiques et adéquates de la population.
Ce devoir s'étend par ailleurs, dans les cas concrets, aux indications qui
doivent être données aux proches, afin qu'ils puissent, eux aussi, décider
librement de la portée de leur silence. On doit par conséquent distinguer
entre le devoir d'information au sens large (politique d'information,
ci-dessous aa), et le devoir d'informer, au sens étroit (information des
proches, ci-dessous bb).
   aa) Information au sens large; politique d'information

    Manifestement, le législateur genevois s'est rendu compte de la
nécessité d'une meilleure information du public relative aux dons
d'organes. Il a adopté à cet effet, en même temps que la loi attaquée,
une "motion" (dépourvue d'effet obligatoire) invitant le Conseil d'Etat à
"mettre en place un système d'information destiné aux donneurs potentiels,
aux receveurs et aux soignants, permettant d'optimaliser les prises
de décision des sujets, de leurs proches et du personnel soignant",
cette information devant être conçue "comme une aide à la décision", en
tenant compte du fait que le don d'organe est "un geste exceptionnel de
solidarité sociale et d'altruisme (qui) s'attache à la valorisation de
ce don" (Mémorial 1996, p. 1458). Le législateur a toutefois considéré
qu'une meilleure information constituait un moyen inadéquat, à lui
seul, pour résoudre dans l'immédiat et concrètement le problème du
manque d'organes et celui de l'augmentation correspondante des listes
d'attente. Il a donc cherché à s'attaquer au noeud juridique du problème:
celui de la substitution du consentement présumé (par l'obligation de
faire opposition au prélèvement) au système antérieur du consentement
exprès qui, dans la pratique, faisait souvent échec à des dons d'organes
qui auraient été consentis en d'autres circonstances.

    Le législateur genevois n'a dès lors pas méconnu la nécessité des
mesures d'information générale, mais il a estimé que ces mesures -
dont l'impact immédiat ne peut être apprécié a priori - devaient être
doublées d'un changement de régime juridique, propre à faciliter le don
d'organes. Compte tenu de l'importance de l'intérêt public en jeu, et en
particulier de l'urgence que peut représenter la situation de pénurie,
on ne saurait y voir une violation du principe de la proportionnalité. Il
convient néanmoins d'insister, ici également, sur la nécessité d'une
diffusion large de la nouvelle réglementation, non seulement dans le
cadre des établissements médicaux, mais aussi auprès de l'ensemble de la
population. La seule publication officielle est à cet égard insuffisante,
et il conviendra de faire en sorte que la population soit, dans son
ensemble, directement informée. Cette information devra par ailleurs
être régulièrement renouvelée, puisque la présomption instaurée par la
loi s'étend à toute personne nouvellement domiciliée dans le canton. On
peut certes regretter que cette politique d'information ne soit consacrée
qu'implicitement dans la loi. Sur ce point, le texte de la loi genevoise
présente une lacune que le juge constitutionnel peut combler dans le cadre
de son interprétation conforme (consid. 2a): il appartiendra au Conseil
d'Etat de prévoir des mesures adéquates dans l'élaboration du règlement
d'application prévu à l'art. 5 de la loi (consid. 2c), qui doit être
rapidement adopté.
   bb) Information des proches

    Le recourant critique enfin l'absence d'obligation, dans la loi,
de rechercher les proches en vue de recueillir leur consentement. Sur ce
point également, l'argumentation tombe à faux. La volonté du législateur
genevois, exprimée à l'art. 2 al. 1 de la loi, de respecter les exigences
des organismes faîtiers suisses tant de la transplantation que de l'éthique
médicale, traduit son souci de mettre au premier plan l'éthique de la
transplantation. Or, selon les Directives médico-éthiques précitées de
l'ASSM de 1995, l'obligation d'informer les personnes les plus proches
du donneur de la possibilité et du mode de prélèvement d'organes,
ainsi que l'obligation d'en expliquer le déroulement, font partie de ces
règles éthiques. Il y a donc une obligation, pour le personnel médical,
de rechercher et d'informer concrètement les proches, du moins tant
que la volonté de l'intéressé n'a pas pu être recueillie. Il découle de
cette obligation que si les proches n'ont pas pu être atteints et que la
volonté de l'intéressé n'est pas connue, aucun prélèvement aux fins de
transplantation ne pourra être effectué. En revanche si, dûment informés,
les proches renoncent à se déterminer, le personnel médical pourra inférer
de ce silence éclairé l'existence d'une approbation implicite à un tel
prélèvement. Cette obligation d'informer n'est pas sans incidence non
plus du point de vue du droit civil, car un prélèvement d'organe effectué
sans que les proches n'aient été recherchés serait de nature à engager
la responsabilité de ses auteurs (cf. ATF 101 II 177 consid. 5 p. 190).

    En rédigeant son règlement d'application, le Conseil d'Etat devra
expressément rappeler l'existence, la portée et les sanctions attachées
à ce devoir d'information des proches, devoir qui ne figure, lui aussi,
qu'implicitement dans la loi.

    f) La loi cantonale ne consacre donc pas, comme le redoute le
recourant, le système de l'opposition dans son acception la plus stricte;
elle peut au contraire être comprise comme imposant un devoir d'information
générale et spécifique. Cette interprétation peut s'appuyer sur la volonté
clairement exprimée par le législateur et, à plusieurs égards, sur le
texte même de la norme: le renvoi aux règles d'éthique implique le devoir
d'informer, et l'application de la loi aux seules personnes domiciliées
dans le canton s'explique par la volonté de mettre sur pied une politique
cantonale d'information. Compte tenu de ces mesures d'information,
dont les modalités devront encore être explicitement précisées dans le
règlement du Conseil d'Etat, la loi peut être interprétée conformément
à la Constitution sans trahir la volonté de son auteur (cf. ATF 109 Ia
273 consid. 12c p. 301).

Erwägung 10

    10.- Egalité devant la loi; art. 4 al. 1 Cst.

    a) Le recourant s'en prend ensuite à l'art. 3 al. 3 de la loi,
selon lequel la règle du consentement présumé "s'applique en cas de
décès de toute personne ayant son domicile légal dans le canton au
moment de sa mort. A défaut, la législation du lieu de domicile du
défunt s'applique". Il y voit une violation manifeste de la garantie de
l'égalité de tous devant la loi, inscrite à l'art. 4 al. 1 Cst. Plus
particulièrement, le recourant trouve choquant que l'on puisse restreindre
davantage la liberté personnelle d'une personne domiciliée dans le canton
de Genève que celle de Confédérés y séjournant ou de ressortissants de
pays tiers soumis au régime du consentement explicite.

    b) Selon la jurisprudence, le principe de l'égalité de traitement ne
permet pas de faire de distinctions qu'aucun fait important ne justifie, ou
de soumettre à un régime identique des situations de fait qui présentent
entre elles des différences importantes, de nature à impliquer un
traitement différent (ATF 120 III 147 consid. 4c). En l'espèce, on ne
saurait reprocher à la loi de ne pas faire les distinctions objectives
que requiert le traitement de situations de fait différentes. Seules les
personnes ayant leur domicile légal dans le canton de Genève pourront
être concrètement touchées par les mesures d'information que l'Etat devra
mettre en place; seules celles-ci pourront être présumées consentantes à un
prélèvement d'organes. Par ailleurs, compte tenu de la brièveté des délais
utiles, on ne saurait contester qu'il est objectivement plus difficile,
pour les autorités genevoises, d'entrer en contact avec les proches
d'une personne qui n'est pas domiciliée dans le canton (dans ce sens,
ATF 98 Ia 508 consid. 8c p. 525/526). Il est dès lors légitime que le
législateur genevois ait voulu d'emblée exclure toute difficulté pratique
et juridique qui découlerait inévitablement de prélèvements effectués
sur des personnes étrangères au canton (sur ces problèmes complexes, voir
SCHÖNING, op.cit. p. 196-200). Il faut rappeler ici l'option législative
de base du Grand Conseil genevois, qui, dans l'attente d'une législation
fédérale fondée sur des principes valables pour l'ensemble de la Suisse,
a volontairement renoncé à appréhender l'ensemble des problèmes posés
par les prélèvements aux fins de transplantations, pour se concentrer
sur la résolution des problèmes pratiques les plus immédiats. Le grief
doit donc être écarté.

    c) Le recourant voit enfin une dernière atteinte à l'égalité
de traitement dans l'art. 2 al. 3 de la loi, selon lequel "Dans les
établissements publics médicaux, ils [les prélèvements] se déroulent dans
les divisions communes". Il interprète cette disposition comme facilitant
les transplantations sur les personnes socialement défavorisées, par
opposition aux patients hospitalisés dans des divisions privées.

    d) Le recourant part, à tort, de la prémisse que les possibilités de
transplantation sont fonction du régime hospitalier auquel le patient est
soumis. Les travaux préparatoires de la loi permettent de dissiper cette
crainte. En réponse à diverses interventions parlementaires, le rapporteur
de la Commission a en effet expliqué que le choix de concentrer les
transplantations en division commune découlait de la volonté de résoudre
ainsi le problème des gains accessoires des professeurs effectuant des
transplantations en division privée, avec les frais supplémentaires qui
en découlent. Le rapporteur a indiqué clairement vouloir "éviter les
dérapages" consécutifs au risque que les intérêts privés de professeurs
passent avant les intérêts généraux de la population (Mémorial 1996,
p. 1443-1445). La gratuité est en effet une composante essentielle
du don d'organes, propre à prévenir les risques d'abus (cf. BORGHI,
op.cit. p. 9-13; SCHÖNING, op.cit. p. 270-279; voir également les
"principes directeurs" 5 à 9 de la Résolution de 1991 de l'OMS; les art. 8
et 9 de la Résolution (78) 29 du Conseil de l'Europe; et l'art. 21 de la
Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine de 1997).

    e) Le système instauré par la loi de 1996 n'engendre aucune
discrimination entre les patients des divisions privées et ceux qui
séjournent dans les divisions communes. Selon les art. 2 et 3 de la loi,
si une transplantation est décidée pour un patient privé, l'opération
elle-même s'effectue dans les divisions communes. Il en va bien entendu
de même pour les patients séjournant dans ces divisions communes. Le
texte légal doit ainsi être compris en ce sens que tant le prélèvement
d'organe que la transplantation ont lieu dans les divisions communes, et
l'art. 2 al. 3 remplit donc précisément un objectif d'égalité. Lors des
débats parlementaires, le président du Conseil d'Etat genevois a relevé
que telle est la règle de l'ensemble des hôpitaux universitaires suisses
et que l'introduction de cet alinéa 3 a été décidée en vue d'"enlever
toute coloration d'honoraires à ce qui doit rester un don, y compris
dans la prestation faite par le corps médical et le corps soignant"
(Mémorial 1996, p. 1446). La loi genevoise ne consacre dès lors aucune
discrimination injustifiée.

Erwägung 11

    11.- Résumé; conclusions, frais

    Sur le vu de ce qui précède, il apparaît en résumé que la loi
attaquée constitue une base légale suffisamment claire pour permettre
aux particuliers de comprendre le sens et la portée de la nouvelle
réglementation, et d'adapter leur comportement en conséquence. Le renvoi
aux directives de l'ASSM, à propos de la définition du diagnostic de la
mort, n'apparaît pas critiquable (consid. 7c), et la lecture du texte
légal permet d'écarter le grief d'imprécision que le recourant soulève,
tant à l'égard du système du consentement présumé qu'à l'égard d'autres
points (définition du cercle des proches, délai de six heures pour former
opposition, subsidiarité du consentement des proches, consid. 7b).
La réglementation attaquée repose sur un intérêt public suffisant
(consid. 8); elle respecte le principe de la proportionnalité, pour autant
que la politique d'information projetée soit mise en place et que le
devoir d'informer au sens étroit soit dûment précisé et concrétisé; la loi
se prête, sur ce point, à une interprétation conforme à la Constitution
(consid. 9). Il appartiendra toutefois au Conseil d'Etat de fixer, dans
le règlement prévu à l'art. 5 de la loi, les modalités de la politique
générale d'information à mettre en place, dans l'intérêt complémentaire
des donneurs potentiels, de leurs proches, des receveurs potentiels et
du personnel soignant; ce règlement devra aussi définir l'existence,
la portée et les sanctions attachées au devoir spécifique d'information
des proches (consid. 9e). Enfin, la réglementation attaquée ne porte pas
atteinte au principe de l'égalité de traitement (consid. 10).

    Compte tenu de l'importante réserve dont le présent arrêt est assorti -
dans le sens d'une précision de jurisprudence - sur la question essentielle
de l'information, le recours de droit public doit en l'espèce être rejeté
au sens des considérants.