Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 123 II 425



123 II 425

45. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 24 juin 1997 dans
la cause Etat de Vaud contre T. (recours de droit administratif) Regeste

    Hilfe an Opfer von Straftaten; Art. 103 OG.

    Zusammenfassung der Grundsätze über die Beschwerdeberechtigung von
öffentlichrechtlichen Körperschaften (E. 2 und 3).

    Der Kanton ist nicht zur Verwaltungsgerichtsbeschwerde gegen einen
kantonalen Entscheid legitimiert, der sich auf das OHG stützt und ihn
zur Zahlung einer Entschädigung an das Opfer einer Straftat verpflichtet
(E. 4).

Sachverhalt

    A.- T. est propriétaire d'une maison de deux appartements à V.; il
occupe lui-même, avec sa famille, l'appartement situé à l'étage supérieur
de l'immeuble. Il loue l'appartement du rez-de-chaussée à M.

    Le 25 mars 1993 vers 2h30, un incendie se déclare dans l'appartement du
rez-de-chaussée. T., sa femme et son fils sortent de la maison. Constatant
que son locataire est demeuré dans l'immeuble, T. s'introduit, pour lui
porter secours, dans l'appartement du rez-de-chaussée encore en flammes. Il
est brûlé sur environ 30% de la surface corporelle. Hospitalisé une dizaine
de jours, il souffre durant plusieurs mois des séquelles physiques de ses
blessures; il doit en outre suivre quelques séances de psychothérapie,
se montre anxieux et prend aujourd'hui encore des tranquillisants.

    Par jugement du 19 avril 1994, le Tribunal de police du district
d'Orbe a condamné M. à quinze jours d'emprisonnement avec sursis,
pour incendie par négligence. Selon le jugement, M. faisait l'objet de
nombreuses poursuites et d'actes de défaut de biens.

    En mars 1995, T. a réclamé à l'Etat de Vaud l'octroi d'une somme de
15'000 fr. à titre de réparation morale. Statuant en première instance, le
Président du Tribunal civil du district d'Orbe a rejeté la demande. Selon
lui, les lésions subies par T., quoique graves, n'étaient pas en relation
de causalité adéquate avec l'infraction commise par M.

    Par arrêt du 26 juin 1996, la Chambre des recours du Tribunal cantonal
vaudois a réformé le jugement; elle a admis partiellement l'action de T.,
déclarant l'Etat de Vaud débiteur de T. de la somme de 8'000 fr. T. avait
rendu vraisemblable qu'il ne pouvait rien recevoir de tiers, notamment
en raison de la situation financière de l'auteur de l'infraction. Les
lésions dont il avait été victime constituaient une atteinte grave au
sens de l'art. 12 al. 2 LAVI (RS 312.5), et il convenait d'admettre que
ces lésions étaient en relation de causalité adéquate avec l'infraction
commise par M. Le Tribunal cantonal a également estimé que le comportement
exemplaire de T. était une circonstance particulière, au sens de l'art. 12
al. 2 LAVI, qui justifiait l'allocation d'une réparation morale qu'il a
fixée, ex aequo et bono, à 8'000 fr.

    Agissant par la voie du recours de droit administratif, l'Etat de
Vaud, représenté par son Conseil d'Etat, invite le Tribunal fédéral à
annuler l'arrêt du Tribunal cantonal et à renvoyer le dossier à l'autorité
inférieure afin qu'elle rende une nouvelle décision refusant à T. toute
indemnité.

    Le Tribunal fédéral a déclaré le recours irrecevable.

Auszug aus den Erwägungen:

                   Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- La qualité pour former un recours de droit administratif se
détermine selon l'art. 103 OJ. Selon la lettre a de cette disposition,
a qualité pour recourir quiconque est atteint par la décision attaquée
et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou
modifiée. L'art. 103 lettre b OJ permet à l'administration fédérale
de recourir, notamment contre des décisions de dernière instance
cantonale. L'art. 103 lettre c OJ confère en outre la qualité pour recourir
à toute autre personne, organisation ou autorité, à laquelle la législation
fédérale accorde le droit de recours.

    a) Le canton recourant ne peut se prévaloir de l'art. 103 lettre b OJ,
qui ne concerne que les autorités fédérales.

    b) A la différence d'autres lois fédérales (art. 12 LPN, art. 56 al. 2
et 57 LPE, art. 34 al. 2 LAT, art. 3 al. 4 LCR), la LAVI ne reconnaît
pas aux collectivités publiques la qualité pour interjeter un recours de
droit administratif contre une décision cantonale prise en application de
cette loi. Comme il le reconnaît lui-même, le canton recourant ne saurait
par conséquent fonder sa qualité pour agir sur l'art. 103 lettre c OJ.

Erwägung 3

    3.- Ce silence du législateur ne signifie pas encore que la
collectivité publique soit privée de toute qualité pour agir: il convient
en effet de rechercher si le canton recourant peut fonder cette qualité
sur l'art. 103 lettre a OJ, autrement dit s'il peut faire valoir un
"intérêt digne de protection" à l'annulation ou à la modification de
l'arrêt entrepris (ATF 122 II 382 consid. 2c).

    En effet, même si l'art. 103 lettre a OJ ne concerne en principe
pas les autorités ou les collectivités de droit public, la jurisprudence
reconnaît exceptionnellement à ces dernières la qualité pour agir. Elle
recourt pour ce faire à plusieurs critères.

    a) La qualité pour former un recours de droit administratif est
reconnue à la collectivité publique lorsqu'elle est touchée, par la
décision attaquée, directement et de la même manière qu'un particulier,
dans sa situation matérielle ou juridique (ATF 122 II 33 consid. 1b
p. 36; 118 Ib 614 consid. 1b p. 616; 112 Ib 128 consid. 2 p. 130; 110
Ib 197 consid. 1; 108 Ib 167 consid. 2a p. 169; 99 Ib 211 consid. 4 p.
213/214). Tel est notamment le cas lorsqu'elle agit pour la sauvegarde
de son patrimoine administratif ou financier, par exemple lorsqu'elle
recourt pour éviter le paiement d'une indemnité d'expropriation, car
elle fait alors figure de propriétaire (ATF 103 Ib 216; GRISEL, Traité de
droit administratif, Neuchâtel 1984 p. 905; ATF 122 II 33 concernant la
pose de fenêtres antibruit; dans ce dernier cas, le canton, destinataire
de la décision et propriétaire d'une route, était touché au même titre
qu'un propriétaire d'ouvrage).

    b) La jurisprudence reconnaît aussi la qualité pour recourir à la
collectivité qui, agissant dans le cadre de la puissance publique, est
touchée dans son autonomie et dispose d'un intérêt digne de protection à
l'annulation ou à la modification de la décision attaquée, par exemple en
tant que créancière d'un émolument (ATF 119 Ib 389 consid. 2e p. 391),
bénéficiaire d'une subvention (ATF 122 II 382 consid. 2b p. 383),
titulaire d'une compétence en matière de police des constructions
(ATF 117 Ib 111 consid. 1b p. 113), lorsqu'elle prévoit de créer une
installation sportive ou une décharge, ou lorsqu'elle ordonne des mesures
de protection des eaux. La doctrine parle dans ce contexte d'un "intérêt
juridique qualifié" (voir GYGI, Zur Beschwerdebefugnis des Gemeinwesens
in der Bundesverwaltungsrechtspflege, RDS 98/1979 I p. 451 et 455; MOOR,
Droit administratif, Berne, 1991, vol. II, p. 423; KNAPP, Précis de
droit administratif, Bâle 1991, no 2639 ss).

    c) Doctrine et jurisprudence s'accordent pour admettre que l'intérêt
financier général de l'Etat ne suffit pas, à lui seul, pour lui conférer
la qualité pour recourir. Il est par ailleurs reconnu que l'intérêt
à une application correcte et uniforme du droit fédéral n'est pas non
plus suffisant (ATF 122 II 382 consid. 2c et les arrêts cités), car cet
intérêt est inhérent à l'exercice de toute compétence étatique (MOOR,
op.cit. p. 423); il ne suffit donc pas que la collectivité agisse dans
un domaine où elle dispose de certaines compétences d'application.

    Lorsque le droit de recours n'est pas prévu par le droit fédéral,
la qualité pour recourir, sur la base des critères précités, ne doit pas
être admise à la légère; toute autre interprétation viderait de son sens
l'art. 103 lettre c OJ (pour un résumé de la jurisprudence relative à la
qualité pour recourir de la collectivité, voir ATF 123 II 371 consid. 2
p. 373). Une approche restrictive se justifie en particulier lorsque le
recours est formé par une collectivité à laquelle appartient l'autorité qui
a statué, puisqu'on ne saurait admettre a priori que l'administration s'en
prenne à ses propres décisions (cf. GYGI, Bundesverwaltungsrechtspflege,
Berne 1983, p. 169-170 et les références citées). La doctrine réserve
le cas de décisions sur recours désavouant l'autorité administrative
de première instance; elle souligne cependant que le seul intérêt de
l'autorité désavouée à voir confirmée sa propre interprétation du droit ne
suffit pas (GYGI, op.cit.; voir également GADOLA, Die Behördenbeschwerde in
der Verwaltungsrechtspflege des Bundes - ein "abstraktes" Beschwerderecht
?, in AJP 12/93 p. 1458-1471, 1468 et les auteurs cités à la note 127).

Erwägung 4

    4.- L'Etat de Vaud expose que selon l'art. 10 de la loi vaudoise
d'application de la LAVI (LVLAVI), la victime qui demande à l'Etat une
indemnisation ou une réparation morale doit d'abord s'adresser au Conseil
d'Etat; à défaut d'accord, elle procède par voie judiciaire. En vertu de
l'art. 11 LVLAVI, c'est le Président du Tribunal de district compétent
qui connaît des demandes d'indemnité et de réparation morale dirigées
contre l'Etat, quelle que soit la valeur litigieuse. En exécution de
l'art. 17 LAVI, le canton de Vaud a désigné le Tribunal cantonal comme
autorité de recours unique, saisi par la voie du recours en réforme
ou en nullité, selon le titre XV du code de procédure civile vaudois
(art. 15 LVLAVI). Ce recours a un effet dévolutif: le Tribunal cantonal
n'est pas lié par l'état de fait arrêté par la juridiction inférieure
et peut procéder ou faire procéder à toute mesure d'instruction qu'il
juge utile. Le canton recourant en déduit que, devant les deux instances
judiciaires cantonales, l'Etat "procède en qualité de partie à l'instar
de n'importe quelle personne privée", et qu'il se trouve ainsi "partie
à un procès qui l'oppose à la victime". On devrait dès lors admettre sa
qualité pour former un recours pour fausse application de la loi fédérale,
car il serait "inconcevable que le droit fédéral impose des obligations
à un Etat cantonal et lui refuse la qualité pour agir".

    a) On peut s'interroger, à ce propos, sur la compatibilité du système
vaudois avec le droit fédéral.

    Ce dernier prévoit une procédure simple, rapide et gratuite (art. 16
al. 1 LAVI); le législateur a ainsi voulu permettre à la victime d'obtenir
une décision "le plus rapidement possible et sans bureaucratie" (FF 1990
II p. 909 ss, 941). A première vue, l'intervention successive de trois
autorités (Conseil d'Etat, Président du Tribunal de district et Tribunal
cantonal) pourrait contrevenir aux art. 16 et 17 LAVI, qui ne prévoient
qu'une autorité de première instance et une autorité de recours; selon la
jurisprudence toutefois, le Conseil d'Etat saisi d'une demande d'indemnité
ne rend pas de décision à ce sujet, mais une simple prise de position -
détermination - avant un éventuel procès (arrêt non publié du 15 novembre
1996 dans la cause X., consid. 3).

    Le législateur fédéral a aussi désiré éviter à la victime de devoir
intenter un procès civil contre l'auteur de l'infraction (cf. ATF 123
II 1 consid. 3b). Qu'il s'agisse de conseils et d'assistance (art. 3 et
4 LAVI), ou d'indemnisation proprement dite (art. 11 ss LAVI), l'aide à
accorder par l'Etat n'est pas conçue, dans le système de la LAVI, comme
une prétention à faire valoir par voie d'action, mais comme une tâche
étatique d'assistance (consid. c ci-dessous). Dès lors, obliger la victime
à intenter un procès contre l'Etat, même selon une procédure accélérée
(art. 12 LVLAVI) et gratuite (art. 16 LVLAVI), ne semble pas correspondre
aux exigences du droit fédéral. En tout cas, le canton recourant ne
saurait déduire de sa qualité de défendeur au procès conférée par le droit
cantonal - à supposer que celle-ci soit conforme au droit fédéral - la
reconnaissance de sa qualité pour former un recours de droit administratif.

    b) L'examen du rôle assigné par la LAVI aux cantons permet d'exclure
que le canton recourant est touché "comme un particulier" par l'obligation
qui lui est faite de verser une indemnité à la victime d'une infraction,
ou qu'il dispose d'un "intérêt juridique qualifié" pour recourir.

    aa) Considérée dans le système de la disposition constitutionnelle
(art. 64ter Cst.) et de la Convention européenne du 24 novembre 1983
relative au dédommagement des victimes d'infractions violentes (RS 0.312.5)
qui lui servent de fondement, la LAVI a pour but premier d'apporter une
assistance appropriée à toutes les victimes qui en ont besoin (FF 1990 II
919), avec, pour idée centrale, de "rééquilibrer le système de justice
pénale, axé aujourd'hui trop unilatéralement sur le délinquant, et de
mieux tenir compte des préoccupations, besoins et intérêts de la victime"
(FF 1990 II 912).

    bb) S'agissant plus particulièrement des conditions d'octroi d'une
somme à la victime à titre de réparation morale, l'art. 12 al. 2 LAVI
pose un principe essentiel: une telle somme peut être versée à la victime
indépendamment de son revenu "lorsque celle-ci a subi une atteinte grave
et que des circonstances particulières le justifient".

    Après avoir écarté les systèmes de financement par des prélèvements
obligatoires (primes et cotisations d'assurance), le Conseil fédéral
a préféré une procédure d'indemnisation distincte fondée sur le droit
public et financée par le budget de l'Etat. Il a voulu montrer par là que
l'indemnisation par l'Etat doit constituer une exception et qu'elle est
subsidiaire par rapport aux autres possibilités d'obtenir réparation que la
victime possède déjà (FF 1990 II 923). Le système d'indemnisation proposé
prévoit que la victime dont les ressources ne dépassent pas un certain
seuil a droit à une indemnité (ATF 121 II 116 consid. 1b/bb). Jusqu'à un
certain niveau de ressources considéré comme le minimum vital, il est
prévu que l'indemnité couvre l'intégralité du dommage alors qu'au-delà
de ce point, le degré de couverture diminue. Enfin, la faculté donnée à
l'autorité - et, sur recours, au juge - d'allouer aux victimes une somme
d'argent à titre de réparation morale, a été envisagée "pour atténuer
les rigueurs de ce système", et "lorsque l'équité le commande" (FF 1990
II p. 924).

    cc) L'art. 18 LAVI régit les modalités de l'aide financière accordée
par la Confédération aux cantons pour la mise en place du système d'aide
aux victimes. Cette aide est répartie entre les cantons en proportion de
leur capacité financière et de leur population (art. 18 al. 2 LAVI). Si,
par suite d'événements extraordinaires, un canton doit supporter des
frais particulièrement élevés, la Confédération peut accorder des aides
financières supplémentaires (art. 18 al. 3 LAVI).

    dd) Le législateur suisse a ainsi voulu concilier plusieurs exigences:
la couverture effective, rapide et suffisante du dommage subi par les
victimes; la fixation de seuils et de plafonds pour l'octroi d'indemnités
pour le dommage subi (art. 12 al. 1 LAVI) selon un système qui, sur ce
point, présente des analogies avec la législation sociale (art. 2 à 5
OAVI); et une garantie de souplesse, laissée à l'appréciation de l'autorité
et, sur recours, au juge, en ce qui concerne la fixation du montant à
verser à la victime à titre de réparation morale (art. 12 al. 2 LAVI).

    c) Ce rappel du système d'indemnisation et de réparation morale
envisagé par la LAVI montre que l'allocation d'une indemnité à la victime
relève clairement d'un devoir d'assistance et non d'une obligation
d'indemniser découlant d'une responsabilité de l'Etat. Il démontre aussi
que les intérêts financiers généraux des cantons sont largement pris en
compte par le législateur fédéral (voir notamment l'art. 12 al. 1 LAVI),
et par l'aide financière de la Confédération accordée aux cantons pour une
période initiale de six ans en vue de la mise en place du système d'aide
aux victimes (art. 18 al. 2 LAVI). Des aides financières supplémentaires
sont même envisagées pour le cas où un canton devrait supporter des frais
particulièrement élevés à la suite d'événements extraordinaires (art. 18
al. 3 LAVI). Dans ce système, l'art. 17 LAVI, relatif à la protection
juridique, limite délibérément la possibilité pour les cantons, en tant
qu'autorités administratives ou exécutives, d'influencer des décisions
concrètes en matière d'octroi d'indemnité ou de réparation morale aux
victimes, puisque l'autorité de recours unique à mettre en place doit être
"indépendante de l'administration" et jouir "d'un plein pouvoir d'examen".

    d) Il en découle qu'en tant que débiteur d'une somme attribuée
à la victime à titre de réparation morale par l'autorité de recours
judiciaire choisie par lui en application de l'art. 17 LAVI, le canton
de Vaud ne saurait faire valoir, au titre de l'art. 103 lettre a OJ,
un intérêt digne de protection à l'annulation ou à la modification de
la décision attaquée. La charge économique que la décision judiciaire
attaquée implique pour lui n'est que le corrélat financier - inhérent
à l'accomplissement de toute tâche publique - de l'obligation légale
de protéger les victimes d'infraction; le canton ne défend dès lors rien
d'autre qu'un intérêt financier général (cf. ATF 99 Ib 211 consid. 4) et sa
propre interprétation ou application du droit fédéral, motifs insuffisants
à eux seuls pour fonder sa qualité pour agir dans le contexte spécifique
de la LAVI. Cette position rejoint d'ailleurs celle qui est exprimée
par la doctrine (GOMM/STEIN/ZEHNTNER, Kommentar zum Opferhilfegesetz,
Berne, 1995, ad art. 17 LAVI, p. 253, no 15). Le recours doit dès lors
être déclaré irrecevable.