Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 123 III 120



123 III 120

20. Arrêt de la Ire Cour civile du 17 décembre 1996 dans la cause L. S.A.
contre B. et S. (recours en réforme) Regeste

    Verjährung der Forderung aus Handwerksarbeit (Art. 128 Ziff.  3 OR).

    Der Begriff der Handwerksarbeit bleibt jenen Arbeiten vorbehalten,
für welche einerseits eine besondere Technologie nicht notwendig ist,
und die anderseits keine besonderen organisatorischen Massnahmen erfordern
(Präzisierung der Rechtsprechung; E. 2b).

    Die Verlegung von Fliesen in hundert Nasszellen fällt nicht unter
diesen Begriff (E. 2c).

Sachverhalt

    A.- L'Entreprise L. S.A. (ci-après: L. S.A.) est spécialisée dans
la pose de carrelages et de faïences. Par contrat du 20 septembre
1986, B. et S. lui confièrent l'exécution, dans une résidence sise au
Grand-Saconnex, de travaux consistant en la fourniture et la pose de
carrelages dans une centaine de pièces d'eau. Il n'était pas question que
L. S.A. façonnât elle-même les carrelages; l'entreprise était libre de
les acquérir où elle le souhaitait. De fait, elle commanda les carrelages
à des sociétés italiennes. Le prix convenu dans le contrat, qui faisait
référence aux normes SIA, était un prix unitaire, soit au mètre carré,
soit au mètre linéaire, comprenant la fourniture et la pose du matériel,
sans distinction entre ces deux éléments.

    Selon facture du 1er novembre 1988, le montant total des travaux fut
arrêté à 242'000 fr. B. et S. versèrent 230'000 fr. Ils retinrent le solde
- dont le montant n'est pas contesté (12'000 fr.) - à titre de garantie
ensuite de plaintes au sujet de l'isolation phonique des bâtiments.

    B.- Le 19 décembre 1994, L. S.A. adressa en vain à ses cocontractants
une mise en demeure de lui verser le montant impayé. Le 21 février 1995,
elle les cita en conciliation, puis ouvrit action contre eux, pris
conjointement et solidairement, en paiement de 12'000 fr. avec intérêts
à 5% dès le 15 novembre 1988.

    Par jugement du 19 octobre 1995, le Tribunal de première instance
du canton de Genève débouta la demanderesse dont il considéra l'action
comme prescrite au sens de l'art. 128 ch. 3 CO.

    Sur appel de L. S.A., la Cour de justice du canton de Genève  confirma
cette décision par arrêt du 26 avril 1996.

    C.- L. S.A. recourt en réforme au Tribunal fédéral. Ses conclusions
tendent à l'annulation de l'arrêt du 26 avril 1996 et à la condamnation
de B. et S., pris conjointement et solidairement, à lui payer la somme
de 12'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 15 novembre 1988.

    Les défendeurs invitent le Tribunal fédéral à rejeter le recours et
à confirmer la décision attaquée.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- a) La cour cantonale a retenu que le travail confié à la
demanderesse avait consisté en la fourniture de carrelages acquis au
préalable auprès de tiers, puis en la pose de ceux-ci dans les pièces
d'eau, les cuisines, les paliers et les buanderies des bâtiments. Elle a
estimé que le travail de pose présentait un caractère manuel et nécessitait
un certain savoir-faire; la demanderesse avait dû ajuster les carrelages et
procéder à des découpes, activité qui, même si elle avait entraîné l'usage
de machines, conférait un caractère artisanal au travail fourni. Comme la
pose représentait le 60% du prix facturé, soit une importance supérieure
à celle des autres prestations, l'autorité cantonale a admis qu'elle
était en présence de l'action d'un artisan au sens de l'art. 128 ch. 3
CO. Avec le Tribunal de première instance, elle a considéré que le délai
de cinq ans prévu par cette disposition était écoulé au jour du dépôt en
conciliation de la demande.

    Enfin, la cour cantonale a jugé que les défendeurs ne commettaient
pas d'abus de droit en invoquant la prescription.

    b) La demanderesse soutient que l'on doit appliquer à sa créance le
délai ordinaire de dix ans de l'art. 127 CO, car son action doit être
considérée comme celle d'un entrepreneur et non d'un artisan.

Erwägung 2

    2.- a) Selon la jurisprudence, l'applicabilité de l'art. 128 ch. 3
CO dépend exclusivement de la nature du travail auquel l'entrepreneur
s'est obligé. Dans le travail artisanal, l'activité manuelle revêt une
importance supérieure (ou au moins égale) à celle des autres prestations
qui supposeront notamment l'emploi de machines, des travaux d'organisation,
des tâches administratives. Cette notion correspond au sens usuel de
l'expression dans le langage courant. L'artisanat est une activité
économique qui s'exerce manuellement au moyen d'outils ou d'instruments
simples, pour façonner ou transformer des matériaux. L'utilisation de
machines rentre rarement dans ce concept, qui s'oppose en outre à la
livraison d'objets construits industriellement en série (ATF 116 II
428 consid. 1; 109 II 112 consid. 2; cf. aussi les arrêts non publiés
du 20.05.1996 dans la cause 4C.416/1995 et du 12.02.1992 dans la cause
4C.318/1991).

    Ont été, par exemple, reconnus comme travaux artisanaux des travaux
de gypserie ou de peinture, l'exécution de cadres avec des baguettes
préfabriquées coupées à la longueur requise, l'exécution de batteries
pour animaux, la pose d'installations sanitaires et des travaux de
ferblanterie, des travaux de transformation et de ventilation de W.-C.,
le montage d'une antenne collective ou d'une installation électrique,
ainsi que l'exécution de travaux de nettoyage ou de jardinage.

    N'ont, en revanche, pas été considérés comme travaux artisanaux
l'édification d'une maison entière, la livraison et le montage de portes et
fenêtres normalisées, le déblaiement de l'emplacement d'un gros incendie ou
des travaux d'aplanissement de terrain avec un trax (pour tous ces exemples
voir GAUCH, Der Werkvertrag, 4e éd., n. 1291 s. et les références).

    La jurisprudence a encore posé que l'art. 128 ch. 3 CO, en regard de
l'art. 127 CO, consacrait une exception et devait dès lors être interprété
restrictivement (ATF 116 II 428 consid. 1b et l'arrêt cité). Dans la
doctrine, on penche également pour cette interprétation restrictive et
pour que soit appliqué dans le doute le délai normal de prescription de
l'art. 127 CO, en particulier lorsque le travail représente plus qu'un
simple travail courant ou de routine ("um mehr als um ein schlichtes
Alltagsgeschäft handelt") (GAUCH, op.cit., n. 1288; TERCIER, Les contrats
spéciaux, 2e éd., n. 3745).

    b) Tant dans la jurisprudence (arrêt non publié du 20.05.1996 précité,
consid. 2a) que parmi la doctrine (cf. GAUCH, op.cit., n. 1291), on a
souligné qu'il n'est pas toujours aisé de distinguer si l'on a ou non
affaire à un travail artisanal. Certains précédents jugés par le Tribunal
fédéral ont fait l'objet de critiques sur le plan théorique (MERZ in RJB
1992 p. 211 et GAUCH in DC 1991 p. 99).

    Fonder la distinction à effectuer entre la créance d'un artisan et
celle d'un entrepreneur exclusivement sur la nature du travail fourni -
particulièrement au vu des progrès technologiques accomplis dans les
domaines relevant traditionnellement de l'artisanat - n'est pas source
de sécurité juridique absolue. Définir le travail artisanal au sens de
l'art. 128 ch. 3 CO en fonction uniquement du caractère de l'activité
effectuée ne satisfait pas non plus du point de vue de la ratio legis;
l'introduction d'un délai plus court s'est faite dans l'idée qu'il était
usuel dans certains contrats synallagmatiques de s'exécuter à bref délai,
sans généralement dresser d'actes ni garder longtemps de quittances,
le fait de tarder à recourir aux tribunaux portant à admettre que le
créancier avait été satisfait selon l'usage (ATF 109 II 112 consid. 2a; 98
II 184 consid. 3b et les références au message du Conseil fédéral). Avec
le développement du commerce, cette ratio legis a largement perdu de son
sens, ce qui explique aussi pourquoi l'on défend communément, on l'a déjà
relevé, une interprétation restrictive de la règle en question. Cela ne
veut toutefois pas dire qu'il faille faire totalement abstraction des buts
initialement poursuivis par le législateur. Si l'on se rappelle qu'il
s'agissait alors de favoriser la liquidation plus rapide de certaines
affaires courantes, retenir comme seul critère d'appréciation le caractère
manuel du travail effectué, sans prendre en considération l'importance
de celui-ci, n'est pas totalement satisfaisant. Il convient de réserver
la notion de travail artisanal aux travaux qui de manière générale
ne nécessitent pas l'emploi de technologies spéciales, mais aussi qui
n'impliquent pas de recourir à des mesures de planification - en matière
de personnel ou de délais - ainsi que de coordination avec d'autres corps
de métiers, et qui peuvent donc être effectués sans la mise en oeuvre de
moyens administratifs particuliers. Ce n'est qu'en présence de travaux
manuels typiques, traditionnels, accomplis dans un cadre restreint,
que l'on appliquera la prescription réduite de l'art. 128 ch. 3 CO.

    c) Examinée à l'aune de ces principes, la créance litigieuse ne
revêt assurément pas le caractère d'une créance d'artisan. Il est vrai
que la pose de carrelages constitue en soi un travail artisanal, et
qu'il est constant que celle-ci a représenté le 60% des prestations de
la demanderesse. L'exécution d'une telle activité pour plus de 100 pièces
d'eau (salles de bains, cuisines, paliers, buanderies) implique cependant
des tâches de planification, d'organisation et d'administration qui vont
largement au-delà de celles qu'un artisan assume traditionnellement,
et qui doivent être assimilées à celles qu'accomplit un entrepreneur, au
sens où on l'entend généralement. Autrement dit, on n'est pas en présence
d'une affaire courante (Alltagsgeschäft) justifiant une liquidation
particulièrement rapide. Dans ces conditions, il convient de s'en tenir
au délai usuel de prescription de dix ans.

Erwägung 3

    3.- Le recours doit être admis. L'arrêt attaqué sera par conséquent
annulé. Le Tribunal fédéral est en mesure de statuer au vu du dossier. Les
défendeurs admettent qu'au cas où elle serait soumise à la prescription
décennale de l'art. 127 CO, la prétention de la demanderesse serait bien
fondée. Ils seront ainsi solidairement condamnés à verser à celle-ci le
montant de 12'000 fr. Les intérêts partiront à compter du 19 décembre 1994,
date de la mise en demeure (art. 102 et 103 CO).