Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 121 I 252



121 I 252

35. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public du 22 mars 1995 dans
la cause Alliance de gauche et consorts contre Conseil d'Etat du canton
de Genève (recours de droit public) Regeste

    Art. 85 lit. a OG; Pressekampagne des Regierungsrates für eine neue
Strassenüberquerung des Genfer Seebeckens.

    Zulässigkeit der staatsrechtlichen Beschwerde wegen Verletzung
verfassungsmässiger Rechte der Bürger und der Beschwerde betreffend die
politische Stimmberechtigung (E. 1a und b).

    Die Regierung eines Kantons ist berechtigt, sich in der Phase der
Ausarbeitung einer Vorlage, ausserhalb des Vorfeldes eines Urnenganges
in die politische Diskussion einzuschalten; erst wenn sich der Zeitpunkt
eines Volksentscheides nähert, muss sich die Regierung grundsätzlich
jeder Einflussnahme auf die Stimmbürgerschaft enthalten (E. 2).

    Nach einer nicht ausformulierten Volksinitiative wird das Projekt für
eine neue Strassenüberquerung oder -unterquerung des Seebeckens endgültig
erarbeitet und der Volksabstimmung unterbreitet werden müssen. Die
Projektstudien sind zur Zeit im Gang und der Regierungsrat wird sich
zweifellos noch wiederholt zu diesem Thema äussern müssen, insbesondere vor
dem Grossen Rat. Die Abstimmung folgt diesen Studien nicht unmittelbar und
liegt noch in weiter Ferne. Unter diesen Umständen hat die Pressekampagne
keinerlei direkten Einfluss auf den Abstimmungsausgang und verletzt das
politische Stimmrecht nicht (E. 3).

Sachverhalt

    A.- Le 9 janvier 1986, une initiative populaire cantonale non
formulée dite "pour une traversée de la rade" a été déposée auprès de la
Chancellerie d'Etat du canton de Genève. L'initiative demandait au Grand
Conseil d'adopter une loi ouvrant un crédit pour la réalisation d'une
liaison routière nouvelle dans la ville de Genève, entre les rives du lac,
propre à décharger les quais d'une part importante de leur trafic.

    Le Grand Conseil a refusé d'entrer en matière sur cette initiative et
a décidé de la soumettre au corps électoral. Celui-ci l'a acceptée lors
de la votation populaire du 12 juin 1988. Par une loi du 15 mai 1992,
le Grand Conseil a ouvert au Conseil d'Etat un crédit de huit millions
de francs pour l'étude de deux avant-projets de l'ouvrage demandé par
l'initiative, correspondant chacun à une implantation déterminée.

    Dans les éditions du 12 septembre 1994 de la Tribune de Genève
et du Journal de Genève, le Département cantonal des travaux publics
et de l'énergie a fait insérer une page de publicité sous le titre
"Info RADE Pour mieux vivre Genève", portant le numéro un. Un symbole
graphique (stylisation d'un tunnel, d'un pont et du jet d'eau de Genève) y
caractérise l'objet de l'information. Un éditorial du chef du Département
est consacré à l'importance de la future liaison pour la population
genevoise et à la nécessité d'une information régulière et détaillée, afin
que chacun puisse suivre l'évolution de l'entreprise et choisir, le moment
venu, entre un pont ou un tunnel. La publication de nouveaux articles est
prévue. On apprend que de nombreux plans ont déjà été réalisés et qu'un
jury d'experts devra sélectionner les deux meilleures propositions; ce
choix sera suivi d'un rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil puis,
au printemps 1995, d'une votation populaire. On prend connaissance de
commentaires recueillis lors d'une exposition publique des avant-projets
en mai 1994; les lecteurs qui désirent eux aussi s'exprimer sur le sujet
sont invités à écrire au Département en prévision d'une édition spéciale
d'"Info rade" consacrée à leurs réactions. Un livre sur les projets et
les discussions des décennies précédentes est offert en souscription, et
un autocollant "La rade pour mieux vivre Genève" peut aussi être commandé.

    Cette page publicitaire a paru encore le 15 septembre 1994 dans "Genève
home information" et dans le Nouveau quotidien, et le 16 septembre dans
le Courrier.

    L'Alliance de gauche, association politique de Genève, et dix électeurs
du canton de Genève ont adressé un recours de droit public au Tribunal
fédéral, pour violation des droits constitutionnels des citoyens (art. 84
al. 1 let. a OJ) et pour violation du droit de vote (art. 85 let. a
OJ). Le recours tendait à l'interruption de cette campagne de presse,
dénoncée comme un moyen antidémocratique d'influencer les citoyens avant
le scrutin prévu pour le printemps de 1995.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours, dans la mesure où il était
recevable.

Auszug aus den Erwägungen:

                   Extrait des considérants:

Erwägung 1

    1.- a) Les recourants considèrent la dépense de fonds publics
engagée pour la campagne "Info rade" comme contraire à leurs droits
constitutionnels. Or, selon la jurisprudence relative à l'art. 88 OJ,
le recours de droit public pour violation des droits constitutionnels des
citoyens est ouvert seulement à celui qui est atteint dans ses intérêts
personnels et juridiquement protégés; le recours formé pour sauvegarder
l'intérêt général, ou visant à préserver de simples intérêts de fait,
est en revanche irrecevable. Un intérêt est juridiquement protégé s'il est
sanctionné par une garantie constitutionnelle spécifique ou si une règle de
droit fédéral ou cantonal tend au moins accessoirement à sa protection; à
elle seule, l'interdiction générale de l'arbitraire consacrée par l'art. 4
Cst. n'est pas une protection qui suffise à conférer la qualité pour agir
(ATF 118 Ia 46 p. 51 consid. 3; 117 Ia 90 p. 93 consid. 2).

    La dépense litigieuse ne porte aucune atteinte à la situation juridique
de l'Alliance de gauche ou de l'une ou l'autre des personnes physiques
qui procèdent avec elle; c'est en vain que quelques-unes de ces personnes
invoquent leur qualité de député au Grand Conseil et leur droit de décider
à ce titre des dépenses publiques (ATF 112 Ia 174 p. 177 consid. a; 107
Ia 266 p. 267). Le recours tendant à faire respecter les dispositions
cantonales sur les finances publiques vise un objectif d'intérêt tout à
fait général, de sorte qu'il est irrecevable au regard de l'art. 88 OJ;
les griefs soulevés à ce sujet ne peuvent être examinés que dans la mesure
où ils influencent l'issue du recours de droit public pour violation du
droit de vote.

    b) Ce dernier moyen de droit permet de contester les mesures préalables
à une votation populaire, telles que les informations officielles adressées
aux électeurs (cf. ATF 105 Ia 149; 101 Ia 238 p. 240 consid. 3), ainsi que
le résultat des opérations électorales. Il est ouvert à tout électeur de
la collectivité concernée, de même qu'aux partis politiques et aux autres
organisations politiques qui y exercent leur activité (ATF 115 Ia 148
p. 152 consid. b; 114 Ia 267 p. 270 consid. b; 113 Ia 46 p. 49 consid. 1a).

Erwägung 2

    2.- Le droit de vote garanti conformément à l'art. 5 Cst.  autorise
tout électeur à exiger que le résultat d'une votation ou d'une élection
ne soit reconnu que s'il est l'expression fidèle et sûre d'une volonté
librement exprimée par le corps électoral. La validité du scrutin suppose
en outre la libre formation de cette volonté; cela implique que chaque
électeur puisse se déterminer dans le cadre d'un processus d'élaboration
de l'opinion publique comportant une discussion et une confrontation des
points de vue les plus libres et les plus ouvertes possibles. Le résultat
peut donc être faussé par une influence inadmissible exercée sur l'opinion
publique (ATF 119 Ia 271 p. 272 consid. 3a; 118 Ia 259 p. 261 consid. 3;
117 Ia 452 p. 455/456).

    En matière de votations, il est admis que l'autorité compétente
recommande au peuple d'accepter le projet qu'elle lui soumet et qu'elle lui
adresse un message explicatif, tandis qu'une intervention plus importante
dans le débat ne se justifie qu'exceptionnellement et doit répondre
à des motifs pertinents. L'autorité doit se borner à une information
objective - mais elle n'est pas tenue à la neutralité (ATF 117 Ia 41
p. 46) - et s'abstenir de toute assertion fallacieuse sur le but et la
portée du projet. Elle attente au droit de vote si elle s'écarte de ses
devoirs de retenue et d'objectivité, si elle intervient en violation de
prescriptions destinées à garantir la liberté des électeurs ou si elle
influence l'opinion par d'autres procédés condamnables (mêmes arrêts). En
particulier, son intervention est contraire au droit de vote lorsqu'elle
s'accomplit de façon occulte ou que les fonds dépensés pour elle sont
disproportionnés ou engagés irrégulièrement (ATF 114 Ia 427 p. 444 consid.
b et c).

    Le Conseil d'Etat soutient que ces principes ne sont pas déterminants
dans la présente affaire parce que, à son avis, la campagne électorale
précédant la votation populaire n'est pas encore commencée.

    Les arrêts du Tribunal fédéral se rapportent en effet à la "campagne
précédant une votation" ([ATF 116 Ia 466 p. 468 consid. 4; en allemand:
"in den Abstimmungskampf" ou "im Vorfeld der Urnengänge" [arrêts
précités]). Ils portent sur des votations dont l'objet était exactement
connu lors de l'intervention de l'autorité dans le débat politique;
en outre, dans presque tous les cas, la date de la votation était aussi
déjà fixée lors de cette intervention.

    Il incombe au gouvernement d'un canton, de même qu'à l'organe
exécutif d'une commune, de diriger la collectivité. Le gouvernement
ne peut accomplir cette mission qu'en soutenant activement ses propres
projets et objectifs, et en indiquant sans équivoque ce qu'il considère
comme nécessaire ou favorable à l'intérêt général. Le dialogue entre
le gouvernement et l'opinion publique, qui se produit par exemple
dans le cadre des débats parlementaires, par le biais des communiqués
du gouvernement ou à l'occasion de prises de position publiques des
magistrats, est au surplus un élément indispensable de la démocratie. On
doit donc reconnaître au gouvernement le droit - et même le devoir -
d'intervenir dans le débat politique en dehors des périodes précédant
les votations (GION-ANDRI DECURTINS, Die rechtliche Stellung der Behörde
im Abstimmungskampf, Fribourg 1992, p. 135 et ss; JEANNE RAMSEYER,
Zur Problematik der behördlichen Information im Vorfeld von Wahlen und
Abstimmungen, Bâle 1992, p. 8/9).

    C'est seulement à l'approche d'une décision populaire que l'autorité
politique est en principe tenue de s'abstenir de toute influence sur
le corps électoral, afin que celui-ci puisse se déterminer de façon
indépendante. Selon certains auteurs, ce devoir d'abstention commence
dès le moment où le projet destiné à être soumis à la votation est
définitivement adopté ou reçu par l'organe compétent (DECURTINS,
op.cit. p. 113; RAMSEYER, op.cit. p. 22), c'est-à-dire, en particulier,
lorsqu'une loi sujette au référendum facultatif ou obligatoire est adoptée
par le parlement, ou lorsque le dépôt d'une initiative populaire est
officiellement constaté. Selon ETIENNE GRISEL (Initiative et référendum
populaire, p. 92 ch. 3), ce devoir ne débute qu'après la convocation
officielle des électeurs, avec l'envoi du message explicatif qui leur
est destiné. Dans son arrêt du 20 décembre 1988 concernant l'initiative
pour le rattachement du district de Laufon à un canton voisin de celui de
Berne, le Tribunal fédéral a pris spécialement en considération l'influence
exercée par le gouvernement bernois après l'aboutissement des pourparlers
avec le canton de Bâle-Campagne, quand l'enjeu de l'initiative était dès
lors connu (ATF 114 Ia 427 p. 446 consid. c).

Erwägung 3

    3.- A Genève, les dispositions actuelles sur l'initiative populaire ont
été introduites par une loi constitutionnelle datée du 25 septembre 1992,
adoptée en votation populaire le 7 mars 1993. Aux termes de son art. 2,
cette loi ne s'applique pas aux initiatives déposées avant son entrée en
vigueur. L'initiative "pour une traversée de la rade" demeure donc régie
par les art. 64 et ss aCst. gen., dans leur teneur adoptée en votations
populaires du 7 février 1960 et du 18 décembre 1966.

    Cette initiative non formulée a été approuvée par le corps électoral
le 12 juin 1988. En vertu de l'art. 67 al. 2 aCst. gen., le Grand Conseil
est tenu d'élaborer un projet de loi sur l'objet de l'initiative et de
le soumettre à une nouvelle votation populaire.

    A première vue, la campagne de presse "Info rade" se rapporte à
cette votation qui, selon le libellé de l'initiative, devrait porter sur
l'ouverture du crédit nécessaire à la réalisation de l'ouvrage. Le texte
fait certes allusion à une consultation qui permettra aux électeurs de
choisir entre un pont ou un tunnel, mais on ne discerne pas si le corps
électoral sera appelé à se prononcer simultanément ou successivement sur
ce choix entre deux variantes et sur le crédit autorisant la réalisation
de l'une d'elles. De toutes manières, la campagne révèle sans équivoque
que le gouvernement cantonal prend position en faveur d'une liaison
routière nouvelle au travers de la rade de Genève, et qu'il a pour
objectif d'obtenir l'adhésion de la population à ce projet. Elle a pour
but explicite d'influencer une décision populaire future, et elle est
effectivement apte à développer, dans l'opinion publique, l'idée que la
réalisation d'une traversée routière de la rade serait souhaitable pour
la collectivité. Elle est neutre seulement en ce qui concerne le type et
l'implantation de l'ouvrage.

    La volonté d'influencer l'opinion est ainsi évidente. Cependant,
aucune solution concrétisant l'initiative non formulée "pour une traversée
de la rade" n'est encore ébauchée à l'intention du corps électoral, et les
votations qui auront lieu dans l'avenir en rapport avec cette initiative,
alors même que l'ordre constitutionnel cantonal exige au moins une nouvelle
consultation populaire, n'apparaissent que comme une issue encore lointaine
des travaux d'étude actuellement en cours. Les citoyens qui s'opposent à
toute nouvelle traversée routière de la rade pourront critiquer ces travaux
et faire valoir leur point de vue au fur et à mesure de leur avancement;
en fait, le débat politique et démocratique se poursuit dans une affaire
qui n'est pas encore mûre pour une décision populaire. De toute évidence,
le gouvernement cantonal devra encore s'exprimer à plusieurs reprises
dans ce débat, en particulier devant le Grand Conseil qui délibérera
vraisemblablement d'abord sur des avant-projets, puis sur un projet prêt
à l'exécution, destiné à être présenté au corps électoral.

    Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire de déterminer d'ores
et déjà l'étape de la procédure qui constituera le début de la campagne
précédant la votation populaire, pendant laquelle le Conseil d'Etat
devra en principe s'abstenir de toute intervention. En effet, dans
l'état actuel du projet, il ne fait aucun doute que cette campagne n'est
pas encore commencée et que la publication d'"Info rade" n'exerce donc
aucune influence directe sur la future décision populaire. Partant, cette
publication ne saurait porter atteinte au droit de vote, et les critiques
que les recourants dirigent contre elle, concernant notamment son contenu,
son financement et son caractère inspiré de la publicité commerciale,
sont à cet égard dépourvues de portée.