Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 121 II 317



121 II 317

50. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 12 juillet
1995 dans les causes Jeanneret et consorts contre Etat de Genève et
Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement (recours de droit
administratif) Regeste

    Enteignung von Nachbarrechten; Lärmeinwirkungen eines Flughafens;
materielle Enteignung - Art. 5 EntG, Art. 679, 684 ZGB, Art. 42 ff. LFG,
Art. 42 ff. VIL.

    Anwendung der Regeln über die formelle Enteignung auf Immissionen,
die sich aus dem Betrieb eines Flughafens ergeben. Voraussetzungen zur
Geltendmachung nachbarrechtlicher Abwehr- und Entschädigungsansprüche
gemäss Art. 679 und 684 ZGB (E. 4b-c). Ergeben sich die Lärmeinwirkungen
aus dem Betrieb eines öffentlichen Werkes, kommt das Enteignungsrecht
zum Zuge (E. 4d-e).

    Übersicht über die Rechtsprechung betreffend die vom Schienen-
und Strassenverkehr ausgehenden Immissionen. Voraussetzungen der
Unvorhersehbarkeit, der Schwere und der Spezialität des Schadens
(E. 5a). Diese Voraussetzungen gelten grundsätzlich auch für Einwirkungen
aus dem Flugverkehr (E. 5b). Den Anforderungen von Art. 8 EMRK kann in
solchen Verfahren entsprochen werden (E. 5c).

    Voraussetzung der Unvorhersehbarkeit: Sie ist für jene Nachbarn eines
nationalen Flughafens erfüllt, die ihre Grundstücke vor Ende des Jahres
1960 erworben haben (E. 6).

    Voraussetzung der Spezialität; Immissionsgrenzwerte der eidgenössischen
Umweltschutzgesetzgebung als Kriterium (E. 8c/aa). Obschon für den
Lärm von nationalen Flughäfen in der Lärmschutz-Verordnung noch keine
Grenzwerte festgelegt worden sind, kann hier die Voraussetzung der
Spezialität aufgrund des berechneten mittleren Lärmpegels "Leq" als
erfüllt betrachtet werden (E. 8c/bb-cc).

    Bestimmungen der eidgenössischen Luftfahrtgesetzgebung betreffend
die Lärmzonen A, B und C (E. 12a). Die Lärmzonenpläne regeln durch Bau-
und Umbauverbote teilweise die Nutzung des Bodens; sie sind bei Änderung
der Verhältnisse anzupassen (E. 12b). Voraussetzungen, unter denen die
vorfrageweise Überprüfung dieser Pläne vorgenommen werden kann (E. 12c).

    Materielle Enteignung durch das Inkrafttreten des Lärmzonenplanes
für den Flughafen Genf; massgebender Zeitpunkt zur Beurteilung der
Tragweite der Einschränkungen (E. 12d/aa-bb). Da sich die Lärmzonen
A und B aufgrund neuer Berechnungen als überdimensioniert erweisen,
sind die hier umstrittenen Liegenschaften den Bestimmungen für die
Lärmzone C zu unterstellen (E. 12d/cc-dd); die in der eidgenössischen
Luftfahrtgesetzgebung für diese Zone vorgesehenen Beschränkungen begründen
keine materielle Enteignung (Zusammenfassung, E. 13).

Sachverhalt

    A.- En 1920, l'Office aérien fédéral a octroyé au canton de Genève
une concession pour l'exploitation d'un aérodrome au lieu-dit "Cointrin";
la première piste en béton a été construite en 1937. Pendant la seconde
guerre mondiale, le trafic aérien commercial international a très fortement
diminué. Le 22 juin 1945, l'Assemblée fédérale a adopté l'arrêté fédéral
concernant le développement des aérodromes civils (RO 1945 p. 867). Des
subventions fédérales allouées sur cette base ont permis au canton de
Genève de réaliser des travaux d'extension de la piste et d'aménagement
d'installations techniques. En 1948 déjà, les autorités fédérales ont
permis l'exécution de la "troisième étape de développement" de l'aéroport
de Genève-Cointrin (cf. FF 1948 II 1181 ss, RO 1948 p. 1205). Un nouveau
projet d'agrandissement de l'aéroport a été présenté en 1957 (4e étape;
cf. Message du Conseil fédéral in FF 1957 II 66) et, en 1959, la piste
a été portée à la longueur de 3800 m (elle n'a pas été prolongée depuis
lors). Le trafic sur l'aéroport de Genève a évolué de la manière suivante
depuis la fin de la seconde guerre mondiale:

    Année        Mouvements totaux           Passagers

    1946              15'030                    71'518

    1950              23'898                   217'736

    1955              27'154                   445'136

    1960              56'014                   933'956

    1965              79'326                 1'473'182

    A partir de l'été 1959, les compagnies aériennes ont mis en
service des avions à réaction sur leurs lignes desservant l'aéroport
de Genève-Cointrin.

    B.- La loi fédérale sur la navigation aérienne (LNA) a été adoptée
le 21 décembre 1948; depuis la modification du 18 juin 1993, en vigueur
à partir du 1er janvier 1995, cette loi est intitulée "loi fédérale sur
l'aviation" (LA; RS 748.0, RO 1994 p. 3010). La loi sur la navigation
aérienne a été modifiée le 17 décembre 1971, notamment pour permettre la
délimitation de zones de bruit dans les environs des aéroports (cf. art. 42
LNA); cette novelle est entrée en vigueur le 1er janvier 1974 (RO 1973
p. 1738). Dans l'ordonnance sur la navigation aérienne, du 14 novembre 1973
(RS 748.01; ONA), le Conseil fédéral a distingué trois zones de bruit -
les zones A, B et C -, en prévoyant pour chacune d'elles une utilisation
"admissible", et il a chargé le Département fédéral des transports,
des communications et de l'énergie (DFTCE) d'édicter des prescriptions
d'exécution. Ce département a dès lors adopté une ordonnance, intitulée
actuellement "ordonnance concernant les zones de bruit des aéroports
de Bâle-Mulhouse, Genève-Cointrin et Zurich" (RS 748.134.2; en vigueur
depuis le 1er janvier 1974). Cette ordonnance prévoit que l'exposition
au bruit est exprimée au moyen de "l'indice d'exposition au bruit NNI",
et que les zones de bruit sont délimitées de la manière suivante:

    zone A: 65 NNI et plus,

    zone B: de 55 NNI à la limite de la zone A,

    zone C: de 45 NNI à la limite de la zone B.

    Les "utilisations admissibles" dans les trois zones, selon l'art. 62
al. 1 ONA révisé le 5 mars 1984 (RO 1984 p. 318), sont les suivantes:

    Zone A

    - Agriculture

    - Entrepôts

    - Constructions et installations militaires

    - Bâtiments aéroportuaires

    Zone B

    - Utilisation selon la zone A

    - Constructions industrielles et artisanales

    - Bâtiments commerciaux et bureaux insonorisés

    - Logements de concierge insonorisés

    Zone C

    - Utilisation selon les zones A et B

    - Bâtiments commerciaux et bureaux

    - Bâtiments d'habitation insonorisés

    - Bâtiments scolaires insonorisés.

    Au surplus, en vertu de l'art. 62 al. 2 ONA, la construction ou
l'agrandissement d'hôpitaux et de homes ne sont pas admis dans les zones de
bruit. Depuis le 1er janvier 1995, les dispositions sur les zones de bruit
figurent aux art. 40 ss de la nouvelle ordonnance, du 23 novembre 1994, sur
l'infrastructure aéronautique (OSIA; cf. RO 1994 p. 3028, 3050). L'art. 42
OSIA a, sur ces points, le même contenu que l'ancien art. 62 ONA.

    L'art. 42 al. 3 LA chargeant l'exploitant de l'aéroport d'établir
le plan des zones de bruit, le Conseil d'Etat de la République et canton
de Genève (ci-après: le Conseil d'Etat) a élaboré un projet sur la base
d'un rapport d'étude du 22 juillet 1977 émanant du Laboratoire fédéral
d'essai des matériaux et de recherches (abréviation en langue allemande:
EMPA), dont la section "acoustique et lutte contre le bruit" avait calculé
les indices d'exposition au bruit NNI dans les environs de l'aéroport de
Genève. Mis à l'enquête publique à partir du 15 janvier 1979, ce plan a
suscité plusieurs oppositions, qui ont été traitées par le Département
fédéral des transports, des communications et de l'énergie. Plusieurs
recours ont été formés contre les décisions du département et le Conseil
fédéral s'est prononcé, le 8 avril 1987, en modifiant légèrement le tracé
de la limite extérieure de la zone C; pour le reste, il a considéré que
l'évolution des circonstances, depuis l'établissement du plan - notamment
l'augmentation du trafic et la mise en service d'avions moins bruyants -
ne justifiait pas une modification générale des périmètres des zones A,
B et C. A la suite de cette décision, le plan des zones de bruit a été
publié le 2 septembre 1987 dans la feuille officielle du canton de Genève
et il a acquis force obligatoire (cf. art. 43 al. 4 LA).

    C.- Louis Jeanneret est propriétaire d'une parcelle sur le territoire
de la commune de Bellevue, à environ 1,5 km de l'extrémité nord-est de
la piste de l'aéroport de Genève. Jeanneret a acquis cette parcelle,
sur laquelle se trouvait déjà une villa, le 27 avril 1966. En vertu de
la loi cantonale d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du
territoire (LALAT), ce terrain est classé dans la 5e zone, qui est une
zone résidentielle destinée aux villas (art. 19 al. 3 LALAT). Selon le plan
des zones de bruit de l'aéroport, cette parcelle est située dans la zone B.

    Le 18 décembre 1979, Jeanneret s'est adressé au Conseil d'Etat en
réclamant une indemnité pour la dépréciation de sa propriété en raison
du bruit du trafic aérien. Sa requête ayant été écartée par l'autorité
cantonale et par le Département fédéral des transports, des communications
et de l'énergie, Jeanneret s'est pourvu devant le Tribunal fédéral,
par la voie du recours de droit administratif. Le Tribunal fédéral a
admis son recours par arrêt rendu le 3 octobre 1984 et il a dit qu'il
incombait au département fédéral de conférer au canton de Genève le droit
d'expropriation et de l'inviter à faire ouvrir, par le Président de la
Commission fédérale d'estimation, une procédure d'expropriation destinée
uniquement à statuer sur les prétentions à indemnité présentées par le
recourant (ch. 2 du dispositif de l'arrêt, publié aux ATF 110 Ib 368 ss,
p. 380). Une procédure a ensuite été ouverte devant la Commission fédérale
d'estimation du 1er arrondissement (ci-après: la Commission fédérale).
Jeanneret a conclu au paiement d'une indemnité globale, pour expropriation
formelle des droits de voisinage et pour expropriation matérielle en
relation avec les restrictions découlant du plan des zones de bruit. La
Commission fédérale a rendu sa décision le 13 avril 1989; elle a rejeté
les conclusions de Jeanneret.

    D.- D'autres propriétaires fonciers ont aussi, successivement, demandé
l'ouverture de procédures devant la Commission fédérale, afin qu'il soit
statué sur leurs prétentions fondées sur l'expropriation formelle de leurs
droits de voisinage et sur l'expropriation matérielle, après l'entrée en
vigueur du plan des zones de bruit. Les biens-fonds concernés se trouvent
sur le territoire de la commune de Vernier (au sud-ouest de la piste de
l'aéroport de Genève, à environ 1 à 2 km de l'extrémité de celle-ci)
ou sur celui de la commune de Bellevue (au nord-est de cette piste,
également à environ 1 à 2 km de l'extrémité).

    Dans les causes consorts L., W., R., G., et hoirie P., les fonds
litigieux ont une surface d'environ 1000 à 2000 m2 et ils sont déjà bâtis
(villas familiales). Ils sont classés en 5e zone résidentielle (cf. art. 19
al. 3 LALAT), et au surplus, dans certains cas, en zone de développement
(cf. art. 30 ss LALAT). Selon le plan des zones de bruit de l'aéroport, les
parcelles des consorts L. et de W. sont comprises dans la zone C; les trois
autres terrains se trouvent dans la zone B. Dans ses décisions, rendues
entre le 21 septembre 1989 et le 14 juin 1993, la Commission fédérale a
rejeté les demandes d'indemnité présentées par les propriétaires.

    Dans la cause hoirie H., le fonds litigieux a une surface de 4000
m2 environ et il s'y trouve plusieurs bâtiments (un chalet construit
en 1934 et un garage-atelier construit en 1964, notamment). Ce terrain,
compris dans la 5e zone résidentielle, a été classé en 1993 en zone de
développement industriel et artisanal. Selon le plan des zones de bruit
de l'aéroport, il est située dans la zone A. Dans sa décision, rendue le
2 juin 1992, la Commission fédérale a condamné l'Etat de Genève à verser
aux membres de l'hoirie H. une indemnité pour expropriation formelle,
pour expropriation matérielle ainsi que pour la réfection de la toiture
du chalet, endommagée à diverses reprises à la suite du passage d'avions
à basse altitude.

    Dans les causes consorts M., T. et consorts, ainsi que consorts F.,
il s'agit de terrains non bâtis ou peu bâtis (la propriété des consorts
F., d'une surface de 2,5 ha, comporte une maison de maître et quelques
annexes). Ils sont également classés en 5e zone résidentielle ou en
zone de développement. Selon le plan des zones de bruit de l'aéroport,
ces terrains sont situés dans les zones B ou C. Dans ses décisions
rendues entre le 16 juin et le 12 novembre 1993, la Commission fédérale a
rejeté les prétentions fondées sur l'expropriation formelle, mais elle a
condamné l'Etat de Genève à verser aux propriétaires une indemnité pour
expropriation matérielle (en relation avec l'inclusion d'une partie de
ces terrains dans la zone de bruit B).

    E.- Dans huit des dix causes précitées, les propriétaires concernés
(les expropriés) ont formé un recours de droit administratif contre
le prononcé de la Commission fédérale (causes Jeanneret, consorts L.,
W., R., G., hoirie P., consorts M., T. et consorts). L'Etat de Genève
(l'expropriant) a également formé un recours de droit administratif
contre le prononcé de la Commission fédérale dans la cause hoirie H.,
dans la cause consorts M., dans la cause T. et consorts, ainsi que dans
la cause consorts F. Dans cette dernière cause, les consorts F. ont formé
un recours de droit administratif joint.

    Dans leurs recours, les expropriés ont demandé au Tribunal fédéral
d'annuler les prononcés de la Commission fédérale et de leur allouer des
indemnités pour expropriation formelle des droits de voisinage et pour
expropriation matérielle, lorsque les immeubles concernés étaient situés
dans la zone de bruit B. Dans ses recours, l'Etat de Genève a fait valoir,
en substance, que les prétentions des propriétaires n'étaient pas fondées.

    F.- Un rapport intitulé "Etude sur le bruit 90: Charges acoustiques
réelles et perception subjective du bruit d'avion et de la circulation
routière par la population résidant dans le voisinage des aéroports
internationaux en Suisse" a été rédigé dans le cadre d'un programme
du Fonds national suisse de la recherche scientifique. Après avoir eu
connaissance d'un résumé de ce rapport, publié avant la version définitive,
le Tribunal fédéral s'était fait transmettre les résultats de calculs des
immissions de bruit dans les environs de l'aéroport de Genève, effectués
à l'occasion de cette recherche par le Laboratoire fédéral d'essai des
matériaux et de recherches (EMPA), sur la base du nombre de mouvements
d'avions en 1989 et selon les indices d'exposition au bruit "NNI", d'une
part, et "Leq" (niveau moyen énergétique), d'autre part.

    G.- Le Tribunal fédéral a joint toutes les causes précitées et a rendu
un jugement partiel. Dans la cause Jeanneret, il a admis partiellement le
recours, en ce sens qu'il a constaté, sur la base des nouveaux calculs,
que l'indice d'exposition au bruit NNI pour la parcelle du recourant était
supérieur à 45 NNI et inférieur à 55 NNI; pour le reste, il a rejeté le
recours. Dans les autres causes, le Tribunal fédéral a admis partiellement
les recours de droit administratif et il a dit que l'instruction devait
se poursuivre, pour déterminer le montant des indemnités dues pour
l'expropriation formelle des droits de voisinage, dans les cas où le droit
à une indemnité a été reconnu dans son principe (causes consorts L., W.,
R., G.. hoirie H., hoirie P.), ou pour déterminer si et, le cas échéant,
dans quelle mesure une telle indemnité était due (causes consorts M.,
T. et consorts ainsi que consorts F.). Dans toutes ces causes, lorsque
les parcelles litigieuses n'avaient pas déjà été classées en 1987 dans la
zone de bruit C, le Tribunal fédéral a constaté que l'indice d'exposition
au bruit était supérieur à 45 NNI et inférieur à 55 NNI.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:
II. Expropriation formelle des droits de voisinage

Erwägung 4

    4.- Dans leurs recours, tous les expropriés font valoir qu'ils ont
droit à une indemnité pour expropriation des droits de voisinage. Or,
dans ces causes, la Commission fédérale a considéré que les conditions à
l'octroi d'une telle indemnité n'étaient pas réunies. Elle n'a alloué une
indemnité à ce titre qu'aux consorts H., qui n'ont, quant à eux, pas formé
de recours contre la décision de première instance. L'expropriant demande
cependant l'annulation de celle-ci, en soutenant que les conditions à
l'octroi d'une telle indemnité ne sont pas non plus remplies dans cette
affaire. Il convient, en premier lieu, de se prononcer sur la question
de principe de l'application des règles de l'expropriation formelle en
cas d'immissions provenant de l'exploitation d'un aéroport.

    a) Aux termes de l'art. 50 LA, pour la construction et l'exploitation
d'aérodromes publics ou pour l'aménagement d'installations de navigation
aérienne, le département fédéral des transports, des communications et de
l'énergie peut, conformément à la législation fédérale sur l'expropriation,
exercer le droit d'expropriation ou le conférer à des tiers. En vertu
de l'art. 5 LEx, les droits résultant des dispositions sur la propriété
foncière en matière de rapports de voisinage peuvent faire l'objet
de l'expropriation et être supprimés ou restreints temporairement ou
définitivement. Cette norme se réfère notamment à l'art. 684 CC, qui a
la teneur suivante:

    1 "Le propriétaire est tenu, dans l'exercice de son droit, spécialement
   dans ses travaux d'exploitation industrielle, de s'abstenir de tout
   excès au détriment de la propriété du voisin.

    2 Sont interdits en particulier les émissions de fumée ou de suie, les
   émanations incommodantes, les bruits, les trépidations qui ont un
   effet dommageable et qui excèdent les limites de la tolérance que se
   doivent les voisins eu égard à l'usage local, à la situation et à la
   nature des immeubles."

    Lorsque les émissions normales et inévitables provenant de
l'exploitation d'une entreprise d'intérêt public ont pour effet de
paralyser les droits de défense des voisins, au sens de l'art. 684 CC,
la situation qui en résulte équivaut, pour le propriétaire touché, à la
constitution d'une servitude foncière ayant pour contenu l'obligation
de tolérer les émissions excessives (ATF 116 Ib 11 consid. 2b/aa, 111
Ib 15 consid. 8, 110 Ib 368 consid. 2c). L'art. 4 let. a LEx prévoit du
reste expressément l'exercice du droit d'expropriation en relation avec
l'exploitation d'une entreprise. Une telle procédure peut être introduite
même si - comme en l'espèce - pour la construction de l'ouvrage, aucune
procédure d'expropriation n'a été ouverte selon les art. 27 ss LEx (dépôt
des plans, etc.; cf. ATF 110 Ib 368 consid. 1).

    En adoptant l'art. 5 LEx en 1930, le législateur fédéral a indiqué
de façon expresse une possibilité que l'ancienne loi fédérale sur
l'expropriation, du 1er mai 1850, offrait de façon implicite. La
jurisprudence fédérale avait en effet d'emblée admis que les droits
résultant des dispositions sur la propriété foncière en matière de rapports
de voisinage pouvaient faire l'objet d'une expropriation, ceci même avant
l'entrée en vigueur du code civil suisse en 1912 (cf. notamment ATF 36
I 623 consid. 2, ATF 18 p. 53 consid. 3 et les références à des arrêts
plus anciens; cf. ATF 116 Ib 11 consid. 2a p. 16; cf. HEINZ HESS/HEINRICH
WEIBEL, Das Enteignungsrecht des Bundes, vol. I, Berne 1986, n. 2 ad
art. 5 LEx).

    b) L'art. 684 al. 1 CC pose de façon générale les limites apportées
à l'exercice de la propriété foncière et il interdit les immissions
excessives. Sont des immissions les conséquences indirectes que
l'exercice de la propriété sur un fonds peut avoir sur les fonds voisins;
il peut s'agir d'effets physiques tels que des bruits (cf. PAUL-HENRI
STEINAUER, Les droits réels, tome II, 2e éd. Berne 1994, p. 141/142
et la jurisprudence citée). Par fonds voisins, il faut entendre tous
les fonds qui sont affectés par l'immission, même s'ils se trouvent à
plusieurs kilomètres de son origine; il suffit que l'immission apparaisse
comme une conséquence de l'utilisation ou de l'exploitation de l'immeuble
concerné (cf. ATF 120 II 15 consid. 2a, 119 II 411 consid. 4b, 109 II 304
consid. 2; ARTHUR MEIER-HAYOZ, Berner Kommentar, n. 197 ad art. 684 CC). La
jurisprudence mentionne, à titre d'exemple, pour les immissions provoquées
par un aérodrome, le bruit des avions à l'atterrissage et au décollage,
même lorsque ces engins se trouvent au-delà des limites géographiques du
fonds où se situe la piste (cf. ATF 120 II 15 consid. 2a p. 17).

    Les immissions ne sont prohibées par l'art. 684 CC que si elles
sont excessives. Pour distinguer entre les immissions qui doivent être
tolérées et celles qui sont excessives, il faut se fonder sur des critères
objectifs, en évaluant la situation comme une personne raisonnable et
moyennement sensible, et en prenant en considération l'ensemble des
circonstances du cas concret pour apprécier les différents intérêts en
présence; il faut néanmoins, à cet égard, tenir compte du but de l'art. 684
CC, qui est d'assurer la protection des intérêts des seuls propriétaires
concernés et non pas, en principe, de protéger d'autres intérêts (ATF
119 II 411 consid. 4c et les arrêts cités; cf. MEIER-HAYOZ, op.cit.,
n. 90/91 ad art. 684 CC).

    c) Aux termes de l'art. 679 CC, celui qui est atteint ou menacé d'un
dommage parce qu'un propriétaire excède son droit, peut actionner ce
propriétaire pour qu'il remette les choses en l'état ou prenne des mesures
en vue d'écarter le danger, sans préjudice de tous dommages-intérêts. En
1965, le Tribunal fédéral a toutefois admis que le propriétaire qui
construisait sur son fonds avait le droit de provoquer des nuisances,
même excessives au sens de l'art. 679 CC - parce qu'elles dépassent les
limites fixées par les règles ordinaires sur les rapports de voisinage
(art. 684 CC) -, à la condition qu'il verse aux voisins lésés une indemnité
équitable. Il faut cependant que l'immission paraisse inévitable; tel
serait le cas si son interdiction était hors de proportion avec l'intérêt
qu'en retireraient les voisins, et si les travaux de construction et les
installations de chantier causaient à ceux-ci un dommage considérable
(ATF 91 II 100 consid. 2). Cette jurisprudence a été confirmée ensuite
dans des arrêts non publiés (cf. arrêt du 16 octobre 1986 reproduit
in SJ 1987 p. 145 ss, consid. 2 et les références) puis dans un arrêt
rendu en 1988, publié aux ATF 114 II 230. Dans ce dernier arrêt, le
Tribunal fédéral mentionne l'analogie existant entre cette solution et
l'expropriation proprement dite, en relevant que l'ordre juridique suisse
connaît par ailleurs une sorte d'"expropriation de droit privé" dans
certaines situations (cf. art. 674 al. 3 CC [empiétement], art. 691 CC
[obligation de tolérer des conduites], art. 694 CC [passage nécessaire],
art. 710 CC [fontaine nécessaire]).

    La solution ainsi consacrée par la jurisprudence, permettant
l'indemnisation du propriétaire voisin en cas d'immissions excessives
qu'il ne peut pas faire cesser, est au demeurant proche de celles
du droit allemand (§ 906 II BGB - cf. MEIER-HAYOZ, op.cit., p. 177,
"Rechtsvergleichung" ad art. 684 CC) et du droit italien (art. 844 II
CCit - cf. MEIER-HAYOZ, op.cit., p. 180/181).

    d) Le voisin ne peut pas exercer les actions du droit privé prévues
à l'art. 679 CC si les immissions proviennent de l'utilisation, conforme
à sa destination, d'un ouvrage d'intérêt public pour la réalisation
duquel la collectivité disposait du droit d'expropriation, et si la tâche
publique ne peut pas être exécutée sans provoquer des immissions dans les
environs (immissions inévitables ou ne pouvant être écartées sans frais
excessifs). La prétention au versement d'une indemnité d'expropriation se
substitue à ces actions et il appartient non plus au juge civil, mais au
juge de l'expropriation de statuer sur l'existence du droit à l'indemnité
et sur le montant de celle-ci (ATF 119 Ib 334 consid. 3a, 348 consid. 4b,
119 II 411 consid. 3c et les arrêts cités).

    Selon la jurisprudence que le Tribunal fédéral a développée
à propos des nuisances de bruit provenant du trafic routier et
ferroviaire, la collectivité publique - en sa qualité d'expropriant -
n'est tenue d'indemniser un voisin que si le dommage qu'il subit est à
la fois spécial, imprévisible et grave; c'est à ces seules conditions,
cumulatives, que l'immission est excessive (ATF 119 Ib 348 consid. 4b,
118 Ib 205 consid. 8c, 117 Ib 18 consid. 2b, 116 Ib 21 consid. 3a et
les arrêts cités). Ces principes ont été énoncés pour la première fois
en 1968 (arrêt Werren, ATF 94 I 286); depuis lors, le Tribunal fédéral
n'a jamais eu à examiner s'ils s'appliquaient également aux nuisances
provoquées par le trafic aérien. Dans un arrêt rendu en 1969 (ATF 95
I 490), les immissions d'autres entreprises ou installations publiques
ont été évoquées (consid. 5, p. 493: "chemins de fer, stands de tir,
aérodromes, etc."), mais on ne saurait déduire de cette énumération,
en obiter dictum, que le Tribunal fédéral aurait considéré que les trois
conditions précitées étaient aussi déterminantes à l'égard des nuisances
résultant de l'exploitation d'un aéroport (cf. consid. 6, p. 494/495: il
n'est en définitive question, dans cet arrêt, que des immissions du trafic
sur une route nationale). Dans un arrêt rendu en 1980 (ATF 106 Ib 241),
le Tribunal fédéral a statué sur le recours de locataires d'appartements
à proximité de l'aéroport de Zurich-Kloten qui demandaient une indemnité
en raison des nuisances provoquées par le trafic aérien; il ne s'est
cependant pas prononcé sur l'application éventuelle des conditions de la
spécialité, de l'imprévisibilité et de la gravité dans ce domaine, car il
a considéré que, dans le cas particulier, les locataires ne pouvaient de
toute manière pas faire valoir une prétention à une indemnité (ATF 106 Ib
241 consid. 4). La question avait par ailleurs déjà été évoquée, sans être
non plus résolue, dans un arrêt non publié du 23 décembre 1970 (référendum
financier contre un décret relatif à l'agrandissement de l'aéroport
de Zurich, arrêt reproduit in ZBl 74/1973 p. 81, consid. 5). Enfin,
dans l'arrêt rendu le 3 octobre 1984 sur le premier recours de Louis
Jeanneret, le Tribunal fédéral a indiqué qu'il n'était pas certain que
la jurisprudence concernant les émissions provenant du trafic routier
et ferroviaire puisse s'appliquer telle quelle, sans adaptation, aux
émissions de bruit des aérodromes; il a laissé cette question indécise
(ATF 110 Ib 368 consid. 3b). Elle doit être résolue.

    e) La jurisprudence "Werren" n'est pas contraire à l'art. 69 al. 1 LEx,
qui dispose que "si l'existence d'un droit faisant l'objet d'une demande
d'indemnité est contestée", la procédure devant la commission fédérale
d'estimation est suspendue, l'expropriant devant ouvrir action devant le
juge ordinaire. En effet, lorsque le voisin d'un ouvrage public demande
une indemnité en raison d'immissions excessives, l'existence des droits
garantis par l'art. 684 CC n'est en principe pas contestée; la relation de
causalité entre l'exploitation de l'ouvrage et les immissions, de même que
le caractère inévitable de ces immissions, ne sont généralement pas non
plus mis en doute (cf. HESS/WEIBEL, op.cit., n. 5 ad art. 69 LEx; contra:
FELIX SCHÖBI, Zur Unterscheidung von formeller und materieller Enteignung
am Beispiel von Immissionsstreitigkeiten, in: recht 1985 p. 126 ss).

    Par ailleurs, l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1985, de la loi
fédérale sur la protection de l'environnement (LPE; RS 814.01) n'a
pas supprimé la compétence du juge de l'expropriation pour statuer sur
l'octroi d'une indemnité en raison des immissions excessives liées à
l'exploitation d'un ouvrage public (ATF 119 Ib 348 consid. 6c/aa). Le
Tribunal fédéral est toujours tenu d'appliquer l'art. 5 LEx (art. 113
al. 3 Cst.). En outre, les législations fédérales sur l'expropriation et
sur la protection de l'environnement n'ont pas les mêmes buts, même si
elles convergent à certains égards (cf. ATF 119 Ib 348 consid. 6c/bb-cc;
selon cet arrêt, le juge de l'expropriation peut allouer des prestations en
nature qui correspondent aux mesures de protection exigées par le droit de
l'environnement); seule l'application des dispositions sur l'expropriation
des droits conférés aux voisins par les art. 679 et 684 CC permet aux
propriétaires touchés d'obtenir la réparation de leur préjudice, le
cas échéant (cf. ATF 120 Ib 76 consid. 5a; cf. arrêt non publié du 30
mai 1979, consid. 7, reproduit in: ZBl 81/1980 p. 354). Les critiques
exprimées dans la doctrine, antérieures à l'arrêt publié aux ATF 119 Ib
348 (cf. KARL LUDWIG FAHRLÄNDER, Zur Abgeltung von Immissionen aus dem
Betrieb öffentlicher Werke, unter Berücksichtigung des Bundesgesetzes
über den Umweltschutz, thèse Berne 1985, p. 50; PAUL RICHLI, Die
verwaltungsrechtliche Rechtsprechung des BGer 1984, RJB 122/1986 p. 423;
SCHÖBI, op.cit., p. 127), ne donnent pas lieu à une remise en question
de la jurisprudence selon laquelle les droits découlant des art. 679 et
684 CC en matière de rapports de voisinage peuvent faire l'objet d'une
expropriation.

Erwägung 5

    5.- Dans la première des décisions attaquées (cause Jeanneret), la
Commission fédérale a considéré que les nuisances provoquées par le trafic
aérien présentaient certaines particularités, par rapport au bruit du
trafic routier ou ferroviaire, mais qu'il ne se justifiait pas de soumettre
à des conditions distinctes l'indemnisation des voisins en application
de l'art. 5 LEx. La Commission fédérale a confirmé sa jurisprudence
dans ses décisions ultérieures, en précisant que les caractéristiques du
bruit provenant des avions seraient prises en compte dans l'examen de la
gravité ou de la spécialité du dommage (cf. notamment décision attaquée
dans la cause W.). Dans ses recours, l'Etat de Genève ne critique pas les
décisions attaquées à ce propos. Les expropriés recourants soutiennent en
revanche, à titre principal, que les trois conditions jurisprudentielles
(cf. supra, consid. 4d) ne seraient pas applicables à cet égard.

    a) Dans l'arrêt Werren (ATF 94 I 286; cf. supra consid. 4d),
le Tribunal fédéral a relevé que l'augmentation constante du nombre
des véhicules à moteur exigeait l'ouverture de nouvelles voies et
l'agrandissement des routes existantes; si les collectivités publiques
étaient tenues de réparer tous les dommages qu'entraînent ces ouvrages
indispensables, elles seraient dans la plupart des cas hors d'état de
les entreprendre (consid. 8a, p. 300). C'est pourquoi aucune indemnité ne
doit en principe être allouée, sous réserve du droit à la protection de la
bonne foi ou de l'existence d'un dommage spécial, imprévisible et grave
(consid. 8b p. 301). Selon cet arrêt, la condition de la spécialité se
justifie d'elle-même: si le préjudice est normal, c'est qu'il est conforme
à l'usage habituel et doit être toléré (consid. 9a p. 301). Le dommage
doit au surplus atteindre une certaine gravité car, tant que le tort
causé est bénin, il ne procède pas d'un excès qui engendre le droit à une
indemnité (consid. 9c p. 302). En ce qui concerne la troisième condition -
l'imprévisibilité -, le Tribunal fédéral s'est référé à une jurisprudence
ancienne, selon laquelle le propriétaire d'une maison située à proximité
d'une voie ferrée doit s'attendre à supporter plus de bruit que l'habitant
d'un quartier tranquille de villas; il n'a aucun droit à une indemnité si
l'agrandissement normal et prévisible des installations ferroviaires ou
des routes entraîne une augmentation du bruit (consid. 9b p. 302). Dans un
arrêt Buob, rendu en 1984 (ATF 110 Ib 43), le Tribunal fédéral a justifié à
nouveau l'exigence de l'imprévisibilité du dommage. Il a rappelé que, selon
l'art. 684 CC, le fait que les immissions proviennent d'une installation
préexistante ne prive en principe pas le voisin des actions de l'art. 679
CC; de ce point de vue cependant, il n'est pas contraire à l'égalité de
traitement de prévoir un régime différent pour les voisins d'une route
ou d'une voie ferrée, car la collectivité, en construisant un tel ouvrage
et en le mettant en service, accomplit une tâche d'intérêt public prévue
par la loi. La collectivité a ainsi le privilège de pouvoir apporter des
modifications à l'"usage local" ou à la "situation et à la nature des
immeubles" voisins (cf. art. 684 al. 2 in fine CC) et elle peut exiger
de leurs propriétaires qu'ils tiennent compte de ces modifications, dès
qu'elles se réalisent ou à partir du moment où elles sont prévisibles. Le
droit de l'expropriation veut en effet que l'exproprié prenne toutes les
mesures adéquates pour réduire ou supprimer son préjudice. Il n'est donc
pas contraire à la ratio legis de l'art. 684 CC de refuser une indemnité au
propriétaire qui a acquis un fonds en étant au courant de la réalisation
prochaine d'une route ou d'une voie ferrée dans le voisinage (ATF 110
Ib 43 consid. 4 p. 50; cf. aussi, à ce propos, ATF 117 Ib 15 consid.
2b in fine).

    b) Le bruit provenant du trafic aérien se distingue, à plusieurs
égards, de celui provoqué par le trafic terrestre, routier ou ferroviaire.

    Les immissions du trafic terrestre sont perçues de part et d'autre
des voies de circulation, sur toute leur longueur (quoique sur une largeur
relativement restreinte); en revanche, les effets des nuisances du trafic
aérien se concentrent sur les terrains proches des aérodromes. Tant que
les avions sont à une certaine altitude, avant l'atterrissage ou après
le décollage, leur bruit n'est pas incommodant. Par ailleurs, il est
relativement facile de se protéger des nuisances engendrées par le trafic
terrestre, en édifiant des parois latérales antibruit le long des voies,
ou en concevant les bâtiments de façon à éloigner les locaux à usage
sensible au bruit des sources d'immissions; en revanche, de telles mesures
de construction ou d'aménagement sont en général sans effet à l'encontre
de bruits provenant du ciel. Une autre particularité du bruit des avions
peut être évoquée: il est sensiblement différent à l'atterrissage et au
décollage (à l'approche, le bruit aérodynamique l'emporte sur le bruit
des moteurs), alors qu'en principe, les caractéristiques des immissions
du trafic terrestre ne dépendent pas du sens de circulation des véhicules
(sauf sur les voies en pente). Enfin, tandis que l'origine des immissions
du trafic routier et ferroviaire se situe toujours sur les terrains de
la collectivité, les nuisances des avions se produisent aussi lorsqu'ils
survolent des fonds privés, après qu'ils se sont éloignés du périmètre
de l'aéroport; or, en vertu de l'art. 667 al. 1 CC, le propriétaire a le
droit d'être protégé contre les dommages que pourrait causer le survol de
son fonds et son intérêt à jouir de l'espace aérien lui permet en principe
- sous réserve des restrictions découlant notamment de la législation
fédérale sur l'aviation - de se défendre contre les activités de tiers
qui seraient préjudiciables à l'utilisation de son fonds (cf. ATF 104 II
86 consid. 1 et les arrêts cités; cf. STEINAUER, op.cit., p. 70).

    En dépit de ces différences, les immissions provenant du trafic,
terrestre ou aérien, sont toujours liées à l'exploitation normale
d'installations d'intérêt public. Si la jurisprudence a fait, quant à
l'application des conditions de l'imprévisibilité, de la gravité et de
la spécialité, une distinction entre les nuisances dues au trafic et
celles provoquées par des travaux de construction (cf. ATF 117 Ib 15
consid. 2c), il ne se justifie pas de traiter différemment le trafic
terrestre, d'une part, et le trafic aérien, d'autre part, car les motifs
qui ont conduit le Tribunal fédéral à poser ces trois conditions (cf.
supra, consid. 5a) valent également pour le trafic aérien. Aussi ces
conditions lui sont-elles applicables.

    Par ailleurs, le fait que les immissions du trafic aérien se produisent
dans de vastes secteurs à forte densité de population, aux environs
des aéroports internationaux, ne commande pas une autre solution, car
le nombre de personnes touchées par les immissions des routes et voies
ferrées est aussi important, si l'on prend en considération l'ensemble du
réseau national (cf. infra, consid. 8a-b). Enfin, une partie des fonds
sur lesquels se produisent les immissions sont également survolés par
les avions, mais cet élément est secondaire; le préjudice causé par le
bruit n'est pas sensiblement différent, que la source des nuisances se
trouve à la verticale du fonds concerné ou qu'elle se situe au-dessus des
fonds voisins. Il n'est pas exclu que les risques supplémentaires liés
à la situation d'un immeuble sous la trajectoire d'approche ou d'envol
entraînent une certaine diminution de la valeur du fonds; cet élément
pourrait éventuellement être pris en compte dans l'appréciation de la
gravité du dommage. Cela étant, les trois conditions jurisprudentielles
ne s'appliquent pas aux dommages sans rapport avec les immissions de
bruit, notamment aux préjudices causés aux bâtiments survolés par le
passage des avions à basse altitude (destruction de tuiles du toit par
l'effet des turbulences ou par la chute de blocs de glace se détachant
des fuselages, etc.).

    c) Certains des expropriés recourants invoquent encore l'art. 8
de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH; RS 0.101),
en faisant valoir que cette disposition, qui garantit le droit au
respect de la vie privée et familiale, ne serait respectée que si des
mesures suffisantes de protection contre le bruit et de compensation des
préjudices subis par les voisins étaient prises. En l'occurrence, il n'y
a pas lieu de déterminer si l'exploitation de l'aéroport constitue, pour
ces recourants, une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du
droit conventionnel en question. De toute manière, l'existence de grands
aéroports internationaux est nécessaire au bien-être économique du pays
et l'art. 8 par. 2 CEDH réserve précisément les ingérences fondées sur
ce motif. En outre l'application de l'art. 5 LEx est en principe à même
d'assurer, dans chaque cas particulier, un "juste équilibre entre les
intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble"
(cf. arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 21 février 1990,
affaire Powell et Rayner, série A vol. 172, § 41 ss).

Erwägung 6

    6.- La Commission fédérale a considéré qu'il fallait appliquer la
condition de l'imprévisibilité dans chacun des cas, et que cette condition
n'était pas remplie dans les causes Jeanneret, consorts L., W., R., G.,
hoirie P., et consorts M.. Elle a en revanche admis l'imprévisibilité du
dommage dans les causes hoirie H. et T. et consorts, au regard de la date
d'acquisition des fonds litigieux par les ascendants de leurs propriétaires
actuels. Enfin, la Commission fédérale a laissé la question indécise dans
la cause consorts Favre.

    a) Pour statuer sur le caractère prévisible du dommage, et
partant de l'exploitation provoquant des immissions excessives, le
juge de l'expropriation se fonde sur l'appréciation du "tiers neutre"
ou du "citoyen moyen", au moment déterminant (par exemple au moment
de l'acquisition de l'immeuble touché); c'est aussi sur cette base que
le juge civil examine si les immissions doivent être tolérées par les
voisins, selon l'art. 684 CC (cf. ATF 119 II 411 consid. 4c). Il ne s'agit
pas, en effet, de se prononcer en fonction des prévisions des autorités
voire des spécialistes de l'aviation, ou de l'appréciation des voisins de
l'aéroport, généralement plus intéressés à l'évolution du trafic aérien que
la moyenne de la population. En l'occurrence, le juge de l'expropriation
n'est pas dans la même situation que lorsqu'il est chargé d'apprécier
le rôle de phénomènes naturels complexes dans un rapport de causalité,
la jurisprudence admettant alors qu'il ne suffit pas de se fonder sur
l'avis du profane (cf. ATF 119 Ib 334 consid. 5b et les références).

    b) En énonçant la condition de l'imprévisibilité dans l'arrêt Werren,
en 1968 (cf. supra, consid. 5a), dans le domaine des immissions de bruit
du trafic routier et ferroviaire, le Tribunal fédéral a - implicitement
- tenu compte du fait que l'on rencontrait des véhicules à moteur sur
les routes au moins depuis le début du siècle (le développement du
trafic ferroviaire étant encore plus ancien) et que, depuis longtemps,
nul ne pouvait prétendre ignorer les nuisances de ces genres de trafic
terrestre. On ne saurait en dire autant des inconvénients - en particulier
des immissions de bruit - résultant du trafic aérien lié à l'exploitation
des aéroports.

    aa) Dans ses messages relatifs à l'arrêté fédéral concernant le
développement des aérodromes civils et au projet de loi sur la navigation
aérienne, qui ont été publiés peu avant la fin de la seconde guerre
mondiale, le Conseil fédéral avait déjà prévu le développement du trafic
aérien commercial - pour le transport des personnes et des marchandises -
entre la Suisse et les capitales européennes ainsi qu'en direction des
autres continents, et il s'était préoccupé en temps utile d'assurer la
réalisation des infrastructures nécessaires (cf. notamment FF 1945 I 149
ss, 330 ss); dans ces textes, il n'est cependant à aucun endroit fait
mention des nuisances du trafic aérien pour les voisins des aéroports. Les
immissions de bruit n'ont pas non plus été évoquées dans les messages
du Conseil fédéral de 1948 et de 1957 concernant l'agrandissement de
l'aéroport de Genève-Cointrin (cf. FF 1948 II 1181, 1957 II 66), aucun
des investissements prévus alors ne se rapportant directement à la lutte
contre le bruit (dans le second de ces messages, il est pourtant indiqué
que les futurs avions à réaction DC-8 seraient "extrêmement" bruyants sur
l'aire de trafic - FF 1957 II 75). Par ailleurs, dans son texte primitif
du 21 décembre 1948, la loi fédérale sur la navigation aérienne (RO 1950
p. 491) - actuellement: loi sur l'aviation - prévoyait la création de
zones de sécurité autour des aérodromes publics et elle permettait au
Conseil fédéral d'arrêter des prescriptions pour empêcher la création
d'obstacles au vol et pour supprimer de tels obstacles (art. 41 ss);
cette loi ne comprenait en revanche aucune disposition sur la protection
des tiers contre le bruit du trafic aérien et elle n'avait en particulier
pas encore institué les zones de bruit. Il a fallu attendre la novelle
du 17 décembre 1971 pour que la loi soit révisée sur ce point (cf. ATF
110 Ib 368 consid. 2a-b; cf. infra, consid. 12a). Avant l'entrée en
vigueur de ces nouvelles dispositions, le 1er janvier 1974, le Tribunal
fédéral n'avait eu à se prononcer qu'une seule fois sur ces questions:
une procédure d'expropriation ayant été ouverte en vue de l'installation
d'une antenne sur le terrain d'un propriétaire voisin de l'aéroport de
Zurich-Kloten (cf. art. 50 LA), il a été jugé que ce propriétaire pouvait,
dans la même procédure, faire valoir des prétentions à indemnité pour
des immissions de bruit provenant du trafic aérien (arrêt non publié du
3 juin 1953, cité in ATF 110 Ib 368 consid. 2a).

    Le 28 septembre 1962, le Conseil fédéral a proposé à l'Assemblée
fédérale de modifier certaines dispositions de la loi sur la navigation
aérienne, en premier lieu pour régler la question des atterrissages hors
des aérodromes; il a aussi proposé d'introduire dans la loi le principe
selon lequel la lutte contre le bruit des avions rentrait, au même titre
que les impératifs de la sécurité aérienne, dans les tâches générales des
autorités chargées de la surveillance de l'aéronautique (cf. Message,
FF 1962 II 713, 722). Les Chambres fédérales ont dès lors modifié les
art. 12 et 15 LNA ("prescriptions de police") pour consacrer ce principe
(novelle du 14 juin 1963, RO 1964 p. 317). Dans son message, le Conseil
fédéral s'était référé aux travaux d'une commission fédérale d'experts en
matière de lutte contre le bruit, constituée en 1957, et en particulier au
rapport de la sous-commission chargée de se prononcer au sujet du bruit
de la navigation aérienne, adopté le 1er juillet 1960 (l'ensemble des
travaux de cette commission fédérale d'experts a fait l'objet d'un rapport
de synthèse du 14 décembre 1962, intitulé "La lutte contre le bruit en
Suisse" et publié par le Département fédéral de justice et police en 1963 -
ci-après: rapport de 1963). Dans son rapport partiel, la sous-commission
a noté l'apparition de plus en plus fréquente de conflits d'intérêts entre
les besoins légitimes de l'aviation (économiques, militaires, touristiques,
sociaux, etc.) et ceux des personnes subissant le bruit des avions,
notamment parce que les nouveaux avions étaient toujours plus bruyants,
que leur nombre s'accroissait constamment et que leur utilisation était
de plus en plus intense (cf. rapport de 1963, p. 123). A cette époque,
on espérait que la mise en service d'appareils à réaction n'augmenterait
pas le niveau de bruit, par rapport à celui des avions équipés de moteurs
à piston; la commission d'experts a cependant relevé d'emblée que ces
espoirs pourraient bien être déçus (rapport de 1963, p. 130), l'intensité
acoustique des avions à réaction étant en soi considérablement plus grande
que celle des avions à hélices et le bruit causé lors de l'atterrissage
étant ressenti bien plus fortement, en raison des hautes fréquences
(cf. rapport de 1963, p. 134/135). La commission fédérale d'experts
avait proposé de délimiter des zones inhabitées ou des zones industrielles
dans les environs immédiats des aéroports et de modifier la loi fédérale
afin qu'il existe une base légale sur ce point (cf. rapport de 1963,
p. 129/130). Cette proposition a été reprise quelques années plus tard
par le Conseil fédéral, dans le projet de modification des art. 42 ss LNA
présenté à l'Assemblée fédérale en 1971, en vue de l'adoption des zones
de bruit (Message in FF 1971 I 287, 295 ss; cf. ATF 110 Ib 368 consid. 2b).

    Les nuisances provoquées par le trafic aérien aux environs de
l'aéroport de Zurich-Kloten ont conduit, en 1956, les communes riveraines
à se constituer en association, dans le but d'obtenir des mesures de
protection contre le bruit (cf. ROBERT HENRI CHANSON, Schutz vor Lärm der
Grossflughäfen Genf und Zürich nach schweizerischem Recht, thèse Zurich
1980, p. 10). Dès avril 1960, faisant oeuvre de pionnier dans ce domaine
sur le plan international, le Conseil d'Etat du canton de Zurich a adopté
des prescriptions d'exploitation visant à réduire le bruit du trafic aérien
(cf. CHANSON, op.cit., p. 11; WERNER GULDIMANN, Lärmbekämpfung als Aufgabe
des Luftrechts, in: Berner Festgabe zum Schweizerischen Juristentag 1979,
p. 495). A Genève, une commission consultative pour ces questions a été
nommée en 1966 et les habitants riverains des deux aéroports de Zurich et
de Genève ont constitué des associations de défense de leurs intérêts en
1967 et 1969, respectivement. Puis, le 27 septembre 1970, la loi cantonale
zurichoise sur le bruit du trafic aérien ("Fluglärmgesetz") a été adoptée
en votation populaire (cf. CHANSON, op.cit., p. 12-13). Dans le canton de
Genève, une loi du 21 avril 1972, concernant la délivrance d'autorisations
de construire dans les zones riveraines de l'aéroport (cf. Recueil des
lois cantonales 1972 p. 157), a permis au département cantonal des travaux
publics de "surseoir à la délivrance de toute autorisation de construire
dans la région affectée par les nuisances de l'aéroport jusqu'à l'entrée
en vigueur du plan des zones de bruit" (art. 1er de la loi).

    bb) Comme cela a été exposé (supra, consid. 5), l'indemnisation
des voisins est soumise en principe à des conditions identiques,
que les immissions soient provoquées par le trafic terrestre ou
aérien. Toutefois, une réserve s'impose quant à l'application dans le temps
de la condition de l'imprévisibilité. On ne saurait raisonnablement exiger
des particuliers qu'ils eussent d'emblée prévu le développement du trafic
aérien et l'augmentation des nuisances, dès la construction des aéroports
internationaux du pays, voire au moment de la réalisation des premières
étapes d'agrandissement de ces installations. En effet, dans les années qui
ont suivi la reprise des activités aéronautiques commerciales à l'issue
de la seconde guerre mondiale, les autorités elles-mêmes n'avaient pas
prévu que le bruit provenant du trafic aérien serait tel que des mesures
de protection devraient être prises dans les environs des aéroports.

    Il s'agit donc de déterminer, à partir de la fin de l'année 1945, la
période à l'expiration de laquelle on pouvait, selon toute vraisemblance,
attendre de chacun - et non seulement des personnes habitant dans le
voisinage d'un aéroport - qu'il connaisse l'importance des nuisances
provoquées par le trafic aérien. Il appartient au Tribunal fédéral de fixer
la durée de ce laps de temps et d'établir sur ce point une règle. Le juge,
faisant en quelque sorte acte de législateur (cf. art. 1er al. 2 CC),
doit en décider en prenant en considération aussi bien la garantie de la
propriété privée (art. 22ter Cst.) que la nécessité de ne pas entraver
la collectivité de manière disproportionnée dans l'exercice de ses tâches
d'utilité publique (en l'occurrence: cf. art. 37ter Cst.; cf. ATF 94
I 286 consid. 8a, cité supra, consid. 5a). Au regard de l'ensemble des
circonstances, il se justifie de fixer à quinze ans cette durée, dès la
fin de l'année 1945. En conséquence, il n'y a pas lieu de tenir compte
de la condition de l'imprévisibilité, dans ce domaine, quand le dommage
est survenu avant le 1er janvier 1961.

    c) En l'occurrence, la condition de l'imprévisibilité est donc
opposable aux expropriés ayant acquis leur fonds à partir du 1er
janvier 1961; pour ceux qui l'ont acquis avant cette date, il faut
examiner uniquement si les autres conditions à l'octroi d'une indemnité
sont réunies. Cela étant, dans les cas où les expropriés ont hérité un
immeuble après le 1er janvier 1961 - ou lorsque le transfert s'est fait
en vertu d'un avancement d'hoirie -, la date d'achat par le de cujus est
déterminante (ATF 119 Ib 348 consid. 5a, 111 Ib 233 consid. 2a).

    aa) Les dates déterminantes dans les causes des consorts L. (1959), W.
(1957), R. (1953), G. (1940), hoirie H. (1933), hoirie P. (1955),
consorts M. (au plus tard 1915), T. et consorts (avant 1957) et
consorts F. (1946) sont antérieures au 1er janvier 1961; la condition de
l'imprévisibilité n'est donc en principe pas opposable à ces expropriés
et il reste à examiner si les conditions de la spécialité et de la gravité
sont remplies. Il se justifie toutefois de relever que, dans certaines de
ces causes, les expropriés - ou leurs prédécesseurs - ont construit des
bâtiments ou agrandi des locaux existants après le 1er janvier 1961 (il en
va ainsi, notamment, dans les causes G. et hoirie H.). Il n'y a toutefois
pas lieu de se prononcer sur les conséquences de la réalisation de ces
travaux, à une époque où les propriétaires connaissaient les immissions
provoquées par l'exploitation de l'aéroport, pour l'appréciation du
dommage éventuel; cette question peut rester indécise à ce stade.

    bb) En revanche, le dommage était prévisible dans la cause Jeanneret,
le terrain litigieux ayant été acquis plus de cinq ans après le 1er janvier
1961. Ce propriétaire ne saurait se prévaloir d'avoir ignoré l'existence
de l'aéroport et les effets de l'exploitation de celui-ci. D'ailleurs, dans
une lettre du 15 septembre 1967 au conseiller d'Etat chargé du département
cantonal du commerce, de l'industrie et des travaux, Jeanneret invoquait
les nuisances du trafic aérien, en demandant que des mesures soient
prises, mais il précisait aussi que lorsqu'il avait acheté sa villa, il
croyait "sincèrement" pouvoir s'habituer au bruit des avions. Dès lors,
les immissions étant non seulement prévisibles mais connues à la date de
l'acquisition, sa prétention à une indemnité est mal fondée. Le recours de
droit administratif formé par Jeanneret (E.40/1989), en tant qu'il conclut
à l'annulation de la décision attaquée et au paiement d'une indemnité pour
expropriation formelle des droits de voisinage, doit être rejeté. Il n'y
a donc plus lieu d'examiner si, dans cette cause, les conditions de la
gravité et de la spécialité étaient en revanche remplies.

Erwägung 7

    7.- (Résumé: Condition de la gravité: elle se rapporte au dommage
provoqué par les immissions, entraînant une diminution de la valeur de
l'immeuble; rappel de la jurisprudence [ATF 119 Ib 348 consid. 5c, 117 Ib
15 consid. 2b et les arrêts cités]. On doit admettre que cette condition
est remplie en ce qui concerne les fonds déjà construits et occupés
par des maisons d'habitation [immeubles des consorts L., de W., de R.,
de G., de l'hoirie P., et, sous certaines réserves, de l'hoirie H.]. Il
ne s'agit pas, à ce stade, d'estimer la dévaluation de ces immeubles;
il suffit de constater que les conditions d'habitation dans ces villas
se sont dégradées de manière très significative. En ce qui concerne les
autres biens-fonds, non bâtis ou très partiellement bâtis, le Tribunal
fédéral ne pourra se prononcer sur la gravité du dommage qu'après de
nouvelles mesures d'instruction.)

Erwägung 8

    8.- Selon la jurisprudence, la condition de la spécialité est remplie
lorsque les immissions atteignent une intensité qui excède la limite de
ce qui est usuel et tolérable. Il faut distinguer cette condition de
celle de la gravité, qui se rapporte, elle, à l'importance du dommage
provoqué par les immissions; suivant les caractéristiques de l'immeuble,
des immissions d'une intensité constante peuvent en effet entraîner un
dommage plus ou moins important (ATF 119 Ib 348 consid. 5b, 117 Ib 15
consid. 2b et les arrêts cités).

    a) La Commission fédérale a considéré que la condition de la spécialité
n'était remplie dans aucune des causes, à l'exception de la cause hoirie H.
Selon les décisions attaquées, la région dans laquelle se trouvent les
parcelles litigieuses est "particulièrement habitée", des quartiers entiers
étant réservés au logement, et tous les voisins de l'aéroport subissent
des nuisances "dans l'ensemble à tout le moins équivalentes" à celles
que subissent les expropriés. La parcelle de l'hoirie H., en revanche,
"constitue un cas qui n'est pas loin d'être unique" car, étant située à
proximité directe de la piste et dans l'axe d'envol, elle est survolée
à basse altitude par les avions et les bâtiments en ont été endommagés
à plusieurs reprises (turbulences provoquant un déplacement des tuiles
du toit).

    Les expropriés recourants soutiennent que le nombre de voisins touchés
n'est pas déterminant à cet égard et ils font valoir que la condition
de la spécialité est remplie dans tous les cas. Quant à l'expropriant,
il ne critique pas sur ce point les décisions de la Commission fédérale.

    b) Le critère retenu par la Commission fédérale pour nier la spécialité
de l'atteinte n'est pas pertinent. Même si le nombre des personnes
habitant à proximité de l'aéroport est important, il n'en demeure pas
moins qu'il ne représente qu'une petite proportion de l'ensemble des
habitants du canton de Genève pouvant bénéficier de ces installations sans
en subir les nuisances (la population totale des communes de Vernier et de
Bellevue équivaut à moins du dixième de la population de l'agglomération
genevoise). Cet aéroport est, au surplus, une infrastructure destinée non
seulement aux utilisateurs habitant le canton de Genève, mais aussi à ceux
du reste du pays, lequel ne dispose que de trois aéroports internationaux;
en conséquence, la proportion de voisins touchés par les nuisances, par
rapport au nombre des utilisateurs, est encore plus faible. Au reste,
pour l'ensemble du réseau des routes nationales, le nombre de fonds
riverains exposés, à cause des immissions de bruit, à un dommage spécial
est peut-être supérieur en proportion; dans ces conditions, le rapport
entre le nombre d'utilisateurs et le nombre de voisins touchés n'est pas
décisif (cf. supra, consid. 5b).

    c) aa) Dans sa jurisprudence relative au trafic routier, le Tribunal
fédéral s'est d'abord fondé, quant aux méthodes de mesure des immissions
et quant aux seuils déterminants pour admettre leur spécialité, sur des
rapports et propositions de commissions spéciales instituées par les
autorités fédérales - notamment sur le "rapport de 1963" (cf. supra,
consid. 6b/aa) - ou sur des rapports d'experts qu'il avait lui-même
désignés (cf. ATF 119 Ib 348 consid. 5b/aa, 110 Ib 340). Après l'entrée
en vigueur de la loi fédérale sur la protection de l'environnement, le 1er
janvier 1985, le Tribunal fédéral s'est fondé, à ce propos, sur les valeurs
limites d'immissions édictées par le Conseil fédéral pour l'évaluation des
atteintes nuisibles ou incommodantes (cf. art. 13 al. 1, art. 15 LPE); en
principe, lorsque ces valeurs limites sont dépassées, les immissions gênent
les personnes touchées de manière sensible dans leur bien-être physique,
psychique et social (cf. ATF 119 Ib 348 consid. 5b/bb). Pour le bruit du
trafic routier, les valeurs limites d'immissions ont été arrêtées en 1986,
à l'occasion de l'adoption de l'ordonnance sur la protection contre le
bruit (OPB; RS 814.41). Ces valeurs sont déterminées sous forme du niveau
d'évaluation "Lr" (art. 38 al. 1 OPB et annexe 3 OPB); à proximité d'une
route sur laquelle ne circulent que des véhicules à moteur, ce niveau
d'évaluation Lr se calcule en fonction du "niveau moyen Leq,m, pondéré A,
engendré par les véhicules à moteur, et de la correction de niveau K1"
(annexe 3 OPB, ch. 3.31). Les valeurs de seuil sont plus ou moins élevées,
selon le degré de sensibilité de la zone dans laquelle se trouve l'immeuble
touché (art. 43 OPB). Ainsi, dans une zone où aucune entreprise gênante
n'est autorisée - zones d'habitation ou réservées à des constructions
publiques, notamment - le degré de sensibilité II est applicable et
les valeurs limites d'immissions sont, pour le bruit du trafic routier,
de 60 dB(A) le jour et de 50 dB(A) la nuit (art. 43 al. 1 let. b OPB en
relation avec l'annexe 3 OPB, ch. 2); en revanche, dans les zones où sont
admises des entreprises moyennement gênantes, le degré de sensibilité
III est applicable et ces valeurs limites d'immissions sont de 65 dB(A)
le jour et de 55 dB(A) la nuit. Prenant acte de l'évolution dans ce
domaine, le Tribunal fédéral a prescrit l'utilisation de la méthode du
"niveau moyen énergétique Leq" pour mesurer l'intensité du bruit et il
a considéré que la condition de la spécialité serait, en règle générale,
remplie dans les cas où le calcul du niveau d'évaluation "Lr" révélerait
un dépassement des valeurs limites d'immissions fixées dans l'annexe 3 OPB
(cf. ATF 119 Ib 348 consid. 5b/ee).

    bb) Le Conseil fédéral n'a, en l'état, pas fixé de valeurs limites
d'exposition au bruit des aéroports nationaux. Il l'a fait pour les
aéroports régionaux et les champs d'aviation (annexe 5 OPB), sous forme
du niveau d'évaluation "Lr" (soit la "somme du niveau Leq, pondéré A,
et de la correction de niveau K" ["Lr = Leq + K"]); les valeurs limites
d'immissions, lorsque les degrés de sensibilité II ou III sont applicables,
sont respectivement de 60 dB(A) et 65 dB(A) (cf. annexe 5 OPB, ch. 2.21 et
3.31). De façon générale du reste, l'ordonnance sur la protection contre
le bruit prévoit que les immissions sont en principe déterminées sous la
forme du niveau d'évaluation "Lr" (art. 38 al. 1 OPB), soit en fonction
du niveau moyen "Leq", avec éventuellement un facteur de correction "K"
pouvant dépendre du volume du trafic ou du nombre de mouvements.

    Les travaux préparatoires en vue de l'adoption d'une nouvelle annexe
de l'ordonnance sur la protection contre le bruit consacrée au bruit des
aéroports nationaux sont toutefois en cours (cf. Message du Conseil fédéral
concernant la dernière modification de la loi sur la navigation aérienne,
FF 1991 I 609). Dans ses observations adressées au Tribunal fédéral
(au sujet des causes hoirie P., consorts M. ainsi que T. et consorts),
le Département fédéral des transports, des communications et de l'énergie
a indiqué qu'une commission d'experts avait été nommée à cet effet;
il résulte de documents produits par ce département - en particulier
d'une lettre du 5 juin 1991 de l'Office fédéral de l'environnement,
des forêts et du paysage - que cette commission envisage de proposer,
dans ce domaine aussi, de se fonder sur le calcul du niveau moyen "Leq"
(et non pas, par exemple, sur l'indice NNI; cf. infra, consid. 13).

    La section "acoustique et lutte contre le bruit" du Laboratoire
fédéral d'essai des matériaux et de recherches (EMPA) a calculé, en "Leq",
les immissions de bruit dans les environs de l'aéroport de Genève sur
la base de la statistique des mouvements en 1989, en tenant compte des
atterrissages et des décollages de six heures du matin à dix heures du
soir; des courbes des niveaux de bruit ont été dessinées, en fonction
de la topographie des lieux ("Linien gleicher Mittelungspegel Leq 16
h"; équidistance des courbes: 5 dB(A), entre 35 et 70 dB(A)). Dans sa
lettre-rapport du 6 avril 1995 au Tribunal fédéral, le chef de cette
section de l'EMPA a relevé que l'intensité des immissions était restée à
peu près constante depuis 1989; certes, on a noté une certaine augmentation
du trafic aérien, mais, dans le même temps, des avions plus silencieux
ont été mis en service. Le Tribunal fédéral n'a aucun motif de s'écarter
de ces calculs et constatations, qui émanent d'un organisme officiel
hautement qualifié et spécialisé.

    cc) Sur la carte précitée, tous les biens-fonds litigieux se trouvent
dans la bande délimitée par les courbes 65 dB(A) et 70 dB(A); le niveau
moyen "Leq" des immissions est donc, dans tous les cas, supérieur à 65
dB(A) durant la journée. Pour déterminer le niveau d'évaluation "Lr"
conformément à l'art. 38 al. 1 OPB, il faut éventuellement corriger
quelque peu le résultat calculé en "Leq"; on ne voit cependant pas
pourquoi un facteur de correction "K" important devrait être appliqué
en l'espèce, compte tenu du volume du trafic. A ceci s'ajoute le fait
que des mouvements d'avion se produisent encore - à une cadence plus
réduite certes - en dehors de la période diurne de seize heures prise en
considération pour les calculs; les statistiques d'exploitation montrent
en effet que des avions atterrissent ou décollent entre 22 h et 23 h,
ainsi qu'un peu avant 6 h. En outre, il n'est pas exclu que les effets de
l'augmentation du trafic, depuis 1989, ne soient pas entièrement compensés
par les progrès techniques rendant les nouveaux avions plus silencieux.

    Quoi qu'il en soit, les biens-fonds litigieux sur lesquels des maisons
d'habitation ont été édifiées se trouvent dans des quartiers à caractère
résidentiel et la réglementation en vigueur, au moment de la construction,
prévoyait une telle utilisation (cf. en particulier le régime de la 5e
zone résidentielle du droit cantonal). Dans de telles zones, le degré de
sensibilité II doit en principe être appliqué (art. 43 al. 1 let. b OPB)
et les valeurs limites d'immissions sont généralement fixées à 60 dB(A)
le jour, qu'il s'agisse du bruit du trafic routier (annexe 3 OPB),
du bruit des chemins de fer (annexe 4 OPB) ou du bruit de l'industrie
et des arts et métiers (annexe 6 OPB), notamment. Comme, dans ces villas
(soit les bâtiments des consorts L., de W., de R., de dame G., de l'hoirie
H. et de l'hoirie P.), le niveau moyen "Leq" est supérieur à 65 dB(A)
- et que, comme cela vient d'être exposé, le niveau d'évaluation "Lr"
ne devrait pas être sensiblement inférieur -, les immissions de bruit
sont excessives, au sens de l'art. 684 CC. La condition de la spécialité
est donc manifestement remplie en ce qui concerne ces biens-fonds et il
n'est pas nécessaire, pour le présent jugement, de mesurer avec précision
l'intensité du bruit dans chacun des bâtiments litigieux.

    Par ailleurs, il n'est pas exclu que la condition de la spécialité
soit aussi remplie pour les fonds non bâtis; cette question peut cependant
demeurer indécise, comme celle de la gravité (cf. supra consid. 7 in
fine). Il n'y a en effet pas lieu, à ce stade et avant les mesures
d'instruction qui seront encore ordonnées, de déterminer leur degré de
sensibilité au bruit et le seuil à partir duquel l'intensité des immissions
est excessive. III. Expropriation matérielle

Erwägung 11

    11.- (Résumé: Dans certaines causes, la Commission fédérale a alloué
une indemnité pour expropriation matérielle en raison de l'entrée en
vigueur, le 2 septembre 1987, du plan des zones de bruit de l'aéroport
[causes hoirie H., consorts M., T et consorts ainsi que consorts F.];
elle a considéré en substance que, par leurs effets conjoints, les
restrictions découlant de la législation fédérale sur l'aviation et du
plan d'affectation cantonal équivalaient à une expropriation. L'Etat
de Genève conteste cette appréciation; quant aux expropriés recourants,
ils soutiennent que le classement de leurs fonds dans la zone de bruit B
justifie, dans tous les cas, l'octroi d'une indemnité pour expropriation
matérielle.)

Erwägung 12

    12.- Aux termes de l'art. 44 al. 1 LA, "la restriction de la propriété
foncière par le plan de zone donne droit à une indemnité si elle équivaut
dans ses effets à une expropriation"; cette règle vise aussi bien les
zones de sécurité que les zones de bruit. La loi se réfère à ce propos
à la notion d'expropriation matérielle (art. 22ter al. 3 Cst.; cf. ATF
119 Ib 124 consid. 2 et les références).

    a) En ce qui concerne les zones de bruit, les restrictions de
la propriété foncière ont leur fondement à l'art. 42 LA. Selon cette
disposition, le Conseil fédéral peut prescrire, par voie d'ordonnance,
que des bâtiments ne peuvent plus être utilisés ou élevés dans un rayon
déterminé autour d'aérodromes publics que si leur genre de construction
et leur destination sont compatibles avec les inconvénients causés par le
bruit des aéronefs (art. 42 al. 1 let. b LA); des plans de zone, établis
par l'exploitant de l'aéroport, doivent fixer l'étendue territoriale
et la nature des restrictions apportées à la propriété (art. 42 al. 3
LA). Ces règles, qui poursuivent en premier lieu un but d'hygiène sociale -
améliorer les conditions d'habitation dans le périmètre des aéroports -,
ont été introduites dans la loi fédérale lors de la réforme de 1971, la
novelle étant entrée en vigueur en 1974 (cf. Message du Conseil fédéral,
FF 1971 I 287, 295; cf. ATF 110 Ib 368 consid. 2b). Sur la base de
cette clause de délégation, le Conseil fédéral a adopté les art. 61 ss
ONA (qui correspondent aux actuels art. 40 ss OSIA), et il a chargé le
Département fédéral des transports, des communications et de l'énergie
d'édicter des prescriptions sur la manière de déterminer l'exposition au
bruit - en tenant compte du développement prévisible des constructions
et de l'exploitation de l'aéroport - et de fixer les valeurs limites du
bruit pour délimiter les zones (art. 61 al. 2 et 3 ONA). Ce département
fédéral a dès lors adopté l'ordonnance concernant les zones de bruit
des aéroports de Bâle-Mulhouse, Genève-Cointrin et Zurich (ci-après: O
DFTCE; cf. supra, faits, let. B.). Il a choisi d'exprimer l'exposition
au bruit selon une mesure employée à l'origine au Royaume-Uni, soit au
moyen de l'indice "NNI" ("Noise and Number Index" ou "indice numérique
de bruit"). Cet indice intègre deux facteurs: le taux moyen de bruit
- ou plutôt "la valeur moyenne des maxima de niveau de bruit en PNdB"
(unité du niveau de bruit perçu) - et le nombre des mouvements d'aéronefs
ayant un niveau de bruit perçu supérieur à 80 PNdB, pendant une année,
de 6 à 22 heures (cf. art. 1er à 4 O DFTCE). C'est en fonction de cet
indice que les valeurs de seuil permettant de délimiter les trois zones A,
B et C ont été fixées (art. 7 O DFTCE).

    Pour sa part, le Conseil fédéral a néanmoins énoncé certains principes
quant à la délimitation des zones. Ainsi, en vertu de l'art. 43 OSIA
- dont la teneur correspond à celle de l'ancien art. 63 ONA -, dans
l'intérêt d'un aménagement local adéquat, les limites des différentes
zones suivent des lignes de terrain appropriées (routes, cours d'eau,
lisières de forêt, limites de champs); il y a toutefois lieu de ne pas
s'écarter sensiblement des courbes de valeur de bruit telles qu'elles
ont été calculées. Le Conseil fédéral a aussi défini les utilisations
"admissibles" ou "autorisées" dans chacune des zones de bruit A, B et C
(art. 41 al. 1 et 42 al. 1 et 2 OSIA, art. 61 al. 1 et 62 al. 1 et 2 ONA;
cf. supra, faits, let. B.), et il a prévu que, dans les zones de bruit,
les autorités compétentes en vertu du droit cantonal ne peuvent établir
de nouvelles zones à bâtir réservées à la construction de bâtiments
d'habitation (art. 42 al. 3 OSIA, art. 62 al. 3 ONA). Cela étant, aux
termes de l'art. 42 al. 5 OSIA - disposition correspondant à l'ancien
art. 62 al. 5 ONA - tout bâtiment qui est situé dans une zone de bruit
et qui a été construit avant la mise à l'enquête du plan de zone peut
continuer à être utilisé de la même manière. Le Conseil fédéral a donc
renoncé à la possibilité d'empêcher - comme le lui permettait l'art. 42
al. 1 let. b LA - l'utilisation des constructions dont la destination
était devenue, en principe, incompatible avec les normes du plan (cf. ATF
110 Ib 368 consid. 2b p. 375).

    Dans sa décision prise le 8 avril 1987 sur les recours formés contre
l'adoption du plan des zones de bruit (cf. supra, faits, let. B.), le
Conseil fédéral s'est prononcé sur la clause de délégation législative
de l'art. 61 al. 2 et 3 ONA et il a admis sa validité. En l'occurrence,
ni les expropriés, ni l'expropriant ne remettent en cause les normes sur
lesquelles la délimitation des zones de bruit est fondée, ni du reste
les dispositions de l'ordonnance relatives aux utilisations admises dans
ces zones. Le Tribunal fédéral n'a aucun motif d'examiner d'office la
constitutionnalité de ces règles générales et abstraites.

    b) Les plans des zones de bruit prévus par la législation fédérale
sur l'aviation ne sont pas, en soi, des plans d'affectation fondés sur
les art. 14 ss de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LAT;
RS 700). Ces plans règlent néanmoins, partiellement, le mode d'utilisation
du sol (cf. art. 14 al. 1 LAT), dans un but particulier. Toutefois,
contrairement aux plans d'affectation des communes ou des cantons,
les plans des zones de bruit se bornent à imposer ou concrétiser des
interdictions de construire et de transformer, assorties de certaines
exceptions; tout ce qui n'est pas expressément permis par les dispositions
spéciales du droit fédéral est interdit (en effet, selon le texte de
l'art. 42 al. 1 let. b LA, les prescriptions relatives aux zones de bruit
ont uniquement pour objet de proscrire l'utilisation ou l'édification de
certains bâtiments). Quand bien même le texte de l'ordonnance du Conseil
fédéral parle d'"utilisation admissible" (titre de l'art. 62 ONA) ou
d'"utilisation autorisée" (titre de l'art. 42 OSIA; dans le texte allemand:
"zulässige Nutzung") dans les zones de bruit, ces plans ne définissent
pas de façon positive le statut du sol. Cela étant, pour que leur
édification ou transformation soit autorisée, les bâtiments admissibles
à titre exceptionnel selon le droit aérien doivent être conformes au
plan d'affectation communal ou cantonal et aux autres normes du droit
cantonal de l'aménagement du territoire; ce sont ces dernières règles qui
définissent l'utilisation effectivement admissible du sol, compte tenu des
exigences du droit fédéral, en particulier du droit aérien (cf. Hermann
Roduner, Grundeigentumsbeschränkungen zugunsten von Flughäfen, thèse
Zurich 1984, p. 80). Les dispositions du droit public fédéral prévoient
du reste l'adoption de plans ou de mesures analogues aux zones de bruit
dans d'autres domaines, notamment pour la protection des eaux souterraines
(cf. art. 19 ss de la loi fédérale sur la protection des eaux - LEaux,
RS 814.20; cf. ATF 121 II 39 consid. 2b/aa, ATF 120 Ib 287 consid. 3c/bb).

    Quand la loi fédérale sur l'aménagement du territoire est applicable,
son art. 21 al. 2 dispose que les plans font l'objet des adaptations
nécessaires lorsque les circonstances se sont sensiblement modifiées. Ce
principe a une portée générale: une mesure de planification qui impose
des restrictions aux particuliers et qui, à la suite de l'évolution des
circonstances, n'est plus justifiée par un intérêt public prépondérant,
n'est en principe pas compatible avec la garantie de la propriété
(art. 22ter al. 1 Cst.) et elle doit normalement être revue (ATF
120 Ia 227 consid. 2c). Depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance
sur l'infrastructure aéronautique (OSIA), les règles fédérales
spéciales prévoient du reste expressément que, si la situation change
considérablement, en particulier à la suite de modifications apportées
à l'exploitation d'un aéroport ou grâce aux progrès techniques, le
Département des transports, des communications et de l'énergie ordonne
d'établir à nouveau les zones de bruit et fixe les délais d'exécution
(art. 40 al. 4 OSIA).

    c) Un plan d'affectation - qu'il soit fondé sur les art. 14 ss
LAT ou sur d'autres dispositions spéciales - est un instrument dont la
nature juridique est particulière: il ne s'agit ni d'une règle générale
et abstraite, ni d'une décision administrative (sur les controverses
doctrinales à ce propos: cf. PIERRE MOOR, Droit administratif, vol. II,
Berne 1991, p. 289 ss). Selon la jurisprudence - qui assimile à cet égard
le plan à une décision -, le contrôle incident ou préjudiciel du plan
d'affectation dans la procédure relative à un acte d'application est en
principe exclu (ATF 120 Ia 227 consid. 2c, 116 Ia 207 consid. 3b et les
arrêts cités). Un tel contrôle est pourtant admis, à titre exceptionnel,
lorsque les circonstances ou les dispositions légales se sont modifiées,
depuis l'adoption du plan, dans une mesure telle que l'intérêt public au
maintien des restrictions imposées aux propriétaires concernés pourrait
avoir disparu; cette précision jurisprudentielle correspond à l'obligation
de réexamen des plans prévue notamment à l'art. 21 al. 2 LAT (ATF 120 Ia
227 consid. 2c, 106 Ia 383 consid. 3c; arrêt du 26 octobre 1983 reproduit
in ZBl 87/1986 p. 501, consid. 2).

    d) Dans le présent jugement, il s'agit d'examiner si les restrictions
découlant du plan des zones de bruit entré en vigueur le 2 septembre 1987
(cf. art. 43 al. 4 LA) sont constitutives d'expropriation matérielle, à
savoir si elles interdisent ou restreignent l'usage actuel des biens-fonds
litigieux ou leur usage futur prévisible d'une manière particulièrement
grave, de sorte que les lésés se trouveraient privés d'un attribut
essentiel de leur droit de propriété; selon la jurisprudence, une atteinte
de moindre importance peut aussi constituer une expropriation matérielle
si elle frappe un ou plusieurs propriétaires de manière telle que, s'ils
n'étaient pas indemnisés, ils devraient supporter un sacrifice par trop
considérable en faveur de la collectivité, incompatible avec le principe
de l'égalité de traitement (ATF 119 Ib 124 consid. 2b et les arrêts cités).

    aa) En l'occurrence, il suffit de se prononcer sur la portée des
restrictions imposées par la législation fédérale sur l'aviation (car,
comme cela sera exposé - cf. infra, consid. 13 -, elles ne sont de
toute manière pas constitutives d'expropriation matérielle). Il n'y a
en particulier pas lieu d'examiner les effets des mesures cantonales
d'aménagement du territoire - résultant du plan général d'affectation
du canton ou découlant, le cas échéant, du classement dans une zone de
développement -, voire des règles fédérales dans ce domaine (cf. notamment
art. 35 al. 3 et 36 al. 3 LAT; cf. ATF 119 Ib 124 consid. 3c). Il ne
se justifie pas davantage, dans les présentes procédures, d'examiner
si d'autres règles du droit fédéral tendant à la protection des hommes
contre les atteintes nuisibles et incommodantes (cf. notamment art. 22
et 24 LPE) emportent aussi des restrictions quant aux possibilités de
construire dans le voisinage de l'aéroport de Genève. A ce propos, il
importe peu que, depuis le 1er janvier 1995, l'art. 42 al. 5 LA réserve
expressément les prescriptions de la législation fédérale sur la protection
de l'environnement relatives au bruit. Au reste, les prétentions des
expropriés n'ont été formulées qu'en rapport avec les conséquences de
l'adoption du plan des zones de bruit, et la Commission fédérale n'aurait
pas été compétente pour statuer si les demandes d'indemnité avaient eu
un autre fondement (ATF 115 Ib 411 consid. 3).

    bb) En principe, le moment déterminant pour apprécier, du point de
vue de l'expropriation matérielle, la portée de la restriction est la
date de son entrée en vigueur (ATF 119 Ib 229 consid. 3a et les arrêts
cités); l'art. 44 al. 2 LA rappelle du reste ce principe. Lorsqu'avant
le jugement définitif, une restriction constitutive d'expropriation
matérielle est remplacée par une restriction qui doit être supportée
sans indemnité, ou quand la première restriction est simplement levée,
le juge doit tenir compte de cette nouvelle situation juridique, car
l'obligation d'indemniser n'a alors, en principe, plus de fondement,
à défaut de dommage pour le propriétaire; il ne se justifie de faire
une exception que lorsque la période entre la première restriction et le
changement ultérieur de régime juridique était particulièrement longue,
de telle sorte que, sans la restriction, le propriétaire aurait pu faire
dans l'intervalle une meilleure utilisation de son fonds (ATF 105 Ia 330
consid. 4b; cf. arrêt non publié du 25 novembre 1981, reproduit in ZBl
83/1982 p. 87, consid. 4a et les arrêts cités; cf. ALFRED KUTTLER, "Welcher
Zeitpunkt ist für die Beurteilung der Frage, ob eine materielle Enteignung
vorliegt, massgebend", ZBl 76/1975 p. 503 ss). Dès lors, dans l'hypothèse
où le plan des zones de bruit aurait été révisé, avant le présent jugement,
dans le sens d'une réduction de la surface des zones A et B et, partant,
avec pour effet de ne plus soumettre certains des propriétaires touchés aux
restrictions applicables dans ces dernières zones, l'autorité judiciaire
compétente aurait dû en tenir compte dans sa décision sur les prétentions
en expropriation matérielle. Il est cependant constant que les autorités
fédérales et cantonales n'ont pas engagé une telle procédure de révision.

    cc) Cela étant, le nouveau calcul des courbes NNI ("Linien gleicher
NNI-Werte [06-22 Uhr]"), effectué par l'EMPA sur la base des mouvements
d'avions sur l'aéroport de Genève en 1989 et en fonction des critères de
l'ordonnance de 1973 (O DFTCE), démontre que les zones de bruit A et B du
plan de 1987 sont aujourd'hui manifestement surdimensionnées; actuellement
- dans son rapport du 6 avril 1995, le Dr Hofmann estime que ces calculs
sont toujours pertinents en dépit de la légère augmentation du trafic
(cf. supra, consid. 8c/bb) -, le périmètre dont l'indice d'exposition au
bruit est supérieur à 55 NNI comprend la piste elle-même et des terrains
situés au maximum à quelques centaines de mètres de celle-ci. Il n'y
a pas lieu de s'écarter de ces calculs et constatations, pour les
raisons déjà évoquées (cf. supra, consid. 8c/bb). En vertu du droit
fédéral, le seul objet d'un plan des zones de bruit est en définitive
d'indiquer sur le terrain le tracé des courbes 45 NNI, 55 NNI et 65 NNI
telles qu'elles ont été calculées conformément aux dispositions des art.
1er à 6 O DFTCE; dans ce domaine, l'autorité de planification ne doit pas,
même pour des motifs d'aménagement du territoire ou pour d'autres motifs
d'intérêt public, s'écarter sensiblement de ces courbes de niveau de bruit
(cf. art. 43 OSIA, art. 63 ONA; cf. RODUNER, op.cit., p. 98). Il faut
donc constater qu'avec l'évolution des circonstances, notamment grâce
aux progrès techniques dans la conception des avions à réaction ainsi
qu'aux nouveaux procédés et prescriptions concernant les trajectoires
d'approche et d'envol, l'exposition au bruit de plusieurs immeubles
classés, selon le plan de 1987, dans les zones de bruit A (65 NNI et plus)
ou B (entre 55 et 65 NNI), est actuellement inférieure à 55 NNI. Or,
dans ces conditions, ces immeubles devraient être soumis aux restrictions
applicables dans la zone C, voire être soustraites à toute restriction
fondée sur la législation fédérale sur l'aviation. Le Tribunal fédéral
doit nécessairement en déduire que l'intérêt public au classement dans
la zone A ou dans la zone B a disparu, car aucun autre élément n'entre
en considération pour apprécier de ce point de vue, au regard de l'art.
22ter al. 1 Cst., la validité des restrictions imposées dans ces deux zones
(par les art. 42 al. 1 OSIA ou 62 al. 1 ONA). La jurisprudence admet,
dans de telles conditions, le contrôle préjudiciel ou incident du plan
(cf. supra, consid. 12c).

    dd) Selon la carte des courbes NNI établie par l'EMPA, toutes les
parcelles des expropriés - y compris la parcelle de l'hoirie H., dans
la zone A selon le plan de 1987, et les parcelles des consorts L., de
W., de T. et consorts (no 1735) et des consorts F. (partie sud), déjà
classées dans la zone C - se trouvent dans la bande de terrain comprise
entre les courbes 45 NNI et 55 NNI, qui représentent les valeurs de
seuil inférieure et supérieure de la zone de bruit C. Les fonds les plus
proches de la courbe 55 NNI en sont toutefois suffisamment éloignés,
de telle sorte qu'on ne saurait retenir qu'un classement dans la zone
de bruit B pourrait néanmoins se justifier en vertu de l'art. 43 OSIA
(cf. supra, consid. 12a). Dans ses dernières observations, du 15 mai
1995, l'expropriant a du reste admis que "l'empreinte au sol des courbes
NNI (...) a diminué de façon très sensible, de telle sorte que des
surfaces importantes de terrains qui se trouvent en zone NNI B selon la
réglementation actuelle, se trouveraient placées en zone NNI C s'il fallait
refaire aujourd'hui le plan des zones de bruit selon les mêmes critères".

    Il faut donner acte aux expropriés, dans le présent jugement, de ces
constatations relatives à l'indice d'exposition au bruit déterminant
pour leurs parcelles; elles sont en effet de nature à entraîner une
modification du régime juridique applicable selon le plan des zones de
bruit de 1987. Dans cette mesure, les recours de droit administratif des
expropriés dont les fonds étaient classés dans la zone de bruit B doivent
être partiellement admis. Ces constatations s'imposent au demeurant à
toutes les autorités, notamment dans les procédures éventuelles tendant
à l'octroi d'autorisations de construire; la Commission fédérale aurait
du reste, elle aussi, dû tenir compte des résultats des nouveaux calculs
des courbes NNI (si elle en avait eu connaissance), qui sont fondés
sur les caractéristiques du trafic aérien au moment où elle a rendu ses
premières décisions.

Erwägung 13

    13.- (Résumé: Dans la zone C, la législation fédérale sur l'aviation
n'interdit, en définitive, que la construction de nouveaux bâtiment
d'habitation ou d'écoles non insonorisés [en plus des hôpitaux et des
homes; cf. art. 42 al. 1 et 2 OSIA]. Il ne s'agit pas de restrictions
particulièrement graves et constitutives d'expropriation matérielle. En
outre, les restrictions temporaires auxquelles les propriétaires ont été
soumis, entre la date de l'entrée en vigueur des zones de bruit et celle
à partir de laquelle les nouvelles courbes NNI doivent être considérées
comme déterminantes, doivent être supportées sans indemnité.)