Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 121 III 109



121 III 109

27. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 14 mars 1995 dans la
cause W. contre Banque X. (recours en réforme) Regeste

    Art. 466 ff. OR; Widerruf einer Anweisung.

    Bereicherungsklage des Angewiesenen gegen den Anweisungsempfänger:
anwendbares Recht (E. 2).

    Das Widerrufsrecht kann der Anweisende selbst dann ausüben, wenn
die Voraussetzungen für einen Widerruf der Anweisung gegenüber dem
Anweisungsempfänger nicht erfüllt sind (E. 3).

    Folgen für den gutgläubigen Anweisungsempfänger, wenn der Angewiesene
einen Widerruf der Anweisung missachtet. Ansprüche des Angewiesenen
gegen den Anweisenden (E. 4).

Sachverhalt

    A.- A., domicilié à Nicosie (Chypre), est titulaire d'un compte
auprès de la Banque X., à Genève. Le 4 juillet 1989, il a émis un ordre
de paiement écrit, portant sur les sommes de 14'000 US$ et de 30'000
fr., en faveur de W., domicilié à Genève, et destiné à la Banque X.;
il a remis ledit ordre à son bénéficiaire.

    Dans le courant de l'été 1989, W. s'est présenté aux guichets de la
Banque X. en vue d'obtenir l'exécution de l'ordre de paiement. Il s'est
vu opposer un refus motivé par l'insuffisance des fonds déposés sur le
compte du donneur d'ordre.

    Par télex du 16 octobre 1989, A. a révoqué l'ordre de paiement. Il
n'est pas établi que W. ait eu connaissance de cette révocation, laquelle
n'a pas été enregistrée dans le système informatique de la Banque X. en
raison d'une erreur commise par un employé de celle-ci.

    Le 7 mars 1990, W. s'est rendu à nouveau à la Banque X. A l'époque,
le compte de A. était suffisamment provisionné. Aussi W. a-t-il pu obtenir
le versement des deux sommes susmentionnées sur la base de l'ordre de
paiement du 4 juillet 1989.

    Le lendemain, A. a contesté la validité de cette opération, en se
prévalant de la révocation antérieure de l'ordre de paiement. Admettant
la réclamation de son client, la Banque X. a crédité le compte de
l'intéressé, le 15 mars 1990, des deux sommes dont elle l'avait
débité. Elle s'est ensuite retournée contre W. et lui a demandé la
restitution de celles-ci. W. n'a pas obtempéré.

    B.- Le 11 février 1991, la Banque X. a ouvert une action en
enrichissement illégitime contre W. aux fins d'obtenir le remboursement
des 30'000 fr. et des 14'000 US$ qu'elle lui avait versés par erreur. Le
défendeur a conclu au rejet de la demande.

    Par jugement du 28 octobre 1993, le Tribunal de première instance du
canton de Genève a condamné le défendeur à payer à la demanderesse la
somme de 30'000 fr. ainsi que le montant de 21'350 fr. représentant la
contre-valeur des 14'000 US$, le tout avec intérêts.

    Statuant le 24 juin 1994, sur appel du défendeur, la Cour de justice
du canton de Genève a confirmé, pour l'essentiel, le jugement de première
instance. Elle l'a cependant formellement annulé pour prononcer une
condamnation en dollars, conformément à la conclusion topique prise par
la demanderesse, et a en outre modifié le point de départ des intérêts
moratoires, tel que l'avait fixé le premier juge.

    C.- Par la voie du recours en réforme, le défendeur, qui a également
déposé un recours de droit public, invite le Tribunal fédéral à annuler
l'arrêt de la Cour de justice et à débouter la demanderesse de toutes
ses conclusions.

    La demanderesse conclut au rejet du recours en réforme et à la
confirmation de l'arrêt entrepris.

    Traitant en priorité le recours en réforme, le Tribunal fédéral
l'admet, annule l'arrêt attaqué et rejette la demande de la Banque X.

Auszug aus den Erwägungen:

                   Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- L'ordre de paiement émis le 4 juillet 1989 par le client de la
demanderesse en faveur du défendeur constituait, en droit, une assignation,
à savoir un acte juridique par lequel l'assignant autorise l'assigné
à remettre à l'assignataire une somme d'argent, entre autres choses,
que l'assignataire est autorisé par le même assignant à recevoir chez
l'assigné (ENGEL, Contrats de droit suisse, p. 534). Le point n'est pas
litigieux. Que l'assignant ait été domicilié à l'étranger lorsqu'il a
émis l'ordre en question importe peu au regard du droit international
privé. Sans doute le fait que les parties à la présente procédure ont
toutes deux leur domicile en Suisse n'est-il pas non plus décisif,
s'agissant de déterminer le droit applicable, puisque, aux termes de
l'art. 128 al. 1 LDIP (RS 291), les prétentions pour cause d'enrichissement
illégitime sont régies par le droit qui régit le rapport juridique,
existant ou supposé, en vertu duquel l'enrichissement s'est produit.
Cependant, en matière d'assignation, la prestation caractéristique, au sens
de l'art. 117 LDIP, est celle de l'assigné (KELLER/KREN KOSTKIEWICZ, IPRG
Kommentar, n. 67 ad art. 117), si bien que la loi de l'Etat dans lequel
l'assigné a sa résidence habituelle ou son établissement s'applique
à ses relations avec l'assignant et l'assignataire (ATF 100 II 200
consid. 5b et les références). Or, l'établissement de la demanderesse
et assignée se trouve en Suisse (cf. art. 21 al. 3 LDIP). Ainsi,
le problème litigieux doit être examiné à la lumière du droit suisse,
plus précisément de l'art. 63 al. 1 CO en liaison avec les art. 466 ss
CO. Les parties ne remettent d'ailleurs pas en cause l'applicabilité de
ce droit à la présente contestation.

Erwägung 3

    3.- Le défendeur conteste la validité de la révocation. Il invoque, à
ce sujet, une violation de l'art. 468 al. 1 CO et soutient que l'assignée,
une fois exécuté l'ordre de paiement, ne pouvait plus lui opposer des
exceptions dérivant de ses relations avec l'assignant. Ce premier moyen
ne résiste pas à l'examen.

    a) L'art. 470 al. 2 CO permet à l'assignant de révoquer l'assignation,
à l'égard de l'assigné, tant que celui-ci n'a pas notifié son acceptation
à l'assignataire. Ce droit de révocation peut être exercé par l'assignant
même dans l'hypothèse où les conditions d'une révocation de l'assignation
à l'égard de l'assignataire (art. 470 al. 1 CO) ne sont pas remplies
(TERCIER, Les contrats spéciaux, 2e éd., n. 4595; OR-TH. KOLLER, n. 5 ad
art. 470). L'acceptation de l'assigné, au sens de l'art. 470 al. 2 CO,
est une manifestation de volonté adressée à l'assignataire; elle n'a pas
besoin de revêtir une forme spéciale et peut résulter d'actes concluants
(TERCIER, op.cit., n. 4598; OR-TH. KOLLER, n. 5 ad art. 468 et les arrêts
cités). L'acceptation a pour effet de créer une dette nouvelle, qualifiée
d'"abstraite" et fondée sur le rapport d'assignation ou de prestation
(Leistungsverhältnis) liant directement l'assigné et l'assignataire. Dans
ce cas, l'assigné ne peut plus opposer à l'assignataire les exceptions
dérivant des rapports de provision (Deckungsverhältnis) ou de valeur
(Valutaverhältnis), conformément à l'art. 468 al. 1 CO (TERCIER, op.cit.,
n. 4599 et 4600; OR-TH. KOLLER, n. 5 et 6 ad art. 470).

    b) En l'occurrence, il ressort des constatations de fait souveraines
de la cour cantonale que la demanderesse n'a pas fait connaître à
l'assignataire son acceptation avant de le payer. Il y a donc eu ici
concomitance entre l'acceptation de l'assignation et son exécution,
autrement dit acceptation de l'assignation par l'acte concluant consistant
dans le paiement de la somme d'argent qui en formait l'objet (cf. l'ATF
105 II 104 consid. 3d). Ce paiement a été opéré le 7 mars 1990, soit
postérieurement à la révocation de l'assignation qui était intervenue
le 16 octobre 1989. On objecterait en vain que la demanderesse avait
signifié au défendeur son acceptation de l'assignation dans le courant
de l'été 1989 déjà, du fait qu'elle s'était uniquement prévalue, à cette
époque, de l'insuffisance des fonds déposés sur le compte de l'assignant
pour refuser de payer l'assignataire. En effet, le refus de l'assignée
ainsi motivé ne pourrait être regardé, dans le meilleur des cas, que
comme une acceptation de l'assignation sous condition suspensive. Or,
il n'est nullement établi que la demanderesse ait fait connaître au
défendeur la réalisation de cette condition - c'est-à-dire le dépôt par
l'assignant d'une provision suffisante - avant la date de la révocation,
ni d'ailleurs que la couverture nécessaire ait été déposée sur le compte
de l'assignant antérieurement à cette date-là. Ainsi, même dans l'hypothèse
d'une acceptation conditionnelle, la manifestation de volonté de l'assignée
n'a pu produire d'effets qu'après la révocation de l'assignation (cf.,
par analogie, l'art. 151 al. 2 CO). En concluant à la validité de la
révocation, la Cour de justice n'a donc nullement violé le droit fédéral.

Erwägung 4

    4.- A la suite d'une erreur de l'un de ses employés, la
demanderesse a payé le défendeur, nonobstant la révocation antérieure de
l'assignation. Les juges précédents lui ont reconnu le droit d'agir
directement contre le bénéficiaire de la prestation, au titre de
l'enrichissement illégitime. Le défendeur lui dénie, au contraire,
un tel droit. Il convient donc d'examiner plus avant quels sont, à
l'égard de l'assignataire, les effets de l'inobservation par l'assigné
d'une révocation de l'assignation. Cette question n'a apparemment pas
été approfondie par la jurisprudence et la doctrine suisses, comme le
souligne la cour cantonale. En revanche, elle a retenu l'attention des
tribunaux et des auteurs allemands.

    a) Dans les attributions indirectes, chacune des deux relations
causales sur lesquelles se fonde la prestation peut être entachée d'un
vice. Le droit de répétition naît donc pour ou contre chacune des personnes
entre lesquelles s'est opérée l'attribution viciée parce que sans cause
(VON TUHR/PETER, Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationenrechts,
vol. I, p. 477). Partant de cette prémisse, le Tribunal fédéral, dans
sa jurisprudence la plus récente en matière d'assignation, a exclu,
en principe, la possibilité d'une action directe de l'assigné pour
enrichissement illégitime de l'assignataire en cas de vices affectant le
rapport de couverture, le rapport de valeur ou les deux rapports à la fois
(ATF 117 II 405 consid. 3a, 116 II 689 consid. 3b/aa). Dans le dernier
arrêt en date, il a cependant réservé le droit de l'assigné de rechercher
directement l'assignataire lorsque l'attribution faite par le premier
au second est viciée en soi. A titre d'exemples d'une telle situation
exceptionnelle, ledit arrêt cite le cas où l'attribution de l'assigné
procède d'une méconnaissance des instructions de l'assignant, voire celui
dans lequel elle a été subordonnée à la validité du rapport de provision,
du rapport de valeur ou de l'un et l'autre (ATF 117 II 405 consid. 3b
p. 408 avec une référence à l'ATF 92 II 335 au sujet de l'assignation
"causale"). La doctrine allemande évoque, de son côté, les cas suivants:
prestation effectuée à double par l'assigné, attribution d'un montant
plus élevé que celui sur lequel portait l'assignation, versement opéré
au bénéfice d'une autre personne que l'assignataire, falsification de
l'assignation, etc. (cf., parmi d'autres: VON TUHR/PETER, op.cit., p. 478,
note 27a; LARENZ/CANARIS, Lehrbuch des Schuldrechts, II/2, 13e éd., p. 227;
LIEB, in Münchener Kommentar, n. 74 ad § 812 BGB; STAUDINGER/LORENZ,
n. 51 ad § 812 BGB; ESSER/WEYERS, Schuldrecht, Bd II, Bes. Teil, 7e éd.,
p. 441; SOERGEL/MÜHL, n. 64 ss ad § 812 BGB). Elle avance, au premier chef,
le besoin de protection de l'assignant, qui a effectué une attribution
indirecte à son corps défendant, pour justifier le refus de l'exposer, dans
ce genre de cas, à une action en enrichissement illégitime de l'assigné
et renvoyer celui-ci à agir contre l'attributaire, à ses risques et périls
(voir, par ex., LARENZ/CANARIS, ibid., et VON TUHR/PETER, ibid.).

    Une partie de la doctrine allemande suggère de traiter de la même
manière le cas de la révocation d'une assignation existante et celui du
défaut d'assignation, ce qui l'amène à reconnaître inconditionnellement
à l'assigné le droit de réclamer directement à l'assignataire le
remboursement de ce qu'il lui a versé dans l'ignorance de la révocation
de l'assignation (cf. notamment, LIEB, op.cit., n. 70a ad § 812 BGB;
STAUDINGER/LORENZ, ibid.). Le Bundesgerichtshof s'en distance (BGHZ 89,
p. 376 ss; 87, p. 246 ss et p. 393 ss; 61, p. 289 ss), approuvé en cela par
une majorité d'auteurs (LARENZ/CANARIS, op.cit., p. 230 ss; ESSER/WEYERS,
op.cit., p. 441/442; SOERGEL/MÜHL, n. 78 ad § 812 BGB; pour d'autres
références, cf. BGHZ 89, p. 379, consid. 3). Dans une jurisprudence
constante, il n'admet la possibilité d'une action en enrichissement
illégitime de l'assigné contre l'assignataire que si ce dernier connaissait
la révocation de l'assignation au moment où l'assigné l'avait payé. Cette
jurisprudence, fondée sur la connaissance de la révocation, découle,
en substance, des considérations suivantes: lorsque l'assigné paie
l'assignataire, en dépit de la révocation antérieure de l'assignation,
il le fait uniquement pour le compte de l'assignant. Examinée du point de
vue de l'attributaire, qui revêt une importance capitale, la prestation
de l'assigné est interprétée de la même manière, c'est-à-dire comme une
attribution faite à l'assignant et dont la cause réside dans le rapport de
couverture. Or, l'assignataire n'a pas à se soucier des vices afférents
à un tel rapport, lesquels doivent être corrigés dans ce cadre-là. Il
en va de l'intérêt du public à la bonne marche du trafic des paiements
sans numéraire. Ainsi, de même que la banque qui s'exécute sans égard
au fait que le compte de son client n'est pas suffisamment provisionné,
celle qui le fait sans prêter garde à la révocation d'une assignation
ne saurait se retourner ensuite contre l'assignataire qui n'a pas été
informé de la révocation avant de recevoir la prestation. En revanche,
l'attributaire qui en a été avisé en temps utile sait que l'assigné,
en le payant sur la base d'une assignation révoquée, passe outre
à l'interdiction de payer qui lui a été signifiée par l'assignant;
autrement dit, il ne peut plus considérer de bonne foi le paiement
qu'il reçoit comme une attribution de l'assignant. Au demeurant, ce
dernier a un intérêt digne de protection à voir respectée sa volonté de
ne plus consentir à l'exécution d'une assignation qu'il a valablement
révoquée. Il est donc normal que l'assigné qui ne se plie pas à cette
volonté en supporte seul les conséquences lorsque l'assignant a porté la
révocation à la connaissance de l'assignataire et a ainsi fait tout son
possible pour éviter que l'attribution indirecte ne soit effectuée contre
sa volonté. Aussi se justifie-t-il, en pareille hypothèse, de contraindre
l'assigné à s'en prendre directement à l'assignataire, que celui-ci ait eu
ou non une créance dérivant du rapport de valeur à l'égard de l'assignant;
la raison en est que, dans une telle situation, l'attributaire de la
prestation, qui sait qu'elle est le fruit d'une erreur de l'assigné,
ne doit pas pouvoir en tirer un quelconque avantage. S'agissant du
fardeau de la preuve, comme la bonne foi est présumée, il appartient à
celui qui allègue la mauvaise foi de l'assignataire d'en rapporter la
preuve: à l'assignant donc, s'il est recherché directement par l'assigné
(cf. BGHZ 87, p. 399 ss consid. 3); à l'assigné, s'il ouvre action contre
l'assignataire. Ces principes jurisprudentiels, on l'a déjà relevé, sont
approuvés par la doctrine dominante, avec ici ou là des réserves quant
aux motifs juridiques qui les sous-tendent. Les tenants de celle-ci
avancent généralement, à l'appui de cette solution, la nécessité de
protéger l'assignataire qui s'est fié de bonne foi à l'apparence d'une
assignation valable; ils mettent aussi en évidence, en ce qui concerne
l'assignant, le fait, d'une part, qu'il a lui-même mis en branle le
processus de paiement en invitant l'assigné à payer le tiers - ce qui
n'est pas le cas lorsque l'assigné s'exécute en l'absence de toute
assignation - et, d'autre part, qu'il a négligé d'aviser l'assignataire
de la révocation de l'assignation à l'égard de l'assigné (voir, par ex.,
LARENZ/CANARIS, op.cit., p. 230/231, qui proposent toutefois d'assimiler la
"fahrlässige Unkenntnis" à la "positive Kenntnis" de la révocation). Quant
aux différentes actions visant à rétablir le statu quo ante lorsqu'une
assignation a été exécutée en dépit de sa révocation, elles varient
suivant que l'assignataire connaissait ou ignorait la révocation au
moment où il avait accepté la prestation: dans la première hypothèse,
l'assigné peut exiger de l'assignataire le remboursement de la somme
qu'il lui a versée et le bénéficiaire de la prestation doit alors faire
valoir contre l'assignant, comme s'il n'y avait pas eu d'assignation,
son éventuelle créance dérivant du rapport de valeur. Dans la seconde
hypothèse, si le paiement de l'assigné a éteint une dette de l'assignant
envers l'assignataire, l'assigné peut agir contre l'assignant, qui s'est
enrichi par ce paiement (diminution du passif) nonobstant la révocation
de l'assignation, ce qui entraînera concrètement la validation du débit
du compte de l'assignant auprès de l'assigné ou, à défaut de provision,
l'obligation pour le premier de restituer au second une somme correspondant
au paiement fait à l'assignataire (Rückgriffskondiktion). A l'inverse,
si l'assignant n'était pas débiteur de l'assignataire, celui-ci aura
seul été enrichi par la prestation de l'assigné; ce dernier devra donc
contre-passer l'écriture, s'il a débité le compte de l'assignant, et il
ne pourra pas exiger d'être remboursé par lui, s'il s'est exécuté sans
être provisionné, sa prétention se limitant en définitive à la cession
de la créance en enrichissement illégitime de l'assignant à l'encontre de
l'assignataire (Kondiktion der Kondiktion ou Doppelkondiktion; cf., parmi
d'autres: LARENZ/CANARIS, op.cit., p. 232/233; SOERGEL/MÜHL, n. 78 ad §
812 BGB), avec tous les inconvénients inhérents à la cession de créance
(cf. TEVINI DU PASQUIER, Le crédit documentaire en droit suisse, thèse
Genève 1990, p. 119).

    Etant donné l'étroite parenté existant entre le droit allemand
et le droit suisse relativement au problème de l'assignation, rien
ne s'oppose à ce que l'on applique en Suisse, mutatis mutandis, les
principes susmentionnés pour régler la question de la révocation de
l'assignation. Aussi bien, la jurisprudence allemande concrétise, en cette
matière, à côté de la règle spécifique voulant que la restitution s'opère
normalement entre les participants à l'une des relations causales initiales
(rapport de valeur et rapport de couverture), le principe général de la
protection du tiers de bonne foi. Or, la première a également été posée par
le Tribunal fédéral dans les arrêts précités (ATF 117 II 405 consid. 3a,
116 II 689 consid. 3b/aa) et le second est à l'origine d'une abondante
jurisprudence, notamment dans le domaine de la représentation (cf. l'ATF
120 II 197 avec de nombreuses références). Ce sont là deux bonnes raisons
qui militent en faveur de l'adoption en Suisse de principes déjà fermement
établis outre-Rhin, quitte à les préciser ou à les modifier au besoin.

    b) En l'espèce, selon les constatations de fait souveraines de la
cour cantonale, l'ordre de paiement a été remis à son bénéficiaire par
l'assignant. Il est ainsi établi que l'assignataire a eu connaissance
de l'assignation. En revanche, il n'est pas prouvé qu'il ait eu
connaissance de la révocation de l'assignation avant d'avoir été payé par
l'assignée. Par conséquent, en vertu des principes qui ont été développés
plus haut tant sur le fond qu'en ce qui concerne le fardeau de la preuve,
la demanderesse, en sa qualité d'assignée, n'avait pas qualité pour ouvrir
action contre l'assignataire. Que le défendeur ait eu ou non une créance
envers l'assignant n'y change rien, quoi qu'en disent les juges précédents,
en s'appuyant d'ailleurs sur un auteur qu'ils citent à mauvais escient. En
effet, si l'assignation qu'elle avait acceptée n'avait pas été révoquée,
l'assignée n'eût pas été fondée à refuser de payer l'assignataire pour
un motif tiré du rapport de valeur (art. 468 al. 1 CO; cf. consid. 3a
ci-dessus); la logique implique donc qu'elle ne puisse pas soutenir que
l'assignant n'est pas débiteur de l'assignataire pour justifier l'ouverture
d'une action en enrichissement illégitime contre ce dernier. Il suit de
là que tous les arguments développés par le défendeur, dans son recours
de droit public, au sujet de la constatation de la Cour de justice selon
laquelle il n'aurait pas disposé d'une créance à l'égard de l'assignant
à la date du paiement sont dénués de pertinence et n'ont aucune incidence
sur le sort du présent litige.

    Cela étant, il apparaît, au terme de cet examen de la cause, que la
Cour de justice a violé le droit fédéral en faisant droit aux conclusions
prises par la banque assignée à l'encontre du défendeur. Aussi convient-il
d'admettre le recours en réforme, d'annuler l'arrêt attaqué et de rejeter
l'action de la demanderesse.