Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 120 IV 323



120 IV 323

54. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 21 septembre 1994
dans la cause Procureur général du canton de Genève c. J. et M. (pourvoi
en nullité) Regeste

    Art. 21 und 305bis StGB; Geldwäscherei; Versuch.

    Den Tatbestand von Art. 305bis StGB kann auch erfüllen, wer
Vermögenswerte wäscht, die er selber durch ein Verbrechen erlangt hat. Fall
eines Täters, dessen Vortat aus prozessualen Gründen nicht verfolgt werden
konnte (E. 3).

    Versuch der Geldwäscherei kann auch vorliegen, wenn die Vortat noch
nicht begangen worden ist (E. 4).

Sachverhalt

    A.- Le 11 juin 1992, l'Union de Banques Suisses (ci-après: UBS)
a reçu à Genève un télex, émanant prétendument de la Banque Nationale
de Paris (ci-après: BNP), lui donnant l'ordre de verser un montant de
10'000'000 US$ sur le compte de W. INC, somme qui devait ensuite être
répartie sur plusieurs comptes. La clé d'identification du télex étant
incorrecte, l'UBS a contacté directement la BNP, qui l'a informée qu'elle
n'avait pas donné d'ordre de paiement. Sachant ainsi que le télex était
faux en ce sens qu'il n'émanait pas de la BNP, l'UBS n'a effectué aucun
transfert et une enquête a été ouverte, qui a conduit à l'arrestation de
sept personnes, parmi lesquelles J. et M. tous furent inculpés de délit
manqué d'escroquerie pour avoir monté l'opération.

    B.- Les ordonnances de condamnation rendues par le Procureur général
ayant été frappées d'opposition, le Tribunal de police de Genève, par
jugement du 30 avril 1993, a condamné notamment J. et M. pour faux dans
les titres et délit manqué de blanchissage d'argent, chacun à la peine de
30 jours d'emprisonnement avec sursis pendant 3 ans et à 3 ans d'expulsion.

    C.- Statuant sur appel le 14 mars 1994, la Chambre pénale de la Cour
de justice genevoise a notamment acquitté J. et M. Elle a considéré, en
ce qui concerne le faux dans les titres, que ces accusés ne pouvaient pas
être condamnés en raison de motifs de procédure cantonale, n'ayant pas
été valablement inculpés de ce chef. En ce qui concerne le délit manqué
de blanchissage d'argent, l'autorité cantonale a exclu cette infraction
en estimant, d'une part, qu'elle ne peut pas être retenue à l'encontre
des auteurs de l'infraction dont proviennent les fonds et, d'autre part,
qu'il n'y avait rien à blanchir dès lors que l'infraction antérieure
(tentative d'escroquerie) n'a pas été réalisée.

    D.- En temps utile, le Procureur général du canton de Genève s'est
pourvu en nullité au Tribunal fédéral.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- Selon l'autorité cantonale, l'art. 305bis CP serait inapplicable à
celui qui recycle le produit d'un crime qu'il a lui-même commis; de plus,
il ne saurait y avoir une infraction à l'art. 305bis CP, même sous la
forme d'une tentative, en l'absence de crime préalablement réalisé.

    Pour le recourant, au contraire, les démarches entreprises par les
intimés aux fins de se faire créditer une somme, que rien ne justifiait
économiquement, représentent des actes propres à entraver l'identification
de l'origine des fonds qu'ils savaient ou devaient présumer provenir d'un
crime; cela serait suffisant pour appliquer l'art. 305bis CP, même si
ces auteurs apparaissent comme "leurs propres blanchisseurs". Quant au
crime à l'origine des fonds, sa réalisation ne serait pas nécessaire;
il suffirait que l'auteur du blanchissage tenté ait été conscient que
ces valeurs patrimoniales annoncées devaient provenir d'un crime.

Erwägung 3

    3.- a) La première question à résoudre est celle de savoir si celui
qui commet lui-même le crime à l'origine des fonds qu'il blanchit doit
être poursuivi à la fois pour le crime générateur des fonds et pour
blanchissage d'argent (au sens de l'art. 305bis CP). En d'autres termes,
l'acte d'autofavorisation accompli par le criminel qui recycle lui-même
l'argent provenant de son crime doit-il lui être imputé en plus dudit
crime.

    b) L'autorité cantonale se réfère au rapport de Paolo Bernasconi dont
le projet est à l'origine de l'art. 305bis CP (Rapport explicatif du 15
septembre 1986 avec proposition de revision législative, Lugano 1986
p. 43; texte en allemand p. 56). Sous le titre "Concours", cet expert
se réfère au recel et se limite à rappeler que l'auteur de l'infraction
principale ne peut pas être condamné pour le blanchissage de l'objet de
cette même infraction. Cela signifie qu'il se place dans l'hypothèse où
l'auteur du crime à l'origine des fonds est puni - ou au moins poursuivi -
pour ce crime; en effet, dans ce cas seulement il peut y avoir concours
entre le crime et le blanchissage. Bernasconi ne dit pas expressément
que l'auteur du crime et celui du recyclage ne peuvent jamais être une
seule et même personne.

    Pour CHRISTOPH GRABER (Geldwäscherei, thèse Berne 1990 p. 110/111),
selon l'opinion dominante, l'auteur à la fois du crime à l'origine des
fonds et du blanchissage ne peut pas être puni pour ces deux infractions,
par analogie avec les infractions voisines que constituent le recel et
l'entrave à l'action pénale. Il ajoute que le texte légal de l'art. 305 CP
(Celui qui soustrait une personne ...) exclut clairement cette double
sanction et que demander à un délinquant de se livrer lui-même aux
autorités pénales relève d'une exigence déraisonnable. La suite de son
analyse est moins claire. D'une part il croit pouvoir en conclure qu'il
serait aussi déraisonnable d'exiger de l'auteur du crime à l'origine des
fonds et du blanchissage qu'il ne soustraie pas l'argent du butin à la
justice (Unzumutbarkeit); d'autre part, il considère que la répression
du comportement délictueux de l'auteur du blanchissage est déjà englobée
dans celle du crime à l'origine des fonds qu'il commet (argument tiré de
la théorie du concours).

    URSULA CASSANI estime que celui qui répond de l'infraction préalable
ne saurait répondre de blanchissage car il s'agirait d'autofavorisation
impunissable (FJS 135 p. 24, V a).

    NIKLAUS SCHMID n'exclut pas expressément que l'auteur du crime
à l'origine des fonds ne puisse pas être aussi celui du blanchissage
de ceux-ci (Anwendungsfragen des Straftatbestände gegen Geldwäscherei
vor allem StGB Art. 305bis, in: Geldwäscherei und Sorgfaltspflicht,
Publication de la Fédération suisse des avocats, Zurich 1991 p. 123). Il
se limite à indiquer qu'en principe une condamnation du chef du crime
à l'origine des fonds exclut une sanction supplémentaire du chef de
blanchissage d'argent. De plus, d'après lui, aussi longtemps que l'auteur
du crime à l'origine des fonds commis à l'étranger n'est pas condamné
ou libéré par les autorités étrangères, il est possible de le juger en
Suisse pour blanchissage d'argent.

    En résumé, la doctrine a examiné la question posée ici de façon brève
et parfois obscure. Dans la mesure où les arguments sont fondés sur les
règles du concours, ils sont inutilisables en l'espèce, car les intimés -
pour des motifs de procédure cantonale - ne sont pas inculpés du chef de
faux dans les titres à l'origine des fonds à blanchir. Il n'y a donc pas
lieu de se prononcer dans le présent cas sur les problèmes résultant d'un
éventuel concours entre l'infraction prévue - par exemple - à l'art. 148
CP et celle du blanchissage d'argent. Pour cette raison également, la
jurisprudence d'après laquelle celui qui est condamné pour escroquerie ne
peut pas être l'objet d'une condamnation distincte pour blanchissage de
l'argent escroqué, ne résout pas la question qui se pose ici (arrêt non
publié du 28 octobre 1993 M. c. Office fédéral de la police, rendu par la
Ie Cour de droit public dans une affaire d'extension d'extradition vers
le Canada); en effet, les intimés ne sont pas condamnés pour le crime à
l'origine des fonds, infraction dont ils ne sont même pas inculpés.

    c) Pour un courant de doctrine, on l'a vu, une analogie parfaite
existerait entre l'infraction prévue à l'art. 305 CP et celle visée à
l'art. 305bis CP; de même que l'on ne peut exiger raisonnablement d'un
fugitif qu'il se livre spontanément aux autorités, de même ne pourrait-on
pas exiger de celui qui obtient des fonds, en commettant un crime, qu'il
ne cherche pas à entraver l'identification de l'origine, la découverte
ou la confiscation de ces valeurs patrimoniales.

    Sur le plan de la systématique du Code pénal suisse, il faut admettre
que l'art. 305bis a été placé délibérément sous le titre relatif aux
crimes ou délits contre l'administration de la justice, ce qui vient
à l'appui de l'opinion précitée. Cependant, il s'agit d'une infraction
inspirée du droit des Etats-Unis d'Amérique, qu'il a fallu insérer dans
notre droit pénal. D'autres pays européens, confrontés au même problème de
technique juridique, ont introduit le blanchiment de capitaux par exemple
à la suite du recel ou dans leur législation relative aux stupéfiants
(voir KISTLER, La vigilance requise en matière d'opérations financières,
thèse Lausanne 1994, qui donne un aperçu du droit allemand, français, belge
et luxembourgeois en la matière; p. 34, 40, 53 et 59). L'opinion d'après
laquelle le seul bien pénalement protégé serait celui de l'administration
de la justice est donc loin d'être partagée partout. L'argument tiré de
la systématique de notre code ne paraît en conséquence nullement décisif.

    Une analyse grammaticale comparée des art. 305 et 305bis CP montre
que le premier réprime le fait que quelqu'un soustrait une personne
à l'action de la justice; cela signifie que l'auteur ne peut pas être
également la personne soustraite (Celui qui aura soustrait une personne
...; Wer jemanden ... entzieht, ...; Chiunque sottrae una persona ...). Au
contraire, l'art. 305bis CP vise celui qui aura commis un acte propre à
entraver les recherches des autorités pénales; cela n'exclut aucunement
que cette personne soit aussi l'auteur du crime à l'origine des valeurs
patrimoniales en cause (Wer eine Handlung vornimmt ...; Chiunque compie
un atto ...). A cet égard, l'analogie entre ces deux dispositions n'est
pas convaincante.

    On peut ajouter que, dans le langage commun, les termes de recyclage,
blanchiment ou blanchissage d'argent n'éveillent pas l'idée que l'on ne
saurait en aucun cas être "son propre blanchisseur" (voir la définition
du terme allemand "Geldwäscherei" citée dans l'ATF 119 IV 59 consid. 2b)
aa) p. 62).

    Une autre différence entre les comportements visés aux art. 305 et
305bis CP doit être relevée. Dans le premier cas, l'auteur soustrait une
personne à l'action de la justice. Par définition, cette personne est
poursuivie pour une infraction, élément qui correspond à celui appelé
"crime" ou "infraction principale" à l'art. 305bis ch. 1 ou 3 CP. Si
la justice l'arrête, elle met du même coup la main sur l'auteur de
l'infraction principale. Il en va différemment de l'acte réprimé à
l'art. 305bis. La justice recherche de l'argent. Si elle le trouve,
elle ne met pas pour autant la main sur l'auteur du crime dont il
provient. Le rapport entre le bien soustrait (d'une part une personne,
d'autre part de l'argent) et l'auteur de l'infraction est direct dans
le premier cas, puisqu'il y a identité; dans le cas du blanchissage,
en revanche, il est indirect. On en déduit que, sous l'angle de ce qui
peut être raisonnablement exigé d'un délinquant (Zumutbarkeit), s'il
est déraisonnable de lui demander de ne pas soustraire sa personne à la
justice, il est moins déraisonnable d'exiger qu'il s'abstienne de prendre
des mesures particulières pour cacher son butin.

    d) L'analyse de l'art. 305bis CP, pris pour lui-même, montre
d'autres spécificités. Le texte de cette disposition ne donne pas
de précisions sur le crime à l'origine des fonds. Selon le ch. 1, les
valeurs patrimoniales doivent provenir "d'un crime" (aus einem Verbrechen;
da un crimine). De cette formulation, il n'est pas possible de déduire
que l'auteur dudit crime et celui du blanchissage sont nécessairement
des personnes différentes. Or, l'un des buts de cette disposition est
la lutte contre les organisations criminelles et contre les bandes
formées pour se livrer de manière systématique au blanchissage d'argent
(ch. 2). Ces réseaux de délinquants agissent souvent dans plusieurs pays,
si bien que le législateur a dû prévoir que le blanchissage d'argent
effectué en Suisse est punissable même si le crime à l'origine des fonds
a été commis à l'étranger. Il suffit que ce crime soit punissable aussi
dans l'Etat où il a été commis (ch. 3). On en déduit que le législateur
n'a pas voulu faire dépendre l'application de l'art. 305bis CP des
poursuites et du jugement du crime perpétré à l'étranger. Exiger que
l'on connaisse en détail les circonstances du crime, avant de pouvoir
réprimer le blanchissage de l'argent ainsi obtenu, aurait considérablement
compliqué et ralenti l'action de la justice suisse. C'eût été contraire
au but recherché. Le lien exigé entre le crime à l'origine des fonds et le
blanchissage d'argent est donc volontairement ténu. Il n'est pas nécessaire
de savoir qui a commis le crime. Cela peut être un membre de la bande dont
le blanchisseur fait partie (il pourrait aussi avoir participé au crime,
comme coauteur, instigateur ou complice) ou le blanchisseur lui-même. En
pareille hypothèse, on ne saurait admettre que, par principe, il ne soit
pas possible de réprimer le blanchissage sous prétexte que son auteur est
peut-être aussi celui du crime à l'origine des fonds. Le lien entre cette
infraction et le blanchissage d'argent n'est pas si étroit qu'il impose,
comme le croit la cour cantonale, l'acquittement du chef d'accusation de
blanchissage lorsqu'il apparaît que l'auteur de l'infraction principale
(non poursuivi pour des raisons de procédure cantonale) est le même que
celui des actes de blanchissage.

    Une autre marque de cette indépendance (relative) du blanchissage
d'argent par rapport au crime dont proviennent les fonds, réside dans
le montant de l'amende prévue pour les cas graves (ch. 2). Celle-ci
peut atteindre un maximum d'un million de francs qui s'ajoute à la peine
privative de liberté. Or, celui qui fait métier d'escroquerie, par exemple,
encourt une amende maximale de 40'000 fr. (art. 148 al. 2 en liaison avec
l'art. 48 al. 1 CP).

    e) Ainsi, l'autorité cantonale s'est fondée sur une interprétation
erronée de l'art. 305bis CP en admettant que l'infraction de blanchissage
d'argent est toujours exclue lorsque l'infraction principale est imputable
à l'auteur des actes de blanchissage lui-même.

    La question de savoir s'il y a concours entre l'infraction principale
et celle de blanchissage d'argent ne se pose pas ici (voir consid. 2b,
dernier alinéa). Elle peut en conséquence demeurer indécise.

Erwägung 4

    4.- Selon l'autorité cantonale, il n'y aurait pas d'infraction
à l'art. 305bis, même sous forme de tentative, en l'absence de crime
préalablement réalisé. Cette seconde motivation est également contraire
au droit fédéral.

    En effet, rien dans le texte de l'art. 305bis CP ne permet de conclure
qu'une tentative de blanchissage soit inconcevable. Il n'est pas rare
qu'un groupe de délinquants prenne toutes les mesures nécessaires au
blanchissage d'argent avant de commettre le crime dont cet argent doit
provenir. Cela semble bien être le cas ici, où un dispositif consistant
à ouvrir de nombreux comptes en vue de répartir le butin a été mis en
place avant l'envoi du faux télex. Peut-être même que, face à certaines
filières très organisées, il serait concevable d'admettre que les actes
préparatoires du crime incluent un début d'exécution du blanchissage de
l'argent attendu.

    En l'espèce, l'autorité cantonale n'a pas examiné la cause sous cet
angle. Dès lors, l'état de fait ne permet pas de contrôler l'application
du droit fédéral (art. 277 PPF).