Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 120 II 408



120 II 408

74. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 13 décembre 1994 dans la
cause R. contre République d'Irak (recours en réforme) Regeste

    Arbeitsvertrag. Gerichtsbarkeits-Immunität fremder Staaten.

    Kriterien, die bei der Unterscheidung zwischen Handlungen iure imperii
und iure gestionis heranzuziehen sind. Anwendung dieser Kriterien auf den
Fall eines für den Entsendestaat arbeitenden Dolmetschers und Übersetzers.

Sachverhalt

    A.- Le 18 juin 1990, la Mission permanente de la République d'Irak
auprès de l'Office des Nations Unies à Genève (ci-après: la Mission) a
engagé R., ressortissant marocain, en qualité de traducteur-interprète,
moyennant un salaire de 3'400 fr. par mois. Le travail confié à cette
personne consistait dans la traduction de l'arabe en français de tous
documents et lettres de la Mission adressés à des destinataires de langue
française et dans la traduction en arabe de la correspondance reçue en
français. S'y ajoutait la rédaction de certaines lettres. R. fonctionnait
aussi comme interprète lorsque des conférences avaient lieu dans les
locaux de la Mission. L'ambassadeur auprès de ladite Mission l'a, en outre,
chargé d'assister ses enfants dans leurs tâches scolaires.

    Les rapports de travail ont apparemment pris fin en 1992.

    B.- Le 18 janvier 1993, R. a assigné la République d'Irak devant
les tribunaux genevois en vue d'obtenir le paiement d'un montant qu'il
a arrêté à 73'405 fr. 60 dans ses dernières conclusions. La défenderesse
a excipé de son immunité de juridiction.

    Par jugement du 24 juin 1993, le Tribunal des prud'hommes du canton de
Genève a admis cette exception et prononcé l'irrecevabilité de la demande.

    Saisie par le demandeur, la Chambre d'appel des prud'hommes du canton
de Genève a confirmé ce jugement, par arrêt du 14 février 1994, au motif
que le demandeur avait été engagé pour s'acquitter de tâches étroitement
liées à l'exercice de la puissance publique, circonstance qui justifiait
d'admettre l'exception d'immunité de juridiction dans le cas particulier.

    C.- Le demandeur interjette un recours en réforme tendant à
l'annulation de l'arrêt cantonal, au rejet de l'exception soulevée par
la défenderesse et au renvoi de la cause à la juridiction des prud'hommes
pour qu'elle statue sur le fond. A l'appui de ce recours, il fait valoir,
en résumé, qu'il n'était qu'un employé subalterne de l'Etat défendeur,
car il ne disposait d'aucun pouvoir de décision. Il allègue, par ailleurs,
une violation de l'art. 6 par. 1 CEDH.

    Le Tribunal fédéral admet le recours et fait droit aux conclusions
du demandeur.

Auszug aus den Erwägungen:

                   Extrait des considérants:

Erwägung 5

    5.- a) Il est admis, d'une manière générale, que le privilège de
l'immunité diplomatique n'est pas une règle absolue. L'Etat étranger
n'en bénéficie que lorsqu'il agit en vertu de sa souveraineté (jure
imperii). Il ne peut, en revanche, s'en prévaloir s'il se situe sur le
même plan qu'une personne privée, en particulier s'il agit en qualité de
titulaire d'un droit privé (jure gestionis).

    Les actes accomplis jure imperii, ou actes de souveraineté, se
distinguent des actes accomplis jure gestionis, ou actes de gestion, non
par leur but mais par leur nature. Pour qualifier un acte donné, l'autorité
appelée à statuer peut également recourir à des critères extérieurs à cet
acte. Elle procédera aussi, dans chaque cas d'espèce, à une comparaison
de l'intérêt de l'Etat étranger à bénéficier de l'immunité avec celui
de l'Etat du for à exercer sa souveraineté juridictionnelle et celui du
demandeur à obtenir une protection judiciaire de ses droits. Enfin, de
tout temps, la jurisprudence suisse a marqué une tendance à restreindre
le domaine de l'immunité (pour l'ensemble de ces principes, cf. l'ATF
113 Ia 172 consid. 2 et les arrêts cités).

    b) En matière de contrat de travail, la jurisprudence admet que,
si l'Etat accréditant peut avoir un intérêt important à ce que les
litiges qui l'opposent à des membres de l'une de ses ambassades exerçant
des fonctions supérieures ne soient pas portés devant des tribunaux
étrangers, les circonstances ne sont pas les mêmes lorsqu'il s'agit
d'employés subalternes. En tout cas lorsque l'employé n'est pas un
ressortissant de l'Etat accréditant et qu'il a été recruté puis engagé
au for de l'ambassade, la juridiction du for peut être reconnue dans la
règle. L'Etat accréditant n'est alors pas touché dans l'exercice des tâches
qui lui incombent en sa qualité de titulaire de la puissance publique
(ATF 110 II 255 consid. 4 p. 261).

    Pour décider si le travail accompli par une personne qui est au
service de l'Etat accréditant ressortit ou non à l'exercice de la
puissance publique, il faut partir des constatations souveraines de la
dernière autorité cantonale touchant l'activité litigieuse, telle qu'elle
a été déployée dans le cas concret, sans tenir compte des allégations
contraires ou nouvelles des parties à ce sujet (art. 63 al. 2 OJ). En
effet, à défaut de législation déterminant quelles fonctions permettent
à l'Etat accréditant de se prévaloir, à l'égard de leurs titulaires,
de son immunité, la désignation de la fonction exercée ne saurait être,
à elle seule, un critère décisif. Aussi bien, selon les tâches qui lui
sont confiées, tel employé apparaîtra comme un instrument de la puissance
publique alors que tel autre, censé occuper un poste identique, devra
être classé dans la catégorie des employés subalternes. L'activité de
traducteur-interprète n'échappe pas à la règle, nonobstant les tentatives
qui ont été faites, ici et là, de la rattacher, in abstracto, à l'une
des deux catégories en présence (à ce sujet, cf. PHILIPPE CAHIER, Le
droit diplomatique contemporain, 2e éd., p. 313/314 et les références;
voir aussi l'ATF 110 II 255 consid. 4d p. 264 in limine, où le Tribunal
fédéral range les traducteurs dans la catégorie du personnel de bureau).

    c) En l'espèce, le demandeur, qui n'est pas un ressortissant de l'Etat
défendeur, a été recruté au moyen d'une annonce que la défenderesse
avait fait paraître dans un hebdomadaire genevois et il a été engagé
au for de la Mission. Touchant un salaire modeste, il a assuré la
traduction de l'arabe en français, et vice versa, de l'ensemble des
documents concernant la Mission, a rédigé lui-même certaines lettres et a
participé, comme interprète, à des conférences ou réceptions organisées
dans les locaux de la Mission. Outre ces activités, il a assisté les
enfants de l'ambassadeur dans leurs tâches scolaires. Ce dernier travail
ne constituait assurément pas un acte jure imperii. La même conclusion
s'impose s'agissant de l'activité de traducteur-interprète proprement dite,
même si l'on se trouve sans doute en présence d'un cas limite. En effet, le
traducteur-interprète ne participe pas, en règle générale, à la formation
de la volonté de celui qui l'emploie, mais s'attache uniquement à rendre
le plus fidèlement possible le sens de ce qu'il lit ou entend. Certes,
une telle activité peut revêtir un caractère confidentiel marqué, suivant
la teneur des écrits à traduire ou des propos à interpréter. Ce n'est
toutefois pas là un élément décisif pour qualifier l'activité en question,
puisqu'aussi bien d'autres personnes travaillant au service de l'Etat
accréditant sont amenées soit à accomplir des tâches confidentielles,
soit à prendre connaissance de données ou informations de cette nature,
bien qu'elles occupent des postes subalternes, tels les secrétaires,
les dactylos, les archivistes, les chauffeurs, les membres du service de
sécurité, etc. Par conséquent, hormis l'aspect intellectuel du travail
confié au demandeur, rien ne distinguait, en l'occurrence, cette activité,
sous l'angle du pouvoir décisionnel, de celle accomplie par le personnel
administratif et technique de la Mission. Que le traducteur-interprète
ait encore rédigé lui-même certaines lettres n'y change rien, car il
n'est pas établi, ni même allégué, qu'un tel travail ait dépassé les
limites usuelles, c'est-à-dire la formulation de la pensée d'autrui sur
les indications et sous le contrôle des signataires desdites lettres. Dans
ces conditions, il n'est pas possible de voir, dans l'activité litigieuse,
autre chose que l'exercice d'une fonction subalterne.

    Cependant, cette circonstance ne suffit pas à elle seule pour que
la Suisse puisse connaître du litige. Tout rapport de droit privé assumé
par un Etat étranger ne peut pas donner lieu à des mesures de procédure
en Suisse. Encore faut-il que le rapport de droit en cause ait certains
liens avec le territoire suisse ("Binnenbeziehung"), c'est-à-dire qu'il
y soit né ou doive y être exécuté ou, tout au moins, que le débiteur ait
accompli certains actes de nature à y créer un lieu d'exécution (ATF 106 Ia
142 consid. 3b; EGLI, L'immunité de juridiction et d'exécution des Etats
étrangers et de leurs agents dans la jurisprudence du Tribunal fédéral,
in: Festschrift 100 Jahre SchKG/Centenaire de la LP, p. 208 et les autres
arrêts cités). En l'occurrence, le demandeur, qui séjournait en Suisse
depuis 1983, a été recruté et engagé à Genève, ville dans laquelle il a
exercé son activité. La relation avec la Suisse est ainsi incontestable.

    Force est, dès lors, de constater, au terme de cet examen, que
l'exception d'immunité soulevée par la défenderesse est mal fondée,
contrairement à l'avis des juridictions genevoises, ce qui entraîne
l'admission du recours, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen
pris de la violation de l'art. 6 par. 1 CEDH, l'annulation de l'arrêt
attaqué et le renvoi de la cause à la cour cantonale pour qu'elle se
prononce sur le fond après avoir examiné, le cas échéant, les autres
questions de recevabilité qui pourraient se poser.