Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 120 II 155



120 II 155

31. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 19 avril 1994 dans la
cause Emirats Arabes Unis et consorts contre Westland Helicopters Limited
et Tribunal arbitral (recours de droit public) Regeste

    Internationale Schiedsgerichtsbarkeit: Zuständigkeit des
Schiedsgerichts; Ordre public (Art. 190 Abs. 2 lit. b und e IPRG).

    Jede Partei, selbst eine säumige, verwirkt das Anfechtungsrecht
hinsichtlich eines Zwischenentscheides über die Zuständigkeit, der zu
ihren Ungunsten erging und ihr ordnungsgemäss mitgeteilt wurde, wenn sie
ihn nicht innerhalb der vorgeschriebenen Frist anficht (E. 3).

    Begriff und Bezugspunkt des negativen Ordre public (E. 6a). Ein
Entscheid, welcher den Ordre public verletzt, ist im allgemeinen nicht
nichtig, sondern lediglich anfechtbar (E. 6b). Nicht gegen den Ordre public
verstösst die Wahl einer rechtlichen Form, welche die Mitgliedstaaten
eines internationalen Unternehmens zu Garanten der von diesem eingegangenen
Verpflichtungen macht (E. 6c).

Sachverhalt

    A.- Le 29 avril 1975, la République Arabe d'Egypte (RAE), le Royaume
d'Arabie Saoudite (RAS), l'Etat du Qatar et les Emirats Arabes Unis (EAU)
ont conclu un traité en vue de la fondation d'un organisme supranational,
doté de la personnalité juridique, appelé "The Arab Organization for
Industrialization" (AOI). Cet organisme avait pour but de développer une
industrie à caractère militaire dans les pays arabes.

    Le 27 février 1978, l'AOI et la société britannique Westland
Helicopters Limited (WHL) ont signé, entre autres contrats, un
"Shareholders Agreement" ayant pour objet leur participation commune à
une société par actions, dénommée "The Arab British Helicopter Company"
(ABH), dont le but devait consister dans la fabrication d'hélicoptères
en Egypte et la vente des appareils. Cette convention comprenait une
clause arbitrale.

    A la même date, WHL et l'ABH ont conclu une série de contrats (contrats
de licence, d'assistance technique et de fourniture de matériel) contenant
tous une clause similaire.

    B.- Le 26 mars 1979, la RAE a signé avec l'Etat d'Israël un accord
impliquant la cessation des hostilités entre ces deux pays. Ce faisant,
elle est entrée en conflit avec les autres membres de l'AOI, qui décidèrent
de mettre fin à l'existence de cet organisme, avec effet au 1er juillet
1979, et de le liquider.

    Après l'échec de pourparlers, WHL prit note de la rupture et notifia,
en juillet 1979, sa décision de réclamer des dommages-intérêts à l'AOI
dissoute et aux Etats membres. Le 12 mai 1980, elle déposa auprès de la
Chambre de Commerce Internationale (CCI), à Paris, une requête d'arbitrage
dirigée contre l'AOI en liquidation, les quatre Etats membres de cette
organisation et l'ABH. Le 29 octobre 1980, la Cour d'arbitrage de la CCI
constitua un tribunal arbitral de trois membres. Le siège de l'arbitrage
fut fixé à Genève.

    La procédure arbitrale fut émaillée d'incidents divers. L'un d'eux
avait trait à la compétence du Tribunal arbitral. Statuant le 5 mars
1984, celui-ci se déclara compétent à l'égard de toutes les parties
défenderesses. La RAE recourut avec succès contre la sentence incidente
rendue à cette date et fut mise hors de cause, motif pris de ce que cette
défenderesse - à l'instar des EAU, du RAS et du Qatar, lesquels Etats
n'avaient toutefois pas attaqué ladite sentence - n'était pas liée par
les clauses compromissoires figurant dans les contrats conclus par l'AOI
et l'ABH avec WHL. En revanche, l'AOI et l'ABH recoururent en vain contre
cette sentence incidente.

    Le 21 juin 1991, le Tribunal arbitral rendit une sentence partielle
dans le dispositif de laquelle il constata que les différents contrats
conclus par WHL avec l'AOI et l'ABH constituaient un tout indissociable
(ch. 1), que l'AOI était responsable de leur inexécution et du dommage
qui en était résulté pour WHL (ch. 2), et que le RAS, les EAU et le Qatar
étaient responsables - solidairement entre eux, mais subsidiairement par
rapport à l'AOI - du paiement des dommages-intérêts qui seraient alloués
à WHL (ch. 3 et 4), dommages-intérêts dont le montant serait fixé dans la
sentence finale (ch. 7). Quant à WHL, le Tribunal arbitral admit qu'elle
était fondée à ne plus exécuter les contrats conclus par elle avec l'ABH
(ch. 5) et qu'elle n'assumait aucune responsabilité envers cette dernière
(ch. 6).

    Après de nouveaux rebondissements procéduraux, le Tribunal arbitral
rendit sa sentence finale le 28 juin 1993. Il condamna l'AOI, à titre
principal, ainsi que les EAU, le RAS et le Qatar, à titre subsidiaire et
solidairement entre eux, à payer à WHL un montant total de 364'747'000
£, intérêts en sus. Il dénia, en outre, à WHL le droit de compenser ses
propres créances avec celles de l'ABH tendant au remboursement du solde
des avances qu'elle lui avait versées pour l'exécution des contrats
litigieux, sans toutefois ordonner la restitution de ces avances, faute
d'une conclusion condamnatoire prise par l'ABH. Les frais de la procédure
arbitrale furent mis, pour l'essentiel, à la charge de l'AOI et des trois
Etats défendeurs.

    C.- Les EAU, le RAS et le Qatar ont formé trois recours de droit
public, comportant les mêmes motifs, en vue d'obtenir l'annulation tant
de la sentence partielle du 21 juin 1991 que de la sentence finale du 28
juin 1993.

    Après les avoir joints, le Tribunal fédéral a rejeté les trois recours,
dans la mesure où ils étaient recevables.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 3

    3.- Dans un premier moyen, les recourants soutiennent que le Tribunal
arbitral s'est déclaré à tort compétent à leur égard (art. 190 al. 2
let. b LDIP; RS 291). A l'instar de la RAE, ils contestent être liés
par les conventions d'arbitrage passées entre WHL et l'AOI ou l'ABH; de
plus, ils affirment n'avoir jamais reconnu implicitement la compétence
du Tribunal arbitral puisqu'ils n'ont participé d'aucune manière à la
procédure conduite sous son autorité. Aussi, la conclusion qu'impose à
leur avis la prétendue incompétence ratione personae du Tribunal arbitral
est la nullité absolue de l'ensemble de la procédure qu'il a dirigée
et de toutes les sentences qu'il a rendues au cours de celle-ci. Cette
nullité pourrait être invoquée en tout temps, selon eux, d'autant que le
Tribunal arbitral et les juridictions étatiques n'auraient jamais rendu
de décision ayant force de chose jugée sur la question de la compétence
de jugement en tant qu'elle a trait à leur personne.

    L'intimée estime, quant à elle, que les sentences partielles ou
incidentes rendues par le Tribunal arbitral avant le 1er janvier 1989 -
date d'entrée en vigueur de la loi fédérale sur le droit international
privé - ne peuvent plus être remises en cause en même temps que la
sentence finale, du moment qu'elles ont déjà toutes été revues par la
Cour de justice et le Tribunal fédéral dans le cadre de la procédure
concordataire, le défaut des recourants dans la procédure arbitrale ne
changeant rien à la situation juridique ainsi établie définitivement. Qui
plus est, toujours selon l'intimée, les décisions incidentes en matière de
compétence doivent être attaquées immédiatement, de sorte que, pour n'avoir
pas formé de recours en temps utile contre la sentence incidente rendue
le 5 mars 1984 par le Tribunal arbitral, les recourants seraient déchus
une fois pour toutes de leur droit de remettre en cause cette sentence.

    a) La sentence incidente, par laquelle un tribunal arbitral statue
sur sa compétence (art. 8 al. 1 CIA, art. 186 al. 3 LDIP), peut faire
immédiatement l'objet d'un recours (art. 9 CIA, art. 190 al. 3 LDIP). Selon
une jurisprudence fermement établie, la partie qui n'attaque pas une
telle sentence dans le délai prévu à cet effet est déchue du droit de
soulever ultérieurement l'exception d'incompétence du tribunal arbitral
et elle ne peut plus remettre en cause la sentence incidente par le biais
d'un recours dirigé contre la sentence finale (ATF du 26 novembre 1980,
in: SJ 1982 p. 613 ss, consid. 6a; consid. 2, non publié, de l'ATF 119 II
380; ATF 118 II 508 consid. 2b/bb). Cette jurisprudence, qui correspond à
celle relative à l'art. 87 OJ (ATF 118 II 508 consid. 2b/bb, 117 Ia 396
consid. 2, 116 Ia 181 consid. 3a), se situe dans le droit fil des arrêts
qui proscrivent la tactique consistant à tarder, sans raison valable, à
invoquer des vices de procédure (ATF 113 Ia 67; voir aussi l'ATF 116 Ia
135 consid. 4, 387 consid. 1 et 485 consid. 2c). Elle est approuvée par
la doctrine (JOLIDON, Commentaire du Concordat suisse sur l'arbitrage,
n. 3 ad art. 9; LALIVE/POUDRET/REYMOND, Le droit de l'arbitrage interne
et international en Suisse, n. 2 ad art. 9 CIA et n. 5b ad art. 190 LDIP;
RÜEDE/HADENFELDT, Schweizerisches Schiedsgerichtsrecht, 2e éd., p. 237
et 240; WALTER/BOSCH/BRÖNNIMANN, Internationale Schiedsgerichtsbarkeit
in der Schweiz, n. IV/1 ad art. 182-186, apparemment en contradiction
avec l'opinion émise par les mêmes auteurs sous le n. IV/3 ad art. 190
al. 2-194 LDIP; HEINI, in: IPRG-Kommentar, n. 65 ad art. 190 LDIP;
DUTOIT/KNOEPFLER/LALIVE/MERCIER, Répertoire de droit international privé
suisse, vol. 1, p. 289, n. 208). Par conséquent, il n'y a pas lieu d'y
revenir.

    b) Les recourants objectent que la compétence du Tribunal arbitral
à leur égard n'a jamais été constatée positivement par une juridiction
étatique pendant toute la durée de la procédure arbitrale. Ils considèrent,
par ailleurs, que la sentence incidente touchant la compétence du Tribunal
arbitral n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée envers eux,
opinion qu'ils assoient tant sur les principes généraux régissant la
procédure que sur le droit procédural et le droit constitutionnel de la
Suisse. Les divers arguments présentés par eux dans ce cadre-là appellent
les remarques suivantes:

    aa) Les recourants déduisent des principes généraux en matière de
procédure une compétence différente du tribunal arbitral saisi pour
statuer sur sa propre compétence, selon qu'est en cause la validité ou
l'interprétation d'une convention d'arbitrage ou qu'il s'agit de décider si
une telle convention lie une partie qui ne l'a ni signée ni fait signer
en son nom. A leur avis, dans la première hypothèse, une éventuelle
erreur des arbitres ne pourrait être rectifiée que sur recours de la
partie lésée (art. 36 CIA ou art. 190 LDIP), la sentence viciée n'étant
entachée que de nullité relative. En revanche, dans la seconde hypothèse,
la partie assignée devant le tribunal arbitral qu'elle estime incompétent
relativement à sa personne ne serait pas tenue d'y soulever l'exception
d'incompétence et les arbitres n'auraient pas le droit de trancher
d'office la question de leur compétence à l'égard de cette partie. Le
feraient-ils néanmoins qu'ils statueraient ultra petita, si bien que la
sentence incidente rendue par eux sur ce point serait absolument nulle,
ce dont la partie intéressée pourrait se prévaloir à n'importe quel stade
de la procédure, quand bien même elle n'aurait pas attaqué immédiatement
la sentence incidente par laquelle le Tribunal arbitral s'est déclaré
compétent à son endroit.

    A première vue, certaines dispositions ou décisions ayant trait au
domaine de l'arbitrage viennent étayer la thèse des recourants, selon
laquelle il n'est pas indifférent, pour régler la question de la compétence
des arbitres, de savoir s'il existe ou non, prima facie, une convention
d'arbitrage imposant aux parties l'obligation de soumettre à un tribunal
arbitral le différend qui les divise. Référence peut être faite, à ce
sujet, à l'art. 179 al. 3 LDIP, par exemple, qui autorise le juge appelé
à nommer un arbitre à ne pas donner suite à la demande de nomination
si un examen sommaire démontre qu'il n'existe entre les parties aucune
convention d'arbitrage (cf. l'ATF 118 Ia 20 consid. 5b p. 27). Dans le
même ordre d'idées, il sied de mentionner un arrêt du Tribunal fédéral
de 1979 où il est écrit que la garantie du juge naturel (art. 58 Cst.)
de même que le caractère exceptionnel de l'arbitrage par rapport à la
juridiction ordinaire interdisent que l'on puisse contraindre une partie
qui n'a pas signé de convention d'arbitrage à plaider devant les arbitres
la question de leur compétence, alors qu'il n'y a même pas l'apparence
d'une telle compétence (SJ 1980 p. 443 ss, consid. 4). Encore convient-il
de préciser que l'arrêt cité ne porte que sur la conduite à adopter
par le juge étatique saisi d'une demande de nomination d'un arbitre,
lorsqu'il n'existe même pas l'apparence d'une convention d'arbitrage, et
non pas, comme en l'espèce, sur celle des effets, à l'égard de la partie
défaillante, d'une sentence incidente rendue par un tribunal arbitral au
sujet de sa propre compétence. Dans le même contexte, on notera encore que
le droit français réserve à la juridiction ordinaire saisie d'un litige
la possibilité de faire abstraction d'une exception d'arbitrage qui se
fonde sur une convention d'arbitrage manifestement nulle (art. 1458 al. 2
ncpc fr.; sur cette question, cf. ROBERT, L'arbitrage: droit interne,
droit international privé, 6e éd., p. 103, n. 125).

    Il faut toutefois bien se garder de mélanger les différentes questions
qui se posent dans le domaine considéré. En effet, les dispositions et
les précédents mentionnés ci-dessus à titre d'exemples visent, soit la
participation du juge étatique à la constitution d'un tribunal arbitral,
soit sa compétence pour se prononcer sur le bien-fondé d'une exception
d'arbitrage; ils ne règlent pas le problème de la compétence du tribunal
arbitral lui-même pour statuer sur sa propre compétence. Sur ce dernier
point, les recourants ne peuvent rien tirer de concluant des principes
généraux gouvernant l'arbitrage international, sans compter que - en
dehors du champ d'application de l'art. II de la convention de New York
du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences
arbitrales étrangères (RS 0.277.12) - la réglementation du pouvoir
de trancher la question de la compétence matérielle, du fait qu'elle
ressortit généralement à l'Etat où le tribunal arbitral a son siège ou
à celui dans lequel la sentence doit être exécutée, varie sensiblement
suivant l'ordre juridique national déterminant (voir, par ex., HABSCHEID,
Schweizerisches Zivilprozess- und Gerichtsorganisationsrecht, 2e éd.,
p. 541, n. 885). Dans le cas particulier, il se justifie donc d'examiner au
regard du droit suisse la portée de la sentence incidente que le Tribunal
arbitral a rendue le 5 mars 1984.

    bb) A suivre les recourants, ladite sentence serait absolument nulle
en ce qui les concerne, attendu que le Tribunal arbitral aurait violé
le concordat intercantonal sur l'arbitrage en y examinant d'office sa
compétence. Pour cette raison, le moyen fondé sur l'art. 190 al. 2 let. b
LDIP, qu'ils soulèvent dans leur recours de droit public dirigé contre
la sentence finale du 28 juin 1993, serait recevable à leur avis.

    Peut-être est-ce parce que la RAE avait entrepris d'emblée des
démarches en vue de faire constater son incompétence, que le Tribunal
arbitral décida, le 6 juin 1981, de restreindre, dans un premier temps,
la procédure à la question de sa compétence. Toujours est-il qu'après
avoir ordonné un double échange d'écritures et un débat oral, il rendit,
le 5 mars 1984, une sentence incidente par laquelle il se déclara
compétent à l'égard de tous les défendeurs assignés par l'intimée. Les
recourants n'avaient participé, ni par écrit ni verbalement, à la procédure
arbitrale. Malgré qu'ils en aient, leur abstention ne s'opposait pas à
ce que le Tribunal arbitral rendît, au sujet de sa propre compétence,
une sentence qui les liât également.

    Dans un arrêt du 1er juillet 1970, relatif à l'application d'une
disposition du code de procédure civile de Bâle-Campagne, le Tribunal
fédéral avait jugé qu'un arbitre devait examiner d'office sa compétence,
à l'instar du juge étatique (ATF 96 I 334 consid. 2). Il a expressément
réaffirmé ce principe, sous l'empire du concordat intercantonal sur
l'arbitrage, dans un arrêt non publié du 10 octobre 1979 (pour un
extrait du considérant topique, cf. JdT 1981 III 78 ch. 5). Une
partie de la doctrine approuve sans réserve cette jurisprudence
(DUTOIT/KNOEPFLER/LALIVE/MERCIER, op.cit., p. 288, n. 204 et p. 345,
n. 464), tandis que d'autres auteurs la critiquent en faisant valoir qu'à
l'inverse de celle des tribunaux ordinaires, la compétence des arbitres
ne découle pas de la loi mais de la volonté des parties, de sorte que
le tribunal arbitral ne doit la contrôler que si elle est contestée,
ce que confirmerait, au demeurant, le texte même de l'art. 8 al. 1 CIA
(POUDRET/REYMOND/WURZBURGER, L'application du Concordat intercantonal
sur l'arbitrage par le Tribunal cantonal vaudois, in: JdT 1981 II 65 ss,
78; POUDRET, in: LALIVE/POUDRET/REYMOND, op.cit., n. 2 ad art. 8 CIA,
avec d'autres références). Cependant, les auteurs qui contestent le
principe posé dans les arrêts précités admettent, eux aussi, que le
tribunal arbitral doit examiner d'office sa compétence à l'égard des
parties défaillantes (LALIVE/POUDRET/REYMOND, op.cit., n. 2 ad art. 8
CIA et n. 12 ad art. 186 LDIP). On ne peut que leur donner raison. Si
l'art. 8 al. 2 CIA et l'art. 186 al. 2 LDIP exigent que l'exception
d'incompétence soit soulevée préalablement à toute défense sur le fond,
c'est parce qu'il est loisible à la partie assignée devant un tribunal
arbitral incompétent de couvrir ce vice en entrant en matière sur le fond
et de contraindre ainsi ce tribunal à connaître d'un différend arbitrable
dans lequel elle est impliquée. Toutefois, l'entrée en matière sur le
fond suppose nécessairement un acte concluant de la partie qui pourrait
contester la compétence du tribunal arbitral, c'est-à-dire la participation
de l'intéressée à la procédure arbitrale. En d'autres termes, les effets
que la loi attribue à l'entrée en matière sur le fond ne se produisent
que si la procédure se déroule en contradictoire, la partie défaillante
ne pouvant pas couvrir le vice d'incompétence puisqu'elle ne procède pas
sur le fond. Par conséquent, dans une telle situation, l'économie de la
procédure justifie que le tribunal arbitral mis en oeuvre statue d'office
- et de préférence par une sentence incidente directement attaquable -
sur sa compétence à l'égard de la partie défaillante.

    Certains auteurs considèrent, il est vrai, que le tribunal arbitral
n'est pas compétent pour statuer sur sa propre compétence si la partie qui
le saisit n'est pas en mesure de rendre à tout le moins vraisemblable,
prima facie, l'existence d'une convention d'arbitrage (JOLIDON,
op.cit., n. 22 et 3 ad art. 8 CIA; A. BUCHER, Die neue internationale
Schiedsgerichtsbarkeit in der Schweiz, p. 56, n. 130; WENGER, Die
internationale Schiedsgerichtsbarkeit, in: Das neue Bundesgesetz über
das Internationale Privatrecht in der praktischen Anwendung, p. 115 ss,
130). Pour les recourants, la réserve ainsi formulée devrait être étendue
à l'hypothèse où une convention d'arbitrage existe certes, mais où il
n'est pas établi que toutes les parties défenderesses l'aient signée.

    La thèse défendue par ces auteurs ne se concilie guère avec le
principe général de procédure, qui régit également la procédure arbitrale,
selon lequel même le tribunal incompétent a le pouvoir de statuer sur sa
compétence (GULDENER, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 3e éd., p. 610,
note de pied 86). Elle est, en outre, de nature à soulever de délicats
problèmes d'interprétation, étant donné qu'elle fait appel à la notion
pour le moins vague de l'"apparence" d'une convention d'arbitrage. Qui plus
est, en matière d'arbitrage international, elle pourrait donner lieu à de
vaines disputes dans la recherche du juge étatique compétent pour décider
de l'existence ou de la validité d'une convention d'arbitrage. Aussi
de sérieuses raisons militent-elles contre son admission (cf. POUDRET,
Une action en constatation de droit au sujet de l'existence ou la
validité d'une clause arbitrale est-elle recevable en droit fédéral
ou cantonal?, in: Recht und Rechtsdurchsetzung, Festschrift für Hans
Ulrich Walder, p. 341 ss). Point n'est toutefois besoin d'adopter une
position définitive à son sujet en l'espèce. En effet, dans sa sentence
incidente du 5 mars 1984, le Tribunal arbitral ne s'est pas prononcé
sur la question de l'existence d'une convention d'arbitrage, mais -
s'agissant du problème présentement envisagé - sur le point de savoir
quelle était la portée subjective d'une clause compromissoire dont la
validité n'était pas litigieuse, c'est-à-dire quelles étaient les parties
visées par une telle clause. A cet égard, il n'est pas douteux qu'une
convention d'arbitrage peut obliger même des personnes qui ne l'ont pas
signée (héritiers, cessionnaires, associés, etc.; cf. SCHWAB/WALTER,
Schiedsgerichtsbarkeit, 4e éd., p. 58 ss). La question de l'extension de
la convention d'arbitrage à des parties non signataires (ROBERT, op.cit.,
p. 206/207, n. 236) peut d'ailleurs également se poser en matière de
groupes de sociétés ou d'entreprises contrôlées par l'Etat (SCHLOSSER,
Das Recht der internationalen privaten Schiedsgerichtsbarkeit, 2e éd.,
p. 324 ss, n. 426; CHAPELLE, L'arbitrage et les tiers: II. - le droit
des personnes morales, in: Revue de l'arbitrage 1988, p. 475 ss, cet
auteur faisant référence à la présente affaire). Or, c'est assurément au
tribunal arbitral qui doit examiner si le litige dont il est saisi est
de son ressort ou de celui de la juridiction ordinaire qu'il incombe de
décider si telle ou telle personne assignée devant lui est liée ou non
par la convention d'arbitrage. Sous l'angle de la compétence, l'existence,
la validité et la portée de la convention d'arbitrage constituent donc des
problèmes indissociables. On ne saurait, partant, assimiler à une décision
inexistante la sentence qu'un tribunal arbitral régulièrement constitué
et oeuvrant sous l'égide d'une institution reconnue - en l'occurrence,
la CCI - a rendue au sujet de sa propre compétence, dans le respect des
règles de procédure généralement admises. Pour le surplus, ce n'est pas
le lieu de décider si la conclusion inverse s'imposerait relativement à
une sentence émanant d'un pseudo-tribunal arbitral ayant manifestement
usurpé sa compétence (cf. HEINI, op.cit., n. 50/51 ad art. 190 LDIP).

    En droit suisse, la question de la compétence - la "compétence de la
compétence" (Kompetenz-Kompetenz) - est tranchée en dernier ressort par le
juge étatique (art. 36 let. b CIA; art. 190 al. 2 let. b LDIP). Cependant,
il appartient dans la règle au tribunal arbitral de la traiter en priorité
(art. 8 CIA; art. 186 LDIP). Il n'en va autrement - sous réserve de
l'admissibilité, sujette à caution, d'une action en constatation de
l'existence, de la validité ou des effets d'une convention d'arbitrage
(POUDRET, FS Walder, loc.cit.) - que lorsque la juridiction ordinaire est
saisie en premier d'une action au fond et qu'une exception d'arbitrage
est soulevée devant elle. Si elle décline sa compétence, sa décision ne
lie pas le tribunal arbitral saisi en second lieu; en revanche, si elle
l'admet, elle le lie en raison de l'autorité de la chose jugée attachée
à sa décision (LALIVE/POUDRET/REYMOND, op.cit., n. 1 ad art. 8 CIA).

    Encore faut-il, pour que le juge étatique puisse connaître en
dernier lieu du problème de la compétence du tribunal arbitral, qu'il
soit valablement invité à le faire, par le biais d'un recours, au sens
des art. 36 CIA et 190 LDIP, interjeté en temps utile. Si tel n'est pas
le cas, la sentence rendue au préalable par le tribunal arbitral acquiert
force de chose jugée. S'il s'agit d'une sentence incidente, celle-ci ne
peut plus être remise en cause après l'expiration du délai prévu à cette
fin, même dans le cadre d'un recours dirigé contre la sentence finale,
comme on l'a déjà indiqué plus haut. Quoi qu'en disent les recourants,
le défaut de la partie assignée contre son gré n'y change rien. De fait,
la péremption de l'exception d'incompétence est une chose, la péremption
du droit de soulever cette exception en est une autre. Celui qui entre en
matière sans réserve sur le fond dans une procédure arbitrale reconnaît,
par cet acte concluant, la compétence du tribunal arbitral et perd,
en conséquence, définitivement le droit d'exciper de l'incompétence
dudit tribunal. Inversement, celui qui fait défaut n'encourt pas
semblable déchéance, en règle générale, car son abstention ne saurait
être assimilée à une reconnaissance tacite de la compétence du tribunal
arbitral (LALIVE/POUDRET/REYMOND, op.cit., n. 3 ad art. 8 CIA et n. 12 ad
art. 186 LDIP); il lui est donc permis de se raviser et d'intervenir dans
la procédure pendante pour contester la compétence du tribunal arbitral à
son égard, tout ceci sous réserve du respect du principe de la bonne foi
(art. 2 al. 1 CC). Cela étant, il n'en reste pas moins que toute partie,
même défaillante, doit attaquer, dans le délai prévu à cet effet, une
sentence incidente en matière de compétence qui lui donne tort. Si elle
ne le fait pas, elle devra s'y soumettre jusqu'à la fin de la procédure
arbitrale, y compris la procédure de recours, et seule demeurera en
suspens la question de savoir si elle pourra encore soulever l'exception
d'incompétence dans le cadre de la procédure d'exécution subséquente. En
résumé, son inaction ne la prive pas de l'exception d'incompétence,
mais bien du droit de faire valoir cette exception dans la procédure
arbitrale lato sensu par opposition à la procédure de reconnaissance et
d'exécution de la sentence. Conformément à ces principes, les recourants
s'en prennent en pure perte à la sentence incidente du 5 mars 1984 dans
le présent recours, puisqu'ils ne l'ont pas attaquée en temps utile au
moment où elle leur a été communiquée.

    Quant au grief fait au tribunal arbitral d'avoir statué ultra petita
dans cette sentence incidente, il tombe manifestement à faux. En saisissant
ce tribunal d'une demande visant notamment les recourants, l'intimée l'a
requis par là même de se déclarer compétent envers ceux-ci. C'est ce qu'il
a fait. Les parties défaillantes, qui ne lui ont soumis aucune conclusion
par la force des choses, ne sauraient donc lui reprocher d'avoir statuer
au-delà de la demande en admettant sa compétence à leur égard.

    cc) Toujours à propos de leur exception d'incompétence, les recourants
invoquent enfin la violation des art. 58 et 59 Cst.

    Seul le débiteur domicilié en Suisse peut se prévaloir de l'art. 59
Cst. Cette condition n'est évidemment pas réalisée en ce qui concerne
les trois Etats souverains qui ont interjeté le présent recours.

    Quant à l'art. 58 Cst., qui protège également les étrangers (KÖLZ,
Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse,
vol. III, n. 6 ad art. 58), il garantit à l'intéressé le droit à un
tribunal compétent et régulièrement constitué, que ce soit un tribunal
étatique ou un tribunal arbitral privé ou institué par la loi (KÖLZ,
op.cit., n. 7 ad art. 58). Selon une opinion aujourd'hui dominante,
cette disposition revêt un caractère absolu et imprescriptible; elle
permet donc aussi de contester des actes d'exécution (KÖLZ, op.cit.,
n. 33 ad art. 58). Cela ne signifie cependant pas que l'intéressé
puisse attendre aussi longtemps qu'il le souhaite pour faire valoir la
violation de l'art. 58 Cst. Au contraire, celui qui laisse procéder une
juridiction, alors qu'il connaît le vice censé affecter sa constitution
ou sa composition, est déchu de la protection que lui confère la garantie
du juge constitutionnel (ATF 114 Ia 348; KÖLZ, op.cit., n. 35 ad art.
58). D'où il suit que les recourants ne sauraient déduire de l'art. 58
Cst. le droit d'attaquer la sentence finale pour cause d'incompétence du
tribunal arbitral qui l'a rendue.

    Point n'est dès lors besoin d'examiner si l'art. 113 al. 3 Cst.,
qui interdirait au Tribunal fédéral de contrôler la constitutionnalité
des dispositions de la loi fédérale sur le droit international privé
invoquées par les recourants, n'eût pas déjà fait obstacle, à lui seul,
à la prise en considération des art. 58 et 59 Cst. dans le cas particulier
(ATF 115 II 294 consid. 1).

Erwägung 6

    6.- Les recourants font encore valoir une violation de l'ordre public,
au sens de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP.

    a) Alors que l'art. 36 let. f CIA permet d'attaquer la sentence
arbitrale qui repose sur des constatations manifestement contraires aux
faits résultant du dossier ou qui constitue une violation évidente du droit
ou de l'équité, l'art. 190 al. 2 let. e LDIP restreint sensiblement -
de par la volonté du législateur - la portée du grief correspondant en
matière d'arbitrage international. Une sentence rendue dans ce domaine
ne sera donc pas annulée pour le seul motif qu'elle prend appui sur
des constatations de fait arbitraires ou qu'elle aboutit à une solution
juridiquement insoutenable. Elle ne pourra être attaquée avec succès que
si elle est incompatible avec l'ordre public. Selon la jurisprudence, une
sentence est contraire à l'ordre public lorsqu'elle viole des principes
juridiques fondamentaux au point de ne plus être conciliable avec l'ordre
juridique et le système de valeurs déterminants. Au nombre de ces principes
figurent, notamment, la fidélité contractuelle ("pacta sunt servanda"),
le respect des règles de la bonne foi, l'interdiction de l'abus de droit,
la prohibition des mesures discriminatoires ou spoliatrices, ainsi que la
protection des personnes civilement incapables (ATF 117 II 604 consid. 3,
116 II 634 consid. 4). Il faut souligner, à cet égard, que l'ordre public,
au sens de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, ne constitue qu'une simple clause
de réserve ou d'incompatibilité, ce qui signifie qu'il a uniquement une
fonction protectrice (ordre public négatif) et qu'il ne sortit aucun effet
normatif (ordre public positif ou formateur) sur les rapports juridiques
litigieux (HEINI, op.cit., n. 39 ad art. 190 LDIP avec une référence, au
n. 45 sous le même art., à l'opinion divergente de BUCHER). Au demeurant,
la sentence attaquée ne sera annulée que si le résultat auquel elle
aboutit est incompatible avec l'ordre public. Il ne suffit donc pas que
ses motifs le soient (ATF 116 II 634 consid. 4); encore faut-il pouvoir
tirer la même conclusion relativement à son dispositif (HEINI, op.cit.,
n. 37 ad art. 190 LDIP).

    Le Tribunal fédéral n'a pas tranché jusqu'ici la question de savoir
à quel ordre juridique ou à quel système de valeurs - suisse, étranger,
supranational ou universel - la notion d'ordre public de l'art. 190
al. 2 let. e LDIP fait appel (ATF 117 II 604 consid. 3, 116 II 634
consid. 4 p. 637), bien qu'il se soit référé, de manière quelque peu
contradictoire, dans le premier arrêt cité, à l'ordre juridique et
au système de valeurs suisses. Les avis divergent à ce sujet au sein
de la doctrine. Pour l'essentiel, la controverse met aux prises les
partisans du rattachement exclusif de l'ordre public à l'ordre juridique
suisse (LALIVE/POUDRET/REYMOND, op.cit., n. 5e ad Art. 190 LDIP et les
références) et ceux qui optent pour un ordre public à vocation universelle
ou qui soit, à tout le moins, affranchi du système de valeurs propre
à la Suisse (HEINI, op.cit., n. 41 ad art. 190 LDIP et les références;
BUCHER, op.cit., p. 130 ss, n. 352 ss). Par son origine, l'ordre public
de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP est suisse, mais il est international par
sa fonction. Cette constatation ne fournit cependant aucun élément décisif
pour la détermination du contenu de la notion en cause et elle ne permet
pas d'affilier l'ordre public, au sens de la disposition précitée, à un
ordre juridique plutôt qu'à un autre. La teneur de l'art. 190 al. 2 let. e
LDIP tendrait à faire pencher la balance en faveur d'une notion élargie
de l'ordre public, étant donné que ne figure pas dans cette disposition
l'adjectif "suisse" que l'on trouve aux art. 17 et 27 al. 1 de la même
loi (VISCHER, in: IPRG-Kommentar, n. 31 ad art. 17 LDIP; HEINI, op.cit.,
n. 43 ad art. 190 LDIP). La logique paraît du reste militer contre une
interprétation restrictive de cette notion. En effet, l'application
des dispositions topiques de la loi fédérale sur le droit international
privé à un arbitrage n'est pas subordonnée à l'existence d'une attache
subjective ou objective de la cause avec la Suisse (Binnenbeziehung),
pas plus d'ailleurs qu'à l'applicabilité du droit matériel de ce pays; en
revanche, le tribunal arbitral est tenu, dans tous les cas, de respecter
l'ordre public du pays dont il doit appliquer le droit (HEINI, op.cit.,
n. 47 ad art. 190 LDIP). Si l'on veut donc assurer une interprétation
uniforme de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP et une application cohérente du
motif de recours qu'il prévoit, il semble nécessaire de dissocier l'ordre
public, au sens de cette disposition, et celui qui entre en ligne de
compte dans l'application du droit par le tribunal arbitral (VISCHER,
op.cit., n. 31 ad art. 17 LDIP). Aussi, lorsque le tribunal arbitral
doit appliquer un autre droit matériel que le droit suisse et qu'il
n'est donc pas tenu de respecter l'ordre public suisse, rien ne justifie
apparemment de corriger sa sentence, dans la procédure du recours de droit
public, par une référence à l'ordre public de la Suisse. Par conséquent,
l'application uniforme de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP paraît devoir
commander une interprétation extensive de la notion d'ordre public, soit le
choix d'un ordre public transnational ou universel incluant "les principes
fondamentaux du droit qui s'imposent sans égard aux liens du litige avec un
pays déterminé" (A. BUCHER, Le nouvel arbitrage international en Suisse,
p. 121, n. 358; voir aussi: HEINI, op.cit., n. 41 ad art. art. 190 LDIP,
avec une référence à GUTZWILLER pour qui est incompatible avec l'ordre
public la sentence qui "den in den Kulturstaaten und daher überstaatlich
geltenden rechtlichen oder sittlichen Grundauffassungen widerspricht"). Il
est vrai, cependant, que, dans la plupart des cas - en particulier dans
le domaine commercial ou contractuel -, le choix de l'ordre public suisse
en matière internationale plutôt que d'un ordre public transnational ne
devrait pas conduire à un résultat différent (HEINI, op.cit., n. 44 ad
art. 190 LDIP). C'est la raison pour laquelle il convient de privilégier
une approche pragmatique de la question controversée, au lieu de chercher
à la trancher définitivement dans un sens ou dans l'autre, d'autant plus
qu'elle porte sur une notion juridique indéterminée - l'ordre public -
qu'il est difficile de cerner et de définir une fois pour toutes.

    b) La sentence qui viole l'ordre public n'est, en principe, pas
entachée de nullité absolue, mais seulement attaquable, à moins qu'elle
ne porte atteinte à des intérêts publics prépondérants (HEINI, op.cit.,
n. 53/54 ad art. 190 LDIP). Cette dernière condition n'est pas remplie
en ce qui concerne les vices de procédure que les recourants imputent au
Tribunal arbitral. Que ces derniers invoquent également une violation de
l'ordre public formel à l'égard de tels vices ne change donc rien au fait
qu'ils auraient dû articuler les griefs fondés sur l'art. 190 al. 2 let. a
et b LDIP dans le cadre d'un recours formé contre la sentence incidente du
5 mars 1984. Peut ainsi demeurer indécise la question de l'applicabilité
du motif de recours prévu par l'art. 190 al. 2 let. e LDIP à des vices
affectant la procédure arbitrale et, en cas de réponse affirmative,
celle des rapports qu'il pourrait y avoir entre ce motif de recours et
ceux qui ont trait à la procédure arbitrale (cf. HEINI, op.cit., n. 38
ad art. 190 LDIP et les références).

    c) Les recourants voient une violation de l'ordre public suisse et
de l'ordre public international dans la condamnation subsidiaire des
Etats membres de l'AOI. Ils invoquent, à cet égard, l'autonomie de l'AOI,
en tant que personne morale indépendante, et, partant, la relativité des
engagements contractuels souscrits par cette organisation (pacta tertiis
nec prosunt nec nocent), qui constitue le pendant négatif du principe de
la fidélité contractuelle (pacta sunt servanda).

    aa) A l'appui de ses prétentions en dommages-intérêts dirigées contre
les Etats membres de l'AOI, WHL soutenait que ceux-ci ne formaient qu'une
seule et même partie avec l'organisation interétatique à laquelle ils
étaient affiliés. Elle fondait cette thèse sur plusieurs arguments:
le premier voulait que ces Etats eussent toujours manifesté leur volonté
de s'engager directement envers les cocontractants de l'AOI; le deuxième
était tiré du passage d'un protocole d'accord où il est indiqué que "[the]
states comprise the AOI"; dans un troisième argument, WHL affirmait qu'elle
n'aurait jamais conclu le "Shareholders Agreement" sans l'engagement
des Etats défendeurs de garantir l'exécution des obligations de l'AOI;
la prétendue absence de toute indépendance décisionnelle de l'AOI par
rapport à ses Etats membres formait l'objet d'un quatrième argument. Dans
sa sentence partielle du 21 juin 1991, le Tribunal arbitral a écarté ces
quatre arguments ainsi que deux arguments subsidiaires fondés sur l'acte
illicite et la reprise de dette. Il en a retenu, en revanche, un autre, lui
aussi développé à titre éventuel par WHL, en déduisant la responsabilité
subsidiaire des Etats membres des règles du droit international public. Les
considérations qu'il a émises à propos de ce dernier argument peuvent être
résumées comme il suit: les fondateurs de l'AOI n'ont pas choisi pour cette
organisation une forme juridique excluant la responsabilité de ses membres
et ils ont adopté des dispositions statutaires leur imposant un engagement
financier important, justifiant ainsi la confiance des tiers appelés à
traiter avec cette organisation quant à la capacité de celle-ci de faire
face à ses engagements grâce au soutien continu des Etats membres. Cette
même confiance avait d'ailleurs amené WHL à renoncer aux garanties usuelles
dans ce genre d'opérations. L'attente légitime ainsi créée dans l'esprit de
la demanderesse mérite la protection du droit. Dès lors, si l'AOI n'était
pas en mesure de faire face à ses obligations financières à l'égard de WHL,
il appartiendrait aux Etats membres d'y pourvoir.

    bb) Les recourants ne peuvent rien tirer en leur faveur des arrêts
du 23 octobre 1987 et du 19 juillet 1988 par lesquels la Cour de justice
du canton de Genève et le Tribunal fédéral ont nié que les Etats membres
de l'AOI aient été liés par la convention d'arbitrage passée entre cette
organisation et WHL. En effet, d'une part, l'incompétence formelle du
Tribunal arbitral pour se prononcer sur une prétention élevée devant lui
n'exclut pas l'existence de cette prétention; d'autre part, si le Tribunal
fédéral examine librement la question de la compétence, il ne revoit,
en revanche, la sentence au fond que sous l'angle de sa compatibilité
avec l'ordre public.

    cc) La reconnaissance d'une responsabilité subsidiaire des recourants
envers l'intimée ne contredit aucun principe juridique ou moral fondamental
du système de valeurs suisse ou transnational. Le droit des personnes
morales, en particulier dans le domaine industriel ou commercial, peut
être réglé de différentes manières, et il a effectivement été codifié
ainsi, sans qu'il y ait quoi que ce soit à y redire du point de vue de
l'ordre public négatif. Considérée sous cet angle, même une réglementation
emportant renonciation à l'autonomie totale de la personne morale et mise
en jeu de la responsabilité des membres de celle-ci ne justifierait pas
l'intervention du juge étatique. Du reste, même en l'absence d'une telle
réglementation, il arrive que l'on fasse abstraction de l'indépendance
de la personne morale à l'égard de ses membres, notamment lorsque l'on
a affaire à des entreprises contrôlées par une seule personne ou par un
Etat ou encore à un groupe de sociétés, en appliquant le principe dit de
la "transparence" ("Durchgriff"). Aucun principe juridique fondamental
n'est donc heurté par la conception voulant qu'une interdépendance
économique puisse créer des liens juridiques ou que l'unité économique
force à relativiser l'indépendance juridique. Il suit de là que l'on
peut également tenir pour conforme à l'ordre public négatif la théorie
de "l'émanation d'Etat", qui permet de rendre l'Etat responsable des
engagements contractés par des entreprises juridiquement indépendantes
de lui mais qui sont entièrement sous sa coupe (cf. CHAPELLE, loc.cit.,
avec de nombreuses références). Cette conclusion s'impose avec davantage de
force encore dans l'hypothèse où le sujet économique juridiquement autonome
institué par l'Etat n'est pas soumis à une réglementation nationale
familière au contractant ou à tout le moins accessible à celui-ci, mais
est créé sous la forme d'une entreprise à caractère international qui
n'est pas rattachée à un quelconque ordre juridique national.

    Si le fait même d'adopter une forme juridique qui rende les Etats
membres d'une entreprise à vocation internationale garants de l'exécution
des engagements souscrits par celle-ci n'est déjà pas incompatible en
soi avec l'ordre public négatif, à plus forte raison en va-t-il ainsi
lorsque - comme c'est le cas en l'espèce - la responsabilité subsidiaire
des Etats affiliés à l'entreprise supranationale est déduite, de surcroît,
de la confiance que ces Etats ont éveillée, par leur comportement, chez
le partenaire contractuel de cette entreprise, quant à leur volonté de
se substituer à elle au cas où elle ne pourrait pas faire face à ses
obligations envers lui. Il n'est, en effet, pas contraire à des principes
fondamentaux de l'ordre juridique international d'admettre que des liens
contractuels puissent se créer, sans que cela corresponde à la volonté
interne d'une partie, lorsque celle-ci adopte une attitude qui autorise
l'autre partie à conclure de bonne foi à l'existence d'une telle volonté
(cf. ATF 69 II 319, 322). Or, c'est précisément sur une considération
de ce genre que le Tribunal arbitral a fondé, pour l'essentiel, sa
sentence. Savoir s'il l'a fait à juste titre, c'est-à-dire en conformité
avec le droit matériel applicable, importe peu du point de vue de l'ordre
public négatif, au sens où on l'entend ici, dans la mesure où le contenu
du droit applicable ne constitue pas un critère en la matière, étant
donné la fonction purement protectrice de la réserve de l'ordre public.

    Les  principes de la fidélité contractuelle et de la relativité des
obligations issues d'un contrat, que les recourants invoquent dans ce
contexte, n'imposent pas une autre conclusion. Aussi bien, le Tribunal
arbitral n'a pas empêché l'exécution d'obligations contractuelles dûment
établies, ni prêté la main à l'exécution d'obligations contractuelles
qu'il aurait su ne pas lier la partie recherchée de ce chef. Le moyen
tendant à faire admettre que le Tribunal arbitral aurait violé l'ordre
public en couvrant de son autorité la mise en cause des recourants est,
en conséquence, infondé.

    d) Les recourants voient encore une violation de l'ordre public
dans le fait que le Tribunal arbitral aurait rendu des sentences
contradictoires. Ils relèvent, à ce propos, que, pour admettre leur
compétence, les arbitres ont considéré que les Etats membres de l'AOI
étaient directement liés par les contrats que cette organisation avait
passés avec des tiers, dont WHL, motif pris de ce que cette organisation
et les Etats qui en faisaient partie ne formaient qu'une seule et même
entité, tandis que, pour condamner subsidiairement ces mêmes Etats à
indemniser l'intimée, ils ont expressément écarté la thèse de l'identité
entre les défendeurs et l'AOI et en ont retenu une autre.

    En argumentant ainsi, les recourants confondent deux problèmes -
l'effet obligatoire d'une clause compromissoire pour la personne qui ne
l'a pas signée, d'une part, l'existence, à la charge de cette personne,
d'une obligation contractuelle découlant du droit matériel applicable,
d'autre part - qui n'obéissent pas aux mêmes règles et à l'égard desquels
le pouvoir d'examen de l'autorité de recours n'est, de plus, pas le
même. Le problème de la compétence du Tribunal arbitral, qui aurait
dû être examiné avec un plein pouvoir de cognition par la juridiction
étatique saisie d'un recours à ce sujet, ne peut plus être soulevé par
les recourants dans le cadre de la présente procédure de recours pour
les motifs sus-indiqués, quand bien même il n'aurait pas été traité
d'une manière juridiquement correcte par les arbitres. Pour le surplus,
il n'était pas interdit à ces derniers d'invoquer également, à l'appui
de leur décision sur le fond, des arguments qui n'eussent pas suffi,
à eux seuls, à justifier leur compétence. Au demeurant, qu'un tribunal
arbitral ne soit pas compétent pour se prononcer sur l'existence de la
prétention qui lui est soumise n'implique nullement l'inexistence de
ladite prétention, et cette constatation, de portée générale, s'impose
avec davantage de force encore sous l'angle restrictif, seul déterminant
en l'occurrence, de l'ordre public négatif. C'est dire que l'on ne saurait
parler de sentences contradictoires du seul fait que des manifestations de
volonté ont été interprétées différemment, selon qu'elles se rapportaient
à la compétence de la juridiction saisie ou à l'existence de la prétention
litigieuse. L'objection des recourants ne résiste donc pas à l'examen.