Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 120 IB 512



120 Ib 512

65. Arrêt de la Ie Cour de droit public du 14 décembre 1994 dans la cause
canton du Valais contre canton de Berne (réclamation de droit public)
Regeste

    Verlauf der Kantonsgrenzen im Bereich der Plaine Morte.

    Rechtsprechung zu kantonalen Grenzstreitigkeiten (E. 2).

    Der Vergleich vom 11. August 1871 zwischen den Kantonen Bern und Wallis
über die Grenzziehung auf Gemmi und Sanetsch enthält keine vertragliche
Regelung des Grenzverlaufs im Bereich der Plaine Morte (E. 3).

    Der Kanton Bern hat die auf Blatt Nr. XVII der Dufour-Karte von
1863 dargestellte Grenzziehung anerkannt; der Plaine-Morte Gletscher war
deshalb zum damaligen Zeitpunkt Walliser Gebiet (E. 4).

    Aufgrund verbesserter geographischer Kenntnisse betreffend den Verlauf
der Wasserscheide zeigen spätere eidgenössische Karten einen anderen
Grenzverlauf (E. 5a). Dieser wurde in dem vom Kanton Wallis erstellten
Übersichtsplan der Grundbuchvermessung übernommen (E. 5b).

    Die stillschweigende Anerkennung einer Grenzbereinigung kann einem
Kanton entgegengehalten werden, der sich auf den früheren Grenzverlauf
beruft (E. 6). Im vorliegenden Fall erfolgte durch die Erstellung
des Übersichtsplans der Grundbuchvermessung eine Anerkennung der darin
enthaltenen Grenzziehung; folglich gehört der Plaine-Morte Gletscher
heute zum Gebiet des Kantons Bern (E. 7).

    Zur Frage, ob sich der Kanton Bern darüber hinaus darauf berufen kann,
während längerer Zeit ausschliessliche und unbestrittene Herrschaftsgewalt
über den Plaine-Morte Gletscher ausgeübt zu haben (E. 5c und d, 8).

Sachverhalt

    A.- D'après la carte nationale de la Suisse et les plans de la
mensuration officielle du sol, le glacier de la Plaine-Morte appartient
aux territoires du canton de Berne et de la commune de La Lenk. Depuis le
Weisshorn jusqu'au Wildstrubel, la frontière du canton du Valais contourne
le glacier par le sud et l'est, soit par la pointe de la Plaine-Morte,
le Sex Mort, la crête des Faverges et le Schneehorn. Le gouvernement
valaisan considère que ce tracé ne correspond pas à la situation juridique
effective; à son avis, du Weisshorn au Wildstrubel, la frontière borde
le nord-ouest du glacier par le Gletscherhorn, conformément à la carte
Dufour de 1863. La souveraineté sur le glacier de la Plaine-Morte est
ainsi revendiquée par le canton du Valais.

    Son Conseil d'Etat n'est pas parvenu à obtenir la reconnaissance
amiable de cette prétention par le Conseil-exécutif du canton de Berne. Par
arrêté du 4 novembre 1992, il a décidé de porter la contestation devant le
Tribunal fédéral par la voie de la réclamation de droit public. La demande
du canton du Valais a été déposée le 26 novembre 1993; les conclusions
présentées tendent, pour l'essentiel, à la détermination de la frontière
conformément à la carte précitée de 1863.

    Le canton demandeur invoque la convention conclue avec le canton de
Berne le 11 août 1871 sous les auspices du Commissaire fédéral Eugène
Borel, relative aux frontières alors contestées dans les régions du
Sanetsch et de la Gemmi (RS 132.212). Il soutient qu'au glacier de
la Plaine-Morte, le tracé de la frontière n'était à cette époque pas
litigieux et a été reconnu conformément à la situation représentée par
les cartes géographiques établies au cours des trois siècles précédents
et, en particulier, par la feuille no XVII de la carte Dufour datée de
1863; d'après celle-ci, la frontière se trouve au nord du glacier. En
1879, le géomètre R. Guébhard a été chargé de réviser cette partie de
la carte Dufour; il a alors déplacé la frontière vers le sud, sur la
crête des Faverges, pour la faire coïncider avec la ligne de partage des
eaux. Le géomètre a apporté cette modification de sa propre initiative,
sans consulter les autorités concernées, et sans prendre en considération
ni la convention de 1871, ni le fait que la ligne de partage des eaux
n'est pas partout déterminante sur la frontière entre les cantons de
Berne et du Valais. Ce dernier canton soutient qu'une telle "correction"
ne déploie pas d'effets juridiques et que la convention de 1871 conserve
toute sa validité. Il fait valoir qu'il n'a pas été informé de cette
modification, que par la suite les autorités cantonales et communales se
sont fiées au tracé figurant sur la carte nationale, et que le Conseil
d'Etat est intervenu dès qu'il s'est rendu compte de l'inexactitude de
ce tracé, de sorte que le canton du Valais n'a reconnu ni expressément,
ni tacitement une prétention du canton voisin sur le territoire litigieux.

    La demande est accompagnée de trois expertises concernant le tracé
de la frontière dans la région du glacier de la Plaine-Morte.

    B.- Le canton défendeur conclut au rejet de la demande et à la
reconnaissance de la frontière selon la mensuration officielle actuelle.

    Il soutient que la convention de 1871 porte seulement sur le tracé
de la frontière dans les régions du Sanetsch et de la Gemmi, et que
l'on ne peut rien en déduire en ce qui concerne le tracé dans la région
de la Plaine-Morte. Une délimitation attribuant le glacier au canton du
Valais n'a été fixée ni conventionnellement, ni par jugement ou sentence
arbitrale; par ailleurs, les cartes nationales ne sont pas déterminantes
à cet égard. Le tracé figurant sur la carte Dufour de 1863 est imputable à
une erreur de relevé ayant conduit à situer faussement la ligne de partage
des eaux au nord du glacier. Le canton de Berne n'a en fait jamais admis
que l'on dérogeât au principe de la ligne de partage des eaux dans ce
secteur, et le canton du Valais a reconnu durant plus de cent ans le
tracé correspondant à cette ligne. Il n'existe donc, de l'avis du canton
de Berne, aucun motif d'admettre que ce canton ait renoncé au glacier de
la Plaine-Morte; il a au contraire exercé dans ce secteur une souveraineté
exclusive et incontestée pendant au moins un siècle.

    C.- Lors d'un second échange d'écritures, les parties ont maintenu
leurs conclusions. Invitées à présenter leurs observations, les communes
de Randogne et de Mollens soutiennent la demande du canton du Valais;
la commune de la La Lenk propose son rejet et la commune d'Icogne ne
s'est pas prononcée.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Le Tribunal fédéral statue sur les différends de droit public
entre cantons, tels que les contestations relatives aux frontières (art.
83 let. b OJ; ATF 106 Ib 154), lorsqu'un gouvernement cantonal le saisit
de l'affaire. Il est lié par les conclusions des parties; en revanche,
il constate les faits et applique le droit d'office (ATF 106 Ib 154 p. 158
consid. 1b).

Erwägung 2

    2.- La constitution fédérale garantit l'intégrité territoriale des
cantons (art. 5 Cst.) mais elle ne contient aucune règle applicable à
la détermination des frontières litigieuses. Appelé à statuer sur des
différends territoriaux, le Tribunal fédéral s'est parfois référé aux
frontières issues de la tradition historique ou consacrées par des traités
ou des conventions (ATF 18 p. 673, 683/684; voir aussi ATF 23 p. 1405,
33 p. 537). Dans d'autres cas, il s'est référé aux actes de souveraineté
accomplis par l'un ou l'autre des cantons sur le territoire litigieux, de
même qu'aux actes par lesquels l'un d'eux avait reconnu unilatéralement,
soit de façon explicite, soit par actes concluants, la souveraineté de
l'autre sur ce territoire (ATF 21 p. 957, notamment p. 972 consid. 7; voir
aussi ATF 106 Ib 154 p. 163 consid. 6 et 7, 53 I 300 p. 307 consid. 3). Le
Tribunal fédéral a en outre pris en considération les limites naturelles
telles que la ligne de partage des eaux, notamment dans un cas où il
n'existait aucun autre critère de détermination (ATF 106 Ib 154 p. 171
consid. 8, ATF 21 p. 957, 967 consid. 2).

    Il ressort de cette pratique que les frontières intercantonales
sont déterminées, autant que possible, sur la base des conventions entre
cantons relatives à leur tracé ou de leur reconnaissance unilatérale par
l'un des cantons; à défaut, l'exercice durable et incontesté de droits
de souveraineté sur le territoire concerné est déterminant; enfin, si
aucun des cantons ne peut se prévaloir d'une maîtrise effective de ce
territoire, les limites naturelles sont prises en considération. Cette
jurisprudence correspond, pour l'essentiel, aux critères appliqués lors
de la solution juridictionnelle de différends territoriaux entre Etats
(PIERRE-MARIE DUPUY, Droit international public, 2e éd., Paris 1993,
ch. 49 p. 32; ATF 106 Ib 154 p. 161 consid. c et d).

Erwägung 3

    3.- Le Tribunal fédéral doit d'abord examiner la portée de la
convention de 1871 invoquée par le canton du Valais.

    Celle-ci a mis fin à un litige qui opposait les deux cantons depuis
le XVIIe siècle déjà au sujet du tracé de la frontière aux cols du
Sanetsch et de la Gemmi. Les premières discussions remontent à 1656. Un
compromis proposé par le canton de Berne fut rejeté en 1686. Un tribunal
arbitral constitué en 1688 ne parvint qu'à une solution provisoire. Par
la suite, les deux cantons rivalisèrent dans l'accomplissement d'actes de
souveraineté (remplacements de bornes, perceptions de taxes, poursuites
pénales, etc.), chacun d'eux protestant contre les interventions de
l'autre. Le canton de Berne demanda de nouvelles négociations dès 1816
puis, faute de résultat, il saisit l'Assemblée fédérale en 1861, sur la
base de l'art. 74 ch. 16 de la constitution fédérale de 1848. Un double
échange de mémoires s'étendit sur dix ans, après quoi l'Assemblée fédérale
chargea le Conseiller aux Etats Eugène Borel de procéder à une inspection
des lieux. Avec les délégués des deux cantons, le Commissaire fédéral
Borel se rendit le 7 août 1871 au col de la Gemmi et le 10 suivant au
col du Sanetsch; ayant convaincu les délégués qu'une entente pouvait être
trouvée sur la base de concessions réciproques, il rédigea une convention
qui fut signée par eux le 11 août 1871 (RS 132.212). Cette convention
a été approuvée le 30 novembre 1871 par le Grand Conseil du canton du
Valais, puis le 19 novembre 1872 par celui du canton de Berne. Le tracé
de la frontière est défini à l'art. 1er pour le secteur litigieux de la
Gemmi et à l'art. 4 pour celui du Sanetsch.

    Conformément à l'art. 6 de la convention, le Commissaire fédéral
Borel se rendit à nouveau sur les lieux avec les délégués des cantons,
le 11 août 1873 au col de la Gemmi et le 13 suivant à celui du Sanetsch,
afin de procéder au bornage de la frontière. Deux procès-verbaux de
délimitation furent alors établis (RS 132.212.1 et 132.212.2). A l'issue
des opérations du 13 août, les deux tronçons de la frontière nouvellement
fixés furent dessinés à l'encre noire sur un exemplaire de la carte Dufour
de 1863, et les parties devenues caduques du tracé imprimé sur cette carte
furent biffées. Ce document original, signé de tous les participants, était
destiné aux archives fédérales; deux copies certifiées par le Commissaire
fédéral devaient être établies à l'intention des cantons. Sur l'exemplaire
reçu par le canton de Berne, les tronçons nouveaux sont dessinés en rouge
et les segments caducs sont annulés par un souligné jaune. L'attestation du
Commissaire fédéral, datée du 17 septembre 1873, est apposée sur la carte,
entre le Sanetsch et la Gemmi; elle masque le glacier de la Plaine-Morte.

    Tous les rapports et procès-verbaux des négociations, la convention à
laquelle celles-ci ont abouti et les deux procès-verbaux de délimitation
se rapportent exclusivement au tracé de la frontière dans les secteurs du
Sanetsch et de la Gemmi; il n'y est jamais question d'autres secteurs. Ces
négociations portaient sur un objet clairement déterminé, correspondant
à celui du litige qui divisait les cantons depuis des siècles; elles ne
tendaient nullement à une révision complète de la frontière représentée
sur la feuille no XVII de la carte Dufour de 1863, alors même que, sans
aucun doute, cette carte a constitué l'ouvrage de référence utilisé par les
négociateurs. Dans ces conditions, le canton du Valais considère à tort la
carte comme une partie intégrante de la convention du 11 août 1871; elle
n'a d'ailleurs pas été annexée à celle-ci et elle n'y est pas mentionnée.

    Pour le surplus, les travaux de 1871 et de 1873 n'ont révélé aucune
divergence, entre les deux cantons, quant au tracé de la frontière dans le
secteur de la Plaine-Morte, de sorte qu'il n'était alors pas nécessaire de
déterminer conventionnellement ce tracé. Le comportement des représentants
des cantons qui ont signé la carte le 13 août 1873 ne saurait donc être
compris comme la manifestation d'une volonté de fixer l'emplacement
de la frontière aussi dans le secteur de la Plaine-Morte. Celui-ci est
d'ailleurs dissimulé sur la copie certifiée par le Commissaire fédéral;
cela dénote que la création de l'original ne tendait pas à ce but. Le
canton de Berne est ainsi fondé à soutenir que ni la convention de 1871,
ni les actes accomplis en exécution de cette convention ne déterminent
le tracé présentement litigieux.

Erwägung 4

    4.- Le canton du Valais fait valoir qu'à cette époque et déjà
auparavant, nul ne contestait que le glacier de la Plaine-Morte appartînt
au territoire valaisan, conformément à la carte Dufour de 1863 et à
d'autres cartes plus anciennes; il en déduit que le canton de Berne a
admis cette situation comme conforme au droit et que cette reconnaissance
demeure valable actuellement.

    a) La reconnaissance est un acte unilatéral d'un Etat ayant pour
objet de constater et d'accepter une certaine situation; elle a pour
effet d'empêcher celui qui l'a émise de contester ultérieurement la
validité de cette situation. La reconnaissance n'est pas subordonnée
à l'accomplissement d'une forme particulière; elle peut être effectuée
par déclaration explicite ou résulter du comportement des organes de
l'Etat concerné. Elle peut notamment résulter d'un comportement passif:
l'absence de protestation d'un gouvernement ou de ses représentants face
à l'apparition d'une situation propre à léser ses intérêts est, selon
les circonstances, considérée comme un acquiescement à la validité et à
l'opposabilité de cette situation à son égard, sur lequel il ne saurait
revenir (ATF 106 Ib 154 p. 167; DUPUY, op.cit. ch. 338 p. 251; IGNAZ
SEIDL-HOHENVELDERN, Völkerrecht, 8e éd., Cologne 1994, ch. 180 p. 53,
183 p. 54; JÖRG-PAUL MÜLLER, Vertrauensschutz im Völkerrecht, Cologne
1971, p. 35 et ss).

    Les représentations cartographiques des frontières se trouvent
éventuellement à l'origine d'une reconnaissance ultérieure de leur tracé,
mais, à moins d'être annexées à un traité de délimitation de manière à
constituer une partie intégrante de cet acte, elles n'ont pas d'effet
juridique immédiat (IGNAZ SEIDL-HOHENVELDERN, Landkarten im Völkerrecht,
Herbert-Miehsler-Gedächtnisvorlesungen an der Universität Salzburg,
no 3/1989, notamment p. 3, 6 et 8 à 10; DUPUY, op.cit. p. 30 in fine).

    b) La feuille no XVII de la carte Dufour, à l'échelle 1:100'000,
fut éditée pour la première fois en 1845, puis mise à jour en 1848. Sur
ces deux versions, les frontières cantonales ne sont représentées que
de façon lacunaire et, en particulier, aucun tracé n'est indiqué dans le
secteur de la Plaine-Morte. D'après les experts qui se sont prononcés,
cela est dû au fait qu'en dépit des demandes du Général Dufour, les
gouvernements cantonaux n'ont pas fourni d'indications sûres à ce propos.

    La frontière est par contre indiquée sur l'édition datée de 1863:
depuis le Weisshorn, en direction du nord-est, elle se trouve sur le
Gletscherhorn, puis le long d'une crête ou d'un renflement qui n'existe
pas sur les cartes actuelles, séparant le glacier de la Plaine-Morte
de celui du Rezli (Rezligletscher), puis ensuite sur les sommets du
Wildstrubel. On ne sait pas avec certitude pourquoi ce tracé a été
retenu. Le relevé topographique, datant de 1841, représentait le glacier
de la Plaine-Morte comme une cuvette sans exutoire, limitée au nord-ouest
par ce renflement jouxtant immédiatement la pente du glacier du Rezli;
apparemment, la lecture ou l'interprétation du relief ainsi figuré a
abouti à situer la ligne de partage des eaux sur le renflement, et donc
à y situer aussi la frontière politique.

    Cette version de la carte a été utilisée lors de la solution du litige
relatif aux secteurs du Sanetsch et de la Gemmi. Il faut admettre que
le tracé figuré au nord du glacier de la Plaine-Morte était connu des
représentants des cantons. Il ne ressort pas des documents disponibles
que ce tracé fût alors lui aussi l'objet d'une contestation. Le cas
échéant, les délégués auraient dû faire état de leurs divergences et
consigner leurs réserves dans la convention de 1871 ou dans les documents
finals de la délimitation, notamment parce que le secteur litigieux de la
Gemmi s'étendait dès le Wildstrubel et le bord oriental du glacier de la
Plaine-Morte. L'absence de toute mention ou réserve à ce sujet autorise
à présumer que le tracé figurant sur la carte était reconnu.

    Cette présomption est renforcée par la présence, dans les archives
du canton de Berne, d'une carte intitulée "Grenzstreit mit Wallis", qui
n'est pas datée ni signée, consistant dans un exemplaire de la carte Dufour
sur lequel les tracés revendiqués par chacun des cantons sont représentés
par deux lignes, l'une rouge, l'autre bleue: sur le flanc nord-ouest du
glacier, ces deux lignes coïncident entre elles et avec le tracé de la
carte Dufour; dès le premier des sommets du Wildstrubel, la ligne rouge
délimitant le territoire revendiqué par le canton de Berne oblique en
direction du Schneehorn, mais elle n'inclut pas le glacier. Peut-être
s'agit-il, conformément à l'opinion défendue par ce canton dans la présente
procédure, d'un simple document interne à l'administration cantonale;
les indications qu'il contient paraissent néanmoins refléter fidèlement
les convictions juridiques de l'époque de sa confection. Sa force probante
découle notamment de ce qu'il présente un tracé de la frontière défavorable
au canton d'où il provient (SEIDL-HOHENVELDERN, Landkarten im Völkerrecht,
p. 6).

    c) Le canton de Berne ne prétend d'ailleurs pas qu'il y eût
contestation quant au tracé indiqué par la carte Dufour dans le secteur
de la Plaine-Morte. Il soutient que le canton reconnaissait alors, de
même qu'actuellement, la ligne de partage des eaux comme déterminante
pour le tracé de la frontière politique et que ses délégués et autorités
n'étaient pas en mesure d'apercevoir que les auteurs de la carte Dufour
n'avaient probablement pas situé cette ligne conformément à la réalité;
dans ces circonstances, les délégués n'avaient à son avis aucun motif
de mettre en doute le tracé indiqué par cette carte et celui-ci a été
dûment mis à jour lorsque, par la suite, l'erreur de relevé topographique
a été découverte. Cette argumentation méconnaît que les limites naturelles
résultant de la configuration du terrain ne jouent qu'un rôle subsidiaire
lors de la détermination des frontières litigieuses, applicable dans
le seul cas où celles-ci ne sont pas déterminables sur la base d'une
convention, d'une reconnaissance ou d'une possession territoriale
incontestée (ATF 21 p. 967 consid. 2, 106 Ib 154 p. 171 consid. 8). Après
qu'un tracé a été reconnu par l'un des cantons concernés, l'amélioration
des connaissances géographiques relatives à l'emplacement des limites
naturelles, telle qu'une ligne de partage des eaux, n'entraîne pas le
déplacement de ce tracé, sauf si les deux cantons admettent la limite
naturelle comme seul critère à prendre en considération.

    Le Tribunal fédéral doit ainsi constater qu'en 1873, la frontière se
trouvait effectivement à l'emplacement indiqué par la carte Dufour dans
sa version de 1863, le canton de Berne reconnaissant de façon tacite la
souveraineté du canton du Valais sur le glacier de la Plaine-Morte. Cela
ne suffit toutefois pas à établir le bien-fondé de la réclamation de
droit public; celle-ci devra être rejetée s'il apparaît que les actes
ultérieurs des cantons ont entraîné le déplacement de la frontière en
faveur du canton de Berne. L'examen des cartes géographiques réalisées
avant 1845 est en revanche superflu.

Erwägung 5

    5.- Le canton de Berne prétend avoir exercé une souveraineté prolongée
et incontestée sur le glacier de la Plaine-Morte; il soutient qu'en
tolérant cette situation, le canton voisin a reconnu le tracé de la
frontière représenté sur les cartes et les plans actuels.

    a) Celui-ci est apparu semble-t-il pour la première fois sur l'édition
1875/1882 de la carte Dufour, à la suite de relevés topographiques
exécutés en 1879 par R. Guébhard et en 1881 par F. Becker. Ces travaux
ont révélé que la ligne de partage des eaux est constituée par la crête
des Faverges, au sud du glacier; les experts s'accordent à admettre
que la nouvelle représentation de la frontière était motivée par cette
considération géographique. Par la suite, le tracé ainsi modifié a été
reproduit sur toutes les cartes réalisées par la Confédération, à la
seule exception, en 1887, de la version complétée d'une carte générale à
l'échelle 1:250'000, dont la première édition était antérieure aux nouveaux
relevés topographiques. En particulier, ce tracé modifié figure sur toutes
les versions de la carte nationale de la Suisse actuellement en usage.

    b) Dans le cadre de la mensuration officielle du sol prévue par les
art. 950 CC et 40 à 42 tit. fin. CC, les cantons ont été chargés d'exécuter
d'abord une triangulation de IVe ordre, sur la base des triangulations de
Ier, IIe et IIIe ordres déjà exécutées par la Confédération. A cette fin,
en août 1913, le canton de Berne a fait procéder au repérage de plusieurs
points trigonométriques dans le secteur de la Plaine-Morte, notamment à la
pointe de la Plaine-Morte, au Sex Mort et sur la crête des Faverges. Le
canton du Valais ne s'y est pas opposé; il s'est d'ailleurs basé sur ces
points lors de la triangulation du territoire voisin. L'ouvrage ainsi
réalisé par le canton de Berne a été approuvé par l'autorité fédérale en
février 1916.

    La mensuration officielle s'est achevée avec la réalisation du plan
d'ensemble à l'échelle 1:10'000 autrefois exigé par la réglementation
fédérale (consid. 7 ci-dessous; cf. MEINRAD HUSER, Schweizerisches
Vermessungsrecht, Fribourg 1994, p. 107). Ce plan présente lui aussi un
tracé de la frontière correspondant à celui désormais indiqué par les
cartes fédérales. Les services compétents des deux cantons ont demandé
conjointement l'approbation du plan par le Département fédéral de justice
et police et la taxation de la subvention prévue par le droit fédéral;
cette requête a été accueillie le 3 février 1968.

    c) En 1969, le développement de la station touristique de
Crans-Montana a conduit à la mise en service d'un téléski sur le glacier
de la Plaine-Morte. Un deuxième téléski a été mis en service en 1981. Ces
installations sont soumises au concordat du 15 octobre 1951 concernant les
installations de transport par câbles et skilifts (sic) sans concession
fédérale (RS 743.22). Les permis d'exploitation ont été délivrés et
renouvelés plusieurs fois par la Direction des transports, de l'énergie et
de l'économie hydraulique du canton de Berne; les vérifications périodiques
du service de contrôle technique institué par le concordat ont aussi été
exécutées sous l'autorité de ce canton. L'entreprise a son siège dans le
canton du Valais; depuis la période de taxation 1971/72, son imposition
est répartie entre les deux cantons. Par ailleurs, la commune de La Lenk
perçoit une taxe immobilière depuis 1975.

    d) Le 12 novembre 1982, un avion s'est abattu sur le glacier. Outre le
Bureau fédéral d'enquête sur les accidents d'aviation, la police cantonale
bernoise est intervenue; l'événement n'a eu aucune suite judiciaire.

    Un autre accident s'est produit dans l'exploitation de l'un des
téléskis, le 7 février 1990. Après une enquête préliminaire de la police
cantonale valaisanne, le Juge d'instruction pénale du Valais central a
transmis le dossier au Ministère public du canton de Berne au motif que
les faits étaient survenus sur le territoire de ce canton. Les autorités
bernoises ont admis leur compétence à raison du lieu.

Erwägung 6

    6.- a) En droit international, il est admis qu'un Etat puisse
éventuellement acquérir une portion du territoire d'un autre Etat par
l'effet d'une reconnaissance explicite ou tacite du transfert territorial
par ce dernier Etat (DUPUY, op.cit. ch. 41 p. 28; SEIDL-HOHENVELDERN,
Landkarten im Völkerrecht, p. 8 à 10). La cas de l'acquisition par
l'effet d'un comportement passif de l'Etat cédant, constitutif d'une
reconnaissance tacite, ne se distingue guère de celui de l'acquisition par
prescription acquisitive ou usucapion (JÖRG-PAUL MÜLLER, loc.cit. p. 54
et ss): l'absence d'un titre d'acquisition originel, tel qu'un traité,
ou le vice de ce titre est suppléé par l'exercice exclusif, prolongé et
incontesté de la souveraineté sur le territoire concerné (NGUYEN QUOC
DINH, PATRICK DAILLER, ALAIN PELLET, Droit international public, 4e éd.,
Paris 1992, p. 508; MICHEL VIRALLY, Cours général de droit international
public, in Recueil des cours de l'Académie de droit international, tome
183/1983, vol. V, p. 147/148; SEIDL-HOHENVELDERN, Völkerrecht, ch. 1157
p. 250; GEORG DAHM, JOST DELBRÜCK, RÜDIGER WOLFRUM, Völkerrecht, 2e éd.,
Berlin 1989, vol. I/1, p. 365/366).

    b) En droit interne, l'existence et l'intégrité territoriale des
cantons sont garanties par les art. 1er et 5 Cst. Ces dispositions tendent
notamment à protéger chaque canton contre d'éventuelles tentatives de
sécession fomentées sur son territoire ou d'annexion entreprises de
l'extérieur. Avec l'art. 7 al. 1 Cst. qui interdit les traités de
nature politique entre cantons, les dispositions précitées tendent
aussi à préserver l'équilibre intérieur de la Confédération et elles
s'opposent donc à des modifications territoriales qui compromettraient cet
équilibre. C'est pourquoi les cessions de territoire entre cantons doivent
en principe, à l'instar des révisions de la constitution fédérale, être
soumises au double vote du peuple et des cantons (ATF 118 Ia 195 p. 205
in medio; voir l'arrêté fédéral du 18 juin 1993 relatif au district de
Laufon, RS 132.222.2, et le message du Conseil fédéral du 27 janvier 1993,
FF 1993 p. 971, 972; JEAN-FRANÇOIS AUBERT, Commentaire de la constitution
fédérale, ch. 77 et ss ad art. 1er Cst.; ULRICH HÄFELIN, WALTER HALLER,
Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 3e éd., p. 72 ch. 213 et ss).

    Cela ne concerne cependant pas les simples rectifications de
frontières, dépourvues de portée politique (ibidem). Il n'existe
pas de règle constitutionnelle spécifique à leur sujet. Elles font
d'ordinaire l'objet d'une convention entre les cantons intéressés,
dans le cadre de l'art. 7 al. 2 Cst. qui prévoit en général le droit
des cantons de conclure des conventions sur des objets de législation,
d'administration ou de justice. Elles doivent alors, en principe, comme
toutes ces conventions, être soumises à l'approbation du Conseil fédéral
ou, au besoin, de l'Assemblée fédérale, selon les art. 85 ch. 5 et 102
ch. 7 Cst. En pratique, il est fréquent que des conventions portant sur
des rectifications de frontières ne soient pas soumises à l'approbation
fédérale, ce qui ne fait toutefois pas obstacle à leur validité (KARL
SPILLMANN, Die Kantonsgrenze mit besonderer Berücksichtigung ihrer
Verlegung, thèse, Zurich 1954, p. 88/89). Pour le surplus, la constitution
n'exclut pas qu'une rectification de frontière intervienne sur une base
juridique autre qu'une convention intercantonale.

    Les rectifications de frontières se distinguent des cessions de
territoire en ce que le transfert de terrain, portant sur une surface
de faible étendue et le plus souvent inhabitée, n'est qu'un effet
accessoire d'une amélioration technique du tracé (AUBERT, commentaire,
loc.cit. ch. 79; HÄFELIN/HALLER, loc.cit. ch. 215).

    Les auteurs de la carte Dufour de 1875/1882 ont déplacé le tracé
présentement litigieux dans le but de faire coïncider la frontière avec une
limite naturelle, soit la ligne de partage des eaux; il s'agissait donc
d'une modification purement technique et indépendante de tout objectif
politique. La surface concernée - de plusieurs kilomètres carrés - est
relativement importante; il s'agit toutefois d'un terrain improductif qui
a été considéré, jusqu'à une époque récente, comme entièrement dépourvu de
valeur économique. Aucune population n'est touchée. Dans ces conditions,
seule une rectification de frontière est en cause, dont la validité n'est
pas subordonnée à l'accord du peuple et des cantons.

    c) Les cantons suisses sont des Etats fédérés et le droit fédéral ne
règle pas de façon complète leurs rapports réciproques; c'est pourquoi les
principes du droit international sont applicables à titre subsidiaire. La
validité de ces principes et leur portée dans les rapports intérieurs à
la Suisse doivent toutefois être préalablement évaluées et, au besoin,
adaptées en tenant compte des particularités de l'Etat fédératif: les
cantons doivent plus d'égards à la communauté intercantonale qu'un Etat
souverain n'en doit à la communauté internationale; ils ont dès lors,
dans leurs relations entre eux, un devoir de fidélité confédérale
inconnu du droit international (JEAN-FRANÇOIS AUBERT, Traité de droit
constitutionnel suisse, vol. 2, ch. 1637; FRITZ FLEINER, ZACCARIA
GIACCOMETTI, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, p. 879; ATF 26 I 444
p. 450 consid. 3).

    Ce devoir impose notamment à chaque canton de respecter le territoire
des cantons voisins (ATF 118 Ia 195 p. 205 in medio). Il impose également
une attitude conforme à la bonne foi - donc exempte de toute ruse ou
abus - dans l'ensemble des relations intercantonales, soit même lorsque
l'exigence de la bonne foi n'est pas déjà consacrée par les règles qui
seraient déterminantes dans les relations entre Etats souverains. Ces
obligations confédérales interdisent qu'un canton invoque la prescription
acquisitive ou une reconnaissance tacite à l'égard d'un territoire dont ses
organes savaient ou auraient dû savoir qu'il appartenait à un autre canton.

    Pour le surplus, la force obligatoire de la reconnaissance tacite,
telle qu'elle est reconnue en droit international, dérive du principe de
la confiance (JÖRG-PAUL MÜLLER, loc.cit. p. 37 et ss; SEIDL-HOHENVELDERN,
Völkerrecht, ch. 183 p. 52), or celui-ci est aussi valable dans les
rapports entre cantons (ATF 112 Ia 75, en particulier p. 80 in medio). Elle
est donc pleinement compatible, en principe, avec les caractéristiques
de l'Etat fédératif, de sorte que sous réserve du cas précité, l'ordre
interne n'exclut pas que la reconnaissance tacite d'une rectification de
frontière soit opposable au canton qui se prévaut du tracé antérieur.

Erwägung 7

    7.- En l'espèce, la mensuration officielle du sol exécutée par le
canton du Valais exerce à cet égard une influence déterminante.

    Dans le secteur de la Plaine-Morte, ce travail est antérieur à
l'adoption de l'ordonnance sur la mensuration officielle actuellement
en vigueur (OMO; RS 211.432.2). L'ordonnance du 5 janvier 1934 sur les
mensurations cadastrales (ord. 1934; RS 1848-1947 2 p. 543), l'instruction
du Conseil fédéral du 10 juin 1919 pour l'abornement et la mensuration
parcellaire (instr. 1919; RS 1848-1947 2 p. 575) et l'instruction du
Département fédéral de justice et police du 24 décembre 1927 pour
l'établissement des plans d'ensemble des mensurations cadastrales
(instr. 1927; RS 211.432.231) étaient alors applicables.

    La mensuration avait pour préalable le bornage des limites parcellaires
et des limites politiques telles que les frontières des cantons (art. 10
al. 1 instr. 1919). Ces limites politiques devaient ensuite être
levées comme objets de la mensuration (art. 28 let. b instr. 1919) et
portées notamment sur un plan d'ensemble à l'échelle 1:5'000 ou 1:10'000
(art. 4 let. d instr. 1927). La mensuration devait faire l'objet d'une
vérification au fur et à mesure des travaux, destinée à constater la
conformité du mode d'exécution et l'exactitude des documents établis,
puis d'un dépôt public et d'une reconnaissance officielle par l'autorité
cantonale compétente (art. 55, 57 et 64 instr. 1919). Elle devait
enfin être soumise au Département fédéral de justice et police, à qui
il appartenait de l'approuver si elle répondait aux exigences fédérales
(art. 26 ord. 1934). Le plan d'ensemble était partie intégrante de la
mensuration (art. 1 al. 1 instr. 1927); il devait être remis au Département
et approuvé par cette autorité en même temps que l'ensemble de l'oeuvre
(art. 53 al. 1 let. k instr. 1919; art. 17 instr. 1927). L'approbation
ouvrait le droit du canton à une subvention fédérale (art. 1 al. 1 des
arrêtés fédéraux du 5 décembre 1919 (RS 1848-1947 2 p. 644) et du 8 octobre
1964 (ROLF 1964 p. 897) concernant la participation de la Confédération
aux frais des mensurations cadastrales).

    La réglementation exigeait, outre le bornage, une révision complète
des limites parcellaires (art. 9 instr. 1919). Cette révision n'était pas
explicitement prévue pour les limites politiques; néanmoins, la mensuration
a entraîné de nombreuses rectifications des frontières cantonales et elle
a parfois mis au jour des contestations (SPILLMANN, op.cit. p. 66). Dès
lors que ces frontières devaient être bornées et levées, la mensuration
avait notamment pour but de déterminer leur tracé. Chaque canton peut donc
admettre de bonne foi que les documents établis dans le cadre de cette
tâche par un autre canton, tels que le plan d'ensemble, indiquent le tracé
des frontières que ce canton considère comme exact. Il apparaît ainsi qu'à
l'époque du travail de mensuration achevé avec l'approbation fédérale de
février 1968, le canton du Valais reconnaissait de façon obligatoire pour
lui la rectification que les géomètres avaient opérée de leur propre chef
sur la carte Dufour de 1875/1882. Cette reconnaissance confère un titre
juridique à la rectification et au transfert territorial correspondant;
elle rend caduc le titre contraire invoqué à l'appui de la réclamation de
droit public, tiré de la reconnaissance de l'ancien tracé par le canton
de Berne dans les années 1870.

Erwägung 8

    8.- La reconnaissance ainsi mise en évidence par la mensuration
officielle est corroborée par le fait que le canton du Valais a laissé
le canton de Berne exercer diverses fonctions étatiques sur la glacier
de la Plaine-Morte, sans protester et sans exercer lui-même de telles
fonctions, hormis les premiers actes d'enquête lors de l'accident du 7
février 1990. La mensuration officielle est toutefois concluante à elle
seule; il n'est donc pas nécessaire d'examiner si ces interventions des
autorités bernoises constituent, compte tenu de la situation retirée et
de la nature inhospitalière des lieux, un exercice de la souveraineté
suffisamment continu et prolongé pour que le canton de Berne soit autorisé
à invoquer, au surplus, la prescription acquisitive ou l'acquiescement
du canton du Valais.

Entscheid:

             Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Rejette la demande formée par le canton du Valais;

    Dit que depuis le Weisshorn (point fixe cote 2947,9) jusqu'au
Wildstrubel (point fixe cote 3243,5), la frontière entre les cantons
de Berne et du Valais est située selon le tracé figurant sur le plan
d'ensemble des mensurations cadastrales du canton du Valais, feuille no
5'277 "Wildstrubel", échelle 1:10'000, état à fin 1964.