Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 119 IV 339



119 IV 339

63. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 3 septembre
1993 dans la cause C. c. C.-M. et Procureur général du canton de Genève
(pourvoi en nullité) Regeste

    Art. 270 Abs. 1 BStP; Legitimation des Geschädigten zur
Nichtigkeitsbeschwerde im Strafpunkt.

    Prüfung der drei Voraussetzungen, unter denen nach dem neuen Art. 270
Abs. 1 BStP der Geschädigte zur Nichtigkeitsbeschwerde legitimiert ist.

Sachverhalt

    A.- C., citoyen italien, et M., ressortissante suisse, se sont
mariés le 1er décembre 1989 à Troinex (Genève) où ils sont domiciliés;
par contrat de mariage du 12 décembre 1989, ils ont adopté le régime de
la communauté universelle.

    Les époux sont titulaires conjointement d'un compte auprès du Credito
Commerciale Tirreno.

    Le 17 décembre 1992, C. déposa plainte pénale à Genève contre son
épouse pour abus de confiance, lui reprochant d'avoir prélevé en Italie,
en violation des règles sur le régime matrimonial, une somme de 183'313'078
lires sur leur compte auprès du Credito Commerciale Tirreno.

    B.- Le 29 janvier 1993, le Procureur général du canton de Genève
a classé la plainte, en considérant que les autorités suisses étaient
incompétentes pour en connaître.

    Statuant sur recours le 8 mars 1993, la Chambre d'accusation cantonale
a estimé qu'il ne pouvait pas y avoir d'abus de confiance, parce que le
plaignant n'a pas confié des fonds à son épouse pour qu'elle les utilise
de manière déterminée, que ce soit pour les garder, les administrer ou
les remettre à un tiers. Elle a laissé ouverte la question de savoir s'il
existe un for en Suisse. Elle a ajouté que le classement était également
justifié par des considérations d'opportunité, s'agissant d'un acte entre
époux qui n'ont entrepris aucune procédure tendant à leur séparation.

    C.- Contre cette décision, C. a déposé un pourvoi en nullité à la Cour
de cassation pénale du Tribunal fédéral. Se référant à l'art. 227 al. 1
CC, il soutient que son épouse était bien chargée conjointement de gérer
les biens communs et que son prélèvement, violant l'art. 228 al. 1 CC,
constitue un abus de confiance (art. 140 CP). Il fait observer d'autre
part que son épouse a conservé la nationalité suisse, de sorte que la
compétence des tribunaux suisses résulte de l'art. 6 CP. Enfin, invoquant
la faculté de former dans le même acte un recours de droit public, il
considère qu'un classement en opportunité, selon le droit cantonal, est
arbitraire, compte tenu de l'importance du montant prélevé. Il conclut,
avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance attaquée, qui
rejetait son recours contre la décision de classement du Procureur général.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- a) Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation pénale du
Tribunal fédéral est ouvert contre une ordonnance de non-lieu rendue
en dernière instance (art. 268 ch. 2 PPF). Par ordonnance de non-lieu,
il faut entendre toute décision qui met fin à l'action pénale, au moins
sur un chef d'accusation, et qui est rendue par une autre autorité que la
juridiction de jugement (ATF 117 IV 233 consid. 1b). Rendue en dernière
instance cantonale, la décision de la Chambre d'accusation genevoise
qui rejette un recours contre une décision de classement met un terme à
l'action pénale et constitue donc une ordonnance de non-lieu au sens de
l'art. 268 ch. 2 PPF.

    b) En ce qui concerne la qualité pour se pourvoir en nullité, le
recourant fait valoir qu'il est plaignant et que l'abus de confiance commis
au préjudice des proches ou des familiers n'est poursuivi que sur plainte
(art. 140 ch. 3 CP). Il se réfère ainsi manifestement à l'ancien texte
de l'art. 270 al. 1 PPF, qui permettait au plaignant de recourir pour ce
qui concerne les infractions qui ne sont poursuivies que sur plainte du
lésé. Or, ce texte a été remplacé par un nouvel art. 270 al. 1 (RO 1992
p. 2473), entré en vigueur le 1er janvier 1993 (RO 1992 p. 2470). Comme la
décision de la Chambre d'accusation a été rendue sous l'empire du nouveau
droit, les possibilités de l'attaquer par un pourvoi en nullité sont régies
exclusivement par les nouvelles dispositions. Selon le nouveau droit, la
qualité pour se pourvoir en nullité ne dépend plus, en ce qui concerne
le lésé, de la question de savoir si l'infraction n'est poursuivie que
sur plainte (FF 1990 II 947).

    c) Selon le nouvel art. 270 al. 1 PPF, "le lésé peut également se
pourvoir en nullité s'il était déjà partie à la procédure auparavant et
dans la mesure où la sentence peut avoir des effets sur le jugement de
ses prétentions civiles" (RO 1992 p. 2473). Ce texte est entré en vigueur
avec la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI) du 4
octobre 1991, le 1er janvier 1993 (RO 1992 p. 2465 ss, 2470).

    La formulation adoptée sans discussion particulière (cf. BO 1991 CE
589, BO 1991 CN I 24) correspond exactement au projet du Conseil fédéral
(FF 1990 II 965). Le message relève que "le projet innove en accordant au
lésé la qualité pour se pourvoir en nullité au pénal, pour autant qu'il
ait déjà été partie à la procédure auparavant et que la sentence puisse
avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles"; plutôt
que de s'attacher à la distinction entre les infractions poursuivables
d'office et celles qui ne sont poursuivies que sur plainte, le projet
s'attache à la notion de lésé et de dommage (FF 1990 II 947).

    La qualité pour se pourvoir en nullité telle qu'elle est définie par
la nouvelle version de l'art. 270 al. 1 PPF correspond largement à la
règle générale introduite par l'art. 8 al. 1 let. c LAVI. Selon cette
disposition, la victime peut intervenir comme partie dans la procédure
pénale; elle peut en particulier "former contre le jugement les mêmes
recours que le prévenu, si elle était déjà partie à la procédure auparavant
et dans la mesure où cette sentence touche ses prétentions civiles ou peut
avoir des effets sur le jugement de ces dernières" (RO 1992 p. 2467). Dans
ce cas également, les chambres fédérales ont adopté sans modification ni
discussion (cf. BO 1991 CE 588, BO 1991 CN I 20) le texte proposé par le
Conseil fédéral (FF 1990 II 959). A ce propos cependant, le message est
plus explicite et expose ce qui suit:

    "Cette disposition garantit à la victime le droit d'attaquer un
jugement
   sur le fond dans la mesure où ce dernier compromet l'exercice de ses
   prétentions en dommages-intérêts et en réparation du tort moral. Le
   recours est possible tant au civil que, dans une mesure limitée,
   au pénal:

    - dans la mesure où le jugement touche directement les prétentions
   civiles, c'est-à-dire déboute la victime de ses conclusions civiles
   ou ne les adjuge que partiellement, la lettre c accorde à la victime
   les mêmes recours que le prévenu peut introduire au civil. Cette
   réglementation correspond dans une large mesure à ce qui est prévu
   dans le droit en vigueur (voir en particulier l'art. 271 PPF en ce
   qui concerne le pourvoi en nullité à la Cour de cassation du Tribunal
   fédéral).

    - au pénal, la nouvelle réglementation va en revanche plus loin que ce
   que prévoient beaucoup de lois de procédure. Sur ce point, la
   victime doit, de manière générale, avoir la possibilité d'attaquer la
   sentence dans la mesure où elle a une influence sur le jugement de ses
   prétentions civiles. Cela permet, par exemple, à la victime d'attaquer
   un jugement d'acquittement fondé sur la constatation que le prévenu
   n'a pas commis l'acte dommageable. Un recours est en revanche exclu
   en ce qui concerne tous les points qui n'ont aucun lien direct avec
   les prétentions civiles de la victime. Ainsi, la victime ne pourra
   pas recourir contre le genre ou la durée de la peine prononcée, car,
   dans ce cas, c'est la situation de l'auteur et non celle de la victime
   qui est déterminante.

    Pour pouvoir attaquer le jugement pénal, la victime doit avoir
été partie
   à la procédure auparavant. La forme de cette participation n'est
   pas précisée. En règle générale, elle consistera dans le fait que la
   victime était partie civile dans la procédure de première instance
   (par exemple, dans les procès régis par la procédure pénale fédérale
   ou par la procédure pénale militaire). Selon les droits de procédure
   cantonaux, d'autres formes de participation peuvent être envisagées,
   comme l'intervention en qualité d'accusateur privé" (FF 1990 II 935).

    d) Il résulte clairement du nouvel art. 270 al. 1 PPF que la qualité
pour se pourvoir en nullité dépend de trois conditions: il faut que le
recourant soit lésé par l'acte dénoncé, qu'il ait déjà été partie à la
procédure auparavant et, enfin, que la sentence puisse avoir des effets
sur le jugement de ses prétentions civiles.

    aa) Doit être considéré comme lésé le titulaire du bien juridique
protégé par les règles auxquelles il a été contrevenu (ATF 118 Ia
14 consid. 2b, 117 Ia 135 consid. 2a et les références citées; voir
également ATF 119 Ia 345 consid. 2b). Dans la mesure où les faits ne
sont pas définitivement arrêtés, il faut se fonder sur les allégués de
celui qui se prétend lésé pour déterminer si tel est effectivement le cas.

    En l'espèce, on peut se demander si le recourant est lésé par les
actes qu'il reproche à son épouse et si ce n'est pas plutôt la communauté
des biens des époux qui est touchée, le recourant ne subissant dans ce cas
qu'une atteinte indirecte, insuffisante pour le faire apparaître comme lésé
(voir ATF 119 Ia 345 consid. 2a). Cette question peut toutefois demeurer
ouverte, l'une des autres conditions posées par le nouvel art. 270 al. 1
PPF faisant défaut au recourant.

    bb) Selon l'art. 23 du code genevois de procédure pénale, les
parties à la procédure cantonale sont le procureur général, la partie
civile et l'inculpé. Le plaignant n'est nullement mentionné dans cette
énumération. Toutefois, comme l'indique le texte allemand de l'art. 270
al. 1 PPF, selon lequel le lésé peut se pourvoir en nullité "wenn er sich
bereits vorher am Verfahren beteiligt hat", on peut admettre que la qualité
de partie, au sens de cette disposition, doit être comprise de manière
large (voir ATF 119 IV 168 ss) et englober également des cas où, comme en
l'espèce, le lésé a pu former un recours et provoquer la décision attaquée
(dans ce sens: ERHARD SCHWERI, Eidgenössische Nichtigkeitsbeschwerde
in Strafsachen, Berne 1993, p. 90 no 256). L'art. 191 let. a du code
genevois de procédure pénale assimile expressément le plaignant à une
partie pour interjeter un tel recours à la Chambre d'accusation. Il faut
donc conclure que le recourant était partie devant l'autorité qui a rendu
la décision attaquée.

    cc) Enfin, l'art. 270 al. 1 PPF ne permet au lésé de se pourvoir en
nullité que "dans la mesure où la sentence peut avoir des effets sur le
jugement de ses prétentions civiles". Le législateur n'a voulu ouvrir
au lésé la faculté de se pourvoir en nullité que pour lui permettre
de défendre ses intérêts juridiques en vue d'obtenir la réparation
civile de son préjudice. Le message relève à ce sujet: "cela permet,
par exemple, à la victime d'attaquer un jugement d'acquittement fondé
sur la constatation que le prévenu n'a pas commis l'acte dommageable"
(FF 1990 II 935). Il faut donc que le jugement pénal touche l'existence
ou la quotité de la prétention civile (SCHWERI, op.cit., p. 91 no 257).

    Le lésé ne saurait se pourvoir en nullité en invoquant un désir de
vengeance, sans rapport avec sa créance en réparation. Ainsi, selon le
message, la victime ne pourra pas recourir contre le genre ou la durée
de la peine prononcée (FF 1990 II 935); elle ne pourra pas se plaindre
non plus de l'octroi ou du refus du sursis, ou encore du prononcé d'une
mesure en lieu et place d'une peine (SCHWERI, op.cit., p. 90 no 257).

    Le droit de se pourvoir en nullité accordé au lésé par la nouvelle
version de l'art. 270 al. 1 PPF lui permet de soumettre au contrôle du
Tribunal fédéral la solution apportée à un point de droit dans la mesure
où elle est susceptible de l'entraver dans ses facultés de faire valoir
ses prétentions civiles. Il ne saurait en revanche permettre au lésé de
s'opposer à une décision parce qu'elle ne facilite pas son action sur le
plan civil. Ainsi, il ne peut pas exiger des autorités qu'elles conduisent
jusqu'à leur terme des poursuites pénales inopportunes uniquement pour
placer le lésé dans une position aussi favorable que possible pour
faire valoir ses prétentions civiles. Dès lors que l'arrêt cantonal ne
contient rien qui puisse être opposé au lésé sur le plan civil, il y a
lieu d'admettre que la sentence n'a pas d'effet sur le jugement de ses
prétentions civiles, au sens de l'art. 270 al. 1 PPF. Dans l'hypothèse
inverse, il n'est en revanche pas nécessaire de démontrer que l'arrêt
pénal influence effectivement le jugement des prétentions civiles; il
suffit, selon le texte légal clair, qu'il existe à ce propos une simple
possibilité; tel est le cas notamment si le juge civil, même si rien
ne l'y contraint, se sent lié par l'arrêt rendu au pénal. En revanche,
il faut que le jugement attaqué ait pour conséquence que le recourant
rencontrera plus de difficultés à faire valoir ses prétentions civiles,
au point qu'il en résulte pour lui un intérêt juridique à faire modifier
la décision, intérêt juridique qui est d'ailleurs requis pour justifier
l'accès à toute voie de recours.

    Pour satisfaire aux exigences de motivation imposées par l'art. 273
al. 1 let. b PPF, le lésé qui se pourvoit en nullité conformément à
l'art. 270 al. 1 PPF doit exposer, au moins brièvement, en quoi il
s'estime lésé par les faits dénoncés, en quelle qualité il a pris part
à la procédure cantonale et, enfin, quelles prétentions il entend faire
valoir sur le plan civil et en quoi elles peuvent être touchées par
l'arrêt attaqué.

    e) En l'espèce, on peut douter que ces différents éléments ressortent
de manière suffisante du mémoire déposé par le recourant à l'appui de
son pourvoi.

    f) Au surplus, le recourant expose que les époux sont soumis au
régime de la communauté universelle (art. 222 al. 1 CC) et que les
fonds qui se trouvaient sur le compte auprès de la banque italienne
constituaient des biens communs, et non pas des biens propres de l'un
des époux (cf. art. 221, 225 CC). Selon l'art. 222 al. 2 et 3 CC, la
communauté appartient indivisément aux deux époux et aucun d'eux ne peut
disposer de sa part aux biens communs. Les époux gèrent les biens communs
dans l'intérêt de l'union conjugale (art. 227 al. 1 CC). Le recourant
soutient que le prélèvement opéré par son épouse excédait les limites
de l'administration ordinaire (cf. art. 227 al. 2 CC), de sorte qu'elle
ne pouvait disposer des biens communs sans son consentement (art. 228
al. 1 CC), ce consentement étant par ailleurs présumé au profit des tiers
(art. 228 al. 2 CC). Il en résulte donc une créance de la communauté à
l'encontre de l'épouse (cf. art. 238 CC).

    Il ressort donc de la propre argumentation du recourant que les
prétentions civiles qu'il entend faire valoir découlent des règles
régissant son régime matrimonial. Ainsi, il apparaît que les sommes
qu'il réclame à son épouse seront à déterminer sur la base des normes
civiles relatives au sort des biens des époux dans le cadre du régime de
la communauté universelle. Ses prétentions ne supposent nullement qu'il
démontre l'existence d'une infraction pénale et plus précisément d'une
chose confiée au sens de l'art. 140 CP. Dès lors que la réparation à
laquelle il prétend est en relation avec la liquidation de son régime
matrimonial et ne dépend pas d'une éventuelle qualification pénale des
actes qu'il reproche à son épouse comme abus de confiance, on ne voit pas
en quoi le fait que celle-ci soit ou non déclarée coupable sur le plan
pénal peut influencer le sort de son action civile, qui est totalement
indépendante du procès pénal.

    On doit par conséquent admettre que l'arrêt attaqué ne peut pas avoir
d'effets sur le jugement de ses prétentions civiles et que le recours
est irrecevable pour ce motif.