Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 119 IV 202



119 IV 202

37. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 18 août 1993
dans la cause S. c. Procureur général du canton de Genève (pourvoi en
nullité) Regeste

    Art. 113 StGB; Totschlag.

    Grosse seelische Belastung und Entschuldbarkeit dieses Zustandes
(E. 2).

Sachverhalt

    A.- En janvier 1986, S. fit la connaissance de A. et noua rapidement
avec elle une liaison amoureuse. En décembre 1989, A. acquit pour le couple
une maison au Mont-Saxonnet (Haute-Savoie), dont les travaux de rénovation
furent confiés, en été 1990, à B. En août 1990, A. rompit avec S. et se lia
à B. S. et A. se revirent toutefois à quelques reprises en automne 1990.

    Le 28 avril 1991, S. apprit que A. s'était mariée quelque
temps auparavant avec B. Cet événement n'a représenté pour lui que
l'aboutissement d'un long processus de dégradation de la relation qu'il
avait eue avec A. S., qui présente une personnalité narcissique, passa la
journée chez lui, puis sortit dans la nuit, muni de son fusil d'assaut et
de quatre cartouches. Il passa la fin de la nuit aux alentours du domicile
des époux B. à Carouge. Au moment où B. sortit de l'immeuble, le 29 avril
1991 vers 6 heures, S. tira à bout portant deux coups de fusil sur lui
dans l'intention de le tuer, étant précisé qu'un projectile a pénétré
dans le corps de B. par le bord latéral gauche du thorax pour ressortir
sur le côté droit de la cavité thoracique, provoquant ainsi sa mort.

    B.- Par arrêt du 1er décembre 1992, la Cour d'assises du canton de
Genève a condamné S., pour meurtre (art. 111 CP), à la peine de huit ans de
réclusion, sous déduction de la détention préventive subie, et a ordonné
la confiscation de l'arme du crime. Suivant les conclusions du rapport
d'expertise, elle a admis que l'accusé était pleinement responsable de ses
actes. Estimant que, s'il était en proie à un profond désarroi au moment
d'agir, celui-ci n'était pas excusable - résultant essentiellement de son
narcissisme et de son égoïsme -, elle a écarté la qualification de meurtre
passionnel (art. 113 CP). Au stade de la fixation de la peine, elle a "tenu
compte de la situation personnelle instable et du terrain psychologiquement
fragile du meurtrier". Elle a attaché davantage d'importance à cet élément
qu'à ses antécédents judiciaires relativement chargés.

    C.- Statuant le 27 mai 1993, la Cour de cassation cantonale a rejeté,
avec suite de frais, le pourvoi formé par le condamné.

    D.- Contre cet arrêt, S. s'est pourvu en nullité à la Cour de
cassation pénale du Tribunal fédéral. Il explique que A. le tenait dans
un état d'infériorité et se jouait de lui, mais qu'il était néanmoins
subjugué par elle et lui restait attaché, bien qu'il ait eu, depuis leur
séparation, une liaison temporaire. Soutenant qu'il se trouvait dans un
état de profond désarroi excusable, il considère que la qualification
de meurtre passionnel a été écartée à tort. Il conclut, avec suite de
dépens, à l'annulation de la décision attaquée et au renvoi de la cause
à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau; il sollicite par
ailleurs l'assistance judiciaire.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 2

    2.- Le recourant soutient que l'homicide intentionnel qu'il a commis
devrait être qualifié de meurtre passionnel au sens de l'art. 113 CP.

    a) Selon la nouvelle formulation de cette disposition, entrée en
vigueur avant les faits de la cause - soit le 1er janvier 1990 (RO
1989 p. 2449 ss) -, il y a meurtre passionnel "si le délinquant a tué
alors qu'il était en proie à une émotion violente que les circonstances
rendaient excusable ou qu'il était au moment de l'acte dans un état de
profond désarroi".

    L'émotion violente est un état psychologique particulier, d'origine
émotionnelle et non pas pathologique, qui se caractérise par le fait
que l'auteur est submergé par un sentiment violent qui restreint dans
une certaine mesure sa faculté d'analyser correctement la situation
ou de se maîtriser (ATF 118 IV 236; cf. TRECHSEL, Kurzkommentar StGB,
art. 113 no 2 SRATENWERTH, Bes. Teil I 4e éd., p. 31 no 27; REHBERG,
Strafrecht III, 5e éd., p. 21; Noll, Bes. Teil I, p. 20; HURTADO POZO,
Droit pénal, Partie spéciale I, 2e éd., Fribourg 1991, p. 44 no 86).

    Le profond désarroi a été ajouté au texte légal lors de la modification
du 23 juin 1989 (RO 1989 p. 2449), entrée en vigueur le 1er janvier 1990
(RO 1989 p. 2456). Tandis que l'émotion violente suppose que l'auteur
réagisse de façon plus ou moins immédiate à un sentiment soudain qui le
submerge, le profond désarroi vise un état d'émotion qui mûrit pendant
une longue période progressivement, couve pendant longtemps jusqu'à ce
que l'auteur soit complètement désespéré et n'y voie d'autre issue que
l'homicide (FF 1985 II 1035 s.; ATF 118 IV 236).

    Pour retenir cette forme privilégiée d'homicide intentionnel que
constitue le meurtre passionnel, il ne suffit pas que l'auteur ait tué
alors qu'il était en proie à une émotion violente ou alors qu'il était
dans un état de profond désarroi, il faut encore que son état ait été
rendu excusable par les circonstances (ATF 118 IV 236 s.). Ce n'est pas
l'acte commis qui doit être excusable, mais l'état dans lequel se trouvait
l'auteur (ATF 108 IV 101 consid. 3a, 107 IV 106 consid. bb, 81 IV 155);
le Tribunal fédéral a en outre souligné que les critères permettant de
déterminer si l'état de l'auteur était excusable ne seront pas forcément
les mêmes suivant que l'on se trouve en présence d'une émotion violente
ou d'un état de profond désarroi (ATF 118 IV 237 s.).

    Il y a lieu de relever tout d'abord que le recourant ne soutient,
à juste titre, pas avoir agi alors qu'il était en proie à une émotion
violente au sens de l'art. 113 CP, hypothèse qui a été écartée pour des
motifs tout à fait pertinents par l'autorité cantonale. Il fait uniquement
valoir qu'il se trouvait alors dans un état de profond désarroi et que
l'autorité cantonale aurait violé le droit fédéral en considérant que
celui-ci n'était pas excusable.

    Lorsque le juge admet l'existence d'un profond désarroi, la question
de savoir si celui-ci peut être considéré comme excusable ne se pose pas
nécessairement de la même façon que dans le cas de l'émotion violente. On
doit en effet garder à l'esprit que le profond désarroi est l'aboutissement
d'un lent mûrissement (FF 1985 II 1036); il est donc possible, s'agissant
d'une évolution progressive pendant une longue période, que plusieurs
causes, plus ou moins difficiles à établir, concourent à provoquer l'état
de l'auteur; on peut imaginer notamment un jeu d'actions et de réactions,
par exemple dans le cadre d'un conflit conjugal (cf. ATF 118 IV 237). Le
plus souvent, le profond désarroi est rendu excusable par le comportement
blâmable que la victime avait adopté à l'encontre de l'auteur (cf. HURTADO
POZO, op.cit., p. 46 no 90). Il peut cependant être rendu excusable,
également, par le comportement d'un tiers ou par des circonstances
objectives. Ainsi, le message du Conseil fédéral cite l'exemple de la
mère qui se résout à tuer son enfant incurable parce qu'elle n'en peut
plus de le voir souffrir et, surtout, ne peut plus endurer la situation
qui s'y rattache (FF 1985 II 1036; ATF 118 IV 236). La doctrine évoque
l'hypothèse de tuer un enfant gravement invalide ou atteint d'une maladie
incurable et dont l'état crée, pour ses parents, une souffrance morale
presque insupportable (cf. STRATENWERTH, op.cit., p. 32 no 29 et les
références citées). La jurisprudence n'a pas exclu que dans certaines
circonstances le caractère excusable du profond désarroi résulte, avec
l'écoulement du temps, de l'état dans lequel se trouvait l'auteur (ATF
118 IV 238). Cette formulation - jugée obscure par la cour cantonale -
se référait à l'exemple cité par Schultz de celui qui a causé, par un
accident, l'invalidité d'un proche et lui prodigue ensuite pendant une
longue période des soins attentifs; sentant qu'il ne sera bientôt plus
en mesure de s'occuper de la personne dont il a causé l'invalidité et
désespéré à l'idée que celle-ci sera alors abandonnée à elle-même, il
en vient à commettre un homicide (SCHULTZ, Die Delikte gegen Leib und
Leben nach der Novelle 1989, RPS 1991 p. 402; ATF 118 IV 237; dans le
même sens: cf. l'exemple cité par STRATENWERTH, op.cit., p. 32 no 30).

    Ces exemples montrent que l'application de l'art. 113 CP est réservée
à des circonstances dramatiques dues principalement à des causes échappant
à la volonté de l'auteur et qui s'imposent à lui. Stratenwerth fait un
parallèle avec une situation de contrainte ou de nécessité (STRATENWERTH,
op.cit., p. 32 nos 29 et 30).

    La question doit être tranchée sur la base des faits retenus dans
la décision attaquée (art. 277bis al. 1 PPF). Déterminer, sur la base
de ces faits, si l'on se trouve ou non en présence d'un profond désarroi
excusable suppose un jugement porté sur les faits; il s'agit donc d'une
question de droit, qui peut être examinée librement dans le cadre d'un
pourvoi en nullité (ATF 118 IV 238 consid. a et les références citées).

    b) En l'espèce, A. a rompu avec le recourant en été 1990. Comme ils
se sont revus à quelques reprises pendant l'automne, le recourant devait
tenir la rupture pour définitive au moins dès cette époque, de sorte qu'il
a eu largement le temps de s'habituer à cette nouvelle situation, même si
elle lui était désagréable. Il ne ressort pas des constatations de fait de
l'autorité cantonale que A. aurait eu à son égard, à un quelconque moment,
un comportement blâmable ou humiliant; dans la mesure où il soutient le
contraire, le recourant s'écarte de l'état de fait de l'arrêt attaqué,
de sorte que son grief n'est pas recevable sur ce point (ATF 115 IV 41
consid. 3a). Dès l'été 1990, le recourant savait que A. avait noué une
liaison avec la victime. Lorsqu'il a appris, longtemps plus tard - le
28 avril 1991 -, qu'elle avait épousé la victime, il ne s'agissait pour
lui - selon les constatations cantonales - que de l'aboutissement d'un
long processus. Ce mariage n'apparaît nullement comme une circonstance
dramatique et dirigée contre le recourant. Un homme raisonnable, placé
dans les mêmes circonstances, aurait compris depuis longtemps que cette
liaison n'offrait plus d'espoir et qu'il devait s'en accommoder. Quelles
que soient les difficultés rencontrées par le recourant pour accepter cette
situation, on ne saurait admettre qu'une personne raisonnable se serait
trouvée pour cette raison, au moment des faits, dans un état perturbant sa
faculté d'analyser correctement la situation et de se maîtriser. La cour
cantonale a d'ailleurs constaté en fait, d'une manière qui lie l'autorité
de céans, que l'état dans lequel se trouvait le recourant était motivé par
des réactions égoïstes liées à sa personnalité narcissique. Il n'était donc
pas exposé à des circonstances extérieures indépendantes de sa volonté
que chacun puisse considérer comme dramatiques et propres à entraîner
facilement un état émotionnel altérant la faculté de juger correctement
la situation et de se maîtriser. Telles qu'elles ressortent de l'arrêt
attaqué, les circonstances de sa rupture avec A. et celles dans lesquelles
il a appris le mariage de celle-ci avec la victime ne permettent pas de
conclure qu'il se soit trouvé, d'une manière excusable, dans un état de
profond désarroi; s'il s'est trouvé dans un tel état, c'est en raison de
son incapacité à reconnaître à son ancienne amie le droit de mettre fin
à leur relation pour en nouer une autre avec un tiers et refaire sa vie
avec celui-ci. La cour cantonale n'a donc pas violé le droit fédéral
en retenant que le désarroi du recourant ne pouvait pas être considéré
comme excusable et entraîner l'application de l'art. 113 CP. Comme le
meurtre passionnel constitue une forme atténuée d'homicide intentionnel,
en raison de la présence d'éléments supplémentaires, c'est à juste titre,
en constatant l'absence de ces éléments, que la cour cantonale a appliqué
l'art. 111 CP qui revêt un caractère subsidiaire. Le pourvoi doit par
conséquent être rejeté.