Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 119 II 386



119 II 386

77. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 7 septembre 1993 dans la
cause F. S.p.A. et M. S.p.A. contre M. et Tribunal arbitral (recours de
droit public) Regeste

    Internationale Schiedsgerichtsbarkeit; rechtliches Gehör; Aussetzung;
Ordre public (Art. 190 Abs. 2 lit. e IPRG).

    1. Die Partei, welche meint, Opfer eines Prozessfehlers geworden zu
sein, hat dies im Schiedsgerichtsverfahren zu rügen; andernfalls kann sie
den Fehler mit der Beschwerde gegen das Urteil nicht mehr geltend machen
(E. 1a).

    2. Eine Partei kann sich nicht auf ihren Anspruch auf rechtliches
Gehör berufen, um die Aussetzung des Verfahrens zu erzwingen (E. 1b).

    3. Der Leitsatz "le pénal tient le civil en l'état" gehört nicht zu
den Grundprinzipien der schweizerischen Rechts- und Wertordnung (E. 1c).

Sachverhalt

    A.- En 1979 et 1980, F. S.p.A. et M. S.p.A., sociétés nationalisées de
droit italien spécialisées dans la fabrication de matériel de guerre, ont
confié à M. le soin de s'entremettre, en tant qu'agent, pour la vente de
navires et d'autres équipements militaires à la République de X. Jusqu'en
1987, les contrats conclus avec cet Etat, de même que le contrat d'agence,
ont été régulièrement exécutés. Par la suite, des difficultés ont surgi:
l'Etat concerné a tout d'abord suspendu ses paiements, et les résolutions
adoptées en 1990 et 1991 par le Conseil de sécurité de l'ONU à l'encontre
de cet Etat ont rendu ensuite impossibles toutes autres livraisons.

    B.- Dans sa sentence du 9 mars 1993, le Tribunal arbitral saisi a
admis l'action de M. à concurrence de 7'580'024 US $, en tant qu'elle
était dirigée contre F. S.p.A., et à concurrence de 2'870'234 US $,
en tant qu'elle était dirigée contre M. S.p.A., intérêts non compris.

    C.- Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit public interjeté
par F. S.p.A. et M. S.p.A.

Auszug aus den Erwägungen:

                   Extrait des considérants:

Erwägung 1

    1.- Les recourantes se plaignent tout d'abord d'une violation de
leur droit d'être entendues (art. 190 al. 2 let. d LDIP). Devant le
Tribunal arbitral, elles avaient relevé que les contrats d'agence étaient
contraires aux moeurs - et donc nuls -, puisque les provisions convenues
auraient servi partiellement au paiement de pots-de-vin. Pour établir
le bien-fondé de cette allégation, elles avaient excipé d'une procédure
pénale introduite en Italie et elles avaient requis la suspension de la
procédure arbitrale jusqu'à droit connu sur le sort de l'affaire pénale;
toutefois, le Tribunal arbitral avait rejeté leur requête. Elles voient
dans ce rejet une violation de leur droit à la preuve et, partant, un
déni de justice formel commis à leur encontre.

    Les recourantes n'ont soulevé aucun des griefs figurant dans la liste
exhaustive de l'art. 190 al. 2 LDIP à l'encontre des constatations de fait
du Tribunal arbitral relatives à cette question, ni à l'encontre de celles
ayant trait au déroulement de la procédure. Selon dites constatations qui
lient le Tribunal fédéral, les recourantes avaient requis le Tribunal
arbitral, lors de la séance du 11 mai 1992, de suspendre la procédure
en invoquant le principe que le pénal tient le civil en l'état. Après
discussions, elles ont admis, sous toutes réserves, que la procédure suive
son cours. Lors de la séance du 28 juillet 1992, elles ont renouvelé leur
requête de suspension, mais uniquement à titre subsidiaire et pour des
motifs d'opportunité.

    Le Tribunal arbitral a rejeté leur requête pour les deux motifs
principaux suivants: d'une part, aucune règle d'ordre public du droit
suisse n'impose une suspension de la procédure arbitrale et, d'autre
part, l'objet de l'arbitrage n'était pas à ce point lié à celui de la
procédure pénale qu'il se justifiât de suspendre l'instruction pour des
motifs d'opportunité.

    a) La partie qui s'estime victime d'une violation de son droit
d'être entendue ou d'un autre vice de procédure doit l'invoquer d'emblée
dans la procédure arbitrale. A défaut, elle n'est plus habilitée à s'en
plaindre dans un recours contre la sentence (LALIVE/POUDRET/ REYMOND,
n. 4d ad art. 36 CIA, n. 12 ad art. 182 LDIP et n. 5d ad art. 190 LDIP
avec les réf.). En effet, le comportement consistant à invoquer un
vice de procédure seulement dans le cadre du recours dirigé contre une
décision - parce que celle-ci se révèle en définitive défavorable -,
alors que ledit vice aurait déjà pu être signalé en cours de procédure,
constitue une violation du principe de la bonne foi (ATF 113 Ia 67; dans
le même ordre d'idées, ATF 111 Ia 161 consid. 1b, 116 Ia 135 consid. 4,
387 consid. 1 p. 389, 485 consid. 2c; cf., également, IMBODEN/RHINOW,
Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, t. 1, 6e éd., p. 489 s., no 79
III et RHINOW/KRÄHENMANN, t. complémentaire, p. 254, no 79 III).

    Les recourantes ont abandonné leur prétention initiale tendant à la
suspension de la procédure et elles ont laissé au Tribunal arbitral le soin
de trancher cette question, à titre facultatif et en opportunité. Elles se
sont ainsi résignées à admettre que le Tribunal arbitral puisse renoncer,
pour des motifs d'opportunité, à suspendre la procédure. Leur attitude
n'est guère conciliable, sous l'angle du principe de la bonne foi, avec le
point de vue juridique qu'elles soutiennent aujourd'hui selon lequel une
suspension s'imposait, sous peine d'entraîner une violation de leur droit
d'être entendues. Le fait que le Tribunal arbitral n'ait pas pris la mesure
de procédure qu'elles sollicitaient ne signifie pas encore qu'il y ait eu
déni de justice. La question peut toutefois rester ouverte de savoir si le
principe de la bonne foi ne fait pas obstacle, en l'espèce, au grief tiré
de la violation du droit d'être entendu, car ce reproche est mal fondé.

    b) Selon l'art. 190 al. 2 let. d LDIP, une sentence arbitrale
peut être attaquée "lorsque l'égalité des parties ou leur droit d'être
entendues en procédure contradictoire n'a pas été respecté". Ce motif de
recours sanctionne les seuls principes impératifs de procédure prévus
par l'art. 182 al. 3 LDIP, notamment celui du droit d'être entendu
proprement dit, dont le contenu n'est pas différent de celui consacré
à l'art. 4 Cst. (ATF 117 II 346 consid. 1a p. 347 avec les réf.). La
jurisprudence a déduit de ce droit, en particulier, la faculté pour
le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à
son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à
influer sur le sort de la décision, celui d'avoir accès au dossier, celui
de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et
de se déterminer à leur propos (ATF 118 Ia 17 consid. 1c p. 19 avec les
réf.). En l'occurrence, les recourantes se plaignent d'une violation de
leur droit à l'administration des preuves, puisqu'en en raison du refus
du Tribunal arbitral de suspendre la procédure, elles n'avaient pas pu
produire dans le dossier civil les conclusions de l'enquête pénale.

    L'art. 4 Cst. garantit aux parties le doit de faire administrer les
preuves pertinentes, offertes en temps utile et selon les formes requises
(ATF 106 II 170 consid. 6b p. 171); il doit s'agir de preuves concrètes,
savoir de preuves susceptibles d'être administrées dans le cadre d'une
procédure ordinaire. Les parties peuvent également réclamer que la
procédure soit achevée dans un délai raisonnable. Le Tribunal fédéral
a déduit cette exigence de l'art. 4 Cst.; elle figure expressément
à l'art. 6 par. 1 CEDH (ATF 113 Ia 412 consid. 3a p. 419 s. et les
réf.) et elle pose ainsi des limites d'ordre juridique à la suspension
d'une procédure jusqu'à droit connu sur le sort d'une procédure parallèle
(ATF 23 II 1316 consid. C; cf. GULDENER, Schweizerisches Zivilprozessrecht,
3e éd., p. 180 chif. 3 et p. 277 chif. 4; STRÄULI/MESSMER, n. 3 ad §
53 CPC ZH). Le droit d'exiger la suspension d'une procédure ne doit être
admis qu'exceptionnellement, en particulier lorsqu'il s'agit d'attendre
le jugement principal d'une autorité compétente permettant de trancher une
question de nature préjudicielle; même en de pareils cas, la jurisprudence
affiche une grande retenue (ATF 112 IV 115 consid. 4, 106 Ib 395 consid. 2
p. 399).

    De manière générale, la décision de suspension relève du pouvoir
d'appréciation du juge saisi (cf. ATF 105 II 308 consid. 2 p. 312;
HABSCHEID, Schweizerisches Zivilprozess- und Gerichtsorganisationsrecht,
2e éd., p. 87, no 152). Dans le cadre de l'exercice de ce pouvoir, le
magistrat doit procéder à la pesée des intérêts des parties. Dans les cas
limites, l'exigence de célérité l'emporte; preuve en est que les procédures
cantonales prévoient, en principe, une voie de recours uniquement contre
la décision d'admission de la requête de suspension (cf. LEUCH, n. 1 ad
art. 96 CPC BE) ou, très éventuellement, contre la décision de rejet,
mais en limitant les motifs de nullité à certains griefs particuliers
(cf. STRÄULI/MESSMER, n. 27 ad § 271 CPC ZH).

    En droit de l'arbitrage, si l'on excepte les cas dans lesquels se
pose le problème particulier de l'existence juridique ou de la qualité
pour agir d'une partie (cf. SCHLOSSER, Das Recht der internationalen
privaten Schiedsgerichtsbarkeit, 2e éd., no 663) et les cas de demande de
suspension conjointe, une partie peut en principe obtenir une suspension
de procédure uniquement lorsque des points, déterminants pour l'issue
du litige et hors de la compétence du tribunal arbitral, doivent être
clarifiés (SCHWAB/WALTER, Schiedsgerichtsbarkeit, 4e éd., p. 146,
no 42). Les cas dans lesquels se présentent des difficultés d'ordre
probatoire n'appartiennent pas à cette catégorie; la possibilité
d'une absence de preuves est inhérente à la procédure civile; les
dispositions relatives au fardeau de la preuve trouvent alors toute
leur signification. Afin d'atténuer les rigueurs de cette solution, le
législateur ouvre, en principe, à la partie qui n'a pas pu présenter
à temps des preuves concluantes la voie de la révision; ce moyen est
également ouvert dans le cadre de la procédure des art. 176 ss LDIP,
même si aucune disposition ne le prévoit (ATF 118 II 199). Certes,
l'autorité arbitrale a la possibilité de surseoir la procédure jusqu'à
droit connu sur le sort d'une autre affaire afin de résoudre une question
préjudicielle; cependant, la partie concernée ne peut se prévaloir de son
droit d'être entendue pour imposer qu'il y ait suspension. En l'espèce,
le motif tiré de la violation de ce droit se révèle ainsi mal fondé.

    c) Les recourantes invoquent également, mais en vain, l'adage selon
lequel "le pénal tient le civil en l'état". Celui-ci ne découle pas
du droit d'être entendu des parties, mais il est issu de la conception
juridique française selon laquelle il y a primauté de la décision du juge
pénal sur celle du juge civil dans une même affaire (cf. ROLAND/BOYER,
Adages du droit français, 3e éd., p. 130 s., no 65). Il s'imposerait en
procédure de recours, dans le domaine de l'arbitrage international,
s'il faisait partie intégrante de l'ordre public. Toutefois, tel
n'est pas le cas. Certes, il figure dans le droit de procédure genevois
(cf. art. 7 al. 2 CPP et art. 107 LPC); mais si on l'examine au regard de
l'art. 53 CO qui pose la règle contraire, son importance juridique n'est
pour le moins pas évidente; les auteurs s'interrogent d'ailleurs sur sa
constitutionnalité (HABSCHEID, loc.cit.; cf. art. 2 Disp. trans. Cst.). Il
n'est ainsi pas possible d'affirmer, sans autre, que cet adage fait
partie des principes fondamentaux de l'ordre juridique et du système
des valeurs suisses. A cela s'ajoute le fait que ce principe ne peut
pas être transposé, en l'espèce, tel qu'il est adopté en droit genevois,
puisque l'action introduite par l'intimé n'a pas pour but d'obtenir de
l'auteur d'une infraction, inculpé à Genève, la réparation du dommage
causé par celle-ci (BERTOSSA/GAILLARD/GUYET, n. 5 ad art. 107 CPC GE;
cf., également, GAILLARD, La règle "Le pénal tient le civil en l'état" en
procédure genevoise, in SJ 107/1985, p. 145 ss; sur l'importance relative
du principe en droit français de l'arbitrage, cf., en particulier,
l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 janvier 1991 publié in Revue
de l'arbitrage 1992, p. 158/160).