Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 119 IA 348



119 Ia 348

42. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 17 novembre 1993
dans la cause Chambre genevoise immobilière et consorts contre canton de
Genève (recours de droit public) Regeste

    Art. 22ter, 31 BV, Art. 2 ÜbBestBV; Verfassungsmässigkeit eines
Gesetzes, welches vorsieht, dass die Nutzung von missbräuchlich leer
gelassenen Wohnungen enteignet werden kann, wenn es sich um Mietwohnungen
handelt, deren Markt von der Wohnungsknappheit betroffen ist.

    1. Der von den Art. 22ter und 31 BV sowie Art. 2 ÜbBestBV gewährte
Schutz (E. 2).

    2. Die Enteignung der Nutzung von missbräuchlich leer gelassenen
Wohnungen ist durch ein genügend wichtiges öffentliches Interesse
gerechtfertigt (E. 3b).

    3. Mietwohnungsknappheit kann angenommen werden, wenn der Anteil der
leerstehenden Wohnungen tiefer ist als 2% (E. 4a).

    4. Die Kriterien, nach welchen bestimmt wird, wann eine Wohnung
als missbräuchlich leer gelassen betrachtet werden kann (E. 4b bis
4d), sowie das Enteignungsverfahren (E. 4f), welches einen Befehl zur
Wiedervermietung der betroffenen Wohnung enthält, sind mit den angerufenen
Garantien vereinbar.

    5. Die Entschädigung des Eigentümers, welche dem Mietzins und den
übrigen dem Vermieter aus Bundeszivilrecht zustehenden Forderungen
entspricht, ist mit Art. 22ter Abs. 3 BV vereinbar (E. 4h).

Sachverhalt

    A.- Le 27 septembre 1992, le corps électoral du canton de Genève a
adopté les dispositions nouvelles ci-après, complétant la loi sur les
démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 22
juin 1989 (ci-après: LDTR ou loi sur les démolitions et transformations),
issues d'une initiative populaire:

    Article 1, lettres c et d

    [La présente loi prévoit notamment]

    c) des restrictions quant à l'aliénation des appartements destinés à
   la location;

    d) l'expropriation temporaire de l'usage des appartements laissés
   vides sans motif légitime.

    Chapitre IV A

    Mesures visant à lutter contre la pénurie d'appartements locatifs

    Section I

    Appartements assujettis

    Art. 8A

    Principe

    1 Pour remédier à la pénurie d'appartements dont la population
   a besoin, tout appartement jusqu'alors destiné à la location doit
   conserver son affectation locative, dans les limites du présent
   chapitre.

    Définition de la pénurie

    2 Il y a pénurie d'appartements lorsque le taux des logements vacants
   considéré par catégorie est inférieur à 2% du parc immobilier de la
   même catégorie.

    Exception

    3 Les appartements de plus de sept pièces n'entrent pas dans les
   catégories où sévit la pénurie.

    Section 2

    Expropriation temporaire de l'usage des appartements locatifs laissés
   abusivement vides

    Art. 8B

    Principe

    Afin de remédier à la pénurie de logements, l'Etat peut acquérir
   par voie d'expropriation, conformément à la loi sur l'expropriation
   pour cause d'utilité publique, du 10 juin 1933, l'usage temporaire
   des appartements locatifs laissés vides de tout occupant sans motif
   légitime durant plus de trois mois consécutifs.

    Art. 8C

    Appartement vide

    Est un appartement laissé vide tout appartement inoccupé qui n'est pas
   offert en location, ou qui fait l'objet d'une location fictive, ou qui
   ne trouve pas preneur parce que le loyer réclamé dépasse de manière
   abusive le loyer admissible en vertu du droit fédéral.

    Art. 8D

    Motif légitime

    Constitue notamment un motif légitime de maintenir un appartement
vide le
   dépôt d'une requête en autorisation de démolir ou de transformer,
   lorsque sur la base du dossier, le département considère:

    a) soit que la démolition est susceptible d'être autorisée;

    b) soit que l'état de l'immeuble impose à l'évidence sa transformation
   hors la présence des occupants.

    Art. 8E

    Obligation d'annoncer

    Tout appartement laissé vide doit être annoncé par son propriétaire ou
   son gérant dans les trois mois au contrôle de l'habitant. Celui-ci
   avise alors le département.

    Art. 8F

    Demande de renseignements

    Lorsqu'il constate ou apprend qu'un appartement demeure vide sans motif
   légitime, le département adresse une demande de renseignements au
   propriétaire. Il attire son attention sur les dispositions du présent
   chapitre et l'invite à indiquer par écrit dans les quinze jours les
   motifs pour lesquels et la date depuis laquelle l'appartement est
   laissé vide.

    Art. 8G

    Sommation

    1 Lorsqu'à l'expiration du délai de l'article 8F, deuxième phrase, le
   propriétaire ne rapporte pas la preuve d'un motif légitime quant
   au maintien d'un appartement vide, ou lorsqu'il ne donne pas suite
   à la demande de renseignements, le département peut lui adresser
   une sommation. Il l'invite à relouer dans le délai de deux mois
   l'appartement vide, à un loyer abordable, soit au locataire de son
   choix, soit à une personne proposée par l'office du logement social.

    2 La sommation mentionne que le refus d'y donner suite est passible,
   conformément à l'article 14, de l'amende administrative prévue
   à l'article

    137 de la loi sur les constructions et les installations diverses,
du 14
   avril 1988, et qu'il ouvre la faculté à l'Etat de prendre des mesures
   prévues par l'art. 8H.

    Art. 8H

    Exercice du droit d'expropriation

    1 Si la sommation demeure infructueuse, le Conseil d'Etat examine
si les
   conditions sont réunies pour déclarer d'utilité publique l'expropriation
   temporaire du droit d'usage de l'appartement concerné. Tel est le cas
   lorsque l'appartement dont il s'agit se trouve dans un immeuble dont
   les loyers répondent, ou répondaient jusqu'à récemment, aux besoins
   prépondérants de la population.

    2 Le cas échéant, le Conseil d'Etat peut, indépendamment des sanctions
   visées à l'article 8G, alinéa 2, déclarer d'utilité publique et décréter
   l'expropriation temporaire du droit d'usage de l'appartement concerné.

    L'urgence est présumée et l'arrêté du Conseil d'Etat ordonne la
prise de
   possession immédiate.

    Art. 8I

    Limites au droit d'expropriation

    Le droit d'expropriation porte uniquement sur le droit d'usage de
   l'appartement vide et le propriétaire conserve son droit de propriété
   sur celui-ci, à l'exclusion du droit de l'utiliser. La mesure est
   temporaire, sans qu'elle soit limitée à cinq ans conformément à l'art. 6
   de la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, du 10
   juin 1933. Elle prend fin lorsque l'une des conditions de l'art. 8M
   est réalisée.

    Art. 8J

    Indemnité

    1 L'Etat verse au propriétaire exproprié une indemnité fixée par le
   département. Elle correspond au loyer licite selon le code des
   obligations, éventuellement au loyer fixé selon l'article 6, alinéa 7,
   s'il s'agit d'un appartement ayant subi une transformation autorisée.

    2 L'indemnité peut être modifiée par le département, après chaque
période
   annuelle, dans la mesure admise par le droit fédéral.

    Art. 8K

    Conditions de mise à disposition

    1 L'appartement exproprié est mis à disposition d'une personne
   régulièrement inscrite à l'office du logement social et désignée par
   ce dernier. L'attribution est faite en priorité aux familles et aux
   personnes à revenus modestes. Le propriétaire de l'appartement est
   consulté au préalable. Il est invité, à nouveau, à conclure un bail
   avec la personne retenue, pour une durée suffisante moyennant un
   loyer abordable.

    2 Le bénéficiaire de l'appartement est redevable envers l'Etat d'une
   indemnité d'occupation des locaux, fixée par le département.

    Art. 8L

    Travaux et autres frais d'exploitation

    1 L'Etat peut entreprendre dans l'appartement exproprié ou dans
   l'immeuble où il est situé, les travaux nécessaires pour rendre cet
   appartement habitable. Le département fait application à cet effet des
   articles 129 à 136 de la loi sur les constructions et les installations
   diverses, du 14 avril 1988.

    2 De même, l'Etat peut prendre en charge les autres frais
d'exploitation
   nécessaires à l'habitation.

    Art. 8M

    Fin de la mesure d'expropriation

    La mesure d'expropriation est temporaire. Elle prend fin lorsqu'elle
   n'est plus justifiée et notamment dans l'un des cas suivants:

    a) le propriétaire de l'appartement et le bénéficiaire concluent
le bail;

    b) le bénéficiaire de l'appartement le libère de son propre chef et le
   propriétaire consent à le remettre en location, pour une durée
   suffisante et à un loyer abordable;

    c) le propriétaire a obtenu une autorisation de démolir ou de
transformer
   l'immeuble et les travaux envisagés doivent nécessairement être exécutés
   hors la présence des occupants; dans cette hypothèse, le propriétaire
   doit préalablement s'engager à exécuter les travaux autorisés à bref
   délai et fournir à l'appui de son engagement des preuves concrètes;

    d) le propriétaire de l'appartement justifie de l'existence d'un besoin
   réel des locaux pour lui-même ou pour ses proches parents ou alliés.

    Art. 8N

    Les dispositions de la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité
   publique, du 10 juin 1933, relatives à la commission cantonale de
   conciliation et d'estimation ne sont pas applicables aux mesures prises
   en vertu du présent chapitre.

    La Chambre genevoise immobilière et deux particuliers ont saisi le
Tribunal fédéral d'un recours de droit public tendant à l'annulation de
ces nouvelles règles; le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la
mesure où il était recevable, au sens des

Auszug aus den Erwägungen:

                        Considérants:

Erwägung 2

    2.- Les recourants invoquent principalement les art. 22ter, 31
Cst. et 2 Disp. trans. Cst. Ils estiment que les dispositions introduites
dans la loi sur les démolitions et transformations par la novelle du 27
septembre 1992 ne sont pas justifiées par un intérêt public suffisant,
qu'elles restreignent de manière disproportionnée le droit de propriété
et qu'elles sont incompatibles avec le droit civil fédéral parce que
celui-ci règle exhaustivement les relations entre bailleurs et locataires.

    a) Les mesures étatiques portant atteinte au droit de propriété ne
sont compatibles avec l'art. 22ter Cst. que si elles reposent sur une
base légale, condition qui n'est pas en cause dans la présente affaire;
elles doivent aussi être justifiées par un intérêt public suffisamment
important pour entraîner une restriction du droit de propriété et respecter
le principe de la proportionnalité (ATF 118 Ia 387 consid. 4a, 117 Ia
39, 419 consid. 4b). Quelle que soit l'importance de l'intérêt public
à prendre en considération, cette institution fondamentale de l'ordre
juridique suisse ne doit pas être vidée de sa substance; la possibilité
d'acquérir la propriété privée, d'en jouir et de l'aliéner doit être en
principe maintenue (ATF 113 Ia 132 consid. 6).

    Le principe de la proportionnalité exige qu'une mesure restrictive
soit apte à produire les résultats attendus et que ceux-ci ne puissent pas
être atteints au moyen d'une autre mesure moins restrictive. En outre,
il interdit toute limitation qui aille au-delà du but visé et il exige
un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics et privés
qui sont compromis (ATF 117 Ia 446 consid. a, 483 consid. g, 113 Ia 134
consid. b; intérêts publics: ATF 110 Ia 34). Si cela est nécessaire,
un bien peut être exproprié ou frappé d'une restriction équivalant à une
expropriation, mais le propriétaire doit alors être pleinement indemnisé
(art. 22ter al. 3 Cst.; ATF 118 Ia 387 consid. 4a, 117 Ia 419 consid. 4b).

    Le Tribunal fédéral examine en principe librement si une mesure
répond à un intérêt public suffisant et satisfait au principe de la
proportionnalité; il s'impose toutefois une certaine retenue lorsqu'il
doit tenir compte de circonstances locales ou se prononcer sur de pures
questions d'appréciation (ATF 118 Ia 397 consid. b, 117 Ia 431 consid. 4a).

    b) L'art. 31 Cst. interdit aux cantons de restreindre la liberté du
commerce et de l'industrie par des mesures qui, fondées sur des motifs
de politique économique, interviennent dans la libre concurrence pour
favoriser certaines branches d'activité ou certaines formes d'exploitation,
ou tendent à diriger l'économie selon un certain plan. Cette disposition
ne s'oppose en revanche pas aux mesures de politique sociale qui tendent
à accroître le bien-être de l'ensemble ou d'une grande partie de la
population par l'amélioration des conditions de vie, de la santé ou
des loisirs, à moins que ces mesures n'entravent la libre concurrence
(ATF 116 Ia 414 consid. 9b, 113 Ia 138 consid. 8a et 8b, 111 Ia 29
consid. a). Les restrictions à la liberté du commerce et de l'industrie
doivent par ailleurs avoir une base légale, répondre à un intérêt public
suffisant et respecter le principe de la proportionnalité (ATF 119 Ia 42
consid. 4a, 67 consid. 6a, 118 Ia 176 consid. 1).

    c) L'art. 2 Disp. trans. Cst. fait obstacle à l'adoption ou à
l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit
fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but
ou par les moyens qu'elles mettent en oeuvre, ou qui empiètent sur des
matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive
(ATF 112 Ia 401 consid. 4a; voir aussi ATF 116 Ia 272 consid. 4a,
279 consid. b). Cela concerne en particulier les règles de droit public
cantonal qui sont en concours avec le droit civil fédéral, dans leurs
rapports avec ce droit; de telles règles, que les cantons peuvent édicter
en vertu de l'art. 6 CC, ne sont admissibles que si elles sont motivées
par un intérêt public pertinent (ATF 119 Ia 61 consid. 2b, 114 Ia 355
consid. 4a, 113 Ia 141 consid. a). En matière de législation sur le
logement, il est interdit aux cantons d'intervenir dans les rapports
directs entre les parties au contrat de bail, car ces rapports sont
réglés exhaustivement par le droit fédéral (ATF 117 Ia 331 consid. 2b,
113 Ia 143 consid. 9d). Le Tribunal fédéral examine librement si une règle
cantonale est compatible avec le droit fédéral (ATF 118 Ia 301 consid. a,
117 Ia 473 consid. a, 116 Ia 272 consid. 4a).

Erwägung 3

    3.- Certaines des critiques présentées tendent à l'annulation de
l'ensemble des art. 8A à 8N LDTR.

    a) Ces dispositions constituent prétendument un corps étranger dans la
loi sur les démolitions et transformations, rendant ce texte incohérent
et incompréhensible au point que son application correcte en serait
compromise. Cette argumentation ne contient aucune référence aux droits
constitutionnels qui peuvent être invoqués devant le Tribunal fédéral;
à première vue, elle ne satisfait donc pas aux exigences de l'art. 90
al. 1 let. b OJ. Il n'est toutefois pas nécessaire d'examiner si elle
est recevable car elle est manifestement mal fondée.

    La loi sur les démolitions et transformations a été édictée
dans le but de préserver l'habitat et le caractère des quartiers
d'habitation, en principe partout où des logements existent, hormis
dans les quartiers de villas. Elle prévoit notamment des restrictions
à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des
maisons d'habitation, ainsi que l'encouragement de leur rénovation. Les
dispositions nouvellement adoptées ne modifient pas ce but de la loi et
elles n'en altèrent pas le sens, alors même que l'initiative populaire
dont elles sont issues prétendait combattre les logements vides et la
spéculation; elles complètent simplement les moyens mis à disposition des
autorités pour réaliser l'objectif déjà fixé. Certes, après l'adjonction
d'une réglementation qui n'a apparemment pas de rapport direct avec la
démolition, la transformation ou la rénovation de maisons d'habitation, la
loi se présenterait peut-être mieux sous un titre et avec une systématique
différents, mais cela n'autorise pas à la juger incohérente et impossible
à appliquer correctement.

    b) Les recourants contestent que la réglementation ainsi introduite
soit justifiée par un intérêt public suffisant.

    Celle-ci institue le droit de l'Etat de réquisitionner les appartements
laissés abusivement vides, au profit des personnes à revenu modeste qui
recherchent des logements correspondant à leur capacité économique. En
période de pénurie, l'Etat peut ainsi exproprier l'usage d'un appartement
laissé vide durant plus de trois mois consécutifs, si le propriétaire
refuse de l'offrir sur le marché locatif et n'en a pas besoin pour lui-même
ou ses proches parents ou alliés, et cela sans qu'une démolition ou une
transformation importante ne s'impose. L'expropriation est temporaire;
elle prend fin dès qu'elle ne se justifie plus, en particulier lorsque
le propriétaire a besoin de l'appartement pour lui-même ou ses proches
parents ou alliés, ou obtient l'autorisation de procéder à des travaux
importants. L'exproprié a droit à une indemnité équivalant à un loyer
"licite selon le code des obligations", versée par l'Etat; celui-ci a
le droit de percevoir une indemnité d'occupation due par l'attributaire
de l'appartement.

    Cette mesure vise à éviter que des logements en état d'être
habités, appartenant à une catégorie touchée par la pénurie, ne soient
délibérément laissés vides et sans entretien, dans l'attente que leur
dégradation justifie un abandon de leur affectation locative ou leur
conversion en logements de luxe par le biais d'une reconstruction ou
d'une transformation, ou même dans l'attente d'un assouplissement de la
législation genevoise sur les démolitions et transformations.

    Elle constitue la réponse du législateur à une pratique qui a sévi
à Genève jusqu'à une époque récente, provoquant une altération du climat
social et des troubles de l'ordre public avec, notamment, des occupations
de logements vides par des squatters (voir les arrêts du 21 novembre 1990
dans la cause SI X., SJ 113/1991 p. 607; du 8 mai 1991 dans la cause
M., SJ 113/1991 p. 602; du 11 février 1993 dans la cause M., ATF 119
Ia 28, SJ 115/1993 p. 293). Il s'agit d'un instrument supplémentaire de
lutte contre la pénurie de logements; à l'instar des autres mesures déjà
instituées dans ce but par la loi sur les démolitions et transformations,
elle répond à un intérêt public suffisamment important pour justifier
des restrictions au droit de propriété, à la liberté économique et à
l'application de certaines règles de droit civil fédéral (ATF 116 Ia
414/415, 113 Ia 133 consid. a, 111 Ia 26 consid. 3a). Le Tribunal fédéral a
certes jugé inconstitutionnelle une initiative populaire qui proposait une
mesure analogue, parce que le texte proposé était entièrement silencieux
quant aux conditions et aux modalités de l'application de cette mesure,
mais l'arrêt ne dénie pas l'existence d'un intérêt public suffisant (ATF
112 Ia 388 consid. b). Dans la présente affaire, le législateur genevois
limite le droit de réquisition à des situations dans lesquelles d'autres
mesures moins graves n'ont pas donné de résultat; il règle l'indemnisation
du propriétaire et il institue une véritable procédure d'expropriation.

    Les recourants font état de la relative détente que l'on observe
actuellement sur le marché locatif dans le canton de Genève, et du
caractère désormais marginal de la pratique des logements maintenus
vides. Ils soutiennent que dans cette situation, les dispositions attaquées
ne sont plus justifiées par un intérêt public. Or, le marché du logement
évolue de manière souvent imprévisible dans les régions urbaines, et
l'on ne saurait reprocher au législateur de doter à temps les autorités
compétentes des moyens propres à prévenir les crises et à en atténuer les
effets lorsqu'elles sont inévitables. Par ailleurs, il résulte de leur
texte que ces dispositions ne sont applicables qu'en période de pénurie
de logements, et seulement aux catégories concernées.

Erwägung 4

    4.- D'autres critiques sont dirigées spécialement contre certaines
desdites dispositions.

    a) L'art. 8A LDTR détermine les logements auxquels les mesures
critiquées sont applicables. Selon les recourants, la définition
légale est excessivement imprécise, et donc contraire au principe de la
proportionnalité, parce que selon l'art. 8A al. 1 LDTR, elle porte sur tous
les appartements dont la population a besoin. Cette argumentation repose
sur une lecture manifestement incomplète du texte légal: celui-ci touche
seulement les appartements appartenant à une catégorie dans laquelle le
taux des logements vacants est inférieur à 2% (art. 8A al. 2 LDTR).

    Les recourants critiquent par ailleurs ce taux; ils soutiennent que
le marché du logement doit être considéré comme détendu dès que le taux
des logements vacants atteint 1,5%. C'est en vain que le Conseil d'Etat
met en doute leur intérêt - même virtuel - à soulever ce grief, au motif
que le taux considéré est aujourd'hui bien inférieur à 1,5%; en effet,
si la loi fixait le taux des logements vacants à un niveau trop élevé,
le droit d'expropriation prévu par les art. 8B à 8N LDTR pourrait être mis
en oeuvre alors même qu'il ne serait plus justifié par un intérêt public
suffisant. Le grief est toutefois mal fondé car le législateur cantonal
n'abuse pas de son pouvoir d'appréciation, en ce qui concerne l'existence
et l'importance de l'intérêt public, en fixant le taux déterminant à 2%.

    L'art. 8A al. 3 LDTR, d'où il ressort que la réglementation
litigieuse n'est pas applicable aux appartements de plus de sept pièces,
est prétendument incompatible avec l'art. 253b al. 2 CO. Cette règle de
droit fédéral exclut de la protection contre les loyers abusifs les baux
d'appartements et de maisons familiales de luxe comprenant six pièces ou
plus (cuisine non comprise). Les mesures visant à lutter contre la pénurie
d'appartements locatifs ne devraient donc pas, de l'avis des recourants,
s'appliquer à de tels logements; or, apparemment, l'art. 8A al. 3 LDTR
étend le champ d'application de ces mesures aux appartements de sept
pièces. Le Conseil d'Etat explique que, selon les usages locatifs dans
le canton de Genève, la cuisine est comptée comme une pièce et que,
par conséquent, la disposition contestée doit être interprétée comme
se rapportant au logement de six pièces ou plus, cuisine non comprise.
Cela exclut d'emblée que cette disposition puisse être jugée contraire
à l'art. 2 Disp. trans. Cst.

    b) Aux termes de l'art. 8B LDTR, l'Etat peut acquérir par voie
d'expropriation l'usage temporaire des appartements locatifs laissés
vides de tout occupant durant plus de trois mois, sans motif légitime.

    Les recourants estiment que le délai de vacance de trois mois est
trop bref au regard du principe de la proportionnalité. Ils se réfèrent
à une opinion émise dans l'un des avis de droit requis par les autorités
cantonales, selon laquelle le refus de louer pendant ce laps de temps ne
suffit pas à démontrer une volonté abusive du propriétaire; un délai de
six mois serait préférable.

    La solution critiquée doit être examinée dans son contexte: la loi
commande au propriétaire ou au gérant d'un appartement vide de l'annoncer
dans les trois mois au contrôle de l'habitant (art. 8E LDTR), puis
d'indiquer dans les quinze jours les motifs pour lesquels l'appartement
n'est pas loué (art. 8F LDTR). Cette démarche accomplie, ce n'est que si
le propriétaire ou son mandataire n'a pas apporté la preuve d'un motif
légitime qu'il est invité à relouer dans les deux mois l'appartement
vide à un "loyer abordable", soit au locataire de son choix, soit à une
personne proposée par l'office cantonal du logement social (art. 8G
LDTR). Seulement après l'expiration de ces délais, le Conseil d'Etat
peut examiner s'il se justifie d'exercer le droit de réquisition (art. 8H
LDTR). Ces modalités préservent le droit d'être entendu du propriétaire,
celui-ci pouvant fournir à temps toutes les explications qu'il juge utiles
ou modifier son comportement pour éviter l'intervention de l'Etat. Cette
réglementation ne présente aucune rigueur inutile ou excessive et, en
particulier, le délai de trois mois ne peut être tenu pour insuffisant.

    c) L'art. 8C LDTR définit l'appartement laissé abusivement vide,
dont l'usage est susceptible d'être exproprié; il vise "tout appartement
inoccupé qui n'est pas offert en location, ou qui fait l'objet d'une
location fictive, ou qui ne trouve pas preneur parce que le loyer réclamé
dépasse de manière abusive le loyer admissible en vertu du droit fédéral".

    Les recourants estiment cette disposition incompatible avec le droit
civil fédéral parce qu'elle inclut les logements qui ne trouvent pas
preneur en raison de leur loyer; à leur avis, elle institue un contrôle
indirect des loyers.

    Les logements offerts à la location ne sont pas considérés comme
vides et ils ne sont donc pas soumis au droit d'expropriation. La clause
critiquée exclut qu'un logement soit offert de façon fictive à la location,
par le biais d'un loyer fixé délibérément à un taux exagéré par rapport
au confort, à la situation et aux autres caractéristiques de ce logement,
et que le droit d'expropriation soit ainsi éludé. Cette clause, à l'instar
de celle visant la location fictive, est dès lors justifiée par le but de
la loi et, partant, par l'intérêt public. Au demeurant, elle se réfère
au loyer admissible en vertu du droit fédéral (art. 269 et 269a CO),
de sorte qu'elle ne limite pas la liberté contractuelle au-delà de ce
qui est déjà prévu par ce droit.

    d) L'art. 8D LDTR prévoit qu'un logement peut en principe être laissé
inoccupé, sans droit d'expropriation de l'Etat, lorsque le bâtiment fait
l'objet d'une demande d'autorisation de démolir ou de transformer.

    Les recourants soutiennent que cette disposition n'est pas conforme au
principe de la proportionnalité du fait que d'autres circonstances doivent
aussi être admises comme motifs légitimes, en sus de celle qui est énoncée.
Cette objection méconnaît que le cas explicitement retenu dans le texte
légal n'est qu'un exemple, ce que révèle l'adverbe "notamment" placé
au début du texte. Celui-ci n'empêche nullement l'autorité, si un motif
sérieux est invoqué, de procéder à une pesée objective et complète de tous
les intérêts en présence. Par ailleurs, il est évident que l'expropriation
ne pourra pas être ordonnée au cas où le propriétaire aurait besoin des
locaux pour lui-même ou pour ses proches parents ou alliés, puisque,
en vertu de l'art. 8M let. d LDTR, l'existence d'un tel besoin entraîne
la levée de la mesure.

    f) Le droit d'expropriation s'exerce selon la procédure prévue
par les art. 8G et 8H LDTR, comprenant d'abord un ordre de relouer le
logement "à un loyer abordable", avec menace de l'amende administrative
et de l'expropriation de l'usage, puis une décision d'expropriation et
de prise de possession immédiate.

    aa) Les recourants s'en prennent à l'ordre de relouer à un "loyer
abordable"; ils dénoncent l'imprécision de ces termes. Cette critique met
en évidence le vocabulaire inconstant du texte légal où il est question de
loyer "admissible" (art. 8C LDTR), "abordable" (art. 8G LDTR) ou "licite"
(art. 8J LDTR), alors que d'après le contexte dans lequel ils sont
employés et les motifs exposés par les auteurs de l'initiative (Mémorial
des séances du Grand Conseil du canton de Genève 1991 p. 3780 et ss),
ces différents termes se rapportent tous au loyer non abusif au sens des
art. 269 et 269a CO. Pour le surplus, dûment interprété, l'art. 8G LDTR
n'entraîne aucune atteinte inadmissible aux intérêts du propriétaire.

    bb) En vertu de l'art. 8H al. 1 LDTR, deuxième phrase, le droit
d'expropriation suppose que "l'appartement dont il s'agit se trouve
dans un immeuble dont les loyers répondent, ou répondaient jusqu'à
récemment, aux besoins prépondérants de la population". Cette clause
exige que non seulement le logement concerné appartienne à une catégorie
de logements touchée par la pénurie, mais encore que cette condition
soit satisfaite pour tous ceux du bâtiment dans lequel il se trouve; en
effet, les catégories de logements auxquelles se réfère l'art. 8A al. 2
LDTR sont caractérisées par le nombre des pièces et le loyer par pièce
(art. 8 al. 1 du règlement d'application de la loi sur les démolitions
et transformations, du 27 juillet 1983), et les loyers qui "répondent aux
besoins prépondérants de la population" sont évidemment ceux des catégories
les plus fortement recherchées et donc touchées par la pénurie. Selon la
réponse du Conseil d'Etat, les mots "ou répondaient jusqu'à récemment"
permettent de prendre en considération, lorsqu'un bâtiment est vide,
les loyers que payaient les derniers locataires. Cette interprétation
est plausible, de sorte que, contrairement à l'opinion des recourants,
le texte légal est suffisamment clair.

    cc) Aux termes de l'art. 6 al. 2 Cst./GE, une expropriation n'est
admissible que lorsque l'utilité publique de cette mesure a été déclarée
par le pouvoir législatif. Les recourants tiennent pour contraire à
cette disposition et au principe de la séparation des pouvoirs que
selon l'art. 8H al. 2 LDTR, première phrase, le Conseil d'Etat soit
habilité à déclarer l'utilité publique d'une expropriation. Or, depuis
longtemps, la constitution cantonale est interprétée en ce sens que les cas
d'expropriation doivent soit faire l'objet d'une décision individuelle du
pouvoir législatif, soit être définis par une règle générale et abstraite
édictée par lui; ces deux éventualités sont prévues par l'art. 3 al. 1 de
la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique du 10 juin 1933
(ci-après LEx/GE), dans sa teneur actuelle, et elles l'étaient déjà dans
le texte initial de 1933 (Recueil authentique de la législation genevoise
119/1933 p. 155). L'art. 8H al. 2 LDTR ne viole donc ni l'art. 6 al.
2 Cst./GE, ni la répartition des compétences garantie par le principe de
la séparation des pouvoirs (cf. ATF 119 Ia 33/34).

    dd) En règle générale, l'expropriant ne peut exercer les droits
qui lui sont conférés par l'expropriation qu'après l'estimation et le
paiement de l'indemnité (art. 75, 77, 78, 80 LEx/GE). Cependant, lorsque
l'exercice de ces droits est urgent pour des motifs d'intérêt public,
le Conseil d'Etat peut autoriser un envoi en possession anticipé, après
avoir entendu l'exproprié (art. 81A LEx/GE). Pour l'expropriation instituée
par les dispositions entreprises, une procédure spéciale d'estimation est
prévue et l'indemnité est due par versements périodiques, à l'instar du
loyer auquel elle correspond (art. 8J et 8N LDTR). A teneur de l'art. 8H
al. 2 LDTR, deuxième phrase, l'exercice du droit exproprié est présumé
urgent et la prise de possession anticipée du logement concerné est
ordonnée par le Conseil d'Etat en même temps que l'expropriation.

    Les recourants soutiennent que cette dernière disposition ne laisse
aucun pouvoir d'appréciation au Conseil d'Etat, quant à l'ordre de
prise de possession anticipée, et qu'elle viole donc le principe de
la proportionnalité. Cette argumentation est erronée car le texte
légal n'exclut pas qu'à la suite d'une pesée des intérêts en présence,
la présomption d'urgence soit renversée et que le Conseil d'Etat ordonne
le report de la prise de possession jusqu'à ce que l'indemnisation soit
liquidée par un titre exécutoire. Le propriétaire ayant le droit d'être
entendu préalablement à l'expropriation, il lui est loisible de demander
ce report et d'exposer son point de vue à ce sujet.

    h) Selon l'art. 8J LDTR, le propriétaire exproprié a droit à une
indemnité correspondant au "loyer licite selon le code des obligations";
cette indemnité peut être modifiée par l'autorité, après chaque période
annuelle, "dans la mesure admise par le droit fédéral".

    Cette réglementation a pour but de placer le propriétaire dans la
situation économique qu'il pourrait obtenir s'il plaçait le logement
concerné sur le marché locatif. L'indemnité qu'elle prévoit correspond
au loyer; elle est adaptable chaque année, par analogie avec le
terme de résiliation que l'on fixe le plus couramment dans les baux
d'appartements. Sur cette base, bien que le texte ne le précise pas,
l'autorité peut prendre en considération les frais accessoires désignés à
l'art. 257b al. 1 CO et allouer au propriétaire, le cas échéant, les autres
prestations que celui-ci pourrait normalement réclamer à un locataire,
telles que d'éventuels dommages-intérêts. Ainsi compris, le texte assure
au propriétaire la juste indemnité garantie, en cas d'expropriation,
par l'art. 22ter al. 3 Cst.

    Les recourants prétendent en vain que l'expropriation de l'usage
diminue notablement la valeur vénale du logement, et que l'indemnisation
prévue par la loi est donc insuffisante. En effet, on ne voit pas pourquoi
cette valeur serait inférieure à celle d'un logement normalement loué. Ils
reprochent aussi en vain à la loi de ne pas laisser au propriétaire,
conformément au droit civil, le droit de modifier le "loyer" qui lui est
dû par l'Etat, car l'expropriation de l'usage crée entre eux uniquement
un rapport de droit public, l'exproprié ne concluant aucun contrat
avec l'Etat.

    Aux termes de l'art. 6 al. 2 Cst./GE, l'indemnité d'expropriation
doit être fixée par les tribunaux. A l'instar de l'art. 6 par. 1 CEDH
qui garantit lui aussi le droit d'accéder à un tribunal (ATF 119 Ia 95
consid. 5, 328 consid. 6a), et contrairement à l'opinion des recourants,
cette disposition cantonale n'interdit pas que l'indemnité soit estimée
en première instance par une autorité dépendant du pouvoir exécutif,
si l'exproprié peut recourir à un tribunal exerçant un pouvoir d'examen
complet des faits et du droit. Or, ce recours est prévu par les art. 15,
16 al. 2 et 17 LDTR.

    i) L'art. 8L LDTR, relatif aux travaux que l'Etat peut ordonner ou,
au besoin, faire exécuter d'office, doit être interprété conformément
au but de l'expropriation de l'usage, qui tend à maintenir l'habitation
du logement. Seuls des travaux absolument indispensables à la salubrité
et à la sécurité peuvent donc être ordonnés, tels que, par exemple,
le rétablissement de la distribution de l'eau et de l'électricité,
la pose de serrures ou la réparation des fenêtres; toute rénovation ou
transformation est exclue. Ainsi comprise, la disposition en cause prévoit
seulement des travaux que le propriétaire devrait lui-même ordonner s'il
maintenait volontairement l'habitation des locaux, de sorte qu'elle ne
porte pas d'atteinte disproportionnée à son droit de propriété; elle ne
contredit pas non plus l'art. 8D LDTR prévoyant qu'un logement peut être
laissé vide lorsque, en raison de l'état du bâtiment, le propriétaire
demande l'autorisation de procéder à une transformation qui serait
incompatible avec la présence d'un habitant, et que cette demande paraît
justifiée. Enfin, elle ne viole pas l'art. 260a CO relatif aux travaux
exécutés par le locataire, car il n'existe pas de bail à loyer entre
l'Etat et le propriétaire exproprié.

    Les recourants soutiennent avec raison qu'en vertu de l'art. 4 Cst.,
le propriétaire a le droit d'être entendu avant toute décision ordonnant
des travaux. Ils n'indiquent cependant pas en quoi le texte légal ferait
obstacle au respect de cette garantie constitutionnelle; le grief qu'ils
tirent de celle-ci n'est donc pas suffisamment motivé.