Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 118 II 353



118 II 353

69. Arrêt de la Ire Cour civile du 23 juin 1992 dans la cause
Fincantieri-Cantieri Navali Italiani S.p.A. et Oto Melara S.p.A. contre
M. et Tribunal arbitral (recours de droit public) Regeste

    Internationale Schiedsgerichtsbarkeit; Schiedsfähigkeit (Art.
177 Abs. 1 IPRG).

    1. Definition der Schiedsfähigkeit (E. 3a); Kognitionsbefugnis des
Bundesgerichts (E. 2); Begriff des "vermögensrechtlichen Anspruchs"
(E. 3b).

    2. Schiedsfähigkeit und Ordre public (E. 3c). Schiedsfähigkeit und
Vollstreckbarkeit von in der Schweiz ergangenen Entscheiden im Ausland
(E. 3d).

Sachverhalt

    A.- Fincantieri-Cantieri Navali Italiani S.p.A. et Oto Melara
S.p.A. sont des sociétés nationalisées de droit italien spécialisées dans
la fabrication de matériel de guerre. En 1979 et 1980, elles ont confié
à M. le soin de s'entremettre, en tant qu'agent, pour la vente de navires
et d'autres équipements militaires à la République d'Irak. Jusqu'en 1987,
les contrats conclus avec cet Etat, de même que le contrat d'agence,
ont été exécutés régulièrement. Par la suite, des difficultés ont surgi,
l'autorité irakienne compétente ayant suspendu ses paiements.

    B.- Le 4 décembre 1989, M. a saisi la Cour d'Arbitrage de la Chambre de
Commerce Internationale d'une demande d'arbitrage dirigée contre les deux
sociétés précitées en vue d'obtenir le paiement des provisions auxquelles
il prétend avoir droit. Se fondant sur les résolutions adoptées en 1990 et
1991 par le Conseil de sécurité de l'ONU à l'effet, notamment, d'interdire
toute activité commerciale avec la République d'Irak - résolutions
intégrées dans leur droit interne par de nombreux Etats, dont l'Italie
et la Suisse -, les défenderesses ont soulevé l'exception d'incompétence
du Tribunal arbitral en raison de l'inarbitrabilité de la cause.

    Par sentence incidente du 25 novembre 1991, le Tribunal arbitral,
siégeant à Genève, a admis sa compétence pour trancher le différend.

    C.- Les défenderesses forment un recours de droit public, au sens
des art. 191 al. 1 LDIP et 85 let. c OJ, dans lequel elles invoquent le
motif prévu à l'art. 190 al. 2 let. b LDIP pour conclure à l'annulation
de la sentence incidente.

    L'intimé propose le rejet du recours. Quant au Tribunal arbitral,
il a renoncé à se déterminer sur les arguments des recourantes.

    Par ordonnance du 13 mai 1992, le Président de la Ire Cour civile a
rejeté la requête d'effet suspensif présentée par ces dernières.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Comme les parties n'étaient pas domiciliées en Suisse au moment
de la conclusion de la convention d'arbitrage et que le siège du Tribunal
arbitral se trouve à Genève, les dispositions du chapitre 12 de la loi
fédérale sur le droit international privé s'appliquent en l'espèce en
l'absence d'une convention d'exclusion (art. 176 al. 1 et 2 LDIP).

Erwägung 2

    2.- La décision attaquée est une sentence partielle ou plus
précisément, pour suivre la terminologie utilisée par le Tribunal fédéral
(ATF 116 II 82 consid. 2b), une sentence incidente (Zwischenentscheid),
soit une sentence qui tranche une question préalable de procédure, en
l'occurrence celle de la compétence des arbitres. En principe, comme cela
a été relevé dans l'arrêt cité, le recours de droit public de l'art. 85
let. c OJ n'est pas recevable contre une sentence partielle lato sensu
(ATF 116 II 85 consid. 3b). La sentence incidente, par laquelle le
Tribunal arbitral statue sur sa compétence (cf. art. 186 al. 3 LDIP,
qui parle de "décision incidente"), constitue une exception à la règle;
elle peut - et doit - être attaquée directement devant le Tribunal fédéral
(art. 190 al. 3 LDIP), lequel examine librement si c'est à bon droit que le
Tribunal arbitral a admis ou nié sa compétence (ATF 117 II 97 consid. 5a).

Erwägung 3

    3.- a) L'arbitrabilité est une condition de validité de la convention
d'arbitrage et, partant, de la compétence des arbitres (ATF 117 II 98
consid. 5b; A. BUCHER, Le nouvel arbitrage international en Suisse,
p. 37, n. 86; LALIVE/POUDRET/REYMOND, Le droit de l'arbitrage interne et
international en Suisse, p. 381, n. 4; LALIVE, Arbitrage international,
FJS No 946, p. 7/8). Dans son sens objectif, ce terme désigne les
causes susceptibles d'être tranchées par la voie de l'arbitrage
(arbitrabilité ratione materiae par opposition à l'arbitrabilité
ratione personae, c'est-à-dire à la capacité des parties de conclure une
convention d'arbitrage). Pour résoudre le problème de l'arbitrabilité,
le législateur suisse, renonçant consciemment à la solution reposant
sur une règle de conflit (rattachement au droit applicable, au droit
du siège des parties ou à la lex fori), a choisi d'édicter une règle
matérielle de droit international privé, fondée sur l'objet du litige,
en prévoyant la possibilité de soumettre à l'arbitrage "toute cause
de nature patrimoniale" (art. 177 al. 1 LDIP; Message du 10 novembre
1982 concernant une loi fédérale sur le droit international privé,
FF 1983 I 445 ss; LALIVE/POUDRET/REYMOND, op.cit., p. 304/305, n. 1 ad
art. 177 LDIP; LALIVE, op.cit., p. 8; BUCHER, op.cit., p. 38, n. 90;
WALTER/BOSCH/BRÖNNIMANN, Internationale Schiedsgerichtsbarkeit in der
Schweiz, p. 54). Il a voulu ainsi exclure toutes les difficultés liées
à l'approche conflictuelle (BUCHER, op.cit., p. 38, n. 89 et 90),
en particulier la nécessité de rechercher la loi applicable dans la
détermination de l'arbitrabilité du litige (LALIVE, Ibid.). La solution
retenue, qui ne réserve pas la compétence exclusive des tribunaux
étatiques, contrairement au droit concordataire par exemple (cf. art. 5
CIA), manifeste, au demeurant, l'intention du législateur fédéral d'ouvrir
largement l'accès à l'arbitrage international (LALIVE/POUDRET/REYMOND,
op.cit., p. 305/306, n. 2; SCHLOSSER, Das Recht der internationalen
privaten Schiedsgerichtsbarkeit, 2e éd., p. 211/212, n. 291).

    b) Les recourantes ne contestent pas, avec raison, la nature
patrimoniale, au sens de l'art. 177 al. 1 LDIP, de la cause en litige,
qui porte sur le droit de l'intimé au paiement de provisions. En effet,
tombent sous le coup de cette disposition toutes les prétentions qui ont
une valeur pécuniaire pour les parties, à titre d'actif ou de passif,
autrement dit les droits qui présentent, pour l'une au moins de celles-ci,
un intérêt pouvant être apprécié en argent (BUCHER, op.cit., p. 38, n. 90;
LALIVE/POUDRET/REYMOND, op.cit., p. 306, n. 2 ad art. 177 LDIP; LALIVE,
Ibid.; WALTER/BOSCH/BRÖNNIMANN, op.cit., p. 58/59). Pour le surplus,
l'art. 177 al. 1 LDIP ne subordonne pas l'arbitrabilité d'une cause à la
disponibilité du droit litigieux, de sorte qu'il est erroné d'assimiler
la "nature patrimoniale", au sens de cette disposition, à la liberté de
disposer de l'art. 5 CIA, comme le fait WENGER (in Bulletin ASA 1992/1,
p. 20; voir la critique pertinente de POUDRET dans le même bulletin, p.
29/30). Il s'agit là de deux critères distincts. Le législateur a,
volontairement, fait abstraction du second, lequel présuppose le
choix d'une solution conflictuelle puisque, en matière internationale,
l'appréciation du caractère disponible des rapports de droit soumis
à l'arbitrage requiert l'examen du droit matériel qui les régit
(WALTER/BOSCH/BRÖNNIMANN, op.cit., p. 57).

    Il faut dès lors admettre, sur le vu de l'art. 177 al. 1 LDIP,
que la cause en litige peut faire l'objet d'un arbitrage au regard du
droit suisse.

    c) A l'appui de la conclusion inverse, les recourantes soutiennent
que l'embargo commercial décrété par la communauté internationale à
l'encontre de la République d'Irak exclut la possibilité même de faire
valoir des prétentions découlant de contrats passés avec cet Etat et,
par voie de conséquence, de soumettre ces prétentions à un tribunal
arbitral. L'arbitrabilité du présent litige ne saurait donc être reconnue,
de l'avis des recourantes, sous peine de violer l'ordre public déterminant,
ce qui a pour effet d'exclure la compétence des arbitres indépendamment
de l'art. 177 al. 1 LDIP.

    Le législateur ayant choisi un critère d'arbitrabilité dépendant de la
nature de la cause et non du droit qui la régit, il n'y a, en principe,
pas lieu de tenir compte des restrictions et prohibitions du droit
étranger relatives à l'arbitrabilité de la cause (LALIVE/POUDRET/REYMOND,
op.cit., p. 308, n. 5; LALIVE, Ibid.). Mais il est vrai que l'on trouve
aussi, dans la doctrine, l'opinion selon laquelle un tribunal arbitral
siégeant en Suisse, dans le cadre d'un arbitrage international, n'est pas
compétent pour connaître d'une cause patrimoniale si le fait d'admettre
l'arbitrabilité du litige est incompatible avec l'ordre public (BUCHER,
op.cit., p. 41, n. 98 et 100; LALIVE/POUDRET/REYMOND, Ibid.; POUDRET,
op.cit., p. 30, ch. 3; plus réservés: WALTER/BOSCH/BRÖNNIMANN, op.cit.,
p. 60, ch. 1, et LALIVE, Ibid.), cette dernière notion n'ayant d'ailleurs
pas le même sens pour tous les auteurs (ordre public suisse ou étranger
pour BUCHER, Ibid.; ordre public international de la Suisse uniquement pour
POUDRET, Ibid., et LALIVE/POUDRET/REYMOND, Ibid.). Point n'est besoin,
cependant, de pousser plus avant l'analyse de ces questions puisque aussi
bien toute violation d'un quelconque ordre public peut être exclue en
l'occurrence pour les motifs indiqués ci-après.

    Dans le contexte de la présente affaire, l'ordre public ne pourrait
avoir de l'importance que s'il exigeait impérativement que la prétention
litigieuse soit soumise à une autorité étatique. En revanche, le
fait que ladite prétention touche à l'ordre public ne suffirait pas,
en soi, à exclure l'arbitrabilité de la cause; il appartiendrait, dans
ce cas, au Tribunal arbitral de tenir compte de cette circonstance et,
le cas échéant, de refuser toute protection juridique à la prétention
contestée, sa sentence pouvant alors être attaquée sur ce point pour le
motif prévu à l'art. 190 al. 2 let. e LDIP (BUCHER, op.cit., p. 41, n.
99). L'arbitrabilité de la cause ne dépend donc pas de l'existence
matérielle de la prétention litigieuse. Partant, elle ne saurait être niée
pour la seule raison que des dispositions impératives ou tel ordre public
matériel entraînent la nullité de la prétention visée ou l'impossibilité
d'en poursuivre l'exécution. Elle ne pourrait l'être qu'à l'égard
des prétentions dont le traitement aurait été réservé exclusivement
à une juridiction étatique par des dispositions qu'il s'imposerait
de prendre en considération sous l'angle de l'ordre public. On ne se
trouve nullement dans une situation de ce genre en l'espèce. Les mesures
commerciales prises à l'encontre de la République d'Irak soulèvent certes
la question de la validité des contrats conclus avant leur adoption,
voire celle de l'impossibilité subséquente d'exécution desdits contrats;
mais il n'apparaît pas - et les recourantes ne le démontrent en tout
cas pas - que cet état de choses doive déboucher sur la constatation de
l'inarbitrabilité des prétentions déduites de ces contrats, et à plus
forte raison de celles issues de contrats connexes comme le contrat
d'agence sur lequel l'intimé assoit ses prétentions. On ne voit pas, en
particulier, quels principes juridiques fondamentaux (ATF 116 II 636)
établiraient un monopole de la juridiction étatique pour régler les
différends portant sur des prétentions de nature civile influencées par
des règles de droit international public. En pareille hypothèse, c'est
en effet l'existence matérielle de la prétention litigieuse, et non pas
son arbitrabilité, qui est mise en cause par ce type de règles. Dans ces
conditions, il n'est pas nécessaire de rechercher si les mesures d'embargo
s'appliquent rétroactivement aux contrats considérés et si, étant donné
leur caractère universel, elles entrent dans la notion de l'ordre public,
international ou autre. Enfin, vu l'art. 177 al. 2 LDIP, les recourantes,
qui sont des sociétés nationalisées, ne peuvent pas invoquer d'éventuelles
dispositions restrictives du droit italien en la matière pour contester
l'arbitrabilité du litige.

    d) Invoquant l'art. V al. 2 de la Convention de New York du 10 juin
1958 (RS 0.277.12) pour la reconnaissance et l'exécution des sentences
arbitrales étrangères, les recourantes fondent également leur exception
d'incompétence sur l'impossibilité d'exécution d'une sentence rendue
contre elles qui en résulterait. Selon cette disposition, l'exécution
d'une sentence dans un Etat contractant peut être refusée si, d'après la
loi de cet Etat, l'objet du différend n'est pas susceptible d'être réglé
par voie d'arbitrage (let. a) ou que l'exécution de la sentence serait
contraire à l'ordre public de cet Etat (let. b).

    En optant pour la réglementation matérielle de l'arbitrabilité,
le législateur fédéral a choisi une solution qui n'exclut sans doute
pas que des sentences rendues en Suisse ne seront pas exécutées dans
tel ou tel pays. Il l'a fait cependant en toute connaissance de cause,
laissant les parties seules juges du risque qu'elles encourent du fait
d'une éventuelle non-reconnaissance de la sentence arbitrale (FF 1983
I 447 en haut), de sorte qu'il n'est pas possible de justifier une
approche restrictive de l'arbitrabilité par l'existence de semblable
risque (LALIVE/POUDRET/REYMOND, op.cit., p. 305, n. 1 ad art. 177 LDIP;
LALIVE, Ibid.; WALTER/BOSCH/BRÖNNIMANN, op.cit., p. 55; plus réservé:
SCHLOSSER, op.cit., p. 224, n. 305). Quoi qu'il en soit, l'art. 177 al. 2
LDIP restreint aussi à cet égard la possibilité pour les recourantes
d'invoquer les dispositions topiques du droit italien.

Erwägung 4

    4.- Force est ainsi de constater, sur la base de ce libre examen de
la question litigieuse, que le Tribunal arbitral a admis à bon droit
sa compétence pour statuer dans la cause qui divise les parties. Les
recourantes doivent, dès lors, être déboutées de toutes leurs conclusions.