Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 118 IB 562



118 Ib 562

69. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 21 décembre 1992 dans
la cause Groupement d'Entreprises Fougerolle et consorts contre le CERN
(recours de droit public) Regeste

    Schiedsgerichtsbarkeit und gerichtliche Immunität einer internationalen
Organisation.

    1. Da die Europäische Organisation für kernphysikalische Forschung
(CERN) die internationale Rechtspersönlichkeit besitzt, geniesst sie
absolute und umfassende gerichtliche Immunität.

    2. Als Gegenleistung zur gewährten Immunität hat sich das CERN
verpflichtet, alle Streitigkeiten aus Verträgen mit Privatpersonen einem
ad hoc zu bildenden Schiedsgericht zu unterbreiten, unter Ausschluss
jeder staatlichen richterlichen Kontrolle.

Sachverhalt

    A.- Pour abriter un grand collisionneur à électrons-positrons, appelé
LEP, le CERN a décidé de construire un tunnel circulaire de quelque 27
kilomètres de circonférence, à une profondeur variant de 60 à 150 m,
situé pour trois quarts en France et pour un quart en Suisse. Le CERN
a adjugé les travaux au Groupement d'Entreprises Fougerolle (ci-après:
Groupement Fougerolle), rassemblant 5 entreprises. Signé le 23 février
1983, le contrat entre le CERN et le Groupement Fougerolle prévoyait de
soumettre tout litige à un tribunal arbitral, dont le siège est à Genève.

    Le 25 mai 1986, le Groupement Fougerolle a mis en oeuvre la procédure
arbitrale pour obtenir 430'000'000 francs au titre "d'augmentation
équitable du prix de l'ouvrage".

    Par sentence du 27 décembre 1991, le Tribunal arbitral a, notamment,
condamné le CERN à payer au Groupement Fougerolle 44'621'190 francs à
titre de frais entraînés par l'accélération des travaux.

    Le Groupement Fougerolle forme un recours de droit public, concluant,
en particulier, à l'annulation de la sentence arbitrale.

    Le CERN s'est prévalu d'une immunité de juridiction absolue à l'égard
de toute action judiciaire devant les tribunaux nationaux de l'Etat hôte.

    Le Tribunal fédéral a déclaré le recours irrecevable; il a reconnu
au CERN l'immunité de juridiction.

Auszug aus den Erwägungen:

                   Extrait des considérants:

Erwägung 1

    1.- Il importe d'examiner en premier lieu la question de l'immunité
de juridiction invoquée par le CERN.

    a) Acquérant leur personnalité juridique interne par une disposition
de leurs actes constitutifs, les organisations interétatiques disposent
de la personnalité juridique internationale en vertu d'une règle de droit
international général, à condition cependant de réunir un ensemble de
critères objectifs. En particulier, il appartient aux Etats Membres de dire
si une telle organisation possède la personnalité juridique internationale;
ainsi, pour l'Etat hôte, la reconnaissance de la personnalité juridique
internationale d'une organisation trouvera son fondement dans l'accord de
siège (sur la question de la personnalité juridique des organisations
internationales, voir GLAVINIS, Les litiges relatifs aux contrats
passés entre les organisations internationales et les personnes privées,
travaux et recherches panthéon-assas, Paris II, 1990, n. 17 ss; DOMINICÉ,
L'immunité de juridiction et d'exécution des organisations internationales,
RCADI t. 187, 1984, IV, p. 161 ss, cité plus loin RCADI 1984; LALIVE,
L'immunité de juridiction des Etats et des organisations internationales,
RCADI, t. 84, 1953, III, p. 303 ss).

    L'immunité de juridiction des organisations internationales ne découle
pas directement de leur personnalité juridique internationale. N'étant
pas, contrairement aux Etats, des sujets pléniers du droit international,
ces organisations tiennent toujours leur immunité d'un instrument de
droit international public, que ce soit de conventions multilatérales
entre Etats Membres d'une organisation ou par des accords bilatéraux,
les accords de siège avec l'Etat hôte venant au premier rang (DOMINICÉ,
RCADI 1984, p. 164 ss, spéc. 168; GLAVINIS, op.cit., n. 155; VALTICOS,
Les contrats conclus par les organisations internationales avec des
personnes privées; rapport provisoire, rapport définitif et projet
de résolution, Institut de droit international, Session d'Oslo, 1977,
annuaire, vol. 57, t. I, p. 65; IMHOOF, La personnalité juridique et
le statut des institutions de caractère international: exemples tirés
de la pratique suisse, annuaire suisse de droit international, 1989, p.
95). Les organisations internationales bénéficient d'une immunité absolue
et complète, ne comportant aucune restriction (LALIVE, op.cit., p. 388;
GLAVINIS, op.cit., n. 155; DOMINICÉ, La nature et l'étendue de l'immunité
de juridiction des organisations internationales, Völkerrecht, Recht
der internationalen Organisationen Weltwirtschaftsrecht, Festschrift für
Ignaz Seidl-Hohenveldern, 1988, p. 85 et du même RCADI 1984, p. 180 et
202). Le principe de l'immunité dite relative consacré, en particulier,
par la Convention européenne sur l'immunité des Etats (RS 02.273.1) ne
s'applique qu'aux Etats, la distinction entre acta de jure imperii et
de jure gestionis ne valant pas pour les organisations internationales
(DOMINICÉ, RCADI 1984, p. 178/179; VALTICOS, op.cit., p. 14/15). Les
raisons de cette différence doivent, notamment, être recherchées dans
le fondement juridique même de l'immunité octroyée aux organisations
internationales, à savoir une convention internationale et non pas une
règle de droit international général; de surcroît, les organisations
internationales ne disposent d'aucune assise territoriale (GLAVINIS,
op.cit., n. 155; DOMINICÉ, op.cit., p. 85).

    b) L'immunité leur garantissant d'échapper à la juridiction des
tribunaux étatiques, les organisations internationales au bénéfice d'un
tel privilège s'engagent envers l'Etat hôte, généralement dans l'accord
de siège, à prévoir un mode de règlement des litiges pouvant survenir
à l'occasion de contrats conclus avec des personnes privées. Cette
obligation de prévoir une procédure de règlement avec les tiers constitue
la contrepartie à l'immunité octroyée (GLAVINIS, op.cit., n. 158 et
159; DOMINICÉ, RCADI 1984, p. 180; VALTICOS, op.cit., p. 166). Sauf
rares exceptions, les organisations internationales considèrent
qu'une renonciation pure et simple à leur immunité va à l'encontre de
leur autonomie. D'une manière générale, ces organisations voient dans
l'arbitrage le seul mode de règlement des litiges relatifs aux contrats
passés avec les personnes privées.

    Cependant, l'immunité de juridiction comporte incontestablement
des incidences sur le droit qui sera applicable à la procédure
arbitrale. En réalité, la pratique a démontré que les organisations
internationales connaissent plusieurs types d'arbitrages pouvant entrer en
considération. Les litiges qui les opposent à leurs cocontractants peuvent
ainsi être réglés soit par des organisations internationales de caractère
arbitral, soit par une juridiction administrative interne de l'organisation
qui statuera à titre arbitral, soit encore par une institution permanente
d'arbitrage, comme la Chambre de commerce international de Paris, soit
enfin par un tribunal arbitral constitué ad hoc (GLAVINIS, op.cit.,
n. 164; VALTICOS, op.cit., p. 73).

    Si l'organisation internationale choisit un arbitrage ad hoc, la
compatibilité du droit applicable à la procédure avec l'immunité de
juridiction de l'organisation ne se pose pas. En effet, l'organisation
intègre directement dans ses contrats des clauses prévoyant, en cas
de différend, la mise en place d'un tribunal ad hoc; elle peut aussi
procéder par le biais de "conditions générales" jointes à ses contrats,
prévoyant en détail la constitution et le fonctionnement du tribunal
arbitral (VALTICOS, op.cit., p. 80). La sentence rendue dans le cadre
d'une telle procédure arbitrale est à l'abri de tout contrôle judiciaire
en raison même de l'immunité de juridiction. Les dispositions relatives
à cet arbitrage ad hoc sont généralement conçues de telle manière que
celui-ci ne relève pas d'un droit national (DOMINICÉ, RCADI 1984, p. 199).

    En définitive, contrairement à ce qui vaut pour les Etats, la
soumission des organisations internationales à une clause compromissoire ne
vaut pas renonciation à leur immunité. L'arbitrage auquel elles participent
reste à l'abri de toute intervention d'une juridiction nationale à moins
toutefois que l'organisation renonce à son immunité ou que l'accord
de siège en dispose autrement ou encore que l'organisation accepte que
l'arbitrage soit soumis à une loi nationale, généralement celle du siège
(DOMINICÉ, RCADI 1984, p. 204). Ce n'est que si l'arbitrage renvoie
à un droit national qu'il peut impliquer l'intervention éventuelle du
juge étatique dans la procédure. Mais un tel renvoi n'est, en pratique,
jamais utilisé par les grandes organisations internationales (DOMINICÉ,
RCADI 1984, p. 182).

Erwägung 2

    2.- a) Aux termes de l'art. IX de la Convention pour l'établissement
d'une Organisation européenne pour la recherche nucléaire passée à Paris le
1er juillet 1953 (RS 0.424.091), le CERN jouit de la personnalité juridique
sur le territoire métropolitain de chaque Etat Membre. Selon cette même
disposition, les accords qui seront conclus entre l'Organisation et les
Etats Membres sur le territoire desquels sont situés les laboratoires
contiendront, en plus des dispositions relatives au privilège et immunité,
celles qui sont nécessaires pour le règlement des rapports particuliers
entre l'Organisation et lesdits Etats Membres.

    Le 11 juin 1955, le Conseil fédéral suisse et l'Organisation Européenne
pour la Recherche nucléaire ont passé un accord pour déterminer le statut
juridique du CERN en Suisse (RS 0.192.122.42). Selon l'art. 6 de cet
accord, l'Organisation bénéficie, pour elle-même, ses propriétés et ses
biens, quel que soit le lieu où ils se trouvent ou la personne qui les
détient, de l'immunité à l'égard de toute forme d'action judiciaire, sauf
dans la mesure où cette immunité a été formellement levée par le Conseil
de l'Organisation ou la personne par lui déléguée. L'alinéa 2 prévoit que
les propriétés et biens de l'Organisation, quel que soit le lieu où ils
se trouvent ou la personne qui les détient, bénéficient de l'immunité
à l'égard de toute mesure de perquisition, réquisition, confiscation,
expropriation et de toute autre forme de saisie ou d'ingérence de toute
autorité publique de quelque nature que ce soit. Alors que l'art. 23 de
cet accord de siège a pour objet d'empêcher tout abus des privilèges,
immunités et facilités accordés au CERN, l'art. 24 traite des différends
d'ordre privé. Il a la teneur suivante:

    "L'Organisation prend des dispositions appropriées en vue du règlement
   satisfaisant:

    a) de différends résultant de contrats auxquels l'Organisation
est partie
   et d'autres différends portant sur un point de droit privé;

    b) ..."

    Eu égard aux principes exposés au considérant précédent, le caractère
de personne juridique de droit international doit être reconnu au CERN
sur la base de l'accord de siège liant cette organisation internationale
avec la Suisse.

    b) En conformité de son engagement pris dans l'accord de siège précité
du 11 juin 1955, le CERN a, dans des "Conditions générales", mis en place
une procédure arbitrale pour vider tout litige pouvant survenir entre
lui-même et ses cocontractants. L'art. 33 de ces "Conditions générales"
prévoit, en particulier, la constitution d'un Tribunal arbitral de trois
membres; en cas de désaccord sur la désignation du tiers arbitre devant
présider le Tribunal arbitral, il appartient alors au Président du Tribunal
Administratif de l'Organisation Internationale du Travail d'intervenir. La
règle précitée dispose également que les parties "apportent d'elles-mêmes
aux arbitres l'aide qu'elles sont en mesure de leur fournir"; elle indique
le délai dans lequel doit être rendue la sentence et soumet toute question
de procédure non réglée par elle au code de procédure civile du canton de
Zurich, applicable par analogie. Enfin, la sentence "est définitive et
lie les parties qui, par avance, renoncent à tout recours possible". En
réalité, dans l'acte de mission, les parties ont dérogé à la clause
d'arbitrage précitée dans la faible mesure où le Tribunal arbitral ne
se référera pas au code de procédure civile du canton de Zurich, mais
appliquera les principes généraux de la procédure civile.

    La clause d'arbitrage contenue à l'art. 33 des "Conditions générales"
consacre le choix du CERN de soumettre les litiges le divisant d'avec
les particuliers à un arbitrage constitué ad hoc. En effet, le CERN a
prévu en détail la mise en place ainsi que le fonctionnement du Tribunal
arbitral. Est, à cet égard, caractéristique la procédure prévue par
l'Organisation internationale précitée en cas de désaccord des parties
sur le choix du surarbitre, à savoir l'intervention d'une tierce personne
de niveau élevé (VALTICOS, op.cit., p. 81). Cela tend à démontrer que
l'Organisation a choisi un type d'arbitrage la mettant à l'abri de tout
contrôle judiciaire étatique. Et l'art. 33 des "Conditions générales"
est conçu de telle manière que la procédure ne puisse prendre appui sur
un droit national, en particulier le droit suisse de l'arbitrage. Ainsi,
eu égard au droit applicable à la procédure arbitrale convenue entre
les parties, la soumission du CERN à un tel arbitrage ne peut en aucune
manière valoir renonciation à son immunité de juridiction, dès lors qu'est
exclue toute intervention du juge étatique dans la procédure.

    Au demeurant, compte tenu des règles applicables à cette procédure
arbitrale, on peut se demander si, en réalité, le Tribunal fédéral
ne devrait pas se déclarer purement et simplement incompétent (sur la
question de la compétence, voir DOMINICÉ, op.cit., p. 83). Autrement dit,
la question se pose de savoir si l'on est en présence d'un arbitrage
international au sens des art. 176 ss LDIP, dès lors que la clause
d'arbitrage liant les parties exclut l'application d'un quelconque droit
étatique, le droit suisse de l'arbitrage en particulier (cf. art. 176
al. 2 LDIP). Et, si tel était le cas, le Tribunal fédéral ne pourrait
alors même pas se saisir d'un recours formé par le CERN contre la sentence
arbitrale, cela à supposer même que l'Organisation internationale renonce
à son immunité de juridiction. Il importe toutefois peu de trancher ce
point en l'occurrence, puisque l'immunité de juridiction invoquée a,
de toute façon, été reconnue au CERN.