Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 118 IA 195



118 Ia 195

27. Arrêt de la Ire Cour de droit public du 17 juin 1992 dans la cause
Canton de Berne contre Canton du Jura (réclamation de droit public).
Regeste

    Art. 5 BV; Grundsatz der Bundestreue; Art. 15 und Art. 83 lit. b OG;
Staatsrechtliche Klage; Zulässigkeit einer kantonalen Volksinitiative.

    1. Art. 15 OG: Besetzung derjenigen Abteilung des Bundesgerichts,
welche über die gegen eine kantonale Volksinitiative erhobene
staatsrechtliche Klage entscheidet (E. 1).

    2. Art. 83 lit. b OG: Zulässigkeit der gegen eine kantonale
Volksinitiative erhobenen staatsrechtlichen Klage, mit welcher der
klagende Kanton geltend macht, die Volksinitiative verletze Art. 5 BV
und den Grundsatz der Bundestreue (E. 3 und E. 4).

    3. Tragweite der Gewährleistung des Gebiets und der Souveränität der
Kantone gemäss Art. 5 BV und nach dem Grundsatz der Bundestreue (E. 5a-c).

    4. Der Wille der Initianten, die Einheit des ehemaligen Berner Juras
anzustreben, verletzt für sich allein kein Bundesrecht. Hingegen kann
die von den Initianten gewählte Verpflichtung der kantonalen Behörden,
einseitig und fortwährend auf die Eingliederung der Bezirke Moutier,
Courtelary und La Neuveville in den Kanton Jura hinzuwirken, den Frieden
zwischen den Kantonen stören (E. 5d).

Sachverhalt

    A.- L'assemblée des délégués du Rassemblement jurassien, réunie
le 6 novembre 1988 à Porrentruy, a décidé, par une résolution, de
lancer une initiative en vue de la "promulgation d'une loi sur l'unité
institutionnelle du Jura, de Boncourt à La Neuveville" (cf. "Jura libre"
du 10 novembre 1988). Le 15 novembre 1989, l'initiative populaire a
été déposée à la Chancellerie d'Etat du canton du Jura, munie de 23338
signatures, sous le titre "Unir". Sa teneur est la suivante:

    "Les soussignés, citoyennes et citoyens ayant le droit de vote
en matière
   cantonale,

    en vertu de l'article 75 de la Constitution cantonale et des
   articles 85 et suivants de la loi du 26 octobre 1978 sur les droits
   politiques, vu le fait:

    - que le Jura, tel qu'il était défini dans la Constitution cantonale
   bernoise, a décidé, le 23 juin 1974, de former un Etat cantonal dans
   le cadre de la Confédération suisse;

    - que les scrutins subséquents ayant
   pour but de désunir le territoire jurassien ont été le fruit de
   dispositions constitutionnelles arrêtées unilatéralement par le
   canton de

    Berne;

    constatant en outre:

    - que les événements et les enquêtes officielles ont montré, par la
   suite, que les consultations populaires ne se sont pas toujours
   déroulées de façon régulière alors même que la Confédération suisse
   était chargée d'en assurer la haute surveillance;

    - que dans le cadre de ce mandat, la

    Confédération conserve, en la matière, son devoir de haute
surveillance;

    - que la situation politique, économique et culturelle du territoire
   jurassien demeuré sous souveraineté bernoise ne fait qu'empirer;

    rappelant par ailleurs:

    - que tous les partis politiques représentés au Parlement jurassien
(PDC,

    PLR, PS, PCSI, POP, CS, UDC) se déclarent officiellement partisans de
   l'unité du Jura et de son indépendance cantonale au sein de la

    Confédération suisse;
   demandent au Parlement jurassien d'élaborer un texte législatif portant
   sur l'unité politique du Jura, texte comprenant notamment les points
   suivants:

    - l'unité institutionnelle du Jura constitue l'un des principaux
   objectifs du Parlement et du Gouvernement de la République et canton du

    Jura;

    - le Gouvernement et le Parlement jurassiens orientent leurs
   décisions de façon à promouvoir la fondation et le développement d'une
   nouvelle République formée des six districts de langue française;

    - chaque année, à l'occasion de la Fête du 23 Juin, le Gouvernement
   soumet au Parlement, pour approbation, un rapport sur l'état de la
   question;

    - le Gouvernement accomplit un effort permanent dans le cadre de ses
   relations avec la Confédération suisse, le canton de Berne et toutes
   autres instances concernées pour rétablir l'unité institutionnelle
   du Jura;

    - les moyens nécessaires à ce rétablissement sont mis en oeuvre et des
   sommes portées chaque année au budget cantonal;

    - pour atteindre l'objectif, l'Etat veille à ce que la flamme
jurassienne
   et la connaissance de l'histoire du Jura, particulièrement des XIXe
   et XXe siècles, soient transmises aux jeunes générations."

    Le 16 août 1990, le Gouvernement du canton du Jura a déclaré
l'initiative recevable à la forme et l'a transmise au Parlement. Par arrêté
du 14 décembre 1990, celui-ci a déclaré l'initiative "valable au fond"
(art. 1) et invité le Gouvernement à lui soumettre jusqu'au 30 juin 1991
un projet de loi concrétisant le voeu des initiants (art. 2).

    Le 20 décembre 1990, le canton de Berne, représenté par son
Conseil-exécutif, a formé auprès du Tribunal fédéral une réclamation
de droit public contre le canton du Jura. Il demande au Tribunal
fédéral d'annuler l'arrêté du 14 décembre 1990, de déclarer nulle
l'initiative "Unir" et d'ordonner au canton du Jura de ne donner aucune
suite à celle-ci. Selon le demandeur, la constatation de la validité de
l'initiative et l'élaboration d'une loi conforme à celle-ci violeraient la
garantie constitutionnelle du territoire cantonal bernois (art. 5 Cst.),
ainsi que la fidélité confédérale. En visant le rattachement au canton
du Jura des trois districts bernois de Courtelary, de Moutier et de La
Neuveville, dont la majorité de la population avait décidé le maintien dans
le canton de Berne lors des plébiscites de 1975, l'initiative obligerait
les autorités jurassiennes à revendiquer en permanence une partie du
territoire bernois.

    Le 17 décembre 1991, le Gouvernement du canton du Jura a présenté au
Parlement un projet de loi "concernant l'unité du Jura", dont le texte
est le suivant:

    "SECTION 1: Principes et buts

    Article premier

    L'unité institutionnelle du Jura constitue l'un des principaux
objectifs
   de la République et Canton du Jura.

    Art. 2

    La présente loi a pour but de fixer les principes et prévoir les moyens
   politiques, financiers, culturels et juridiques propres à atteindre
   cet objectif.

    Art. 3

    1. L'ensemble des organes de l'Etat concourent à la réalisation de
   l'unité du Jura.

    2. Ils accomplissent un effort permanent dans leur sphère d'activité
   respective ainsi que dans le cadre de leurs relations avec les organes
   de la Confédération, du canton de Berne et de toutes autres instances
   concernées par le rétablissement de l'unité du Jura.

    3. Ils collaborent activement avec les organisations dont le but
   statutaire correspond à l'objectif de réunification énoncé à l'article
   premier ci-dessus.

    SECTION 2: Tâches du Parlement et du Gouvernement

    Art. 4

    Le Gouvernement et le Parlement orientent leurs décisions de façon à
   promouvoir la reconstitution de l'unité du Jura.

    Art. 5

    La commission parlementaire de la coopération et de la réunification
   traite des projets relatifs à la reconstitution de l'unité du Jura.

    Art. 6

    1. Le Gouvernement représente l'Etat dans toutes les affaires
relatives à
   la réunification.

    2. Il fait procéder à toutes les études juridiques, politiques ou
   économiques qu'il juge utiles.

    3. Il fait rapport au Parlement sur l'état de la Question jurassienne
et
   l'avancement des négociations aussi souvent que les affaires l'exigent,
   mais au moins une fois par année à l'occasion de la fête du 23 Juin.

    Art. 7

    Le Gouvernement négocie avec la Confédération et avec le Canton
de Berne
   les voies et moyens de parvenir à la reconstitution de l'unité du Jura.

    SECTION 3: Voies et moyens de la réunification

    Art. 8

    1. Un groupe de réflexion et d'action est constitué afin de favoriser
la
   réunification du Jura.

    2. Ce groupe vérifie notamment la compatibilité de la législation
et des
   orientations politiques des diverses autorités avec la perspective de
   la réunification.

    Art. 9

    1. Un délégué, respectivement un chargé de mission à la réunification,
   est désigné.

    2. Le délégué à la réunification a notamment pour tâche de coordonner
   l'ensemble des activités de l'Etat en faveur de la réunification.

    Art. 10

    1. Un organe de concertation entre le nord et le sud du Jura peut être
   créé.

    2. Il est composé de représentants de la République et Canton du
Jura et
   des districts de Courtelary, Moutier et La Neuveville.

    3. Cet organe a pour tâche d'étudier toutes les questions relatives
à la
   réunification. Il est notamment chargé de formuler des propositions
   quant à l'organisation d'un canton à six districts.

    Art. 11

    Les activités déployées en application de la présente loi, de même
que le
   soutien octroyé aux organisations définies à l'article 3, alinéa 3,
   sont financées par la voie du budget annuel.

    Art. 12

    L'Etat favorise la recherche et prend les mesures adéquates pour
   transmettre aux jeunes générations la connaissance de l'histoire du
   Jura, notamment celle des XIXe et XXe siècles.

    Art. 13

    Toute commune des districts de Courtelary, Moutier et La Neuveville est
   habilitée à envoyer un observateur au Parlement de la République et
   Canton du Jura.

    SECTION 4: Dispositions finales

    Art. 14

    La présente loi est soumise au référendum facultatif.

    Art. 15

    Le Gouvernement fixe l'entrée en vigueur de la présente loi."

    Ce projet a été adopté en première lecture par le Parlement jurassien,
sous réserve de quelques modifications rédactionnelles, le 17 juin 1992.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- a) Selon l'art. 15 OJ dans sa nouvelle teneur du 4 octobre 1991,
entrée en vigueur le 15 février 1992 (RO 1992 288, 337), les sections
du Tribunal fédéral siègent en règle générale à trois juges (al. 1).
Lorsque la cause soulève une question de principe ou lorsque le président
de la section l'ordonne, les cours de droit public, les cours civiles
et la cour de cassation siègent à cinq juges (al. 2). Les cours de droit
public siègent à sept juges lorsqu'elles statuent sur des recours de droit
public formés contre des actes législatifs cantonaux soumis au référendum
ou contre des décisions ayant trait à la recevabilité d'une initiative
ou à l'exigence d'un référendum, à moins que le recours ne porte sur une
cause au niveau communal (al. 3).

    b) Le canton de Berne, agissant par la voie d'une réclamation de
droit public, demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêté adopté
le 14 décembre 1990 par le Parlement du canton du Jura et de constater
la nullité de l'initiative populaire "Unir". Prises dans le cadre d'un
recours de droit public formé par un citoyen pour violation du droit de
vote au sens de l'art. 85 let. a OJ, ces conclusions auraient dû être
soumises à une cour formée de sept juges selon l'art. 15 al. 3 OJ. Bien
que le texte de cette disposition ne vise que le recours de droit public
et non point la réclamation de droit public, son but ne permet pas de
faire de distinction à cet égard: dès lors que la loi établit un quorum de
sept juges pour trancher la question de la recevabilité d'une initiative
cantonale, cette exigence doit être respectée quelle que soit la voie de
droit utilisée. La Cour de céans siège donc dans sa composition plénière
à sept juges pour examiner la cause qui lui est soumise en l'espèce.

Erwägung 2

    2.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité
d'une réclamation de droit public dont il est saisi (ATF 117 Ia 206
consid. 1a, 225/226 consid. 1, et les arrêts cités).

Erwägung 3

    3.- a) Aux termes de l'art. 83 let. b OJ, le Tribunal fédéral connaît
des différends de droit public entre cantons, lorsqu'un gouvernement
cantonal le saisit de l'affaire. Cette disposition légale a sa source à
l'art. 113 al. 1 ch. 2 Cst. qui donne au Tribunal fédéral la compétence
de connaître des différends entre cantons, lorsque ces différends sont
du domaine du droit public. En l'occurrence, la contestation concerne
le traitement d'une initiative populaire par les autorités du canton
du Jura. Le demandeur soutient que cette initiative exprimerait une
revendication permanente sur les districts bernois de Courtelary, de
Moutier et de La Neuveville, et que le défendeur ne saurait y donner
suite sans mettre en cause l'intégrité territoriale du canton de Berne,
garantie notamment par l'art. 5 Cst., ainsi que la fidélité confédérale. Ce
différend touchant à la délimitation des territoires respectifs des
cantons de Berne et du Jura relève du droit public, et peut en principe
faire l'objet d'une réclamation au sens de l'art. 83 let. b OJ.

    b) Le 16 juin 1992, le défendeur est intervenu à nouveau dans la
procédure par une écriture qu'il n'avait pas été invité à déposer. Il
y évoque des questions relatives à la recevabilité de la réclamation de
droit public, que le Tribunal fédéral doit examiner d'office.

    Le défendeur met en doute la recevabilité de la réclamation, au motif
que la jurisprudence tirée de l'art. 85 let. a OJ sur la recevabilité
des recours de droit public formés contre les décisions cantonales
de soumettre ou de ne pas soumettre une initiative au peuple, serait
applicable par analogie. Le défendeur se réfère sur ce point à l'ATF 114
Ia 271. Dans cet arrêt qui confirme une pratique constante (cf. ATF 111 Ia
305 consid. 3 et 102 Ia 550 consid. 2a), le Tribunal fédéral a jugé que
le recours de droit public n'est recevable contre de telles décisions -
lorsqu'il se fonde sur la conformité ou la non-conformité de l'initiative
au droit matériel supérieur - que dans l'hypothèse où le droit cantonal
prévoit expressément le contrôle préalable de cette conformité.

    Cette référence est dépourvue de pertinence. L'objet de la réclamation
de droit public n'est pas le droit de vote des citoyens, mais un acte
considéré par le demandeur comme contraire aux obligations qui découlent
selon lui pour les cantons de l'art. 5 Cst. L'intérêt public que la
réclamation de droit public tend à sauvegarder se situe en dehors de
la liberté de vote pour la violation de laquelle le défendeur n'eût
d'ailleurs pas eu la qualité pour agir (ATF 117 Ia 244-246 consid. 4). Au
demeurant, l'art. 89 al. 2 de la loi jurassienne sur les droits politiques
du 26 octobre 1978 (LDP), en relation avec l'art. 75 al. 3 Cst. jur.,
donne au Parlement la compétence de statuer sur la validité matérielle
des initiatives populaires et d'écarter, pour cause de nullité, les
propositions contraires au droit fédéral. Sa décision, rendue dans
le cadre de cette procédure de contrôle préalable obligatoire de la
conformité des initiatives populaires au droit supérieur, pourrait faire
l'objet d'un recours de droit public fondé sur l'art. 85 let. a OJ,
en vertu de la jurisprudence évoquée par le défendeur; sur cette base,
un citoyen électeur dans le canton du Jura aurait eu la qualité pour
recourir contre l'arrêté du 14 décembre 1990, en invoquant la violation
du droit fédéral. La situation est donc différente de celle qui est à la
base de l'état de fait de l'ATF 114 Ia 267 ss.

Erwägung 4

    4.- La réclamation a pour objet d'une part l'initiative "Unir",
et d'autre part l'arrêté adopté le 14 décembre 1990 par le Parlement du
canton du Jura, constatant la validité de cette initiative et invitant
le Gouvernement à élaborer un projet de loi conforme au voeu des
initiants. Le défendeur soutient que la réclamation serait irrecevable
car ni l'initiative ni l'arrêté ne produiraient d'effets à l'égard du
demandeur; celui-ci ne saurait donc se prévaloir d'une atteinte à un
intérêt juridiquement protégé.

    a) La notion de "différends de droit public" visée à l'art. 83 let. b
OJ doit être interprétée largement (cf. ATF 117 Ia 240/241 consid. 2b). Une
contestation surgit, au sens de cette disposition, dès qu'un canton émet
une prétention de nature juridique - en l'occurrence, celle visant à ce
que le défendeur ne donne pas suite à une initiative dont le demandeur
prétend qu'elle violerait la Constitution - à l'égard d'un canton qui n'y
adhère pas. Contrairement à ce qu'affirme le défendeur, l'admission par
le Parlement jurassien de la validité matérielle de l'initiative "Unir"
n'est pas seulement un acte interne au canton du Jura; cette décision
touche aussi le canton de Berne dans la mesure où le Gouvernement est
tenu de présenter au Parlement un projet de loi conforme à une initiative
populaire dont le canton de Berne prétend qu'elle porterait atteinte à
ses droits protégés par la Constitution. Cette contestation porte sur la
délimitation des territoires respectifs du canton de Berne et du canton
du Jura; elle ressortit ainsi au droit public.

    b) aa) Une réclamation de droit public ne saurait se fonder sur une
seule opposition d'intérêts de fait; elle doit avoir un appui juridique,
c'est-à-dire se fonder sur la lésion d'intérêts protégés par les normes
régissant le litige. Ces normes peuvent être des règles écrites, non
écrites, ou coutumières du droit fédéral ou concordataire, voire des
principes généraux du droit des gens applicables à titre subsidiaire.
Le Tribunal fédéral examine librement et d'office l'application de ces
règles de droit matériel (ATF 117 Ia 244 consid. 4b, 106 Ib 158 ss;
WILHELM BIRCHMEIER, Bundesrechtspflege, Zurich, 1950, p. 285/286).

    bb) L'arrêté du 14 décembre 1990 produit un effet externe au canton
du Jura, qui confère au demandeur la qualité de se plaindre, par la voie
de la réclamation de droit public fondée sur l'art. 83 let. b OJ, de ce
que les autorités du canton défendeur auraient admis à tort la validité de
l'initiative "Unir" au regard du droit matériel de la Confédération. Cet
intérêt juridique a sa source à l'art. 5 Cst. qui garantit notamment le
territoire et la souveraineté des cantons. Sur cette base, le canton de
Berne dispose du droit d'obtenir des autorités fédérales le respect de
son intégrité territoriale qu'il estimerait menacée par un autre canton
prétendant à la souveraineté sur une partie du territoire et de la
population bernois. La protection juridique ainsi demandée se rapporte
à l'essence même de l'Etat fédératif, puisqu'elle concerne l'existence,
dans son intégrité territoriale, de l'un des Etats qui constituent la
Confédération. Elle touche aussi, de manière plus large, à la préservation
de la cohésion de l'Etat fédéral considéré dans son ensemble.

    cc) Le fait que le Parlement du canton du Jura n'a pas encore
définitivement adopté la loi concrétisant l'initiative ne rend pas la
réclamation prématurée, comme le soutient le défendeur. Il existe en effet
un intérêt public important à prévenir le plus tôt possible l'adoption
par un Parlement cantonal de règles qui seraient de nature à troubler la
paix confédérale. Saisi d'un conflit de compétence au sens de l'art. 83
let. a OJ, opposant la Confédération au canton de Bâle-Ville, le Tribunal
fédéral a jugé qu'une réclamation de droit public peut viser non seulement
des règles de droit entrées en force, mais aussi une initiative, son objet
direct étant d'interrompre le processus législatif engagé par l'initiative
contestée. L'admission d'une telle réclamation de droit public met un
terme à la procédure législative; elle interdit aux autorités cantonales
de traiter l'initiative et de la soumettre au vote du peuple (ATF 65
I 114/115 consid. 1, 124). Le canton demandeur peut donc se fonder sur
un intérêt actuel et pratique à obtenir une décision déjà au stade de
l'initiative. La question de savoir si celle-ci serait formulée en des
termes si généraux qu'elle laisserait au législateur cantonal une marge
d'appréciation suffisante pour réaliser les buts de l'initiative sans
porter atteinte aux droits du demandeur relève de l'examen au fond de
l'affaire et ne préjuge pas de la recevabilité de la réclamation.

    c) La réclamation de droit public répond pour le surplus aux
exigences formelles posées par la loi et la jurisprudence. Elle émane
du gouvernement cantonal (art. 33 al. 1 Cst. bern.). Ses conclusions qui
tendent à l'annulation de l'arrêté du 14 décembre 1990 d'une part, et à
la constatation de la nullité de l'initiative "Unir" d'autre part, sont
admissibles au regard de l'art. 83 OJ (BIRCHMEIER, op.cit., p. 289; WALTER
HALLER, Commentaire de la Constitution fédérale, art. 113 No 38). Elle
n'est enfin soumise à aucun délai (ATF 117 Ia 206 consid. 1b, 74 I 29).

    Il y a donc lieu d'entrer en matière.

Erwägung 5

    5.- Une initiative populaire cantonale n'est admissible que si elle
est conforme au droit fédéral et au droit cantonal supérieur. Sa validité
matérielle doit être appréciée en interprétant son texte dans un sens
favorable aux initiants. Une initiative ne saurait être annulée s'il est
possible d'en donner une interprétation conforme au droit supérieur (ATF
111 Ia 294/295 consid. 2, 305/306 consid. 4). Cette interprétation conforme
ne peut cependant aboutir à modifier le sens littéral d'une proposition
formulée de manière claire et non équivoque (ATF 112 Ia 245 consid. 5b,
386 consid. 5).

    Le demandeur soutient que l'initiative "Unir" n'est pas conforme
au droit fédéral car elle violerait l'art. 5 Cst. et le principe de la
fidélité confédérale qui interdiraient à un canton de remettre en cause
l'intégrité territoriale d'un autre canton, de quelque manière que ce soit.

    a) La sauvegarde de l'intégrité territoriale des cantons a toujours
été l'un des objectifs principaux énoncés dans les lois fondamentales
successives de notre pays. Au temps de la Confédération d'Etats,
les art. 1er de l'Acte fédéral inclus dans l'Acte de Médiation du 19
février 1803 et du Pacte fédéral du 7 août 1815 conféraient aux cantons
la tâche de se garantir réciproquement leur territoire, leur liberté et
leur indépendance, "soit contre les puissances étrangères, soit contre
l'usurpation d'un canton ou d'une faction particulière" et "contre
toute attaque de la part de l'étranger, ainsi que pour la conservation
de l'ordre et de la tranquillité dans l'intérieur", selon les termes
respectifs de ces deux dispositions. Réunis en un Etat fédératif, les
cantons ont confié cette tâche à l'Etat central, ce que l'art. 5 de la
Constitution fédérale du 12 septembre 1848 exprimait dans des termes
identiques à ceux de l'art. 5 Cst. demeuré inchangé depuis le 29 mai 1874.

    En vertu de l'art. 5 Cst., la Confédération garantit aux cantons
leur territoire, leur souveraineté dans les limites fixées par l'art. 3,
leurs constitutions, la liberté et les droits du peuple, les droits
constitutionnels des citoyens, ainsi que les droits et les attributions que
le peuple a conférés aux autorités. Cette garantie a pour corollaire une
obligation réciproque de fidélité de la Confédération envers les cantons,
et des cantons entre eux. Le principe de la fidélité confédérale, en
vertu duquel l'Etat central et les Etats fédérés se doivent mutuellement
égards, respect et assistance, est ainsi le fondement de l'Etat fédératif
(cf. PETER SALADIN, Commentaire de la Constitution, art. 3, No 35;
ALFRED KÖLZ, Bundestreue als Verfassungsprinzip? ZBl 81/1980, p. 145 ss;
en ce qui concerne la relation entre les cantons et la Confédération,
cf. ATF 111 Ia 311 consid. 6c). Non écrit dans la Constitution fédérale,
ce principe a trouvé son expression dans certaines constitutions
cantonales et, particulièrement, dans celle du canton défendeur, l'art. 4
Cst. jur. prévoyant que "la République et canton du Jura collabore avec
les autres cantons de la Confédération suisse" (al. 1) et "s'efforce
d'assurer une coopération étroite avec ses voisins" (al. 2).

    L'art. 5 Cst. protège notamment les cantons contre les atteintes
provenant d'autres cantons: aucun d'eux ne peut, ni par la force ni par
une législation cantonale unilatérale, porter atteinte aux droits ainsi
garantis sans violer ses devoirs de fidélité (cf. BLAISE KNAPP, Commentaire
de la Constitution, art. 5, No 3). Les cantons sont tout particulièrement
protégés contre les revendications territoriales que d'autres cantons
pourraient émettre à leur encontre. La structure de l'Etat fédératif exclut
même qu'ils procèdent librement entre eux à des cessions de territoire, à
la division de leur territoire (cf. Message du Conseil fédéral concernant
les événements du Tessin, du 2 décembre 1870, FF 1870 III p. 799, 1051),
voire à une fusion avec d'autres cantons (pour le cas de Bâle-Ville et de
Bâle-Campagne, cf. JEAN-FRANÇOIS AUBERT, Traité de droit constitutionnel
suisse, Neuchâtel, 1967/1982, No 553-558). Une modification du territoire
cantonal allant au-delà d'une simple rectification des frontières pourrait
être en effet, selon les circonstances, de nature à remettre en cause
l'équilibre interne de la Confédération. Aussi l'art. 7 Cst. proscrit-il
les traités de nature politique entre cantons qui auraient notamment
pour objet une cession de territoire (ULRICH HÄFELIN, Commentaire de la
Constitution, art. 7, no 48). Certes, le droit fédéral n'interdit pas
absolument la modification des limites du territoire des cantons, mais ces
changements requièrent le consentement des populations concernées, l'accord
des cantons intéressés et l'approbation de la Confédération (ATF 117 Ia 244
consid. 4c; JEAN-FRANÇOIS AUBERT, Commentaire de la Constitution, art. 1er,
No 51, 54 ss, 57, 79 ss; WALTER FETSCHERIN, Änderungen im Bestand der
Gliedstaaten in Bundesstaaten der Gegenwart, thèse Zurich 1973, p. 64;
cf. aussi JOHANNES MEYER, Geschichte des schweizerischen Bundesrechts,
Winterthour, 1875, vol. III, p. 122; J.J. BLUMER/J. MOREL, Handbuch des
schweizerischen Bundesstaatsrechtes, Schaffhouse, 1877, vol. II, p. 182;
WALTER BURCKHARDT, Kommentar der schweizerischen Bundesverfassung vom
29. Mai 1874, 3e éd., Berne, 1931, p. 59, 60, 73).

    b) Le demandeur souligne l'analogie manifeste qu'il y aurait entre
l'initiative "Unir" et l'art. 138 de la Constitution jurassienne du 20
mars 1977 auquel l'Assemblée fédérale - le Conseil national, à la majorité
de 129 voix contre 6, et le Conseil des Etats, à l'unanimité -, a refusé
de donner sa garantie requise conformément aux art. 6 al. 2 let. a et
85 ch. 7 Cst., précisément pour le motif que ce texte violait l'art. 5
Cst. et le principe de la fidélité confédérale.

    Cette disposition avait la teneur suivante:

    "Modifications territoriales

    La République et canton du Jura peut accueillir toute partie du
   territoire jurassien directement concerné par le scrutin du 23 juin
   1974 si cette partie s'est régulièrement séparée au regard du droit
   fédéral et du droit du canton intéressé."

    L'Assemblée fédérale s'est rangée à l'opinion du Conseil fédéral, pour
qui il était constitutionnellement inadmissible d'émettre sous cette forme
une prétention sur des territoires voisins dont la population venait de
se déterminer démocratiquement en sens contraire. Cette norme tendait en
effet à remettre en cause le résultat des plébiscites d'autodétermination
organisés sous la sauvegarde de la Confédération (Message concernant la
garantie du futur canton du Jura, du 20 avril 1977, FF 1977 II p. 259 ss,
268-270; BOCN 1977 II p. 1114 ss, 1156; BOCE 1977 p. 345 ss, 355-368).

    c) De l'avis du demandeur, l'initiative litigieuse irait même
formellement au-delà de l'art. 138 Cst. jur., car l'initiative contesterait
implicitement le résultat de la procédure - à laquelle se réfère son
préambule - qui, ayant conduit à la création du canton du Jura, a été
close définitivement par la modification des art. 1 et 80 Cst., adoptés
dans leur nouvelle teneur le 24 septembre 1978 par la majorité du peuple
et des cantons. Le canton du Jura soutient de son côté que le refus de la
garantie de l'art. 138 Cst. jur. par l'Assemblée fédérale ne constituerait
pas un précédent liant le Tribunal fédéral, et que l'initiative critiquée
serait conforme au droit fédéral. Les autorités jurassiennes se seraient
au demeurant toujours réservé de chercher à obtenir à terme la réunion
de l'ensemble de l'ancien Jura bernois francophone en un seul Etat.

    L'arrêté fédéral par lequel l'Assemblée fédérale refuse sa garantie
produit à l'égard de la norme invalidée un effet ex tunc (PETER SALADIN,
Commentaire de la Constitution, art. 6, No 17). Cette décision s'impose
à toutes les autorités, cantonales et fédérales, y compris au Tribunal
fédéral (ATF 89 I 394/395). Celui-ci ne saurait examiner la conformité
au droit fédéral d'une norme qui, n'ayant pas reçu la garantie fédérale,
serait cependant, par pure hypothèse, soumise à son contrôle. On ne
se trouve toutefois pas en l'espèce dans une situation semblable:
l'initiative critiquée n'a pas pour but d'introduire dans le droit
cantonal l'art. 138 Cst. jur. ou une norme identique à ce texte rejeté
par un vote du Parlement fédéral. Le demandeur ne le prétend d'ailleurs
pas qui soutient simplement que l'initiative poursuivrait matériellement
le même but anticonstitutionnel que l'art. 138 Cst. jur.

    d) Il y a lieu de donner acte aux autorités du canton défendeur que
celui-ci n'a aucune intention "belliqueuse ou annexionniste" à l'égard du
canton demandeur. Elles insistent dans leurs écritures sur le fait que
le but de l'initiative doit être réalisé par la voie de la négociation
avec le canton de Berne et la Confédération, ce que réserve l'art. 7 du
projet de loi présenté au Parlement jurassien.

    Le texte de l'initiative litigieuse ne laisse cependant subsister
aucun doute sur la nature de l'action que ses auteurs veulent engager
en vue de rattacher au canton du Jura les districts de Courtelary, de
Moutier et de La Neuveville, dont le peuple a choisi de rester dans le
canton de Berne lors des scrutins plébiscitaires du 16 mars 1975. Il
est vrai que l'initiative n'exclut pas la concertation avec le canton
de Berne et la Confédération, mais elle fait manifestement passer cette
concertation au second plan. Ce qui domine dans l'intention des initiants,
c'est la volonté d'obtenir, par une action unilatérale permanente,
un agrandissement territorial important de leur canton au détriment
d'un canton voisin. L'"unité institutionnelle du Jura" deviendrait dans
l'ordre juridique cantonal l'un des principaux objectifs du Parlement et
du Gouvernement de la République et canton du Jura. Ces deux pouvoirs
devraient orienter leurs décisions "de fa on à promouvoir la fondation
et le développement d'une nouvelle République formée des six districts de
langue française" de l'ancien Jura bernois. Le Gouvernement serait obligé
de soumettre à l'approbation du Parlement, chaque année à l'occasion de
la Fête du 23 Juin, un rapport sur l'état de la question. Les moyens
nécessaires au "rétablissement" de l'"unité institutionnelle du Jura"
seraient mis en oeuvre et des sommes seraient chaque année portées au
budget cantonal.

    La volonté des autorités jurassiennes d'oeuvrer en faveur de l'unité
de l'ancien Jura bernois francophone ne constitue certes pas en soi une
violation de l'obligation cantonale de fidélité. Elle peut s'affirmer
dans le cadre de procédures de concertation avec le canton de Berne et la
Confédération. Les moyens d'action principaux choisis par les initiants
sont cependant d'une autre nature et, comme tels, incompatibles avec
l'art. 5 Cst. La revendication territoriale qu'ils voudraient instituer
implique que les actions que requiert ce but devraient être poursuivies
sans désemparer, même dans l'hypothèse où les démarches qui pourraient être
entreprises à cette fin auprès du canton de Berne et de la Confédération
n'aboutiraient pas. Pour s'inscrire dans le cadre légal, la démarche des
initiants n'en est pas moins susceptible de compromettre la coopération
étroite avec un canton voisin, dont l'art. 4 al. 2 Cst. jur. souligne
l'opportunité. Les entraves à cette coopération pourraient porter atteinte
au bien commun des deux cantons concernés et, en définitive, à celui
de l'ensemble de la Confédération. Le fonctionnement d'institutions de
coopération culturelle, sociale ou économique pourrait en être gravement
affecté. Des dissensions sérieuses pourraient surgir dans des domaines
où ces cantons entretiennent aujourd'hui des rapports normaux en vue
de réaliser l'objectif fondamental de l'accroissement de la prospérité
commune, énoncé à l'art. 2 Cst. Si de telles actions unilatérales et
permanentes étaient engagées par plusieurs cantons, l'Etat fédéral serait
menacé dans son existence même. Les engagements voulus par les initiants
seraient donc propres, en fin de compte, à troubler la paix confédérale.

    L'initiative litigieuse est rédigée en des termes à ce point précis
qu'il n'est pas possible d'en donner une interprétation conforme au droit
supérieur (cf. consid. 5 ci-dessus). Elle doit donc être déclarée nulle,
étant incompatible avec la structure de l'Etat fédératif et violant le
droit fédéral.

    La réclamation de droit public doit partant être admise,
l'initiative "Unir" étant déclarée nulle et l'arrêté du 14 décembre
1990 annulé. L'initiative "Unir" ne produira donc aucun effet juridique
à l'encontre des autorités jurassiennes qui sont invitées à n'y donner
aucune suite.