Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 117 II 231



117 II 231

46. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 23 mai 1991 dans la
cause B. contre dame M. et consorts (recours en réforme) Regeste

    Art. 8, 16, 467, 519 Abs. 1 Ziff. 1 ZGB. Gültigkeit eines eigenhändigen
Testamentes, das durch eine Person abgefasst wurde, die an einer
Geisteskrankheit leidet.

    1. Fähigkeit, Verfügungen von Todes wegen zu treffen: Zusammenfassung
der anwendbaren Grundsätze (E. 2).

    2. Im vorliegenden Fall ist die Testierunfähigkeit im massgebenden
Zeitpunkt nicht mit genügender Gewissheit nachgewiesen (E. 3b).

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- Pour disposer valablement par testament, il faut être capable
de discernement (art. 467 CC); en est privé celui qui ne peut agir
raisonnablement par suite de maladie mentale ou de faiblesse d'esprit
(art. 16 CC); une disposition pour cause de mort faite par une personne
incapable de disposer au moment de l'acte peut être annulée (art. 519
al. 1 ch. 1 CC),

    a) Est capable de discernement au sens du droit civil suisse celui
qui a la faculté d'agir raisonnablement (art. 16 CC). Le discernement
ainsi défini comporte deux éléments: un élément intellectuel, la capacité
d'apprécier le sens, l'opportunité et les effets d'un acte déterminé, et un
élément volontaire ou caractériel, la faculté d'agir en fonction de cette
compréhension raisonnable, selon sa libre volonté (ATF 111 V 61 consid. 3a,
90 II 11/12 consid. 3, 77 II 99/100 consid. 2; cf. GROSSEN, Les personnes
physiques, Traité de droit civil suisse, II/2, p. 36; DESCHENAUX/STEINAUER,
Personnes physiques et tutelle, 2e éd., p. 22, n. 79-81; WERRO, La capacité
de discernement et la faute dans le droit suisse de la responsabilité,
Fribourg, 2e éd., 1986, p. 28 ss, n. 144-174). De plus, en droit suisse,
la capacité de discernement est relative: elle ne doit pas être appréciée
dans l'abstrait, mais concrètement, par rapport à un acte déterminé, en
fonction de sa nature et de son importance (ATF 109 II 276 consid. 3, 102
II 367/368, consid. 4), les facultés requises devant exister au moment de
l'acte (ATF 111 V 61 consid. 3a, 108 V 128 consid. 4b, 90 II 12, consid. 3;
SJ 1988 p. 286; cf. GROSSEN, op.cit., p. 38; DESCHENAUX/STEINAUER,
op.cit., p. 22/23, n. 82/82a; WERRO, op.cit., p. 38/39, n. 194/195).

    La capacité de disposer pour cause de mort doit donc exister eu
égard à l'acte en question et au moment où il est fait (ATF 44 II 118 ss;
TUOR, n. 2 ad art. 467 CC). Si l'incapacité existait avant ou après ce
moment décisif, il faut qu'on en puisse déduire l'état mental du testateur
lorsqu'il a rédigé ses dispositions. La question à résoudre est dès lors de
savoir si dame R. n'était pas privée de la faculté d'agir raisonnablement
non pas d'une manière toute générale, mais en considération du testament
litigieux et au moment où il a été confectionné (arrêts S. c. Z.,
du 14 mars 1957, et J. c. P., du 19 décembre 1957). Un tel acte peut
comporter, suivant la situation financière et les désirs du testateur, des
dispositions simples et d'une portée facile à saisir, ou se révéler malaisé
à rédiger, comme c'était le cas dans les arrêts Krummenacher c. Eiholzer
(ATF 39 II 196 ss) et Bruggisser-Zehnder et Isler c. Seiler et consorts
(ATF 44 II 114 ss). Dans l'une et l'autre hypothèse, on ne demande pas que
le disposant ait en fait agi raisonnablement, de façon juste et équitable;
une disposition absurde peut tout au plus être tenue pour l'indice d'un
défaut de discernement (ATF 39 II 198 consid. 3; TUOR, n. 3 ad art. 467
CC). L'annulabilité existe en revanche non seulement lorsque le de cujus
n'a pas saisi raisonnablement ce qu'il faisait, mais aussi lorsque,
l'ayant vu et compris, il n'était pas capable de résister normalement à
une influence à laquelle il était effectivement soumis (ATF 39 II 200,
55 II 229 consid. 4, 77 II 99/100 consid. 2, 90 II 11/12 consid. 3 et
les arrêts cités).

    On inclinera donc, si l'acte considéré est déraisonnable, à admettre
l'absence de discernement. Mais une personne n'est privée de discernement
au sens de la loi que si sa faculté d'agir raisonnablement est altérée,
en partie du moins, par l'une des causes énumérées à l'art. 16 CC, dont
la maladie mentale et la faiblesse d'esprit, à savoir des états anormaux
suffisamment graves pour avoir effectivement altéré la faculté d'agir
raisonnablement dans le cas particulier et le secteur d'activité considérés
(ATF 88 IV 114). Par maladie mentale, il faut entendre des troubles
psychiques durables et caractérisés qui ont sur le comportement extérieur
de la personne atteinte des conséquences évidentes, qualitativement
et profondément déconcertantes pour un profane averti (ATF 85 II 460
consid. 3, 62 II 264; DESCHENAUX/STEINAUER, p. 24 n. 88, qui citent
SCHNYDER/MAURER, n. 26 ad art. 369 CC). Il en est ainsi souvent des idées
fixes irrationnelles et des illusions (Zwangsvorstellungen, Wahnideen),
dont la maladie de la persécution (arrêt S. du 9 mars 1972, consid. 3a).

    b) La capacité de discernement est la règle. Elle est présumée: il
incombe à celui qui prétend qu'elle fait défaut de le prouver (ATF 108 V
126 consid. 4, 98 Ia 325, 90 II 12 consid. 3 et les références). Mais cette
preuve n'est soumise à aucune prescription particulière (ATF 98 Ia 325,
91 II 338 consid. 8, 90 II 12 consid. 3 et les arrêts cités); une très
grande vraisemblance excluant tout doute sérieux suffit, notamment quand
il s'agit de l'état mental d'une personne décédée, car la nature même des
choses rend alors impossible une preuve absolue (ATF 91 II 338 consid. 8,
90 II 12 consid, 3, 78 II 199, 74 II 205 consid. 1 et les arrêts cités;
SJ 1988 p. 286).

    S'agissant d'un adulte, chez qui le discernement est généralement
donné, il incombe donc à celui qui attaque le testament pour en déduire
un droit à la succession d'établir des faits permettant de conclure au
défaut de capacité (ATF 56 II 161 consid. 2). L'art. 8 CC, en effet,
s'applique dans tous les cas où, comme en l'espèce, la loi ne prévoit pas
une règle de preuve spéciale. Il va de soi que, parmi les indices, les
jugements portés par des personnes conscientes de leurs responsabilités,
ayant l'expérience des hommes et connaissant bien le testateur, ont autant
de poids que l'avis des médecins.

    Dans l'intérêt du maintien du testament, la preuve de l'absence de
discernement doit être appréciée avec rigueur (arrêt C. du 19 novembre
1958 consid. 1). Cependant, elle n'est pas pour autant soumise à des
exigences particulières (arrêt C. cité). Ainsi, par exemple, le juge
n'est pas lié par les déclarations des témoins instrumentaires qui
certifient, conformément aux art. 501 et 502 CC, que le testateur leur
a paru capable de disposer. Dans ce sens, le Tribunal fédéral a jugé
(ATF 39 II 199/200 consid. 5) que, sous l'empire de la loi fédérale
sur la capacité civile du 22 juin 1881, il était inadmissible, comme
l'avait fait l'autorité cantonale, d'attacher une importance décisive
aux déclarations de l'officier public et des témoins d'un testament
pour décider de la capacité du disposant. Une expertise médicale peut
s'imposer en vertu de l'art. 8 CC, en l'absence de disposition spéciale
(ATF 108 V 126 consid. 4, 98 Ia 325); elle est nécessaire lorsque le juge
n'est pas à même de résoudre, à la lumière de ses propres connaissances,
la question qui lui est soumise (ATF 47 II 126). Mais il incombe au juge
de vérifier si l'expert est parti d'une juste notion de l'incapacité et
s'il a tenu compte de son caractère relatif (ATF 98 Ia 325), ainsi que de
décider quelles preuves sont idoines. Une surexpertise peut se révéler
nécessaire, exceptionnellement. D'autres moyens probatoires peuvent en
revanche être tenus pour suffisants, s'ils permettent de déterminer l'état
mental de la personne décédée, au moment de la confection de son acte,
avec une vraisemblance confinant à la certitude (dans ce sens: ESCHER,
n. 9 ad art. 467 CC; dans un sens différent: TUOR, n. 9b ad art. 467 CC).

    En cas de maladie mentale, il se peut fort bien que la faculté
d'agir raisonnablement existe malgré la cause d'altération: ainsi,
dans l'éventualité d'un malade mental qui aurait agi au cours d'un
intervalle lucide (ATF 108 V 126 consid. 4; DESCHENAUX/STEINAUER, op.cit.,
p. 26 n. 94a; BUCHER, n. 137 et 131 ad art. 16 CC; GROSSEN, op.cit.,
p. 38). Mais la maladie mentale à dire d'expert n'exclut pas nécessairement
tout discernement, car la notion médicale est plus large que le concept
juridique. De plus, l'atteinte peut ne pas porter sur tous les domaines
d'activité, en sorte que la constatation purement médicale n'emporte pas
toujours le renversement du fardeau de la preuve, les cas manifestement
graves étant réservés (BUCHER, n. 73 à 75 et 130 ss ad art. 16 CC et les
arrêts cités, dont ATF 88 IV 114 et 44 II 449; SCHNYDER/MAURER, n. 65 à
67 ad art. 369 CC; PEDRAZZINI/OBERHOLZER, Grundriss des Personenrechts,
3e éd., p. 73, n. 3.2.3.4.2).

    c) Le juge du fait constate souverainement l'état dans lequel se
trouvait une personne au moment où elle a accompli l'acte litigieux,
ainsi que la nature et les effets d'éventuels dérangements (ATF 91 II
338). La juridiction fédérale de réforme peut revoir la conclusion qu'il
en a tirée dans la mesure où elle dépend de la notion même de capacité
de discernement ou de l'expérience générale de la vie et du haut degré
de vraisemblance exigé pour exclure cette capacité: en d'autres termes,
elle examine s'il a posé le problème d'une manière conforme au droit
(ATF 91 II 338, 90 II 12 consid. 3 et les arrêts cités). En revanche,
le recours de droit public est ouvert - et lui seul - pour violation de
l'art. 4 Cst. lorsque le justiciable prétend que le juge du fait a apprécié
le résultat de l'administration des preuves d'une manière arbitraire.

Erwägung 3

    3.- b) La cour cantonale constate que la testatrice, durablement
atteinte d'une maladie mentale et sujette à des idées de persécution,
"n'avait pas la faculté d'apprécier raisonnablement la signification,
l'opportunité et la portée d'une action déterminée": c'est en raison
de cette gravité suffisante de la détérioration que le recourant eût dû
tenter de démontrer que le testament des 4 et 22 mars 1985 a été rédigé
dans un intervalle de lucidité.

    Ce considérant de droit incite à penser que la cour cantonale a estimé
que la maladie dont souffrait la défunte lui enlevait le discernement pour
n'importe quelle action, et donc aussi pour tester. Tel ne paraît pas
être le cas quand on lit le jugement déféré dans son ensemble. L'exposé
des faits pertinents sur ce point est très fouillé: la vie de la défunte
est longuement décrite et le rapport des experts est analysé en détail;
puis les constatations retenues sont énumérées expressément. Or, ce résumé
mentionne certes une aggravation de l'état de santé défaillant de dame
R. "dès le mois de mars 1985", et relève qu'elle était influençable,
mais la cour cantonale ne constate jamais l'effet de la maladie sur la
"faculté d'agir raisonnablement par rapport à l'acte considéré", et au
moment déterminant (ATF 108 V 129 in fine).

    La lecture de l'exposé des faits dans son ensemble n'est pas
plus convaincante, au contraire. Les experts eux-mêmes admettent
l'impossibilité de se déterminer avec certitude sur la capacité de tester
en mars 1985. Dame R. n'était pas l'objet d'une mesure de tutelle. Elle
a maintenu ses dispositions pendant les huit mois qui lui restaient à
vivre. Elle avait confié elle-même la gestion de ses affaires durant un
séjour à l'étranger, puis a opéré en 1984 l'achat d'un appartement dont
la validité n'est pas contestée. La révocation d'un testament éventuel
en faveur de M. était tout à fait compréhensible. Le choix du droit
neuchâtelois et l'indication du motif de cette élection démontrent que
la testatrice savait ce qu'elle faisait. Quant au contenu des autres
dispositions de mars 1985, dont l'interprétation ressortit au droit, il a
certes été disputé, notamment pour savoir qui était héritier ou légataire
(par un avocat et dans trois avis de droit); mais c'était une question
d'expressions utilisées par un profane, non pas l'indice d'une perception
déréglée de la situation. Une fois la portée juridique établie, les
décisions prises sont ordonnées logiquement et tout à fait raisonnables:
elles ne laissent en rien apparaître les obsessions et les phobies de la
testatrice; il n'était pas aberrant de favoriser le fils d'une amie très
chère, d'autant que la défunte paraît bien s'être éloignée de sa famille,
qui ignorait même son état, au point de ne pas avoir songé d'abord à une
éventuelle incapacité. Au demeurant, les membres de la famille n'ont pas
été oubliés: La testatrice a pris des dispositions en leur faveur et ils
devenaient ses légataires. Bien plus, dame R. s'était fait conseiller
par un notaire, ce qui a une double portée: elle avait conscience qu'il
fallait faire les choses sérieusement et légalement; elle a en outre reçu
et compris les avis de son conseil.

    Ainsi, il y a incertitude des experts et indices d'un comportement
normal. Reste à examiner ce qu'on peut déduire des preuves administrées,
telles que le résultat en est relaté dans le jugement déféré,

    aa) L'expertise du centre psycho-social de Lausanne n'est effectivement
guère concluante, dans le résumé qui en est donné, en regard des
exigences de droit de la jurisprudence et de la doctrine. Comme l'assurée
dans l'arrêt 108 V 126 ss, dame R. se croyait persécutée, et depuis
longtemps. Mais si elle souffrait de schizophrénie paranoïde chronique
et a dû être soignée, voire hospitalisée en service psychiatrique, et si
son état de santé s'est aggravé dès mars 1985, elle "n'était pas altérée
dans ses fonctions intellectuelles et cognitives"; "intelligente et fine",
elle manifestait une adaptation sociale minimale, perturbée seulement "dans
sa perception affective de la réalité". "Vulnérable et influençable dans
ses rapports avec de tierces personnes", son jugement "pourrait" avoir
été altéré - lors de la rédaction du testament - "en ce qui concerne la
perception de ses relations à sa famille". Elle pourrait ainsi avoir été
influencée par une personne même et surtout de bonne foi, qui lui aurait
montré de la sollicitude (mais aucune pression n'est alléguée en l'espèce:
ATF 77 II 100; les intimés se bornent à semer le doute en invoquant un
fait non constaté).

    Parfois contradictoires dans leurs avis, les experts sont donc pour le
moins hésitants et dubitatifs en ce qui concerne la capacité d'apprécier
la portée d'un testament et d'agir en fonction de cette compréhension
en mars 1985. Ils s'expriment au conditionnel lorsqu'ils en viennent
à la question précise qui se pose en l'espèce. Dans ces conditions,
le seul constat d'une santé mentale déficiente dans certains domaines
ne saurait conduire au renversement du fardeau de la preuve en ce qui
concerne l'incapacité de tester, à tel moment, avec discernement.

    bb) S'agissant des témoins entendus, la cour cantonale opère un choix,
sur la base d'un seul critère: six témoignages sont écartés quoiqu'ils
émanent de gens qui ont bien connu la défunte, parce que les auteurs
l'auraient rencontrée occasionnellement et qu'elle pouvait maintenir une
apparence d'adaptation sociale minimale dans le cadre de relations de
voisinage superficielles.

    Pour l'une de ces personnes au moins, le notaire, cette appréciation ne
correspond pas à l'expérience générale de la vie, qui ressortit au droit,
donc au recours en réforme (cf. POUDRET/SANDOZ-MONOD, Commentaire de la loi
fédérale d'organisation judiciaire, II, p. 537 ss, n. 4.2.4). Le notaire
a traité deux affaires avec la défunte: l'achat de l'appartement de V. en
1984, puis la confection du testament en mars 1985. A chaque fois, a-t-il
dit, sa cliente s'est présentée avec une certaine distinction et lui a
fait une excellente impression, Il lui a donné en tout cas des conseils
sur la manière formelle de rédiger son testament. S'il a concédé que ses
souvenirs pouvaient être imprécis, il n'en déclare pas moins que dame
R. vint lui parler en vue de prendre des dispositions pour cause de mort:
"Nous avons discuté; elle m'a posé diverses questions; nous avons plus ou
moins mis au point ce testament." A son avis, le texte même du document
montre qu'il a sans doute dû donner des informations en ce qui concerne la
"professio juris."

    Le notaire étant intervenu en 1984 et 1985, et précisément au moment
de la rédaction du testament, l'expérience générale de la vie ne permet
pas de faire fi du témoignage de cet homme de loi, habitué à juger ses
clients, quand bien même ses déclarations ne sauraient être décisives
à elles seules. La juridiction fédérale de réforme devrait se fonder
sur l'appréciation de l'autorité cantonale si elle reposait sur les
circonstances particulières propres à la personne du notaire; tel n'est
pas le cas.

    cc) Il suit de là que l'incapacité de tester avec discernement n'est
pas prouvée avec une certitude suffisante pour le moment déterminant,
ni par les experts, ni par les témoignages. La maladie mentale et
les faiblesses psychiques constatées ne sont donc pas telles qu'elles
justifiaient un renversement du fardeau de la preuve: il n'y avait pas
lieu de poser la question d'un intervalle lucide, qui aurait interrompu
momentanément un état de santé tel que la défunte ne pouvait normalement
prendre en pleine capacité des dispositions pour cause de mort. La preuve
qui incombait aux intimés, contre la présomption de discernement, n'a
pas été apportée.