Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 117 IA 491



117 Ia 491

74. Arrêt de la Ire Cour de droit public du 30 octobre 1991 dans la
cause C. contre Juge d'instruction itinérant de Fribourg et Chambre
d'accusation du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg (recours de droit
public) Regeste

    Strafe für Zeugnisverweigerung.

    System der Zwangsmassnahmen gegen widerspenstige Zeugen; Prüfung der
Verfassungsmässigkeit einer solchen Zwangsmassnahme im allgemeinen und
jener nach dem freiburgischen Recht im besonderen (E. 1).

    Art. 6 Ziff. 1 EMRK; Garantie des unabhängigen und unparteiischen
Richters und der Öffentlichkeit der Verhandlung.

    Zulässigkeitsvoraussetzungen für eine Rüge der Verletzung von
Art. 6 Ziff. 1 EMRK, die vor der kantonalen Instanz nicht erhoben
wurde (E. 2a). Man kann nicht verlangen, dass der Richter, der die
Zeugnisverweigerung bestraft hat, notwendigerweise ein anderer ist
als jener, der den Zeugen vorgeladen und ihn zur Aussage aufgefordert
hat (E. 2b). Das Fehlen der Öffentlichkeit der Verhandlung vor der
Anklagekammer des Kantonsgerichts Freiburg rechtfertigt die Gutheissung
der Beschwerde (E. 2c).

Sachverhalt

    A.- Le 2 août 1990, X. déposa plainte pénale contre inconnu pour
violation du secret de fonction. Il se prévalait d'une révélation faite par
C. devant le Grand Conseil fribourgeois, aux termes de laquelle X. aurait
fait l'objet d'une procédure en soustraction fiscale. Convoqué par le
Juge d'instruction itinérant pour être entendu comme témoin, C. déclara
alors qu'en conscience il ne pouvait dévoiler le nom de celui qui lui
avait fourni l'information relative à la procédure en soustraction fiscale
dirigée contre X. Après avoir, séance tenante, avisé le témoin qu'il ne
pouvait refuser de déposer en invoquant sa qualité de député au Grand
Conseil, le Juge d'instruction lui donna lecture des chiffres 1 à 5 de
l'art. 21 du Code de procédure pénale pour le canton de Fribourg (CPP),
du 11 mai 1927, principalement du chiffre 5 qui dispose: "Le témoin qui,
sans de justes raisons et malgré avertissement, refuse de répondre,
peut être, par ordonnance motivée, frappé d'arrêts pour quinze jours au
plus et condamné aux frais. La peine cesse dès que le témoin consent
à déposer." Conformément à cette disposition, le Juge d'instruction
prononça - séance tenante - un avertissement formel, puis il interrogea
à nouveau C. sur l'origine de son information. Le témoin répondit une
nouvelle fois qu'en conscience il ne pouvait donner plus de précisions
et qu'il ne voulait pas citer de noms.

    Par ordonnance du 30 novembre 1990, le Juge d'instruction, considérant
que le motif invoqué à l'appui du refus de témoigner ne valait pas
juste raison au sens de l'art. 21 ch. 5 CPP et que les conditions
d'application de cette disposition étaient réalisées, condamna C. à une
peine de 3 jours d'arrêts, sans sursis, tout en l'informant que la peine
cesserait dès qu'il consentirait à témoigner. Saisie d'un recours de C.,
la Chambre d'accusation du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg l'a
rejeté, par arrêt du 22 février 1991. Par la voie du recours de droit
public, C. a requis le Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt cantonal; il
invoquait l'art. 58 Cst. (garantie du juge naturel), l'art. 6 par. 1 CEDH
(impartialité et indépendance du juge, absence de débats publics devant la
Chambre d'accusation), la garantie de la liberté personnelle et l'art. 3
CEDH (interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants), ainsi qu'une application arbitraire de l'art. 21 ch.
5 CPP au sens de l'art. 4 Cst. Le Tribunal fédéral a admis le recours et
annulé l'arrêt attaqué.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- En matière pénale, il existe un intérêt public important à ce que
les infractions puissent être poursuivies et réprimées. Le témoignage
revêt à cet égard une grande importance et correspond souvent à une
nécessité quasi absolue pour que la justice puisse être administrée de
manière correcte (cf. ROBERT HAUSER, Der Zeugenbeweis im Strafprozessrecht
mit Berücksichtigung des Zivilprozesses, p. 79 ss). Il répond dès lors
à un intérêt public que le témoin ne soit pas libre de témoigner ou non
à sa guise et qu'en dehors des cas particuliers où la loi l'en dispense,
son refus soit sanctionné.

    Les lois de procédure, y compris celles de la Confédération
(cf. notamment art. 44 PCF et 88 PPF), connaissent deux systèmes,
qu'il n'est du reste pas toujours aisé de distinguer dans la pratique
(cf. HAUSER, op.cit., p. 109 ss). Tantôt le témoin récalcitrant est
frappé d'une sanction, en principe d'arrêts, qui est toutefois levée
si l'intéressé accepte de témoigner ("Beugehaft"). Tantôt le refus
de témoigner est constitutif d'une contravention réprimée directement
par le magistrat entendant le témoin ou à la suite d'une procédure
pénale ordinaire; parfois, le témoin est invité à témoigner sous la
menace des peines prévues à l'art. 292 CP et dénoncé au juge pénal s'il
persiste dans son refus. Dans tous les cas, cependant, une pression est
exercée sur le témoin pour forcer sa résistance et la question se pose
de savoir si pareil procédé est constitutionnel, spécialement dans le
cas des arrêts coercitifs ("Beugehaft"). A priori, on ne saurait dire
qu'une sanction du refus de témoigner constitue un acte de torture ou un
traitement inhumain ou dégradant (cf. FROWEIN/PEUKERT, EMRK-Kommentar,
p. 28 ss). Par ailleurs, même une peine d'arrêts, soit une atteinte grave
à la liberté personnelle, n'est pas en principe inadmissible, si l'on
tient compte de l'intérêt public parfois considérable à l'obtention du
témoignage. Toutefois, comme toute restriction à la liberté personnelle,
pareille sanction est subordonnée au respect des principes constitutionnels
et, en particulier, à la règle de la proportionnalité (HAUSER, op.cit.,
p. 82; ATF 98 Ia 418). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a annulé
une décision portant menace d'arrêts coercitifs de 24 heures et relevé
qu'en cas de dénonciation pour contravention à l'art. 292 CP, prévoyant
des peines d'arrêts ou d'amende, il est rare que le refus de témoigner
se traduise par une privation de liberté effective. FROWEIN/PEUKERT
(op.cit., rem. 56 ad art. 5, p. 74) admettent les arrêts pour refus
de prêter serment sous la forme de l'"Offenbarungseid". Sous l'angle
des droits constitutionnels, la doctrine suisse est très réservée à
l'égard des arrêts coercitifs, qu'elle n'admet pas de manière générale
dans tous les cas et entend de toute façon subordonner à des conditions
rigoureuses (W. HALLER, Commentaire de la Constitution fédérale, Liberté
personnelle, après art. 65, rem. 136 et JÖRG PAUL MÜLLER, Die Grundrechte
der schweizerischen Bundesverfassung, 2e éd., bes. Teil, p. 30/31).

    S'il n'apparaît pas inconstitutionnel en lui-même, à première vue,
l'art. 21 ch. 5 CPP, qui ne prévoit pas la possibilité d'une simple amende,
pourrait conduire cependant à des résultats inadmissibles lorsqu'une
sanction d'arrêts apparaît excessive. Une telle sanction devrait pouvoir,
suivant les circonstances, être assortie éventuellement du sursis. Le
droit fribourgeois déclare d'ailleurs applicables les règles générales
du Code pénal, et notamment les dispositions en matière de sursis, aux
contraventions cantonales en matière de procédure (art. 1, 3 al. 1 et 15
de la loi d'application du Code pénal du 9 mai 1974; cf. aussi STEFAN
TRECHSEL, Schw. Strafgesetzbuch, rem. 3 et 13 ad art. 335, qui relève
qu'en matière de contraventions fondées sur l'art. 335 CP, les cantons
ne sont certes pas tenus de reprendre la partie générale du CP mais sont
de toute façon limités par le droit constitutionnel fédéral).

Erwägung 2

    2.- Le recourant invoque notamment le défaut de publicité des débats
devant la Chambre d'accusation. Il se plaint également du fait que le Juge
d'instruction ne serait pas un magistrat indépendant et impartial. Ces
griefs n'ont à aucun moment été énoncés devant la Chambre d'accusation. Le
recourant, représenté par un avocat, devait pourtant savoir que cette
autorité statuait sans débats publics, mais il n'a pas fait valoir devant
la juridiction cantonale que cette situation violerait l'art. 6 par. 1
CEDH; il n'a pas non plus présenté quelque réquisition d'instruction que
ce soit.

    a) Les griefs de violation des droits constitutionnels consacrés dans
la Convention européenne des droits de l'homme sont soumis à l'épuisement
des instances cantonales (ATF 101 Ia 68/69). La jurisprudence admet
cependant la recevabilité de moyens de droit nouveaux dans un recours de
droit public soumis à cette condition, lorsque l'autorité cantonale de
dernière instance disposait d'un libre pouvoir d'examen et devait appliquer
le droit d'office (ATF 115 Ia 184 consid. 2). Cette exception vaut pour
tous les griefs dont le contenu ne se confond pas avec l'arbitraire
(ATF 113 Ia 339). Ainsi en va-t-il du grief de violation de l'art. 6
par. 1 CEDH, qui consacre le droit à un tribunal indépendant et impartial
(ATF 115 Ia 185 consid. 2). Le comportement du recourant doit cependant
être conforme à la règle de la bonne foi. C'est pourquoi celui qui ne
soulève pas devant l'autorité de dernière instance cantonale un grief lié
à la conduite de la procédure, ayant trait par exemple à la composition
régulière du tribunal, ne peut plus le soulever devant le Tribunal fédéral
(ATF 114 Ia 348 consid. c et d, 114 V 62 consid. b, 112 Ia 339 consid. 1;
cf., en ce qui concerne l'absence de publicité des débats, l'arrêt non
publié Ch. c/G. et commune de Pully du 24 août 1990, consid. 4). Une
solution contraire favoriserait des manoeuvres dilatoires. La pratique
suivie en la matière n'est au demeurant pas en contradiction avec la
nature éventuellement imprescriptible de certains droits déduits des
art. 58 Cst. et 6 CEDH, l'imprescriptibilité d'un droit ne permettant
naturellement pas sa revendication abusive.

    On ne saurait, dans les circonstances données, reprocher au recourant
de n'avoir pas attiré l'attention de la juridiction intimée sur le fait
que la procédure cantonale ne serait éventuellement pas conforme aux
exigences du droit constitutionnel et conventionnel, notamment à celle de
la publicité des débats, telle que venait de la préciser la Cour européenne
des droits de l'homme dans un arrêt Weber contre la Suisse du 22 mai 1990,
paru seulement à fin 1990/début 1991. La situation juridique n'étant pas
absolument claire au moment où il a recouru devant la Chambre cantonale
(début décembre 1990), le recourant a agi de bonne foi, bien qu'il n'ait
pas soulevé d'emblée la question de la régularité de la procédure devant
l'autorité cantonale. Partant, les griefs de nature formelle qu'il soulève
sont recevables, quoique étant nouveaux.

    b) Le recourant fait valoir que le Juge d'instruction ne serait pas
un magistrat indépendant au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH, car il serait
un fonctionnaire soumis à la surveillance de la Chambre d'accusation,
qui peut même lui donner des instructions, selon l'art. 164 al. 2 de la
loi cantonale d'organisation judiciaire du 22 novembre 1949 (LOJ). Cette
disposition prévoit que la Chambre d'accusation "exerce la surveillance
sur le Ministère public, les juges d'instruction et les fonctionnaires
de la police judiciaire et leur donne les directions nécessaires".

    Le Juge d'instruction est en principe le Président du Tribunal
d'arrondissement, qui a incontestablement rang de magistrat et non
de fonctionnaire (art. 166 LOJ). Qu'en l'espèce l'enquête ait été
confiée à un juge d'instruction itinérant ne change rien à sa qualité de
magistrat. Certes, la Chambre d'accusation exerce une surveillance générale
sur les enquêtes pénales. Cette surveillance ne signifie pas que les juges
d'instruction n'enquêtent pas en toute indépendance dans les procédures
particulières qui leur sont confiées. Le fait que les décisions des juges
d'instruction soient susceptibles de recours à la Chambre d'accusation
(art. 29 CPP) n'empêche pas non plus ceux-ci d'être indépendants, comme
tout magistrat de première instance dont les décisions peuvent faire
l'objet de recours à une autorité judiciaire supérieure. Au surplus,
dans le cas particulier, il n'existe aucun indice quelconque que le Juge
d'instruction ait été soumis à quelque instruction que ce soit de la
Chambre d'accusation lorsqu'il a rendu le prononcé attaqué.

    Le recourant invoque également la jurisprudence selon laquelle, en
principe, le Juge d'instruction qui a conduit l'enquête ne peut faire
partie du tribunal statuant sur le bien-fondé de l'action pénale (ATF
115 Ia 217, 114 Ia 50, 140 et 143, 113 Ia 72). La situation est toutefois
différente ici. Il ne s'agit pas d'une procédure où le Juge d'instruction,
après avoir procédé à l'enquête et, le cas échéant, renvoyé l'accusé
devant l'autorité de jugement, fait ensuite partie de celle-ci. Dans ce
cas, en effet, le Juge d'instruction a pu, à l'occasion de l'enquête,
se heurter à l'accusé et s'être déjà largement fait une opinion,
de sorte que sa pleine indépendance au moment du jugement n'est plus
garantie. En l'espèce, l'enquête n'était pas dirigée contre le recourant
mais contre un tiers et le Juge d'instruction a sanctionné le refus de
témoigner du recourant. Selon la jurisprudence, pour dire si un juge est
indépendant, il faut examiner les circonstances de fait et l'évolution
de la procédure, de même que les questions concrètes à trancher (ATF 115
Ia 220 consid. 5a et les références). Dans le cas particulier, le fait
que le Juge d'instruction ait instruit la plainte déposée par X. contre
inconnu ne signifie pas qu'il ait déjà eu une opinion préconçue lorsqu'il
s'est agi de sanctionner le refus de témoigner du recourant. La procédure
contre le recourant restait ouverte malgré la participation du juge à
l'enquête dirigée contre inconnu, laquelle posait un problème différent
(ATF 114 Ia 59). On ne saurait donc exiger, au regard de l'art. 6 par. 1
CEDH, que le juge qui sanctionne le refus de témoigner soit nécessairement
un autre juge que celui qui a convoqué le témoin et tenté d'obtenir ses
déclarations (ATF 114 Ia 67 consid. b/aa).

    c) Vu la nature et la sévérité de la sanction prononcée en l'espèce,
laquelle comportait une privation de liberté de 3 jours, il n'est pas
douteux qu'il s'agisse d'une accusation de nature pénale au sens de
l'art. 6 par. 1 CEDH. La Cour européenne des droits de l'homme en a du
reste décidé ainsi dans le cas d'une amende de fr. 300.-- prononcée pour
violation du secret de l'instruction dans le cadre d'une enquête pénale,
où il s'agissait donc également d'une lésion des devoirs découlant
de la loi de procédure pénale (arrêt Weber du 22 mai 1990 déjà cité,
Publications de la Cour EDH, série A, vol. 177). Dans le cas particulier,
il n'est pas contesté qu'il n'y a pas de publicité des débats devant
la Chambre d'accusation, ce qui est contraire à l'art. 6 par. 1 CEDH.
Même si le recourant n'en parle pas, il y a même double lacune, car la
publicité des débats s'impose également en première instance devant le
Juge d'instruction (ATF 111 Ia 244 consid. 7a et arrêt Weber précité).

    Le recours devant ainsi être admis pour ce motif de nature formelle,
le Tribunal fédéral peut se dispenser d'examiner le fond, à savoir si
l'art. 21 ch. 5 CPP frib. a reçu, dans le cas particulier, une application
conforme aux normes constitutionnelles et conventionnelles invoquées. Il
appartient en effet à la juridiction intimée de rendre une nouvelle
décision à la lumière des considérants du présent arrêt. Ce faisant, elle
vouera un soin particulier à l'examen des questions de la proportionnalité
et du sursis (consid. 1 ci-dessus).